[Isgard] L'officine d'Estrevent (Cassio)

Favrius avait commencé en Isgard, le mois suivant aussi. Longeant l'Ohin, Gaubert et ses gardes étaient passés par le pont de Sool, avaient contournés l'Ombrefane que le comte envisagé de plus en plus de faire raser, tant ce lieu empestait la sorcellerie et les contes. Sans parler d'offrir un couvert bienvenue à toute bande de malfrats qui voudrait s'y établir. Le mois de Favrius avait révélé des gobelins au coeur de l'Hedda et des wandrais en maraude dans le Pélanchon, il ne manquait plus que ce bois sinistre soit la cache d'un monstre trois fois maudit ou d'une meute de truandaille. Donc oui, dans l'esprit de Gaubert, il faudrait bientôt s'occuper de cette forêt que les autochtones comparaient à Aduram. Autant l'antique forêt de l'est et ses étranges mythes lui inspirait un respect transmis par ses ancêtres, autant ce bosquet sinistre, il n'en avait cure et il se disait que tout ce bois serait bien utile pour remplir le chantier naval d'Isgard. Plongé dans ses pensées autour du développement d'Isgard et de ses environs, le groupe chevaucha à travers Bourg-le-Comte et arriva aux portes de la cité en milieu d'après-midi.

Prademont était déterminé à se montrer régulièrement sur les terres qui appartenaient jadis à Missède et à investir dans ce qu'il voyait comme le vrai poumon commercial du comté et même du Nord. Il avait fait grandir son fief natal grâce au commerce, il en ferait de même et à grande échelle pour Isgard. Il avait donné rendez-vous au seigneur Jocelyn de Buthen, le gouverneur, sur les quais, afin de lui exposer ses intentions pour les ennéades à venir. Maintenant que les rues avaient été purgés des derniers missédois réfractaires au changement de suzeraineté, il était temps d'organiser un peu mieux les côtes de l'Olienne.

Au pied de la capitainerie, Jocelyn attendait avec à ses côtés deux hommes en robe noire et coiffés d'une toque, qui avait déroulés de larges parchemins devant eux. Gaubert donna un petit coup de talon dans les flancs de Targon afin d'accélérer le mouvemement et rejoindre les trois hommes.

Holà Jocelyn ! J'espère ne pas vous avoir fait trop attendre !
Non pas Votre Grandeur ! Nous étions en train d'étudier les plans du port avec ces messieurs. Laissez-moi vous présenter les frères Pierrin. Robert et Estienne, architectes.

Les deux frangins saluèrent leur suzerain qui répondit d'un hochement de tête. On pouvait effectivement voir la ressemblance chez les deux hommes. Ils avaient le même nez large et les mêmes sourcils épais. Robert était l'aîné, sa calvitie prononcée le trahissait. Gaubert démonta et tendit les rênes de Targon à un de ses gardes, Roland se plaça un pas derrière lui comme à son habitude.

Eh bien, Messieurs, j'espère que vous avez du vélin supplémenaire j'ai moi aussi beaucoup d'idées !

Estienne tapota sur une sacoche d'où débordait des rouleaux de parchemins en arborant un petit sourire confiant. Gaubert se pencha sur le plan qu'avait déployé Jocelyn face à lui. Les frères Pierrin prévoyait de faire sortir de l'eau deux quais perpendiculaires à ceux déjà existants afin d'augmenter la capacité de tonnage du port. Au bout de ces quais, ils avaient prévus de construire des entrepôts supplémentaires. On sentait qu'ils avaient réfléchis à l'ergonomie des routes, notant en légende le nombre d'habitants qu'il faudrait faire déplacer pour ériger les nouveaux bâtiments ainsi que la quantité deterres et de pierres à prévoir pour construire les digues qui serviraient à la construction des nouvelles voies de déchargement. Gaubert opina du chef et s'exclama en indiquant des points du plan avec l'index.

Fort bien ! J'aimerai proposer une petite modification. Vous voyez ici, j'aimerai que ce soit dédié aux échanges pour les produits lourds, métaux, bois, pierre, il faudrait peut-être élargir le quai. Il faut organiser beaucoup mieux les chargements et déchargements en dédiant chaque partie de port, à une activité prédéterminée. Et pour tout ce qui touche à la pêche, j'envisage de repousser vers l'ouest, quitte à faire développer le port de Deux-Verges pour en faire un port de pêche exclusif pour tout le fief.

Les frères Pierrin prenait note des demandes du comte, la plume grinçant contre le vélin. Ah ça, il en avait d'autre des idées mais s'il parvenait à faire organiser les échanges sur les quais de manière cohérente, il pourrait ensuite poursuivre les innovations. Alors qu'il posait son regard vers les flots grisâtres, il remarqua un navire qui entrait dans le port, arborant un pavillon marqué d'un astrolabe. Il fronça les sourcils et interrogea Jocelyn, qui commençait à bien connaître chaque emblème.

Qui est-ce ?
Astrolabe ? Aucune idée votre Grandeur, c'est la première fois que je vois ce pavillon.
Roland, faites venir le capitaine de ce navire. J'aimerai lui faire bon accueil !

« Madame la directrice. La Péninsule est en vue.

-Juste quelques minutes, je n’ai pas fini de me … « poudrer ». »

Un rire étouffé s’échappa de l’autre côté de la porte de la cabine tandis que les pas de La Valériane s’éloignaient pour rejoindre le pont. Cassiopée soupira et continua son Grand Œuvre dans le miroir qui trônait sur son bureau en repensant à ces dernières énéades.

Cela faisait maintenant plusieurs années que les dragons s’étaient installés dans l’archipel de Nelen, sabotant du même coup toutes les lignes commerciales qui y transitaient et rendant impossible les trajets directs vers le sud de la Péninsule. Les villes comme Pharembourg, Port-Royal, Merval ou Sybrondil étaient désormais isolées de l’Ithri’Vaan, l’étape que constituait l’archipel nélenite n’étant plus navigable.

Cette nouvelle donnée avait complètement rabattu les cartes de la navigation entre la Péninsule et l’Ithri’Vaan et passablement troublé les marchands estreventins. Nul ne savait avec précision quelle était l’étendue des terrains de chasse et personne n’avait envie de se porter volontaire pour le découvrir et ainsi tracer un chemin sûr vers le sud de la Péninsule. Thaar, Ashaï et Ys avaient grandement souffert de la perte de contacts avec le sud de la Péninsule et en l’absence de route commerciale sûre, les échanges avaient été abandonnés, au grand damn de Cassiopée.

Cette situation avait cependant déclenché une série de transformations intéressantes dans le nord de la Péninsule. Des villes qui jusqu’à présent étaient de simples ports de pêche, à peine digne de d’intérêt, profitaient de l’arrêt du commerce au sud pour se développer et devenir des nœuds commerciaux sûrs vers le nord. La route entre Naelis et les ports menant à Etherna, Olyssea et les autres cités prenait alors une importance certaine et profitait largement à ces territoires.

Les informateurs de La Valériane avaient rapporté de nombreuses initiatives, notamment à Isgaard, visant à ouvrir les terres du nord au commerce. On rapportait que sur ces terres, une nouvelle génération de comtes et de barons plus intéressés par l’or que par la guerre – quoique les deux ne soient pas incompatibles – avaient décidé de tirer parti de l’affaiblissement du commerce au sud pour tirer leur épingle du jeu.

Les cartes de Cassiopiée ne mentaient pas. Le triangle formé par les cités d’Olysséa et son port de Sharas, Etherna avec son port de Seram et la cité d’Isgard au débouché de la Syrilia allait devenir dans les prochaines années un lieu de développement effréné : une véritable course à la modernisation pour s’accaparer le contrôle du commerce. Il y avait là, une véritable opportunité de renouer le commerce avec la Péninsule et de profiter de contrats avantageux … une opportunité que n’avait visiblement pas saisie le Conseil de Thaar, trop occupé à ses luttes intestines, ni l’oligarchie vaanie, trop occupée à voir dans le Nordien une peuplade sous-éduquée.  

Il faut dire que l’image estreventine du nordique est peu flatteuse. Au sein de la haute société vaanie, le Nordien est un bouseux, un rustre, qui partage avec les ursidés une lointaine parenté et ne se distingue du Wandrais que par le fait que ce dernier besogne des chèvres quand le Nordien besogne des bœufs. Une blague populaire chez l’oligarchie vaanie disait que pour le Nordien, le seul moyen de distinguer sa Nordienne de son bétail, c’était d’y regarder les cornes.

Le problème, c’est qu’au-delà de cette image erronée, le Vaani était peu doué en géographie et confondait le Nord péninsulaire, les Wandres, et ses propres vices.

