Les Pères d'entre les murs

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Elenwënas de la 5e ennéade de Fävrius
17e année du Onzième Cycle - Automne
Caserne de Daranovar - Matin

- Ha ! Le Trône Blanc a fait du bien à tes passes d’armes on dirait !

Le son de l’Akar et de l’acier qui s’entrechoquent, les mouvements étonnamment vifs de deux elfes de forte carrure. Toi d’un côté, ton fantassin de camarade de l’autre. Le sifflement de ton focaliseur à travers l’air, alors que dans une agile frasque tu changeais ta prise dessus. Le râle de la terre battue quand ses bottes, le voyant changer de position, raclaient le sol. Tes assauts trouvaient sa lance, trouvaient son pavois, trouvaient ses brassards. Les siens te cherchaient, t’effleuraient, te forçaient à jouer sur la défensive alors qu’il était celui qui portait le bouclier.

- Mais assez joué. Pas question que je laisse à un mage le plaisir de remporter un duel d’acier !

Tu souris. Les muscles de tes cuisses, tes fessiers et tes lombaires pressant un dernier effort pour soulever les quatre quintaux et demi qui te reposaient sur le dos. Galvanisé par le souvenir d’une bataille livrée il y a une heure à peine, tu mets tes dernières forces dans le geste, et dans un tintement sonore, la fonte retrouve sa place sur son râtelier. Tu souffles de soulagement, fort de la satisfaction inspirée par la douleur brûlant tes muscles engorgés. Ta main trouve tes pectoraux, embrassant la fine pellicule de sueur qui s’y est déposée comme un témoignage de plus de la qualité de ton travail d’aujourd’hui… et un joyeux prétexte pour profiter des thermes de la caserne.

C’est toujours vêtu de l’uniforme d’entraînement Daranovan – bien heureusement sauvé des suées par ta propension à exposer ta poitrine – que tu quittas finalement la caserne, en direction du Grand-Temple de la Cité. Il y avait tant de questions à se poser, et tant de questions que tu te posais. Les Arbitres n’invoquaient que rarement qui que soit. Les prêtres ne ressentaient que rarement le besoin de faire venir à eux ceux qu’ils conseillaient. Souvent tu t’étais entretenu avec La Main. Souvent tu étais venu lui mander guidance, et chaque fois elle te l’avait offerte. Plus rarement elle s’était déplacée, à la veille de réunions ou de prises de décisions, pour s’assurer de ton assurance dans ce que tu entreprenais, mais tu n’as pas le moindre souvenir d’avoir jamais été convoqué auprès d’elle, ni auprès d’aucun autre prêtre dans l’enceinte de leur Sanctuaires.

Si les choses changeaient aujourd’hui, c’était probablement qu’ils considéraient le Sanctuaire comme le lieu le plus approprié à l’échange, qu’il faudrait la quiétude de cet environnement… et donc que les sujets seraient potentiellement tendus. Ou alors ce pouvait n’être absolument rien de bien spécial, et alors la tranquillité que tu te surprenais à être capable de conserver serait plus que justifiée.
Passer les arches de métal qui entouraient le Sanctuaire, poser les yeux sur le Temple de Tari, s’élevant au milieu des jardins de Kÿria, être caressé par les murmures de l’Arbre Maître qui s’élevait sous les verrières du bâtiment… rien de cela n’avait ébranlé ta hardiesse. C’est donc toujours emprunt de la même excellente humeur que durant l’entraînement du matin que tu t’inclinais devant les Guides, dans une salutation typiquement Daranovane.

- Pères. tu te redresses Vous m’aviez fait demander.

La tenue d'entraînement Daranovane:

L’un des guides hoche la tête. Son visage coupé au couteau est paisible. Comme beaucoup d’elfes, il est difficile de lui donner un âge. Il a les mains jointes dans son dos. Tourné vers l’un de ses camarades, il semble avoir à peine fini une conversation avec ce dernier.

-Fils. Rend-il la salutation. Nous voulions te voir en effet.

