La complainte de la bouteille vide | Ethirëlon & Aerianna

Début 6e ennéade de Favrius de l'an 17
Dans un très joli palais
Avec un très joli jardin
Et une charmante cave
Que nous nommerons Germaine

Pavé, pavé pavé. Pavé, encore pavé, pavé, pavé, encore pavé, toujours pavé, fichu pavé ! La gueule en vrac, la demi-drow frappe un caillou dépassant au milieu des autres, et est bonne pour glapir de douleur, injuriant la pierre et tous les petits bébés pierres qu'elle pourrait. Fichue pierre qui lui gêne le passage... Le pas peu sûr, une bouteille grossière à la main, la Grise avance, sans trop réfléchir ni, ni pour combien de temps. C'est qu'elle a de la mélasse plein le crâne, le ventre plein d'alcool, et la boucle de marmonnements indistincts. Oubliés, déjà, les copains avec qui elle a bu, rigolé, avant d'échanger des torgnoles suite à la question de trop. Se sauvant avec une bouteille - le tavernier la connaissait, comme bon nombre de ses confrères, elle reviendrait payer... Quand elle le pourrait - elle errait depuis lors, sans savoir trop où... Venue pour une petite paie, celle-ci avait vite disparu dans l'auberge la plus proche, au même titre que le sens de l'orientation de la buveuse.

A un moment, elle réalisa que sa bouteille était vide. Stupéfaite, la demi-drow se retrouva à pleurer de tout son saoul, étreignant le cadavre chérie, en appelant aux dieux pour un tel méfait... ! Sans succès. Mais, tel une lumière dans les marais, son esprit retint une idée, et la Grise releva la tête de son désespoir imbibée. Des tréfonds de sa mémoire, lui revint une information. Et, tandis que celle-ci révélait ses attraits, la demi-drow se releva, le coeur gonflé d'un espoir confus. Oui, ce palais ! C'était celui de l'aut' buveur-la ! L'faiseur de bouteille ! Oh, bien sûr, elle avait quelques scrupules... Mais quels valeurs avaient-ils, devant l'ennui d'être coincé chez sa mère, et le manque d'alcool (surtout le manque d'alcool) ? En cet instant, le coeur chagrin, elle décida que c'en était assez. Personne ne verrait rien. Sûrement.

Profitant de l'ombre - bien que rien ne soit planifié -, la Grise s'en fut faire le tour, repérant les gardes - à qui elle sourit béatement avant de s'éloigner de sa démarche d'ivrogne -, puis repérant une opportunité. Faut les baill- tailler vos arbres, m'sire... sourit-elle. Fourrant la bouteille vide, compère de cette nuit de beuverie, dans son pantalon, la Grise se rappela le bon vieux temps, s'accrochant à la branche d'un très joli arbre - Citronnier... ? - avant... De... Laborieusement... Se hisser... Par dessus... Le putain de mur...! L'envie lui donnait des ailes, alors que la soif lui faisait imaginer une ribambelle de bouteilles dansant la gigue. Bien mal lui en prit, car elle rata sa chute et finit tête la première par terre. Autant pour ses charmantes hallucinations ! Plus réveillée que désiré, la gueule douloureuse, la demi-sang profita des jardins - Buisson, pis n'arbre, s'faufiler... - pour se rapprocher. Dans l'obscurité, les fenêtres et les portes lumineuses l'appelaient, faisant luir les casques des gardes en patrouille. Réalisant trop tard qu'elle avait piétiné un parterre de fleur, la Grise atteignit une porte entrouverte, le cœur pulsant désormais d'une exultation beurrée. A moi les bouteiiiiiiilles !

Se glissant dans les couloirs tel un rat dans un grenier, la Grise se fia à son flair - ce soir, il était infaillible, c'était sûr ! -. Le nez ainsi levé, ignorant alentours de sublimes tentures, des statues d’albâtre, comme un subtil agencement de piliers - qui créait ici un effet de perspective saisissant pour l'esprit éclairé se tenant devant l'extrémité de... -, la demi-sang trouva bientôt... Le chemin des cuisines. Hésitant à questionner l'un des cuisiniers - Mon cher m'sire, z'aurez bien une bouteille pour désaltérer l'gosier d'une humble pochtronne ? Une p'tite goutte ? -, un sursaut de raison lui fit se prendre les pieds dans le tapis, en voulant échapper au regard de l'un d'eux. Tentant de se rattraper à une poignée, ne parvenant qu'à tirer la porte sans s'y accrocher, la Grise dégringola les escaliers. En silence, s'il vous plait. Chut, les escaliers !