Cassiopée avait vécu assez longtemps pour savoir à quoi s’en tenir avec les préjugés estreventins. S’ils contenaient une part de vérité et pouvaient la faire rire de temps à autre – car la demoiselle appréciait tout type d’humour – il n’y avait pas matière à rire lorsque l’on parlait de commerce et d’argent. Les informateurs de La Valériane étaient fiables : le Nord s’ouvrait au commerce et il y avait là une opportunité à saisir ! Le Nord regorgeait de produits dont Ys manquait : des fourrures, de la nourriture et des métaux.

Et Ys regorgeait de produits que le Nord ne pouvait qu’apprécier : produits d’artisanat, de la nourriture exotique, des soiries, … Ainsi, le Triangle Nordien – comme Cassiopée l’avait surnommé – pouvait être profitable à Ys sur bien des aspects et notamment sortir la ville d’une partie de sa dépendance aux autres cités marchandes sur les produits dont les Princes Marchands se targuaient d’avoir le monopole.

C’était cette réflexion qui l’avait amenée à prendre un navire de la Compagnie Olyane jusqu’à Isgard pour observer cette évolution de ces yeux. Cassiopée était coutumière du fait. Elle se fiait aux informations de La Valériane et avait pris les dispositions nécessaires pour affréter le plus jeune navire de sa flotte - La Petite Grèbe – en direction d’Isgard. L’idée était simple : aller sur place, faire un rapide état des lieux du potentiel de l’endroit et si ses conclusions s’avéraient prometteuses, faire une offre aux notables locaux pour implanter ses entrepôts et établir une ligne commerciale. Rien de très compliqué en somme. Et au vu des informations collectées par La Valériane, le Comte était un homme d’une rare intelligence pour ce qui relevait du commerce.

La directrice de la Compagnie Olyane n’était pas venue les mains vides. La cale de la Petite Grèbe était chargée de quelques « exemples » de ce qu’Ys pouvait proposer, en espérant que ces petits cadeaux fassent preuve de la qualité de ce que la cité était capable de produire. Il restait cependant un tout petit, léger, infime problème …

Cassiopée regarda son visage dans le miroir et passa son index sur sa peau cendrée d’un air soucieux. Elle soupira et continua d’appliquer sur son visage le fond de teint dédié à lui éclaircir sa peau. Elle n’avait visiblement pas le choix : les Péninsulaires auraient tôt fait de l’empaler si jamais ils voyaient son héritage drow. Après plusieurs minutes, elle décida d’en rester là. Cela ferait l’affaire. D’un geste, elle attrapa la brosse qui se trouvait sur le bureau de bois et commença à apprêter sa chevelure. Elle les avait teints en noir quelques jours avant de quitter la terre ferme : encore une fois, si les Péninsulaires voyaient ses cheveux d’argent, … ce n’était plus le pal, mais le bucher … ou les deux !

« Bien ! Espérons que cela passe ! »

Elle réajusta son foulard bleu et le col de sa tunique. Ce n’était pas si mal, plutôt seyant. Il lui fallait quelque chose de simple : les Péninsulaires appréciaient que le vêtement marque le rang dans la société. Cassiopée n’étant pas une noble selon les standards féodaux, elle ne pouvait pas choisir de vêtements trop riches … de même qu’elle ne pouvait pas s’habiller comme une simple roturière.

Satisfaite, elle attrapa sa sacoche et sortit de sa cabine pour rejoindre sa gestionnaire des risques.

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« Commandant Felsmis, repos pour la journée. Tenez vous cependant prêts à embarquer au moindre problème et veillez à ce que les hommes soient sobres. Merci pour votre travail.

- Bien madame. Nous nous tiendrons prêts »

Le capitaine se retourna vers l’équipage de la Petite Grèbe et commença à distribuer les ordres au cas où les locaux s’en prendraient à eux. Deux cas de figure : soit cette journée se finirait dans une bonne taverne, soit cette journée se finirait avec les fourches aux fesses et le cul sur les planches du pont.

Isgard était à peu près ce à quoi elle s’attendait : un port péninsulaire en pleine transformation. On pouvait déjà apprécier le fait que certains des quais étaient de pierre, ce qui tranchait avec les pontons de bois qui accueillaient les chalutiers et les embarcations de pêche. Au vu de l’état des rangées d’habitations et de l’activité qui se pressait dans le port, celui qui dirigeait ce port ne chômait pas en matière de travaux. On sentait dans l’air que cette activité était toute récente, comme si la ville s’était éveillée après un long sommeil, comme une fourmilière après l’hiver. Il y avait clairement du potentiel, de l’espace et l’air était pur ! Rien à voir avec les cloaques immondes que les Estreventins dépeignaient à longueur de journée ! Y avaient-ils seulement posé le pied ? Rien n’était moins sûr.

Cassiopée posa le pied à terre avec La Valériane. Visiblement, le comité d’accueil était déjà-là. Il était vrai que le pavillon sous lequel elle naviguait devait être étranger aux Péninsulaires. La Compagnie Olyane ne s’aventurait pas en Péninsule … du moins jusqu’à aujourd’hui. Les hommes qui constituaient le fameux comité d’accueil – cinq au total – étaient visiblement armés, mais semblaient plus interloqués qu’hostiles en voyant débarquer les deux femmes. L’un d’entre eux s’approcha et s’annonça avec un fort accent nordien :

« Mesdames, bienvenues à Isgaard … Monsieur le Comte souhaiterait s’entretenir avec votre capitaine. Si vous voulez bien nous mener à lui pendant que mes hommes inspectent votre manifeste afin que nous puissions l’escorter jusqu’à sa Seigneurie. »

Il y eut comme un flottement. Cassiopée se retourna vers La Valériane d’un air interrogateur. Elle avait parfaitement compris la demande du Nordien, mais elle restait interloquée du fait que celui-ci demande à voir le capitaine quand celui-ci se trouvait visiblement en face de lui. Sentant sa directrice quelque peu prise de court, La Valériane prit les devants pour éviter tout malentendu et s’adressa aux Nordiens avec son accent diantrais en leur tendant le manifeste.

« Messieurs. Merci de votre accueil. Voici le manifeste et notre commandant se tient prêt à vous ouvrir nos cales pour que vous puissiez vérifier que tout est en ordre. Ce navire navigue sous le pavillon de la Compagnie Olyane d’Ys, dont voici la directrice : mademoiselle Cassiopée Meldyrin, Protectrice d'Ys. »

Cassiopée fit une légère révérence. Visiblement, c’était un problème de traduction de sa part et une différence culturelle à laquelle elle ne s’attendait pas. Apparemment, il était étrange qu’une femme puisse être capitaine d’un navire dans la Péninsule. Elle ne pouvait pas leur en tenir rigueur : autres lieux, autres mœurs, mais cela avait de quoi la déstabiliser quelque peu. Heureusement, La Valériane connaissait parfaitement les us et les coutumes péninsulaires.

Les deux jeunes femmes laissèrent passer deux des gardes qui montèrent derechef sur le navire et suivirent le comité d’accueil à la rencontre dudit Comte. Il ne leur fallut pas longtemps pour arriver à la tablée de ce qui semblaient être des maîtres-d'oeuvre en train de dessiner et de s'agiter avec un homme d'âge mur. Ce dernier semblait fébrile et parlait beaucoup, mesurant de ses doigts quelque chose sur le vélin fixé sur la table tandis que ses compagnons prenaient des notes. Il releva la tête quand il vit Cassiopée et sa maître-espionne.

C'était un bel homme, bien loin de ce que les ragots vaanis laissaient entrevoir sur le physique des Nordiens. La Valériane l'avait entretenue sur cet homme, Gaubert de Prademont, Comte d'Odélian. Il n'y avait visiblement pas grand chose à savoir : il était connu pour aimer l'argent, les femmes et l'alcool et s'était donné pour ambition de redonner au Comté sa gloire d'antant. C'était suffisant pour Cassiopée : une personne aux désirs clairs, avec des goûts simples et les moyens de les satisfaire ! Elle s'était dressé un portrait assez flatteur de cet homme avant même de le rencontrer et sa première impression semblait fidèle à ce qu'elle avait imaginé. Cela lui plaisait.

Le chef de file annonça la directrice de la Compagnie Olyane et elle réalisa une nouvelle révérence - Eh ! Elle commençait à devenir douée ce domaine.