Sa voix aussi est posée, comme s’il ne voulait pas qu’elle porte si loin que ça dans la brume matinale. Il y a d’ailleurs un silence avant qu’il ne reprenne. Il s’avance un peu et fait un geste. Il invite Artiön à le suivre. Il veut visiblement parler en marchant, la végétation pour témoin de leurs mots.

-Viens-tu de la caserne ?

Le grand elfe peut apercevoir l’autre l’observer du coin de l’œil. Le prêtre se comporte comme s’il voulait discuter de tout et de rien. Il est évident qu’il a quelque chose en tête, sinon les deux Taledhels ne seraient pas ici. Cependant le guide ne semble pas vouloir presser ces discutions. Il semble vouloir s’enquérir de son interlocuteur comme il  le faisait de tout temps.

-Les habitudes ont la vie dure dit-on, lâche-t-il après avoir laissé son interlocuteur lui répondre. Tu sembles changé pourtant. Remarque-t-il sans s’expliquer d’avantage.

L’un acquiesce, puis t’enjoint à le suivre. Avec un naturel tout égal au tien, le Guide lance la conversation d’une question presque rhétorique, n’ayant probablement pas d’autre but que de servir d’ouverture.

- J’en sors même un peu en avance. tu souris Du coup il a fallu faire plus intense.

Tu roules un peu des mécaniques, pressant ensemble tes pectoraux puis tirant sur le tissu entourant tes bras dans des gestes sommes toutes plutôt discrets. Oui, les habitudes ont véritablement la vie dure. L’attirail Daranovan, en dehors des derniers-nés, il n’y avait probablement pas un seul natif de la Cité qui ne t’ait pas déjà vu le porter. Tu irais peut-être même jusqu’à dire qu’ils étaient rares à ne pas t’avoir vu dans cette exacte situation, l’exhibant comme une victorieuse bannière à la sortie d’une séance de travaux de forces. Pour autant tu ne pouvais le contredire lorsqu’il disait voir une autre personne que celle qu’il avait pu voir répéter ces mêmes gestes des siècles durant.

- Je suis trois stone et demi plus lourd depuis mon départ pour Alëandir. tu réponds du tac au tac, feignant l’innocence Après presque cinq siècles à les porter j’ai été forcé de faire reprendre mes combinaisons ! tu ris un court instant À moins que ce ne soit les cheveux ?

Ou les tatouages dont il ne peut constater l’existence que d’un seul. Celui dont les contours se dessinent au travers de la courte chevelure qui t’a repoussé depuis qu’il t’a été apposé. Ou encore ton attitude, à la fois toujours la même, et profondément changée depuis que tu t’es forcé à grandir – au propre comme au figuré – pour remplir ta nouvelle mission.

- Plus sérieusement, ton timbre se pose, léger, paternel et chaleureux assumer le rôle d’Aran n’est pas de tout repos. J’ai été forcé de beaucoup en apprendre sur moi-même, sur les miens et sur le monde en peu de temps. Et il me reste encore beaucoup à découvrir. tes yeux se perdent sur les elfes présents autour de vous, pour beaucoup anciens habitants de Linaëh et Wyrskeinfyl Le Sanctuaire aussi a beaucoup changé on dirait. tes oreilles se soulèvent, la gauche un peu plus lentement, ralentie qu’elle était par le phoenix qui y pendait Mais sa mélodie est toujours la même.

Toujours aussi forte, fermement gouvernée qu’elle était par votre Gardien. L’Arbre-Maître de Daranovar.

Le prêtre adresse un très fin sourire aux plaisanteries de l’Aran. Il sait très bien que l’immense elfe qui joue de ses muscles comprend qu’il ne veut pas forcément en venir là. Il le laisse faire. Pourquoi contrarier la bonne humeur de l’anedhel après tout ? Les elfes sont ainsi fait, ils sont conçu pour les émotions, bonne ou mauvaises. Il est vain de vouloir les contenir.

