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17e année du Onzième Cycle
Automne – Flèche du Norn
Matin
Tes yeux brillent, animés d’une ardeur peu commune. Ton cœur est gros dans ta poitrine, faisant la course à tes poumons vers l’explosion. Mais tu tiens bon. Tu tiens bon sans savoir pourquoi, simplement convaincu de faire ce qu’il faut, d’aller dans la bonne direction, d’avoir ta place là-haut… là-bas. Tu ne réfléchis pas. Pas plus que ne l’ont fait les druides il y a quelques temps de cela. Pas plus que ne l’ont fait ceux à qui tu as tant reproché leur ferveur, leur dévotion, leur inébranlable Foi. Tu ne réfléchis pas plus que ceux qui ont manqué de vous condamner. Peut-être d’ailleurs condamnes-tu les tiens en faisant cela. Mais tu n’en as cure. Incapable de t’en préoccuper, tu te contentes de mettre un pied devant l’autre, une main devant l’autre, d’enfoncer tes doigts dans les moindres creux à leur portée, d’accrocher tes orteils à la moindre aspérité, et de continuer l’ascension de
La Flèche, le plus haut point des Norn.
Les vents te battent les tempes et t’agressent les narines. Ici tu es au cœur des eaux du ciel. Ici la pluie n’a pas à tomber pour te transpercer de son toucher glacial. Ici la nature est presque aussi cruelle que dans les montagnes du Septentrion. Seulement ici la nature est bien plus vocale que celle du Zagazorn. Le grondement des eaux, le hurlement des vents… ici ils ne sont rien face à la mélopée des edelweiss et au grave bourdon des conifères. La tempête pourrait bien te souffler dix fois de lâcher prise, que l’appel des Chants te porterait jusqu’au sommet.
Seul le cri de l’Aigle percerait au travers.
Le cercle d’or se referme sur l’agapanthe de tes prunelles. Tes lèvres s’entrouvrent, et abasourdi tu observes. Tu cherches péniblement ton équilibre, toujours au bord de la corniche que tu viens de grimper, ton regard filant droit vers les profondeurs d’une grotte dont s’échappe une chaleur au goût de doux foyer… ainsi que l’odeur acide de la mort.
Les ordres de l’Orfraie te vrillent les oreilles.
Tu ne recules pas. Pas encore. Tu te contentes d’ouvrir grand les bras, les yeux hagards, en attente du destin. Tu as fermé les yeux une simple fraction de seconde, et dans un ballet de plumes de neige et d’ambre, la bourrasque t’as heurté. Ton équilibre précaire s’est retrouvé brisé. Et tu es tombé. La neige a accueilli ton dos, puis ton bras, puis ta face. Quelques mètres durant tu as roulé, impuissant, jusqu’à ce qu’à force de tirer à toi la poudreuse tu te retrouves arrêté par son matelas.
Tu te relèves, sans hésitation aucune, pour reprendre ton chemin vers cette même corniche. Tu marches une fois encore en direction de la même bête, ignorant le risque que pouvait être une chute plus grave que la précédente. Tu te présentes une fois de plus devant l’Aigle, bras ouverts, pour être renvoyé de la même manière. Tu te présentes une fois de plus devant l’Aigle, tête basse, pour être renvoyé de la même manière. Tu te présentes une fois de plus devant l’Aigle, tête basse et bras ouvert, pour retrouver ton lit blanc. Tu te présentes une fois de plus devant l’Aigle, à genoux, et cette fois dans ta chute les rochers partent avec une part de ta peau. Tu te présentes une fois de plus devant l’Aigle, à genoux, tête basse, bras ouverts, et ton focaliseur ayant quitté son fourreau pour trouver le sol, devant toi, devant tes genoux, offerts à l’animal. Et cette fois, cette fois
Sû se contente de siffler à ton encontre, tôt imité par les piaillements aigus de jeunes en détresse.
Mais cette fois tu as trouvé ta place dans le nid.