Gaubert continuait d'échanger des idées avec les frères Pierrin et Jocelyn autour des plans qu'ils avaient étalés devant eux. Pour tout dire, Jocelyn se contentait de hocher la tête à chaque intervention du comte, marquant son approbation sans émettre beaucoup d'idées. Le bonhomme était un militaire, qui aurait sûrement des choses à dire si il observait les plans de préparation d'une bataille mais face à ces croquis de digues et de quais, il demeurait plus silencieux. Il demeurait attentif malgré tout, cherchant à comprendre et à apprendre visiblement. L'heure était à la décision du meilleur axe d'accès pour les chariots qui apporteraient les pierres et la terre nécessaires à l'érection des nouveaux quais voulu par le seigneur d'Odélian.

Le pas cadencé de sa garde retentit sur les pavés tandis que Roland revenait en marchant aux côtés de deux femmes. Qu'est-ce qu'il foutait avec ces deux rombières ? Gaubert l'avait envoyé chercher le capitaine vaanois pas courir la gueuse sur le port. Elles portaient des vêtements propres, excluant rapidement la possibilité qu'elles soient des filles de petite vertue. Le moustachu leva la main vers son suzerain et l'abattit contre sa poitrine en joignant les talons, effectuant un salut parfait.

Votre Grandeur, voici Dame Cassiopée Meldyrin, directrice de la Compagnie Olyane. Ces dames arrivent d'Ys en Estrevent.

Gaubert arqua un sourcil face à l'annonce. Ces marchands de tapis estreventins étaient réputés pour leurs excentricités mais de là à mettre à la tête d'une compagnie une bonne femme, il y avait une marge. D'autant que la jeune femme qui effectuait une révérence élégante ne paraissait pas bien vieille. Peut-être avait-elle hériter des affaires de famille ? On disait que ces manants de l'Est se transmettaient leur richesses et leurs commerces comme on transmettait la noblesse et les terres en Péninsule. L'autre femme restait légèrement en retrait, ne pipant mot et n'étant pas présenté par le sergent moustachu. Elle semblait bien pâle de peau pour une estreventine celle-ci. Peut-être une interprète pour qu'ils puissent se comprendre ? Le charabia de ces coquins du désert sonnait à l'oreille du comte comme un flot de son inepte, plus proche du langage des chèvres que d'une langue à proprement parlé. Il avait déjà entendu quelques estreventins échangeaint pendant qu'ils faisaient escale dans le port avant de redescendre vers leur pays chaud et puant. Le comte hocha la tête lentement pour rendre le salut à la jeune femme et lui adressa un petit sourire, il devait se montrait courtois.

Bienvenue en Isgard ! Bienvenue en Odélian !

Roland avait dit qu'elle venait d'Ys. De mémoire, il s'agissait d'une cité loin dans le sud, proche du désert zurthaan, autant dire dans un trou paumé plein de sable.

C'est un sacré périple que vous avez entreprise depuis votre lointaine cité. Que me vaut l'honneur de votre visite Dame Cassiopée ?

Elle avait intérêt à avoir une bonne raison la bougresse. Si elle venait vendre des breloques en bouse de chameaux, il lui botterait le cul si fort qu'elle remonterait à bord de sa coque de noix sans toucher terre. Si elle venait investir et lui faire gagner de l'argent, elle trouverait avec lui une oreille bienveillante. Curieux de la réponse, il se redressa pour regarder plus attentivement Cassiopée. Quelque chose l'intriguait. Ses yeux ...

Curieuse intonation dans le ton de sa voix. Le comte devait avoir les mêmes préjugés envers les Estreventins que les Estreventins envers son peuple et cela se sentait. On ne vivait pas plus d’une centaine d’années sans reconnaître le double-langage caché derrière la voix des gens : leur posture et les mouvements de leurs yeux trahissaient généralement un tout autre langage que celui qui était employé à voix haute. Le Comte semblait à la fois intrigué et sur la défensive. Il ne devait pas connaître beaucoup d’Estreventins. Plus dommageable cependant, il ne connaissait pas Cassiopée !

Elle s’avança pour se porter à la hauteur du comte en souriant.

« Était-ce une question rhétorique ? L’or bien entendu ! L’or que nous gagnerons tous deux en faisant de ce port la Perle Noire du Nord ! »

La jeune femme tourna les talons et ouvrit les bras pour englober l’entièreté du port d’Isgard en construction. Elle reprit dans un Péninsulaire impeccable.

« Monseigneur, permettez moi d’être plus claire sur ce que je représente. Je suis dame Meldyrin, directrice de la Compagnie Olyane et Protectrice d’Ys, la Perle Blanche du Sud. Je suis ici parce les évènements récents – à savoir nos charmants dragons - ont rebattu les cartes de la navigation entre nos deux contrées et qu’il y a là une opportunité à saisir. Et je suis ravie de voir que nous avons tous deux eu la même intuition concernant ce changement ! »

Elle se retourna vers le comte d’un air déterminé et pointa la table sur laquelle se tenait le plan de modernisation du port. Elle voyait clairement que les hommes étaient en train de tracer ce qui semblaient être des quais et des zones de stockage sur la carte. Il lui fallait absolument pouvoir accéder à ce document pour y apposer sa marque … mais pour ça, elle avait besoin de présenter son projet au comte et de le convaincre par la force de ses arguments.

« L’équation est simple : si le problème des dragons n’est pas résolu dans l’archipel de Nelen, votre territoire va mécaniquement devenir la seule zone navigable disponible pour la Péninsule. Vous semblez avoir pris les devants en commençant à moderniser votre port … vous êtes donc plus avisé que vos voisins que ne le sont. C’est une qualité que j’apprécie et c’est pour ça que je souhaiterai entrer en pourparlers avec vous pour établir de plus amples contacts. »

La Valériane continuait à observer sa patronne, l’air le plus détaché possible. Il n’y avait pas à intervenir. Il suffisait de laisser Cassiopée opérer pour la magie du commerce jaillisse.

« Ma proposition est la suivante : je vous offre l’accès aux marchés estreventins en échange d’une zone de mouillage pour mes navires et de place pour les entrepôts de ma compagnie. Vous semblez être un homme prévoyant et plein de bon sens. Imaginez le scénario suivant : mes navires transportant votre fer et votre blé jusqu’aux ports estreventins et revenant chez vous chargés d’or, de soieries et d’épices en provenance de nos contrées lointaines. Une ligne directe entre Isgard, Perle Noire du Nord et Ys, Perle Blanche du Sud. Qu’en pensez-vous ? »

C’était une proposition honnête. Cassiopée ferait transiter les produits des Vaanis vers Isgard tandis qu’elle récupèrerait les produits nordiens et les ferait vendre dans les ports de l’Ithri’Vaan. Comme sa compagnie ne s’occupait que du stockage, du cabotage et de la logistique, elle prendre une commission sur les marchandises qui transiteraient par ses installations tandis que les deux cités péninsulaires et vaanies s’enrichiraient grâce au commerce.

Il ne restait qu’à savoir si le comte était convaincu par cette proposition.

Des nuages gris s'amoncelaient au-dessus du quai où le petit groupe se trouvait. La jeune femme s'approcha de Gaubert, confiante et souriante. Par les Cinq, il avait déjà vu des yeux pareils, mais où, il ne réussissait pas à le remettre.

Était-ce une question rhétorique ? L’or bien entendu ! L’or que nous gagnerons tous deux en faisant de ce port la Perle Noire du Nord !

Voilà qui commençait de manière fort agréable à son oreille. Un surnom original, du pognon, la petite avait capté son attention. Elle se lança dans un discours inspirant et inspiré.

Monseigneur, permettez moi d’être plus claire sur ce que je représente. Je suis dame Meldyrin, directrice de la Compagnie Olyane et Protectrice d’Ys, la Perle Blanche du Sud. Je suis ici parce les évènements récents – à savoir nos charmants dragons - ont rebattu les cartes de la navigation entre nos deux contrées et qu’il y a là une opportunité à saisir. Et je suis ravie de voir que nous avons tous deux eu la même intuition concernant ce changement ! L’équation est simple : si le problème des dragons n’est pas résolu dans l’archipel de Nelen, votre territoire va mécaniquement devenir la seule zone navigable disponible pour la Péninsule. Vous semblez avoir pris les devants en commençant à moderniser votre port … vous êtes donc plus avisé que vos voisins que ne le sont. C’est une qualité que j’apprécie et c’est pour ça que je souhaiterai entrer en pourparlers avec vous pour établir de plus amples contacts.

Eh bah dis-donc, elle en avait des choses à dire la gueuse. Elle s'essayait à la flatterie, mais même si ce subterfuge avait fonctionné sur le jeune Gaubert pendant ses jeunes années, il avait maintenant suffisament d'expérience pour entendre le compliment mais ne pas l'écouter. Elle renchérit, ne semblant jamais tarir son flot de mots.