Cependant il ne répond rien. Il le laisse retrouver seul le chemin sur lequel il veut l’amener. C’est comme les plantes, on peut les aider à pousser mais il ne faut pas les forcer sinon cela ne sert à rien.
En parlant de végétation…

-Il compte quelques souffles de plus c’est vrai. Nous nous efforçons de guider ceux qui ne trouvent pas encore leurs racines dans leurs nouveau monde. Comme nous l’avons toujours fait. Nôtre tâche n’a pas changé, tout au plus s’est-elle un peu accrue… Et puisse I Mîngely ne jamais faire cesser la mélodie qui règne ici et au sein d'Anaëh. Le prêtre formule une prière quasi machinale mais bien sincère.

Un instant l’elfe aux cheveux bruns grisés lève la tête, sans jamais se séparer de son sourire paisible puis un instant plus tard fixe à nouveau son interlocuteur. Ses mains n’ont pas bougé de son dos, sauf lorsqu'il avait adressé sa prière à sa mère. Il semble presque statue mobile dans ce temple dédiées aux deux déesses sœurs.

-Mais qu’as tu donc appris fils ? Sa voix devient celle d’un père qui interroge un enfant après une leçon. Douce, elle se fait aussi curieuse et attentive. Sur toi, sur les tiens et sur le monde. reprend-t-il la formulation de son interlocuteur.

Ton menton se soulève légèrement, tes doigts s’ourlent autour des siens, et tu te laisses emporter par la prière du Guide. À l’occasion tes lèvres s’entrouvrent, l’accompagnant sur les bouts de phrases que tes pensées sont capables d’anticiper.  Le temps d’une psalmodie, tu goûtes au souvenir de tes soixante ans, et à la compagnie de ton feu précepteur. Certainement aurais-tu marché dans ses pas, et te serais-tu consacré au culte si seulement tu n’avais pas, durant tes jeunes années, trouvé la force de te tenir le dos droit.
Ton immense paluche libère la sienne, et tout bienheureux, ton regard se perd sur les reflets illuminant les vitraux du Temple de Tari, cœur du Sanctuaire de Kÿria. Les jardins continuent de courir sous les arches de la bâtisse. Parfois vous traversez une verrière, sans véritablement pénétrer l’édifice. Où s’arrête le premier Sanctuaire et où commence le dernier ? Nul ne pourrait l’affirmer. Ils ne sont que deux parts d’un tout, de la même manière le sont naissance et trépas. Ici les deux sœurs s’embrassent… et l’Aran est interrogé.

- Sur moi… tu soupires, te saisissant machinalement de ton focaliseur pour jouer avec Je crois que le plus dramatique aura été d’être forcé de réaliser que je suis bien moins brave que je ne le pensais. tu laisses échapper un rire presque silencieux Mais je n’en suis pas bien déçu. Parce que ça a été l’occasion de me rappeler qu’à défaut de bravoure… tu marques une pause, un grand sourire au visage Ça vous paraîtra probablement extrêmement sirupeux… mais ça a été l’occasion de me rappeler qu’à défaut de bravoure j’étais capable d’assez d’amour pour déplacer des montagnes… et que ça, mes Frères et Sœurs en étaient conscients. ton sceptre fait un tour entre tes doigts Loin de moi l’idée de m’avancer au nom des précédents Aran, mais les débuts d’un règne ont un dérangeant goût de solitude. tu baisses les yeux On se retrouve soudainement avec le poids de tout un monde sur les épaules. On veut faire au mieux pour que tous soient heureux. On se veut le Protecteur de l’Anaëh toute entière et on oublie que le simple fait qu’on occupe cette place est déjà testament de la confiance des nôtres.

Tu lâches un long soupir, et t’arrêtes un instant, forçant ton accompagnateur à lui aussi faire halte. Il y a quelques temps, ces mots tu n’aurais pas pu les prononcer sans te laisser submerger par l’émotion. Aujourd’hui encore ils étaient durs, mais face à eux tu avais le cœur léger.

