Bienvenue à Sol'Dorn | Viconia

6e jour de la 1ere ennéade de Favrius ~ Automne
17e année du XIe Cycle
Camp Nord du siège eldéen

- Na'ri… Dépêches toi… Ce n'est pas tout mais moi j'attends.

Mains sur les hanches, la prêtresse regardait sa consœur s'activait dans l'espèce de cuisine du temple de Kiran qui était normalement dévolue à la préparation des remèdes.

- Encore un tout petit peu…

L'intéressée referma la porte du four non sans réprimer un petit "Boïng" qui venait d'on ne sait où, mais qui était apparu en même temps que la médecin. Elle se reconcentra sur son minutieux pliage. Après avoir admirer son œuvre, elle le posa sur un tissus posé un peu plus loin sur la paillasse avant de retourner à son fourneau. Il y avait un pot qui répandait une odeur âcre, mais c'était ce qu'il y avait dans le four qui retenait le plus l'attention de la sombre.

- C'est bon !

Boïng

Sur la plaque fumante, se trouvait des drôles de biscuits. Ils étaient constitués un fin boudin qui s'entortillaient au centre pour former un cœur. Sans prendre le temps qu'ils refroidissent, ils furent immédiatement transférés à quatre exceptions près dans une boite en bois prévue à cet effet.

- Et voilà ! La médecin tendit la boite emmaillotée dans le tissus avec le joli pliage. Et cela sont pour toi ! Mais attention c'est chaud… Elle tendit trois biscuits à sa consœur.

- Quand arrêteras tu tes excentricités ?
- Surement après mon procès, quand le voile de la Rusée étouffera ma flamme. Les yeux de la sombre étaient presque souriants, légèrement teinté de mélancolie.

Visiblement mal à l'aise, la messagère se saisit ses trois biscuits et en porta un à la bouche.

- Ch'est chaud ! A plus tard !

***

Camp Sud du siège eldéen
Au moins une heure plus tard.

Devant la tente de la Triumvir, une prêtresse de Kiran remis à la garde le colis avant de rejoindre ses quartiers.

- Sesmika, vous avez un colis provenant du camp Nord. D'une prêtresse de Kiran apparemment.

S'argt, le prêtre dévolu à la gestion du temple du second Ost, était fier comme un paon d'avoir pu développer l'étendue de ses compétences auprès de la Triumvir X'Ianxin. Et, elle l'avait écouté jusqu'au bout ! Il était heureux, jusqu'à ce qu'il apprenne que la prêtresse Yisfi avait encore fait des siennes. Bien qu'ayant les sourcils froncés, il fit mandé la prêtresse, ne pouvant refuser une excentricité à la sublime Triumvir.

Na'ri ne se fit pas trop attendre et arriva d'un bon pas ne sachant pas la raison. Ce qui remplit d'aise Viconia qui adorait adorait faire des surprises aux gens. Si, droite et altière, elle ne marque aucun autre sourire que celui habituel. Les mains sagements croisés sur son ventre, le lourd bracelet d'or blanc en forme d'ouroboros aux yeux émeraudes luit doucement dans la lumière tamisée du temple. Ses amples jupes noires reposent en plis souples., frôlant le sol. Le bandeau sanglant son opulente poitrine et ses cheveux fraîchements lavés et laissés ibres en vagues voluptueuses sur ses épaules nues complètent le tableau.

- S'argt, j'ai fini de préparer les sacoches pour l'expédition de demain. Par contre, il faudra s'occuper du stock de… Sous le masque de tissus, les lèvres de la sombre s'étirèrent en un sourire radieux qui remontait jusqu'aux yeux. Le sourire de Viconia s'élargit imperceptiblement sous la mine altière.

- Soyez la bienvenue dans notre modeste temple, Sesmika. Les mains croisée sur son ventre, aussi raide qu'un piquet, Na'ri salua l'invité dans un mélange de garde à vous et de salut plus… civil. Que nous vaut ce plaisir ? D'un geste, elle invita son hôte dans l'antre du sanctuaire. Dans un bruissement de jupes gracieux, la triumvir agrée. Mais auparavant, elle rassura le responsable.