Ma proposition est la suivante : je vous offre l’accès aux marchés estreventins en échange d’une zone de mouillage pour mes navires et de place pour les entrepôts de ma compagnie. Vous semblez être un homme prévoyant et plein de bon sens. Imaginez le scénario suivant : mes navires transportant votre fer et votre blé jusqu’aux ports estreventins et revenant chez vous chargés d’or, de soieries et d’épices en provenance de nos contrées lointaines. Une ligne directe entre Isgard, Perle Noire du Nord et Ys, Perle Blanche du Sud. Qu’en pensez-vous ?

Pfiou, ça y est, elle avait fini par fermer son moulin à paroles. Le nombre de mot à la seconde devait être ahurissant. Fort heureusement, elle parlait bien et évoquait des sujets qui faisaient vibrer les cordes sensibles du comte. Il garda pendant quelques secondes le silence, digérant le flot d'informations que la marchande lui avait déversé dans les oreilles. Il tourna la tête en se lissant la barbe vers Jocelyn et les Pierrin qui avaient perdu le fil après "Perle Noire du Nord". Il se passa la langue entre les lèvres pour les humecter un peu avant de se lancer dans une réponse bien moins verbeuse.

Eh bien Madame, avant toutes choses, sachez que je ne discute jamais affaire et partenariat sans une coupe de vin pour sceller un accord. Souhaiteriez-vous m'accompagner jusqu'à mon logis pour parler dans un endroit plus confortable ?

Une vieille ruse de marchand qui ne la tromperait pas. Il voulait prendre son temps, choisir ses mots pour définir les termes de l'accord proposé par l'estreventine et ne pas se précipiter à donner son accord et à régler le tout par une poignée de main molle et sans valeur. Il n'avait cependant pas menti, quoi de mieux que de trinquer avec un bon vin épicé avant d'apauser sa signature au bas d'un contrat. Il leva les yeux vers le ciel chargé avant de froncer les sourcils.

De plus, le temps se couvre et il serait de mauvais ton de se retrouver trempé, ne pensez-vous pas ?

Il s'adressa à Jocelyn et aux maîtres d'oeuvres par-dessus son épaule.

Messieurs, je vous laisse vous pencher sur les corrections et nous en reparlerons ce soir. Roland ! Prêtons un cheval à ses dames pour remonter la Grand Rue jusqu'au château du seigneur Jocelyn.

Le sergent fit avancer une monture immédiatement et Gaubert la désigna en souriant à Cassiopée.

Si vous voulez bien vous donner la peine.

Une fine goutte s'écrasa sur le haut de son crâne, bientôt suivi d'une deuxième. La pluie faisait parti d'Odélian et les locaux n'y prêtaient plus vraiment attention, mais il fallait admettre que cette averse arrivait bien plus tôt que le comte ne l'avait supposé.

Sur les mots du comte, la jeune femme émit un sourire ravi ! Du vin pour un accord. Que voilà une riche idée ! Elle avait toujours apprécié les vins péninsulaires depuis sa plus tendre enfance, mais il était difficile ces années d’en trouver de bons à cause de la guerre civile qui s’éternisait. Tout ceci avait eu un effet certain sur la quantité et la qualité des produits des vendanges et cela avait presque causé une émeute à Thaar, lorsque la soirée du Missédois Nouveau avait failli être annulée il y a quelques années pour cause de pénurie.

Le Missédois Nouveau avait beau être atroce au demeurant, il était de bon ton dans les soirées mondaines de Thaar de faire semblant de l’apprécier tel un vin fin et de le porter à ses yeux d’un air expert en le remuant un peu. La formule consacrée était de dire qu’il avait « du corps cette année », ce qui était totalement faux, mais les coutumes vaanies avaient la vie dure. C’était peut-être de la piquette … mais il existait un véritable culte autour de ce breuvage : s’il venait à manquer dans à son rendez-vous annuel et des hordes d’aristocrates déchainés envahissaient les cours des palais des Soieries.

L’idée de pouvoir négocier un accord commercial autour d’un bon verre de vin et peut être d’un de ces délicieux fromages péninsulaires dont on lui vantait depuis des années les mérites était une perspective intéressante … et appétissante !

Elle sourit au comte :

« L’idée me plait ! Nous serions ravies de vous accompagner et de discuter plus avant de ce partenariat. »

La Princesse Marchande se retourna vers La Valériane, qui restait interdite. Elle savait ce que cela voulait dire : « prudence ». Cassiopée n’était cependant pas dupe. Cela pouvait être un piège grossier, mais elle jouissait d’une certaine immunité en tant que Protectrice d’Ys et espérait que le comte n’était pas assez stupide pour se mettre les cités marchandes à dos. On n’était jamais sûr de rien avec les Péninsulaires, mais on lui avait vanté leur caractère honorable.

Elle lui fit un clin d’œil. Tout irait bien ! Ce n’était qu’une formalité. Elle avait déjà vécu des situations plus tendues et plus risquées il y a de cela plusieurs dizaines d’années sur la Côte Brûlée. Elle pêchait peut-être par excès de confiance, mais à cœur vaillant rien d’impossible et les retombées potentielles d’un partenariat avec Odélian en valaient la chandelle.

C’est alors qu’elle sentit une goutte de pluie sur son bras. La pluie odéliane, lourde et huileuse … la pire ennemie du fond de teint qu’elle venait d’utiliser pour couvrir son visage et ses bras. La goutte d’eau glissa le long de son avant-bras gauche avant de s’échouer sur le sol, laissant une petite tache découvrant sa peau grise. Rapidement, elle recouvrit sa tête et le reste de son corps d’une ample cape bleu nuit. Elle espérait que personne n’avait remarqué quoi que ce soit. Il suffisait de ne pas se faire tremper. Rien de bien compliqué n’est-ce pas ?

Le sergent officiant pour le comte apporta une monture fraiche pour Cassiopée et une autre pour La Valériane. Elle s'approcha de la monture, un gros bidet, qui semblait impatient de chevaucher. N’étant pas issue d’une famille noble ou d’une lignée riche, Cassiopée n’avait qu’une connaissance limitée de l’équitation. Elle savait, au mieux, simplement grimper sur le cheval et lui dire où aller, mais guère plus. En espérant qu’il ne se mette pas à faire des siennes …

Elle regarda le comte, qui s’était mis en selle. De gros nuages noirs s’amoncelaient au-dessus d’eux et l’air était lourd. La pluie n’allait pas tarder à tomber … Elle frissonna. Était-ce la meilleure décision ? Elle aurait très bien pur rester dans son navire et y inviter le comte. Cela semblait la solution la plus sécurisante, mais clairement la moins respectueuse.

« Pouvons-nous y aller avant d’être trempés ? »

plicploc

Alors que les premières gouttes, de ce qui s'annonçait comme une belle averse, tombaient timidement sur le petit groupe, les frères Pierrin et Jocelyn enroulèrent les plans rapidement et les fourrèrent dans leur besace avant de rentrer dans la capitainerie toute proche.

La femme qui accompagnée Cassiopée était aussi silencieuse et austère que l'autre était bavarde et enthousiaste. Elles observèrent leurs montures avec une petite lueur d'admiration devant la taille et la musculature des bêtes. C'était probablement la première fois que l'estreventine voyait un cheval odélian, de quoi déstabiliser lorsqu'on connaissait les espèces de poneys qu'étaient les races vaanies.

plicplicploc

Cassiopée s'enveloppa dans une cape d'un bleu sombre et passa une capuche au-dessus de sa tête. La jeune femme ne devait pas avoir l'habitude de la pluie dans son pays aride. Gaubert leva les yeux vers les nuages noirs et le crachin qui vint s'écraser sur ses rides. Rien de bien méchant pour le vieil odélian.

Pouvons-nous y aller avant d’être trempés ?
En route !

Il enfourcha Targon et joua des talons pour le faire avancer au trot. Les gardes grimpèrent sur leurs chevaux et suivirent le comte et ses deux invités.

Nous serons au château d'ici quelques minutes, ne vous en faites pas, Dame Cassiopée !

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Les gouttes fouettaient le visage du comte qui ferma les yeux un instant pour savourer ce temps si odélian. Des flaques se formaient entre les pavés de la rue qui courait entre le port et la butte où trônait le château. La pluie commençait à tomber drue alors que le groupe de cavaliers n'était plus qu'à quelques encablures de la poterne. Un chariot chargé de pierre croisa leur route en cahotant et éclaboussa les visages lorsqu'une de ses roues plongea dans une de ces flaques.

Foutrequin de coquebert ! Tu peux pas faire attention !