- J’ai passé mes premières années en tant qu’Aran convaincu qu’il me fallait faire mes preuves. Et à trop chercher à briller aux yeux des miens j’aurais bien pu tous nous brûler. Il m’aura fallu un voyage dans les terres mortelles pour me rendre compte d’à quel point la relation que j’avais déjà avec les miens était exceptionnelle… et il m’aura fallu un retour aux sources ici à Daranovar pour me recentrer et mettre le passé derrière moi une fois pour toutes. ta main libre se pose contre les bords du tatouages doré ceignant ton crâne Je ne pourrai jamais assez remercier I Mîngely d’ailleurs… parce que le peu de sagesse que j’ai accepté de recevoir d’elle, elle m’a récompensé d’avoir su en faire preuve en m’offrant le respect d’elfes dont je n’aurais jamais espéré obtenir quoi que ce soit.

Tu es un Roi riche. Extrêmement riche. Riche de dons précieux dont l’amour de La Mère est le plus grand, et l’amour de Tes Frères le Second.

Peut-être avait-il raison, ou au contraire se trompait-il totalement. Les dés étaient jetés et les temps scellés. Tu ne le saurais jamais. Là où tu pouvais te prononcer sans problèmes cependant, c’était sur ce que tu retirais de ton expérience, et contrairement à ce qu’il aurait pu penser…

- Pas de la même manière. tu lèves un sourcil Ou du moins pas de manière aussi viscérale. Pour être honnête, la relation que j’avais déjà avec le peuple Taledhel, je l’ai toujours prise pour acquise. Leur affection et leur confiance, c’était ma normalité, et à cause de ça, je cherchais à obtenir plus.

Plus que ce qu’il était raisonnable d’attendre de ton peuple dans ce qu’étaient alors ces conditions. Plus que ce dont tu avais besoin. En réalité ce n’était plus ni confiance ni affection que tu cherchais, mais une forme active de validation dont tu n’aurais pas dû avoir besoin.

-  Quitter l’Anaëh, ne serait-ce que pour quelque temps, et voir de mes yeux comment fonctionnait une société en dehors, et quelle société ! c’était probablement – pardonnez-moi l’expression – la plus grande claque que j’aurais pu me prendre. Nos richesses deviennent tout de suite plus apparentes quand on est mis face à un monde où elles sont absentes.

Tu baisses la tête, à la fois presque honteux de tes mots et au contraire animé d’une étrange fierté. Tu as toujours aimé ton foyer du plus profond de ton Souffle, mais aujourd’hui, ayant vu l’extérieur de tes propres yeux, tu étais plus persuadé que jamais d’à quel point la Prime Œuvre était précieuse.

- L’extérieur n’était pas un passage nécessaire, ça je vous l’accorde… tu lèves les yeux au ciel, pensif et je pense que j’aurais bien fini par voir et entendre ce que me montrent les miens. Je ne suis ni sourd ni aveugle après tout, bien au contraire. tu ris doucement Mais je pense tout de même que ce fut un passage utile… ou du moins que j’aurai réussi à rendre utile. tu diriges un regard taquin vers le Guide Que l’on n’aille pas dire que j’aie invité qui que ce soit à quitter nos frontières pour un voyage initiatique. Il ne fait vraiment pas bon vivre dans les terres mortelles.

Pour la première fois de leur échange le prêtre rend le sourire joueur du roi. 

Il ne vaut mieux pas en effet que notre Aran s’amuse à ce genre de chose. Je serais ennuyé de devoir empêcher mes frères de t’assommer pour te confiner au fin fond du sanctuaire.

Il laisse passer un instant avant de reprendre un air et un ton plus sérieux.

-L’extérieur n’est pas fait pour nous. Le guide hoche la tête. Je suis heureux qu’au moins cela te soit évident. Il penche la tête sur le côté. Il semble penser à quelque chose. L’extérieur d’Anaëh suis-je forcé de préciser… Mais je doute qu’après tes récentes aventures tu comprenais autre chose.

Il pose sa main sur le crâne de son interlocuteur. Il ne fait aucun geste brusque. Si le géant n’est sans doute pas de ceux-là, sa fonction de guide le pousse souvent à côtoyer des elfes bien moins enclins aux contacts physiques. Il a pris depuis longtemps l’habitude de ne jamais brusquer ses vis-à-vis. Ses doigts se posent sur la couronne d’encre dorée.