 -J'ai une requête spéciale à formuler pour prêtresse Na'Ri. Elle est la seule à posséder le champ de compétence que je recherche. Viconia se tourne vers l'humble servante de Kiran tandis que le prêtre tord le nez. J'aimerais m'entretenir seule un moment avec toi, prêtresse, pour un petit quelque chose de spécifique qui est dans tes cordes. Je te dirai ensuite, S'argt, ce qu'il en est exactement.

- Sauf votre respect, Sesmika, je vais devoir rester avec vous. La prêtresse Yisfi a déjà séduit un Obok Senger. Je ne voudrais pas qu'elle fasse de même avec un Triumvir. Le prêtre lança un regard noir à sa consœur. Certes, il lui reprochait beaucoup de choses comme celle d'être compétente et pas assez ambitieuse, mais il voulait aussi l'aider à ne pas avoir un procès truqué.

Les fins sourcils se haussent… Amusés.

 -Et parce qu'elle ne t'a pas séduit, toi ?
Le prêtre fit une grimace des plus explicite. Calmement, Na'ri posa un doigt sur la manche de son comparse.
- Il n'a pas tort, je le crains. Que puis-je faire pour vous ? dit elle, les yeux toujours souriants.

Viconia n'y tient plus et éclate d'un rire cristallin qui sonne comme un ruisseau frais. Dommage, elle ne pourra pas lui parler ouvertement comme il lui plairait. Elle aimerait savoir comment Na'Ri va, ce qui lui est arrivé, comment elle l'a vécu. Elle devra se contenter de la surface. Dommage…

 -Ne vous inquiétez pas, je n'ai nulle intention de m'immiscer dans quelconque affaire autre que celles concernant Valas Talberith. Allons marcher prêtresse… Je vais vous exposer mon problème…  J'ai reçu ce matin des pâtisseries de bienvenue et j'aimerais savoir combien tu pourrais en faire… Je dirais… quatre par haut-prêtre serait ce trop?

La prêtresse, dans sa traditionnelle robe de toile noire, resserrée à la taille par une cordelette argentée, marcha à un pas derrière la Triumvir. Elle savait qu'elle était observée, écoutée et que tout serait répété, amplifié et déformé. Les noirelfes ne faisaient jamais dans la demi-mesure.

A l'annonce, la presque cuisinière était déjà en train de calculer ses proportions.

- Avec une boule de pâte, je vais une vingtaine de biscuits… soit pour cinq personnes… Tout les Hauts Prêtres sont présents ? Même la Haute prêtresse de Natha ? Mais déjà elle reprenait ses calculs. Présente ou non, ça me fait quand même deux pâte à faire… ce sera plus simple pour les proportions. Mais est ce que j'ai assez de farine…

Un pied devant l'autre, les pas de la médecin ne suivaient plus la Triumvir. Elle se dirigeait intuitivement vers son obsession du moment : la petite cuisine.
Mais sinon, je peut la couper avec le mycélium desséché… Ou est ce que je l'ai rangé…
Puis elle s'arrêta net.
Sesmika ? Quand arriverait les Hauts prêtres ? La sombre s'était retournée s'apercevant qu'elle s'était éloignée de la commanditaire.

Viconia a un sourire rusé, dévoilant ses dents parfaites.

C'est pour aujourd'hui… c'est ça ? demanda la soignante d'une petite voix, interprétant le visage épanoui de Viconia comme un défi à relever.

Demain midi au plus tard ils seront arrivés. Je ne peux malheureusement être plus précise.[/color]

Demain… demain je dois être avec mon régiment. Je peux les faire ce soir ? Non… maintenant ? Auriez vous le temps de m'aider ? Na'ri avait posé la question mais elle se doutait de la réponse. Où une Triumvir trouverait-elle le temps de pâtisser ?