Les jurons du comte se perdirent dans les nuages bas qui semblaient les pourchasser dans le ciel. Ils passèrent enfin la herse du château et entrèrent dans la cour, l'averse s'intensifiant toujours un peu plus à chaque seconde. Gaubert démonta et les serviteurs du château vinrent à la rencontre des invités du comte pour les aider à se mettre à l'abri dans l'entrée. Prademont émit un petit rire amusé avant de se retourner vers Cassiopée et l'autre bonne femme dont le comte n'avait pas retenu le nom.

Haha, eh bah dites-donc, quel grain ...

Il eut un hoquet mêlant surprise et colère, faisant un pas en arrière, il murmura.

Noirelfe ...

« Sang-clair s’il vous plait. Je n’ai pas assez de leur sang en moi pour être considérée comme l’une des leurs. »

Cassiopée était à la fois irritée et en alerte. Ses pires craintes venaient de se réaliser. Devant le pas de la porte d’entrée du château, la jeune femme trempée ne pouvait que se rendre à l’évidence au vu du regard courroucé du comte : son maquillage était parti. Elle jura intérieurement : ce marchand de pacotille de Baaz’Hima aurait de ses nouvelles ! Maquillage au rabais !

La scène devait être assez cocasse car les deux protagonistes étaient aussi furieux et étonnés l’un que l’autre. L’un sous le porche de l’entrée, l’autre trempée, encore dehors avec sa compagnonne. Cette dernière venait de poser la main sur la garde de son sabre, prête à défendre sa patronne si d’aventure, les gueux du comte esquissaient le moindre geste hostile.

La jeune femme essuya son visage avec sa cape, laissant entrevoir sa peau grise comme la cendre au comte. Le regard de Cassiopée avait perdu toute candeur et toute bonhommie. Elle arborait non seulement la froideur des gens de sa race, mais aussi sa hauteur de Princesse Marchande. Son bras droit se posa imperceptiblement sur sa sacoche. Tout pouvait partir assez vite. Il suffisait d’un mot de travers et cette journée qui avait si bien commencé se terminerait dans un bain de sang … et ça serait la fin de leur voyage. Il restait à faire en sorte que cela n’arrive pas.  

Fort heureusement, seul le comte avait compris ce qu’il se passait. Les autres serviteurs étaient trop occupés à ce moment-là pour avoir remarqué quoi que ce soit. Cassiopée s’adressa à nouveau à lui avec un ton aussi glacé que la pluie qui tombait sur sa cape.

« Monseigneur d’Odélian, vous m’avez promis un bon verre de vin et nous avons franchi le seuil de votre enceinte fortifiée. Où est passée l’hospitalité de la Péninsule ? »

Elle espérait que le comte ne serait pas assez stupide pour tenter de lui faire le moindre mal. Après tout, elle ne lui avait pas menti quand elle lui avait promis de faire d’Isgard un nœud commercial de premier ordre avec l’Ithri’Vaan. Il serait bien mal avisé de tuer l’oie aux œufs d’or. A moins que ça ne soit la poule … Ce devait être sûrement l’oie : l’oie avait une certaine majesté que la poule ne possédait pas.

« Je ne vous ai à aucun moment menti sur mes intentions … et vous n’avez certainement pas envie que notre accord commercial ne périclite pour une simple affaire de maquillage. »

Sang-clair s’il vous plait. Je n’ai pas assez de leur sang en moi pour être considérée comme l’une des leurs.

La fureur piquait le nez de Gaubert, appréciant peu l'attitude provocatrice de Cassiopée. Voilà d'où venaient ces yeux qui l'intriguaient tant depuis le début. Elle poursuivit, froidement.

Monseigneur d’Odélian, vous m’avez promis un bon verre de vin et nous avons franchi le seuil de votre enceinte fortifiée. Où est passée l’hospitalité de la Péninsule ? Je ne vous ai à aucun moment menti sur mes intentions … et vous n’avez certainement pas envie que notre accord commercial ne périclite pour une simple affaire de maquillage.

Quelle arrogance ! Au coeur de la forteresse, entouré de soldats qui pouvaient la crible de flèches sur un simple mot de Gaubert, elle demeurait confiante, comme mettant au défi l'odélian de la tuer. La rage lui serrait les mâchoires. Qu'avait donc tous ces gens à venir chez lui leur imposer leur point de vue ? Le comté avait-il à ce point la réputation d'être gouverné par les faibles que quiconque vienne fanfaronner en toute impunité ?

L'hospitalité de la Péninsule peut vite disparaître face aux menteurs, ma Dame.

Il regrettait de ne pas porter sa lame sur lui, dans sa colère il aurait pu pourfendre cette petite demi-drow pour la simple raison qu'elle avait le sang impur. Il savait que l'Estrevent étaient peuplés en partie de sombres, preuve s'il en fallait, de la dégénérescence de ces gueux. Même en Péninsule, après les sièges noirelfes sur les villes du Nord, nombre de femmes avaient donné naissance à des bâtards à la peau charbonneuse. On dit qu'en Alonna, on les fit mettre au feu, un sort encore trop tendre pour ces chiards impies. Mais dans l'est et son désert, leur existance était permise. Qui sait, peut-être que Cassiopée était la fille d'une putain peu regardante sur la clientèle, qui avait ouvert ses cuisses à un eldéen ? Et ça se faisait appeler "princesse", quel pays de merde !

Pour le moment, il n'y a aucun accord qui puisse péricliter.

Les gardes se rassemblaient pour entrer dans la château à la suite des deux femmes. La nasse se refermait sur elles, plus qu'un mot et les deux marchandes passaient de vie à trépas. Cependant, l'argent restait le nerf de la guerre et même à moitié pourrie, Cassiopée marquait un point lorsqu'elle avait évoqué un peu plus tôt les avantages que pourraient présenter une collaboration entre Ys et Odélian. La hargne dans le regard, il posa son ultimatum.

Je suis prêt à vous accorder l'entretien que nous avons évoquer si vous déposer vos armes immédiatement. Je suis désarmé, j'attends de vous la même chose ... comme preuve de votre volonté de négocier en paix et sans plus de mensonges.

Roland était dans le dos des femmes et ne pouvait pas voir le visage de Cassiopée sous sa capuche, mais il comprit au regard de son seigneur que quelque chose clochait. Il posa la main sur le pommeau de son épée, prêt à défourailler au premier ordre de Gaubert.

« Fort bien… »

Cassiopée leva les yeux au ciel et soupira ostensiblement. Décidément, ces seigneurs péninsulaires étaient bien méfiants quand il s’agissait de deux demoiselles. Mais l’opportunité de pouvoir discuter de manière posée avec le comte ne se présenterait qu’une fois et elle ne pouvait pas laisser passer cette occasion.

Elle fit un signe rapide à La Valériane, qui obtempéra, malgré sa méfiance naturelle. La jeune femme déposa son sabre et sortit de sa botte gauche une dague cachée, qu’elle accrocha à la selle de son cheval. Tient, elle était plus équipée d’ordinaire … Y aurait-il du laisser-aller parmi les troupes ? Connaissant son amie diantraise, elle devait certainement avoir un plan de secours au cas où les choses tournaient mal. Elle n’était pas sa gestionnaire des risques pour rien.

Cassiopée ne se fit pas prier une seconde fois pour se désarmer. Elle souleva sa sacoche et en sortit une petite arbalète non chargée et une vingtaine de carreaux soigneusement emballés. Elle accrocha son paquetage au gros bidet qui poireautait dans la cour, tout content de prendre la pluie. Crétin de cheval !

Sa sacoche contenait encore diverses mixtures, des cartes du monde et de quoi écrire. Sa petite noiraude, Suie, dormait comme à son habitude au fond de la sacoche. La boule de poil avait tendance à loger au fond de sa sacoche, à côté des sucreries qu’elle adorait. Se sentant dérangée, elle ouvrit un instant les yeux et se retourna au fond de la sacoche.

Une fois désarmée, Cassiopée leva légèrement les mains.

« C’est fait. Pouvons-nous nous mettre au sec, mon cher comte, ou devons-nous attendre la prochaine énéade pour cela ? »

Le ton était sec. Cassiopée voulait bien obtempérer, mais qu’il ne s’attende pas à ce qu’elle soit aimable. Elle restait quand même la Princesse d’Ys et n’était pas une simple pouilleuse. Ys mettrait son gourbis à feu et à sang et brûlerait la moindre parcelle de terre avant de la saler s'il osait toucher à un cheveu d'elle. Ou pas ... tout dépendrait de comment les deux Conseils prendraient la nouvelle. Il y avait fort à parier qu'après des années de discussions, la réponse des Conseils prendrait la forme d'une caisse de sel et d'huile envoyée à Odélian avec la mention "merci de le faire vous-même".