Il est grand, l’Aran. Le prêtre, si sa main atteint tout de même le front du géant, a l’air tout petit. La scène pourrait avoir l’air ridicule de loin. Mais elle ne l’est pas. Les gestes du guide ont tous cette étrange solennité qui loin d’alourdir l’ambiance, les rend naturel et sans étrangeté.

-Car le changement le plus visible que tout un chacun peut déceler sur toi ne viens pourtant pas du royaume des Arïn mais de nos frères des bois n’est-ce pas ?

Naturellement, tu te penches légèrement, autorisant à la main du Guide un accès plus aisé à ton crâne, et aux marques encore aisément visible à travers ta courte chevelure. Pour Thaar ils savaient. Pour l’extérieur ils savaient. Ce que tu avais vécu auprès des Ornedhels cependant, ils ne pouvaient que l’imaginer. Cette partie de l’histoire, seuls les Daranovans pour l’instant en avaient la moindre idée. Le proche futur voudrait certainement que tu la contes. Peut-être pas dans ses détails. À ta manière à toi. Seul juge de ce qu’il serait important à savoir. Aujourd’hui. Aujourd’hui était l’occasion de savoir quelle histoire tu raconterais.

- Les Ornedhels ont parfait mon apprentissage. tu fermes les yeux Ce qu’il me restait de questionnements sur moi-même à mon retour , ce sont eux qui y ont répondu. tes paupières se décollent, sans que tes yeux ne s’ouvrent entiers Ou du moins, qui m’ont forcé à me donner les moyens d’y répondre.

Ses doigts quittent ton front, et vos regards se croisent à nouveau. Cette fois tu es moins épris d’assurance, parce que cette partie des événements, toi-même, tu ne sais pas réellement comment l’expliquer. Ce que tu as vécu chez les Noss n’avait à y repenser à première vue rien de bien particulier. Rien d’autre que ce que l’on attendrait d’Ornedhels. Pourtant la structure et les épreuves qu’ils t’ont imposé durant ton séjour ont suffi à remettre bien des choses en perspective.

- J’ai beaucoup parlé de confiance. ton regard se perd vers le lointain Cette marque est un symbole de celle des Ornedhels. tu ris doucement Ou du moins quelque chose du genre. tes pupilles retrouvent celles du prêtreAvant ça, je n’aurais jamais imaginé les Noss capables de nous faire véritablement confiance d’une quelconque façon. Même dans les Protectorats où les tensions sont faibles entre eux et nous, j’étais incapable d’imaginer la relation comme n’étant – de leur part au moins – rien de plus qu’une forme de tolérance forcée.
Pour nous ils sont – même aux yeux des Citadins les plus réfractaires – un pan d’histoire et de tradition, et d’une certaine manière, un irréductible témoignage de notre nature animale et de notre lien avec La Mère. Nous nous méfions d’eux parce qu’ils sont imprévisibles et que les temps nous ont montrés qu’ils savent devenir dangereux. Mais aucun Citadin ne peut sincèrement remettre en cause la légitimité de leur existence comme eux remettent en cause la nôtre. Alors découvrir que pour eux non plus les choses n’étaient pas si simples… pour toujours les paroles de la Prime-Sorcière resteront avec toi. Pour toujours tu te rappelleras comme elle te fit Roi, même si tu n’étais pas le sien Découvrir que d’une certaine manière, les Ornedhels aussi désiraient pouvoir nous faire confiance, et surtout, étaient pour certains prêts à le faire…

Te découvrir une influence même dans le monde de ceux se réclamant indépendants des Cités de Pierre. Te découvrir un soutien parmi des Frères et des Sœurs dont tu n’aurais jamais espéré l’obtenir, et tout ça à une seule et unique condition : rester affermi dans ton amour de la Prime Œuvre. C’était autant de raisons pour lesquelles tu ne pouvais plus flancher maintenant.

- Nous sommes trop nombreux à vouloir le mieux pour que je craigne de faire le pire.

-Les Ornedhels sont autant fils et filles d’I Emël que nous, Taledhels. Le prêtre laisse échapper un soupir. Malheureusement tous ne semblent pas le comprendre cela.