- Hummm... quand j'ai quitté l'armée. Les pommettes visibles se colorent en rose. En l'an 11, j'ai voulu retourner au Puy, pour m'y reposer, avoir un nouveau projet de recherche et retrouver un peu de féminité. Viconia haussa un sourcil. En quoi cuisiner était une preuve de féminité retrouvée ? Devant son expression, la prêtresse de Kiran éclata de rire et serra ses avant bras pour mettre en valeur ses seins. Bon... je sais qu'il y a encore du travail, mais c'est mieux qu'avant ! Je n'avais plus du tout de poitrine. Et pour en regagner, il me fallait grossir. Alors j'ai mangé beaucoup de biscuits de la cuisine du temple... Jusqu'au jour où j'ai voulu manger autre chose. Voilà comment ça à réellement commencer ! Mais il y a tellement de choses à apprendre !

Ses yeux pétillent d'excitation. Elle pose les pâtes sur une paillasse pas très loin du fourneau.

- Je les mets là pour nous faire gagner un peu de temps... C'est Shyn'tae qui m'a offert ce livre de cuisine, et qui m'aidait pour la traduction. Avez vous des nouvelles ? Savez vous si elle toujours… vivante ?

Vivante. Le mot s'étrangla dans sa gorge. Légèrement plus sombre, Viconia se met à nettoyer les plans de travail. Un coup d'oeil en coin à Sar'gt, et elle hausse les épaules imperceptiblement avant de dire avec confiance. Une confiance qu'elle n'est pas sûre de ressentir. Un autre sujet dont elle aurait aimé pouvoir discuter ouvertement. Mais la mage ne peut prendre parti.

-Elle est forte, et si elle passe avec succès son Epreuve, elle le sera encore plus quand elle nous reviendra. Je penses que les dieux n'envoient aucune Epreuve insurmontable. Ils ne font que mettre notre pugnacité et notre résilience à l'essaie, encore et toujours.

- Comme quand Kiran et Leetha étaient dans les marais… Une Epreuve pour les Eldéens. Je comprends… et ne peux que prier pour sa réussite. La prêtresse soupira. Bon. On va préparer la suite.

La médecin prit un grand faitout et se retourna dans tout les sens pour chercher de l'eau.

- Sar'gt ? Est ce que tu pourrais aller demander aux esclaves de l'eau… deux seaux s'il te plait ? Le prêtre se leva et s'exécuta non sans avoir prévenu sa comparse de se taire et de ne rien faire de répréhensible. La triumvir apparemment indifférente, le laisse s'exécuter, tout en allant se laver les mains.

- Sesmika… vous avez de la farine sur votre visage aussi... chuchota la soignante dès que son collègue disparut de la pièce. Avec un flegme exemplaire, la spiritiste s’essuie délicatement la joue.

- Que s’est il vraiment passé avec elle ? Elle était alitée et n'allait pas bien. Mais non, elle n'aurait pas déserté… Sa voix n'était qu'un souffle et l'incompréhension était lisible dans ses yeux.

Ne marquant aucune indication autre qu’un frémissement d’oreille, Viconia lui répond sur le même ton. Un souffle, un murmure.

- S'il y a une chose qu'on ne peut pas lui enlever, c'est qu'elle n'abandonne jamais. Je pensais que toi tu aurais pu m’expliquer.

- J'ai... j'ai dû m'absenter avant elle. Et je n'ai que les rumeurs qui circulent un peu dans le temple. De plus comme ils savent que je me suis occupée d'elle, ils ne sont pas très loquaces avec moi. Certains pensent même que nos évènements pourraient être liés. J'aurais pensé que vous auriez pu avoir un rapport. Mais c'est présomptueux de ma part que de vous faire révéler des secrets. Pardonnez moi. La sombre s'inclina et se remis à son ouvrage, c'est à dire à remplir son faitout d'eau pour le mettre sur le feu. Viconia lui prêta main forte.

- J’ai bien eu des rapports... ils sont tellement fantasques et contradictoires... J'aurais tourné chaque caillou de Miradelphia s'il m'était possible, mais je ne peux prendre parti. Je ne le dois pas...autant par impartialité que si je m’en mêle, son retour hypothétique serait entaché. J’ai cependant pris les dispositions discrètes pour que ses avoirs soient en sûreté. Je ne peux faire plus.

Viconia passe près de parler à la soignante de l’étrange missive de la dynamiste, mais se retient au dernier moment.