Endolorie comme jamais, la demi-sang mit un instant à ouvrir les yeux, qui tardèrent à percer la semi-obscurité où elle se trouvait. C'est qu'il n'y avait qu'une simple bougie... Soudain, elle frétilla comme un poisson. Bouteille ?! Où qu't'es, Bouteille ? Loin de se réjouir que celle-ci ne lui ait pas lacéré le calbute, la Grise paniqua de ne pas la retrouver à son côté. Et puis, dans sa recherche éperdue, le nez au ras du sol, elle finit par lever la tête... Et tous ses soucies disparurent. Par l'con d'la Damedieu !

A ses yeux embrumés par l'alcool, le doux éclat d'innombrables bouteilles se révéla, alternant avec de ventrus tonneaux. La demi-drow se retrouva vivifiée, la truffe humide, comme un chien ayant repéré une piste. Oh, ce qu'elle avait soif !

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Le temps de présence de la demi-drow eut pu se compter en bouteille. Présentement, il était plutôt raisonnable : l'une, vide, avait roulé, tandis qu'une autre, à moitié pleine, se balançait au bout du bras de la Grise, avachie contre un tonneau, le sourire aux lèvres. Nageant dans un mer de chaleur et de bonheur liquide, son esprit était loin de s'inquiéter de sa situation. Tant qu'l'alcool est bon, tout va !

Il était un bon p'tit pichet
Qui rouuuUuulait, qui rou - burp - roulait
Qui... Qui... IL ETAIT UN BON P'TIT PICHEEEET... !

Ayant perdu les paroles au début de la deuxième bouteille, la demi-sang se bornait à répéter les mêmes phrases, louant encore et encore par son enthousiasme exubérant, la persévérance de ce petit pichet. C'est qu'il devait bien aller chercher de l'alcool, n'est-ce pas ? Ou en porter à quelqu'un ? Ah, ce BON PETIT PICHET... !

Prise sur le fait, nullement dérangée par cela, la demi-drow accueillit les nouveaux venus - Bienv'nuuuu ! - avec un sourire, et un geste du bras. Qu'ils viennent donc se rincer le gosier ! L'alcool était bon, l'alcool était bien... ! L'idée d'être non désirée, de même que la notion de propriété, comme la présence de gardes, lui passant largement au dessus de la tête - qu'elle avait basse d'ailleurs, pour l'heure -. Cependant, il est à noté que le carreau qui se planta dans le sol la fit sursauter, lui vivifiant son sang boueux. ll lui fallut un instant pour réaliser. Bouteille ! Mais y m'la pétéééée... Ah, mais l'couillon...! L'air exagérément contrariée, la Grise, toujours au sol, se pencha en avant.

"Heeey... On t'as jamais dit d'pas faire joujou 'vec une arbalète ? T'pourrais t'planter l'carreau dans l'pied... morigéna-t-elle mollement. Et qu'ce soit un carreau ou une flèche... Ça piquent, ces salop'ries, j'vous l'dis... !"

Venu de nul part, un éclat de rire lui éclaira tout aussi soudainement la figure, alors qu'elle se reposait contre le tonneau, tirant une bonne lampée de la bouteille qui lui restait en main. Ah, qu'il était bon d'être ici... Des rigolos, d'l'alcool... Elle viderait bien un tonneau, pour s'lover ensuite dedans, et dormir jusqu'à demain, à jamais, elle ne savait plus. D'un coup de langue, elle rattrapa une goutte fuyarde, tout en souriant aux gaillards attirés par ses vocalises.