Un air presque triste apparaît sur le visage neutre de l’elfe. Cela fait quelques minutes qu’il ont stoppé leur marche et au lieu d’être cote à côte ils sont face à face. Si le guide avait continué sa marche, il se serais sans doute figé.

Son visage se fait contemplatif alors qu’il lève à nouveau les yeux vers le ciel.

-Je suis heureux que tu ais reçu cette preuve de leur foi si fragile. Cela montre que tout n’est pas perdu entre les deux faces du même peuple... C’est sans doute encore un espoir insensé mais j’aime à me dire que même si ton histoire est unique, qu’une noss prête ainsi sa confiance, peux être que d’autres envisagerons un peu plus de tendre la main.

Le prêtre affiche alors un très fin sourire, comme toutes ses expressions, elles sont visibles mais toujours ténues. Son regard redescend et retourne se poser dans celui du son interlocuteur.

-Je suis certain que tu en as tiré et tirera des leçons qui ne te concernent pas seulement. Continue-t-il. Il y a une gravité de plus dans sa voix pourtant toujours paisible. Ces leçons, je ne sais précisément ce qu’elles sont. Mais c’est maintenant ton devoir de les transmettre à tes frères. Notamment les moins enclins à apprendre. Pour que la main tendue que tu as saisie, d’autre en bénéficient à leur tour un jour ou l'autre.

- … peut être que d’autres envisagerons un peu plus de tendre la main.

- Je l’espère.

Mais tu en doutes. Pas à moins que ne se reproduisent des circonstances aussi exceptionnelles que celles qui ont poussé ceux-là à tendre le poing. Pour autant, le Guide n’a pas tort. Tu en ressors plus riche de quelque chose, et c’est un quelque chose qui te sera précieux pour le futur. Tu le sais. Tu le sens. Maintenant comment le partager…

- Au moins le bon côté des choses, c’est que si j’arrive à faire accepter ça à ma femme, machinalement ta main vient se placer sur ton cou, où les tatouages sont presque entièrement dissimulés par ton habit alors il n’y a pas de raison que j’aie du mal avec le reste des Sylvains... tu glousses et vu que j’ai fait vœu d’éternité…

Derrière des mots prononcés avec légèreté, et derrière l’inébranlable assurance que jamais rien ne pourrait vous séparer Kaëlistravaë et toi restait tout de même de la peur. La peur qu’elle prenne peur. Tu sais les inquiétudes que font naître les Noss dans le cœur de ton aimée. Elle, elle ne les hait pas. Pire. Elle s’en méfie comme la peste. Contradictoire pour une elfe ayant vécu dans le Protectorat où les barrières entre Ornedhels et Taledhels sont les plus basses certains diraient. Pour toi au contraire, c’est là la raison même de ses craintes. Kaëlistravaë a vu des Noss le meilleur comme le pire. Kaëlistravaë a vu la générosité des Mirtil’Di et la fureur des Lam’nir. Kaëlistravaë a toute sa vie connu l’inconstance des Ornedhels… jusque dans ses mortels extrêmes.

- Quelques ennéades à peine et elle me manque déjà…

Alors qu’en serait-il le jour où il te faudrait reprendre les armes ?

-Ah l’Amour… C’est un sourire doux, paternel, qui éclaire cette fois le visage statuesque du guide. On en souffre autant qu’on court après n’est-ce pas ? Même notre Mère ne peut s’y soustraire. Il ajoute après une seconde ou deux. Mais qui voudrait s’en soustraire en vérité ? Ton épouse te reviendra avant même que tu ne t’en rendes compte j’en suis certain.

Le prêtre pose sa main sur sa manche où est brodée le Cam en Kÿria. Il eut l’air pensif quelques secondes avant de reprendre ses esprits.

-Je te souhaite bien du courage en tout cas. Il a un nouveau sourire amusé. Pour convaincre tes camarades j’entends.

Il fait un mouvement de la tête, comme un salut signifiant au Daranovan qu'il n'a rien à ajouter. Le guide est assuré des opinion de l'Aran. Et il est tout aussi assuré que celui-ci accomplira son rôle et fort de ses expérience, les utilisera pour en grandir le reste des Anedhels. Pour cela le guide est satisfait.

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