Elles déposèrent leurs armes, sentant bien le danger pour elles. Cassiopée montrait sa bonne volonté à respecter les exigences du comte, qui se radoucit quelque peu même s'il restait méfiant. Une moitié sombre était une moitié de trop, mais l'instinct de survie de sa part humaine avait parlé et la voilà qu'elle accrochait une arbalète à la selle de sa monture, tandis que l'humaine qui l'accompagnait faisait de même avec ses lames. Elles levèrent doucement les main au niveau de leur tête, alors que la pluie continuait de cingler sur leurs têtes encapuchonnées.

C’est fait. Pouvons-nous nous mettre au sec, mon cher comte, ou devons-nous attendre la prochaine énnéade pour cela ?

La remarque arracha un sourire crispé au comte, qui laissa flotter un silence pendant quelques secondes, histoire de lui faire gouter un peu plus l'averse qui avait dévoilé son mensonge, comme un cadeau de la Damedieu. Il fit un petit signe de tête vers Roland avant de montrer l'intérieur du château.

Bien entendu, ma Dame.

Roland et six gardes avancèrent à la suite des deux femmes, les escortant étant probablement une appellation plus adéquate. Gaubert attendit que Cassiopée arrive à son niveau et se dirigea vers un salon, où un jeune serviteur soufflait sur les braises sous la bûche qu'il venait de déposer dans l'âtre. Les flammes léchèrent l'écorce sèche et la bûche s'embrasa, libérant une chaleur plus que bienvenue. Gaubert croisa le regard du gamin encore agenouillé.

Du vin, mon petit ! Un plein cruchon !

Deux canapés et deux fauteuils formaient un carré au centre d'un large tapis pourpre et doré qui couvrait le parquet. Les gardes entrèrent les derniers dans la pièce et se postèrent le long des murs et devant la porte close. Gaubert prit place dans un fauteuil et indiqua le canapé à ses invitées.

Maintenant que nous sommes au sec, dites-moi, quelle est la spécialité de la Compagnie Olyanne ?

La salle dans laquelle ronronnait le feu était à peu près ce qu’avait imaginé la jeune femme quant aux demeures péninsulaires. Cela ressemblait vaguement au croisement entre une grange de ferme et un entrepôt de pierres que l’on aurait meublé avec les meubles de ses aïeux. En tout cas, cela avait l’odeur de la ferme. Décidément, ces Péninsulaires vivaient comme des bouseux, même leur noblesse, mais leurs forteresses étaient de véritables places-fortes. Rien à voir avec les palais estreventins qui étaient de vraies passoires. Cependant, même les meubles semblaient d’un autre âge. Alors que le comte leur fit signe de s’asseoir dans le canapé, la jeune femme enleva sa cape et la mit à sécher non loin du feu, attrapant celle de sa compagne au passage.

Elle s’essuya à nouveau la figure, révélant sa peau gris perle et sécha quelques instant ses cheveux tandis que La Valériane prenait place dans le canapé. Ce feu était une véritable merveille. A peine venait-il de prendre qu’il diffusait déjà sa douce chaleur dans toute la pièce. On pouvait reconnaître ça aux Péninsulaires, ils savaient se chauffer ! Un vieux reste de leurs ancêtres barbares sans doute.

La Princesse Marchande finit par s’asseoir dans le canapé tandis que l’estaffette qu’avait hélé le comte rapportait des coupes déjà pleines et un cruchon de ce qui semblait être un vin sombre et épais avec un bon fromage accompagné de sa miche de pain. L’odorat de la jeune femme, qui était plus développé que celui des humains, l’alerta instantanément : ce n’était pas du Missèdois Nouveau ! Le comte ne la prenait pas pour une demeurée. C’était appréciable.

« Par la Damedieu, voilà qui est parfait ! »

L’expression pouvait surprendre dans la bouche de la maître-alchimiste, mais à l’instar d’une partie de ses congénères, Cassiopée vénérait le panthéon pentien. Si elle n’avait jamais été une grenouille de bénitier, une partie de ses expressions était parfois teinté de petites références qui laissaient peu de doute sur les dieux qu’elle honorait. Si le panthéon pentien d’Ithri’Vaan était quelque peu différent de celui vénéré dans la Péninsule, la base théologique restait la même et les cultes n’avaient jamais entamé de guerre ouverte pour savoir qui disait le mieux les messes.

Le comte ne perdit cependant pas une minute et commença à la questionner sur la Compagnie Olyane. Il ne perdait pas de temps le bougre. Cassiopée lui répondit avec précision.

« La Compagnie Olyane est l’entreprise de cabotage qui dispose du réseau commercial le plus étendu de l’Ithri’Vaan. Nous commerçons de Thaar à Méthylène et contrôlons la majorité du trafic fluvial sur l’Olya, d’Ys à Uldal’Rhiz. Nous vendons à nos clients des navires sûrs, des caravanes bien protégées et l’assurance de trouver un entrepôt de libre pour stocker leurs marchandises une fois arrivées à bon port. En parallèle, nous entretenons une activité de prêt-sur-gage dans toutes les villes où nous avons une antenne. En somme, nous vendons essentiellement de la sécurité pour les gens qui ne peuvent l’assurer d’eux-mêmes. »

Cassiopée continua :

« Je suis aussi la Protectrice d’Ys, élue par les deux Conseils de la cité pour en représenter les intérêts. Ceci signifie que si vous négociez avec moi, vous négociez aussi bien avec la Compagnie Olyane qu’avec la cité d’Ys toute entière. Nos activités sont indépendantes du Conseil de Thaar : nous ne sommes pas sous leur juridiction et nous ne sommes pas non plus sous la coupe du Puy ou d’une quelconque autre puissance régionale. Nous bénéficions cependant de la protection de Thaar et d’un pacte de non-agression vieux de plus de deux siècles avec les Sombres, qui n’a pas été brisé depuis. »

Elle se massa les poignets et regarda quelques instants le feu qui ronflait dans l’âtre.

« Actuellement, nous sommes une cité indépendante, connectée aux autres par des échanges commerciaux. Notre port est dynamique et nous investissons de larges sommes d’argent pour refaire les routes et armer notre flotte. Les autres Princes-Marchands nous ont laissé tranquille jusqu’à présent. Ils sont trop occupés à compter leur or et à forniquer plutôt qu’à prospecter dans des territoires qui en valent vraiment la peine, comme votre port. C’est ce qui m’amène ici : créer partenariat commercial entre Isgard, future perle noire du Nord et Ys, future perle blanche du Sud. »

Quand Cassiopée fit tomber la capuche de sa tête, un murmure parcourut les gardes en faction qui posèrent leurs mains sur leurs armes, prêt à transformer la marchande en kebab. Gaubert leva deux doigts en secouant la tête et Roland tempéra la fougue de ses hommes en levant, lui aussi, la main. Au moins, ils étaient prêt à défourailler si leur seigneur l'ordonnait. D'un simple geste, en révélant le grain de sa peau, elle avait attiré tous les regards sur elle et elle devait avoir conscience qu'à la moindre incartade l'acier partirait à l'assaut de son cou.

Le jeune serviteur revint, portant un large plateau de bois sur lequel il avait déposé le broc demandé par son seigneur mais également une miche de pain tranchée à la mie brune et un camembert odélian à la croûte légèrement argenté. L'initiative fit lever un sourcil à Prademont, satisfait de pouvoir casser la graine au coin du feu. Cassiopée paut, elle aussi, conquise par le geste.

Par la Damedieu, voilà qui est parfait !

Gaubert marqua un temps d'arrêt en observant la sang-mêlée. Il tendit la main vers Roland, qui tira une petite dague de sa ceinture pour la tendre à son suzerain. Il plongea la lame dans la chair tendre du fromage qui libéra une odeur forte qui saisit les narines des occupants de la pièce. Oh, il allait être bon ce claquos !

La Damedieu ? Êtes-vous pentienne ma Dame ?

Le comte découpa trois portions qu'il plaça sur les tartines épaisses avant de les poser devant Cassiopée et sa suivante silencieuse. La demi-drow pouvait invoquer Néera pour calmer le jeu et diminuer l'intensité des regards posés sur elle. Les gardes échangeaient des regards incrédules, n'imaginant pas une seconde une estreventine au sang sombre vénérant un autre panthéon que celui des puysards. La Princesse Marchande se lança alors dans les explications ayant attrait à l'activité de sa Compagnie.