"Ha, c'qu'il est bon... soupira-t-elle avec bien être, avant de tirer une drôle de figure vers le sombre, mi-intéressée, mi-planant. Séduire, lui... ? Non, ho non non non ! Quoique... Tant qu'y tire pas cette gueule d'deux mètres d'long... Ah ! Mais j'fais pas la bête à deux dos 'vec des sombres, c'est vrai !... Pas avant d'avoir d'mandé... Si c'lui mon père.  Elle gloussa, sous des regards sans doute consternés. Hoho, l'tue l-amour, j'vous dis pas ! Elle se singea elle-même. 'Dis-moi, 'vant de t'faire du bien 'vec moi, est-ce qu'tu t'en es fais 'vec ma mère y a... Y a... Est-ce qu't'as baisé ma mère, voilà ?' Et elle éclata de rire encore, riant de cette blague qui durait depuis si longtemps. Et l'pire... ! S'rait qu'un jour y en a un... Qui m'dise oui ! Alors qu'y s'rait baisable ! Comment j'f'rais moi... ? Fin, j'dis pas qu'avoir un père baisable... C't'une mauvaise chose... Si ? En proie à une grande question existentielle, la demi-drow balaya celle-ci d'un revers de la main. Trop sérieuse, trop sérieuse... Mais les manières, les manières...! se reprit-elle en souriant. Posez-donc l'joujou et descendez encore. C'qu'il est bon, c'liquide ! J'vid'rais jamais la cave toute seule ! Même si s'rait pas... Pas faute d'essayer !"

Et tout en disant cela en toute bonne foi, toute innocence ivrogne, elle agitait une main pour les y inviter, comme s'ils étaient trop timides pour se décider. Ah, si elle avait emmené les copains, quelle joie c'eut été !... Mais autour d'une bouteille, il est toujours possible de s'en faire de nouveaux !

Bien installée sur son petit nuage, la Grise regarda le doeben se faire sermonner. Quand il fut question de ceux devant qui elle aurait pu passer, cela la fit rire. "Passer, moi ? Mais j'croisé personne. Esquivé, ouiii... Dans l'noir, et tout... J'suis grise, ça doit aider, ha !" Et tandis que l'on ne s'occupait pas trop d'elle, la demi-sang envisagea la belle option consistant à chourer une autre des belles bouteilles rebondies, là, si belles, si bouteilles... Et hop ! C'est la sienne qui lui fut piquée. Dépitée, la demi-sang regarda avec un air triste le grand cierge qui bavassait tant. Ah, mais c'est qu'il lui causait ? Lui donnant son sobriquet pour nom - celui-la ou un autre, quel différence, tant qu'elle se reconnaissait ? Enfin, il y avait une logique d'usage normalement... Normalement... Laquelle déjà ? -, elle l'écouta en glissant tranquillement contre son tonneau. Sa première bouteille explosée, celle qu'elle n'avait pas vidé, piquée... Ah, quel triste sire ! Mais il avait une drôle de manière de parler...

"Ah ? Vous avez beaucoup d'truc à vous, pas vrai ? Et... Ça vous dérange que j'sois-là ? dit-elle, semblant recoller les morceaux... Avant de les éparpiller en tout sens. Mais y a paaaas d'raison ! C'mieux d'partager 'vec les copaiiiiins ! On v'la jamais dit ? Si bon, même quand on a rien, d'avoir rien 'vec les copains... Tout qu'est meilleur, comme ça ! sourit-elle, aveugle à l'inquiétude de son interlocuteur, affalée on ne peut plus confortablement contre la bedaine de bois, tout sourire. Voyez, c'est qu'j'sens l'bon alcool moi. Alors, quand j'ai senti ici, j'me suis dis : 'Ma grande, faut qu't'y aille !' Un claquement de doigt - raté - avait accompagné la déclaration théâtrale. Et vous savez quoi ? Bah j'avais raison ! L'est bon, c'vin, l'est bon... Donc m'en faut une bouteille... Ou un tonneau. Oh, c's'rait bien, un tonneau... ! Elle glissa au sol, imaginant la belle image, celle du tonneau roulant gaiement là où elle le voulait. Y pourrait qu'êtes content 'vec un tonneau, pas vrai ? Qu'y soit pas grognon, qu'on boive bien, et qu'on r'mette l'couvert... Soudainement, la demi-drow sembla attristée, se taisant - enfin ? - un instant, pour fixer le plafond. M'manque c'con... Vous rendez compte ? Y m'manque ! Alors qu'il s'est barré... Comme un connard. Elle tourna la tête, vers la figure si haute. V'z'êtes pas un connard, vous, si ? Quand y a un problème, vous l'dite et ça s'règle, y a pas d'raison ?"