- Merci. Un seul merci et pourtant tant de chose : de la réponse déjà jusqu'aux dispositions. La prêtresse garda le silence.  Tranquille, l'arcaniste s'appuie au comptoir de la cuisine. Jette un léger regard vers la porte tandis que les oreilles fines se meuvent, cherchant une mélodie hypothétique. Elles sont encore seules pour le moment.

- Et toi? Crois tu qu'ils sont liés?  La prêtresse fit un signe de négation de la tête.
- Comment vas tu? Tu n'es pas blessée?
- J'avais énormément de sommeil en retard, et depuis, ça va mieux. Merci ! Elle oublia volontairement de préciser qu'elle continuait à s'attacher à son lit pour dormir. Elle avait encore peur.
- Pourquoi passera tu en jugement?

Demande en un murmure la voix mélodieuse, rapidement d'un souffle. Le temps est compté, qui sait quand il va revenir.

- Parce que j'ai tué dans Frontière alors que c'est strictement interdit. La voix de Na'ri était froide et tranchante. La prêtresse ne voulait pas en parler, mais elle ne pouvait pas non plus mentir à Viconia.

Une main, deux mains délicates prennent doucement le visage de Na’ri qui ne put réprimer un mouvement de recul. La triumvir tourne la modeste soignante vers elle avant de poser son front contre celui de sa semblable. L’oeil d’émeraude rougeoyant se pose dans celui tâché d'argent de la cuisinière.

-Là dessus je n’en crois pas un mot... Il y a trop d’ombres.

Avant de laisser de nouveau Na’Ri libre, mine de rien. Les murs avaient des oreilles partout. Viconia finit de remplir le faitout à sa place. Réfléchissant... La médecin fut ébranlée. Il l'avait crû. Il l'avait écouté jusqu'au bout de son invraisemblable histoire. Pourquoi ce n'était pas possible ?

- Où le met-je ?

- Sur le feu, il faut que l'eau boue.

Viconia banda ses muscles délicats pour s’acquitter de sa tâche. C’était quand même étrange de la voir faire, ne rechignant pas à l’ouvrage malgré son statut.

- …Plus que l’acte en lui-même, il faut la motivation derrière. Le motif... Je ne dis pas que tu l’a fait... ou non... Je dis juste que je n’ai aucune preuve... en as tu ?

Sans un mot, la prêtresse haussa les épaules. C'était aux prêtres de Meingal qu'elle devait apporter ces réponses. Il y avait une enquête, surement car elle attendait depuis plusieurs ennéades maintenant. Et puis, elle n'avait rien à dire pour sa défense. Elle était incapable de donner les motivations, le motif, ni de preuves. Les mercenaires étaient déjà dans la fosse commune de la ville. Et surtout... elle était la seule à s'accuser. Alors, pourquoi devrait elle construire sa défense ? Elle s'en remettait aux Dieux, elle n'avait pas le choix. Elles n'avaient pas le choix. Quoique, pour Viconia qui avait été élevée dans le principe drow du:" fait ce que tu veux mais ne te fais pas prendre", s'accuser soi-même était d'un illogisme flagrant. La jeune arcaniste aurait aimé aider Na'Ri à clarifier son esprit, mais elle doute que personne ne le lui demanderait.

- Ho ! Regarde, comme la pâte a bien levé ! S'émerveilla t'elle en levant le linge humide.

- -Effectivement, jamais je ne me serais pensé bonne cuisinière. Merci beaucoup prêtresse Na'Ri de donner corps à ce caprice de dernière minute...

A ces mots, le prêtre rentra avec deux esclaves portant des seaux remplis d'eau.

- Toujours digne de confiance Na'ri Yisfi.
Le prêtre était agacé. Comme toujours quand il y avait la prêtresse dans l'equation. Elle se jouait de lui comme elle jouait avec les règles. Il en était certain. Et quand il sera Grand Prêtre, il se ferait un plaisir de la remettre aux premières lignes. Pour qu'elle y reste enfin… que cela soit par ses ennemis ou par ses cauchemars. Un jour il l'aurait, un jour…