La Compagnie Olyane est l’entreprise de cabotage qui dispose du réseau commercial le plus étendu de l’Ithri’Vaan. Nous commerçons de Thaar à Méthylène et contrôlons la majorité du trafic fluvial sur l’Olya, d’Ys à Uldal’Rhiz. Nous vendons à nos clients des navires sûrs, des caravanes bien protégées et l’assurance de trouver un entrepôt de libre pour stocker leurs marchandises une fois arrivées à bon port. En parallèle, nous entretenons une activité de prêt-sur-gage dans toutes les villes où nous avons une antenne. En somme, nous vendons essentiellement de la sécurité pour les gens qui ne peuvent l’assurer d’eux-mêmes. Je suis aussi la Protectrice d’Ys, élue par les deux Conseils de la cité pour en représenter les intérêts. Ceci signifie que si vous négociez avec moi, vous négociez aussi bien avec la Compagnie Olyane qu’avec la cité d’Ys toute entière. Nos activités sont indépendantes du Conseil de Thaar : nous ne sommes pas sous leur juridiction et nous ne sommes pas non plus sous la coupe du Puy ou d’une quelconque autre puissance régionale. Nous bénéficions cependant de la protection de Thaar et d’un pacte de non-agression vieux de plus de deux siècles avec les Sombres, qui n’a pas été brisé depuis. Actuellement, nous sommes une cité indépendante, connectée aux autres par des échanges commerciaux. Notre port est dynamique et nous investissons de larges sommes d’argent pour refaire les routes et armer notre flotte. Les autres Princes-Marchands nous ont laissé tranquille jusqu’à présent. Ils sont trop occupés à compter leur or et à forniquer plutôt qu’à prospecter dans des territoires qui en valent vraiment la peine, comme votre port. C’est ce qui m’amène ici : créer partenariat commercial entre Isgard, future perle noire du Nord et Ys, future perle blanche du Sud.

Quelle piplette, par Tyra. Et elle parlait vite, avec cette pointe d'accent oriental si propre à ces bouseux de vaanies et qui avaient le don d'irriter l'oreille du comte. Gaubert écouta la logorhée en faisant glisser la lame contre la croûte du pain, récupérant le surplus qui s'accrochait à la lame. Il mordit dans la tartine et le fromage et porta la coupe à ses lèvres afin de mélanger les saveurs. C'était un petit vin olysséan légèrement grave, qui soulignait l'onctuosité de la crème qui coulait au coeur du camembert tout en masquant légèrement l'amertume. Le mariage parfait. Il posa la dague à côté de sa jambe, ne laissant pas l'occasion aux marchandes de pouvoir s'en saisir un seul instant.

Oui, donc vous ne vendez rien, en fin de compte.

Le silence s'installa dans la pièce, uniquement brisé par les bruits de mastication du comte qui se délectait de son goûter.

Du cabotage, de la sécurité et de l'entreposage. Vous vendez de l'air, le papier qui sert à signer des contrats. Rien quoi.

Il prit une nouvelle bouchée et but une gorgée de plus. Il regardait Cassiopée avec décontraction, ne cherchant pas à souligner par une moue particulière la provocation qu'il y avait dans ses mots. Il poursuivit sur un ton badin.

J'ai du mal à voir ce que pourrait m'apporter une collaboration avec des marchands de rien, chère Dame. Des marchands arrivent déjà de l'est, depuis Naelis et même depuis Thaar, sans avoir besoin d'escorte particulière, ni d'entrepôts autre que les miens.

Il vida son verre avant de se resservir en faisant un petit signe au serviteur qui voulait se saisir du pichet à sa place. Le liquide pourpre coula dans sa coupe alors qu'il poursuivait.

Et je ne comprends pas vraiment votre histoire de cité, là. Vous êtes en accord avec Thaar et le Puy mais sans être sous leur tutelle, indépendante mais connectée, j'avoue que tout ceci m'embrouille. Au final, quelles sont les richesses d'Ys ? Et puisque vous êtes élue par les Conseils de la Ville, où sont les documents qui me prouvent que vous négociez en son nom et pas uniquement pour votre commerce de vide ?

Il présenta la cruche aux deux femmes en souriant, d'un geste qui leur demandait silencieusement si elle reprenait un autre verre.

Le ton de la jeune femme se fit dur et tranchant comme une lame de Naélis.

« Nous vendons ce que peu de gens sont capables de posséder et de contrôler aujourd’hui : de la sécurité, des navires, des caravanes et des entrepôts. Qui aujourd’hui dispose de ces choses en quantité suffisante pour pouvoir organiser les routes commerciales entre deux royaumes séparés par une mer hostile ? Pensez-vous pouvoir organiser le trafic d’un comté à une cité-marchande sans une flotte de navires et des gens pour en assurer la logistique ? Etes-vous aujourd’hui en mesure de produire les garanties suffisantes pour que des marchands péninsulaires puissent effectuer la traversée vers l’Ithri’Vaan sans se faire égorger par des pirates ou emportés par des ouragans ? »

Elle poursuivit :

« Les marchands qui effectuent le trajet à pied prennent environ 4 fois plus de temps pour effectuer le trajet de Thaar à Isgard. Cela suppose 4 fois plus de vivres, des mercenaires à embaucher pour des trajets très longs, sans compter que la route est loin d’être sûre et que Naélis taxe lourdement les marchands transitant par ses portes. De plus, un marchand doit se déplacer de lui-même pour veiller au grain, ce qui impacte ses affaires dans sa ville d’attache. Aller faire des affaires en Péninsule est un pari que peu sont prêts à risquer, notamment s’ils savent qu’ils seront accueillis avec méfiance. A l’heure actuelle, venir chez vous est un risque. Je suis là pour faire en sorte que ce risque n’existe plus. Avec mes navires et mon organisation, nous pouvons réduire considérablement le temps de trajet et les risques pour tous types de marchandises. »

La jeune femme prit une des coupes de vin et en but la moitié de son contenu. Pas mauvais. Mais à peine avait-elle eut le temps de reposer sa coupe qu’il la questionnait encore sur sa légitimité auprès des deux Conseils.

« Je vais tenter d’être plus claire. Ys est une cité indépendante. Nous n’obéissons qu’à nous-mêmes et nous bénéficions des garanties de notre indépendance grâce aux puissances de la région. Si l’une venait à nous chercher querelle, l’autre prendrait automatiquement notre défense. »

Elle se servit un morceau de fromage et continua :

« Ys est une terre fertile et une cité qui s’est dirigée vers l’artisanat de luxe depuis maintenant quelques décennies sous l’impulsion de la précédente « famille régnante ». Nous produisons des soieries, des textiles, des meubles, mais aussi des bijoux, du verre, du cristal, du jade, des objets laqués... Nous bénéficions aussi du soutien d’une guilde d’alchimistes ainsi que d’une papeterie ainsi que d’autres installations nous permettant de fournir nos partenaires en produits manufacturés de haute qualité. Depuis un demi-siècle, notre port est l’un des plus développés de l’Estrevent et nous entretenons plusieurs guildes d’armateurs capables de produire tous types de navires. Actuellement, nous sommes acheteurs de métaux : fer, bronze, étain, … transformés ou non. Nous sommes aussi à la recherche de toujours plus de bois pour nos navires. Nous sommes aussi preneurs de spiritueux et « produits locaux ». »

Cela était vrai … mais Ys avait un défaut. Si elle attirait de redoutables artisans, elle restait dépendante de ses voisins en ce qui concernait une partie des matières premières, notamment l’acier. La Corporation d’Argent contrôlait les meilleures mines de l’Ithri’Vaan et négociait à prix d’or ses matériaux. Si les vaisseaux de Cassiopée pourvoyaient Ys en matériaux comme le bois et la pierre, il lui manquait une source d’approvisionnement en métaux indépendante de la Corporation d’Argent afin de pouvoir négocier de meilleurs prix et leur forcer la main.

Elle sortit de sa sacoche une boite en ébène fermée à clef. Libérant son contenu, elle saisit une liasse de papiers d’excellente qualité et les présenta au comte. Il s’agissait des documents officiels lui conférant l’autorité nécessaire pour négocier au nom de la cité d’Ys. Les multiples sceaux y avaient été apposés et donnaient à la Princesse Marchande toutes les marges de manœuvre nécessaires pour négocier des contrats.