L'impudence ? Cette bonne amie ! Et l'imprudence, sa copine de galère. La semi-sang ne semblait nullement inquiétée, devisant avec la même fluidité que dans une bonne taverne. Après tout, elle était dans une belle cave. Il ne restait qu'à imaginer la salle pleine de joyeux lurons là-haut, et le tour était joué... ! Serveur ou tenancier, le grand cierge qui la regardait de haut ?

Je m’approchais à nouveau. Ses paroles me laissaient penser qu’elle ne pouvait pas jouer la comédie à ce point…

Je soupirais et pendant un instant ne dit rien, me contentant de la fixer. Je saisi finalement sans prévenir la grise par le col de son vêtement et la redressait contre le baril d’alcool derrière elle alors que je pliais les genoux pour me mettre à sa hauteur. Je ne savais pas trop ce qui me poussait à faire ça en réalité.

Cependant, ivre,  elle avait l’air particulièrement bavarde. Peut-être obtiendrais-je des informations ou des réponses avec un peu de patience… De toute façon ma nuit était fichue alors fiche pour fichue…

L’une de ses phrases m’avait d’ailleurs intrigué en même temps qu’elle avait achevé de me laisser entendre que je n’avais devant moi qu’une femme ivre  peux être un peu stupide sinon douée dans l’art du cambriolage et non un assassin retord.

-Attend ne me dit pas que tu fait tout ce tapage pour un homme ? Je haussais les yeux au ciel d’un air exaspéré.

Les gens de rien pouvaient être pathétique parfois…

Qu'l'est aimable ! Aide à m'relever ? Et la demi-drow de sourire alors qu'elle se retrouvait adossée contre le tonneau, par les soins du tenancier. A vrai dire, avec son décolleté profond, la prise était plutôt lâche. Mais ce n'est pas comme si elle ressentait le besoin de s'enfuir. Non, oh que non, elle devait s'en sortir avec un tonneau et- La question atteignit enfin son esprit embrumé, et une moue contrariée s'étira lentement sur ses traits.

"Pour lui ? Lui, lui ? Elle croisa les bras, faisant non de la tête, ne rappelant en aucun cas l'attitude d'une enfant contrariée, tout en bougonnant. Mais noooon c'pas pour lui ! L'bon vin j'ai dit, Le bon viiiin !... Pas c'con d'enculé d'connard d'baiseur d'chèvres aux boules d'hamster qu's'est barré la queue ent' les jambes en m'laissant en plan... Alors que ses mires noires fouillaient un passé trouble, sa figure se décomposa soudain. J'sais pas où l'est passé c't'abruti, j'ai attendu et y s'est pas r'pointé... Les mains de la demi-drow saisirent soudainement, avec fébrilité, son vis-à-vis au col, affichant une grande tristesse un peu confuse. Ça s'fait pas ! Ça s'règle 'tour d'pinte c'genre d'connerie ! Pas en s'cachant comme un môme ! Y veut pas m'voir, qu'ça veut dire ! Et j'peux pas l'causer si j'le vois pas ! C't'idiot..."

Un instant, quelque chose brilla au coins des yeux de la demi-sang. Une brève seconde, on eut pu croire y voir une larmichette esseulée, clamant sa solitude sur la falaise du regret, avant d'aller se perdre dans une chute le long des joues de l'oubli, bientôt étalée sur la peau grise comme une demoiselle éplorée.
Et puis l'illusion se dissipa, et la demi-drow sortit un autre sourire de sa poche, tout en reniflant sans élégance.

"Pas pour lui, pour l'vin. J'résiste pas quand l'vin est bon ! L'air tout à fait tranquille, la Grise lâchant le vêtement pour le tapoter gentiment, comme si de rien n'était. J'peux vous prendre un tonneau ? Rien qu'un p'tit, un petiiit... Genre l'petit du fond, 'quel vous pensez-plus... C'f'ra plaisir aux copains."