« Ces documents sont la preuve que je représente les intérêts d’Ys auprès de la Péninsule. Si vous décidez de traiter avec nous, nous ouvrirons une ligne commerciale sûre entre nos deux cités. »

Nous vendons ce que peu de gens sont capables de posséder et de contrôler aujourd’hui : de la sécurité, des navires, des caravanes et des entrepôts. Qui aujourd’hui dispose de ces choses en quantité suffisante pour pouvoir organiser les routes commerciales entre deux royaumes séparés par une mer hostile ? Pensez-vous pouvoir organiser le trafic d’un comté à une cité-marchande sans une flotte de navires et des gens pour en assurer la logistique ? Etes-vous aujourd’hui en mesure de produire les garanties suffisantes pour que des marchands péninsulaires puissent effectuer la traversée vers l’Ithri’Vaan sans se faire égorger par des pirates ou emportés par des ouragans ? Les marchands qui effectuent le trajet à pied prennent environ 4 fois plus de temps pour effectuer le trajet de Thaar à Isgard. Cela suppose 4 fois plus de vivres, des mercenaires à embaucher pour des trajets très longs, sans compter que la route est loin d’être sûre et que Naélis taxe lourdement les marchands transitant par ses portes. De plus, un marchand doit se déplacer de lui-même pour veiller au grain, ce qui impacte ses affaires dans sa ville d’attache. Aller faire des affaires en Péninsule est un pari que peu sont prêts à risquer, notamment s’ils savent qu’ils seront accueillis avec méfiance. A l’heure actuelle, venir chez vous est un risque. Je suis là pour faire en sorte que ce risque n’existe plus. Avec mes navires et mon organisation, nous pouvons réduire considérablement le temps de trajet et les risques pour tous types de marchandises.

Elle était vexée ... Le ton était acerbe et le visage était fermé. En même temps, il n'y pouvait rien si la compagnie ne vendait aucun matérai, ni aucune denrée. Et elle pouvait bien se perdre en explication interminable et ennuyeuse, il avait résumé en quelques mots simples, ce qu'elle avait développé en mille phrases complexes. Elle ne vendait ... rien. Et elle partait visiblement du principe que les frais d'un marchand était digne de son intérêt, alors que ces bourgeois payent plus de vivres ou de mercenaires pour protéger leurs caravances, il s'en laver les mains. Tant qu'ils payaient leurs droits de passage et leur taxe pour exercer la vente sur son territoire, le reste lui importait peu. Cependant, il voyait tout de même l'intérêt de proposer une sécurisation officielle, qui, moyennant finances, assurerait au fret un accès plus rapide et sans encombres aux ports commerciaux orientaux. La sang-mêlée poursuivit alors, répondant aux interrogations de Gaubert sur Ys et sa légitimité.

Je vais tenter d’être plus claire. Ys est une cité indépendante. Nous n’obéissons qu’à nous-mêmes et nous bénéficions des garanties de notre indépendance grâce aux puissances de la région. Si l’une venait à nous chercher querelle, l’autre prendrait automatiquement notre défense. Ys est une terre fertile et une cité qui s’est dirigée vers l’artisanat de luxe depuis maintenant quelques décennies sous l’impulsion de la précédente « famille régnante ». Nous produisons des soieries, des textiles, des meubles, mais aussi des bijoux, du verre, du cristal, du jade, des objets laqués... Nous bénéficions aussi du soutien d’une guilde d’alchimistes ainsi que d’une papeterie ainsi que d’autres installations nous permettant de fournir nos partenaires en produits manufacturés de haute qualité. Depuis un demi-siècle, notre port est l’un des plus développés de l’Estrevent et nous entretenons plusieurs guildes d’armateurs capables de produire tous types de navires. Actuellement, nous sommes acheteurs de métaux : fer, bronze, étain, … transformés ou non. Nous sommes aussi à la recherche de toujours plus de bois pour nos navires. Nous sommes aussi preneurs de spiritueux et « produits locaux. Ces documents sont la preuve que je représente les intérêts d’Ys auprès de la Péninsule. Si vous décidez de traiter avec nous, nous ouvrirons une ligne commerciale sûre entre nos deux cités.

Le comte se saisit des papiers qu'elle avait sorti d'un petit coffret noir et les lut. Les documents étaient rédigés en plusieurs langues, dont le péninsulaire, ce qui lui permit d'attester des autorisations que Cassiopée avançait. Sceaux et signatures ornaient le bas des pages, de quoi témoigner des noms imprononçables de ces marchands des sables. Pendant qu'il survolait les termes de ces courriers offciels, Prademont réfléchissait aux paroles et aux attentes de la vaanie. Sa cité convoitait des métaux, des ressources alonnaises et sgardiennes principalement, ce qui demanderait de devoir rencontrer les dirigeants voisins pour organiser des routes dédiées sur la Sirilya. Il avala une gorgée de vin, envisageant sa demande en bois et en produits locaux. Odélian était une terre riche en matières premières et en nourriture, mais Ys l'était également, ce qui limitait considérablement la demande de leur côté, mais avec les drows qui avaient l'air de s'être mis en tête de conquérir Sol Dorn, et le comte n'en doutait pas, le reste des cités marchandes, il était possible qu'à terme, un ravitaillement en nourriture depuis Isgaard soit envisageable, voir même nécessaire. Il ingurgita un morceau de pain avant de se saisir à nouveau du couteau et de couper de nouvelles parts dans le fromage argenté, puis reposa la lame à côté de lui, interdisant une fois encore à ses invitées la possibilité de s'en saisir.

Je vois. Il y a effectivement du potentiel dans cet accord.

Il étala le fromage crémeux entre ses doigts en pliant la tartine et mordit vivement. Il mastiqua bruyamment, poursuivant sa réflexion. Il tendit les documents vers Cassiopée, ayant vu ce qu'il avait à voir.

J'imagine qu'il vous faudrait un office au port, afin de pouvoir enregistrer les marchands souhaitant s'allouer les services de votre Compagnie et qui pourrait loger les marchands venus de votre cité pendant leur escale, n'est-ce pas ?

Il avala une nouvelle gorgée de vin, faisant descendre la nourriture dans son gosier.

Je pourrais y consentir mais à deux conditions. Premièrement, les commissaires du port auront un droit de regard sur votre commerce. Il est hors de question de laisser aller et venir tout et n'importe quoi sur mes terres, je sais que vous autres, estreventins, vous faites commerce d'esclave et je refuse d'en voir transiter ici. Deuxièmement, un accord avec votre cité ne se fera que si vos marchands privilégient Odélian avant tout autre territoire péninsulaire et surtout, ne fassent JAMAIS commerce à Seram, en Etherna.

La proposition était sur la table, il attendait de voir ce qu'avait à en dire la femme à la peau grise.

Bien entendu qu’il y avait du potentiel dans cet accord ! Seul un fou ne le verrait pas !

« Il nous faudra bien évidemment un emplacement pour nos bureaux, de quoi placer des entrepôts et une zone de mouillage pour nos navires. De ce que j’ai vu, vous ne chômez pas sur la modernisation des installations et nous pourrons vous apporter notre concours sur cette question si vous le désirez, en gage de notre bonne volonté. »

Cassiopée se resservit d’un morceau de fromage et de pain tout en écoutant les exigences du comte.

« Il va de soi que nos registres seront transparents pour vos commissaires et que nous nous soumettrons à leur contrôle. Quant au commerce d’esclaves, la Compagnie Olyane se refuse à faire le commerce de la chair. C’est une pratique barbare que beaucoup d’Estreventins apprécient, mais que je trouve inhumaine, dégradante et totalement inepte sur le plan économique. Si j’ai un conseil à vous donner, monseigneur, c’est de vous méfiez des marchands d’esclaves estreventins. Rien ne vaut la loyauté d’un homme libre … celle des esclaves ne se mesure qu’à la longueur de votre fouet. »

Elle rangea les papiers dans la boite d’ébène et la replaça dans sa sacoche avant de poursuivre :

« Quant à votre condition de ne pas commercer avec Etherna … elle me semble compliquée à tenir. Voyez-vous, je ne peux vous concéder une exclusivité qu’en échange de quelque chose d’équivalent. Face à l’interdiction de commercer avec le port de Seram, une parcelle constructible et une zone de mouillage valent peu de choses. Que diriez-vous de mettre dans la balance l’accès à la Sirilya et l’interdiction de négocier avec la cité d’Ashaï en Ithri’Vaan  ? »

L’équation était simple. En échange de l’accès à la Sirilya, Cassiopée était prête à concéder le fait de ne pas négocier de contrats commerciaux pour la Compagnie Olyane avec Seram. De toute façon, ce port ne présentait aucun intérêt pour elle : il n’était pas relié à un fleuve et se ferait dévorer dans les prochaines années par Isgaard et Sharas. Il ne présentait aucun intérêt à long terme. En revanche, si Cassiopée pouvait accéder au fleuve et aussi s’assurer qu’Ashaï ne la gênerait pas dans l’exploitation de la route commerciale, cela serait parfait. Ashaï n’avait jamais été une menace pour les plans de Cassiopée et elle s’affairait à investir dans la cité pour en contrôler rapidement le commerce depuis des années, mais on n’était jamais trop prudent.

Il nous faudra bien évidemment un emplacement pour nos bureaux, de quoi placer des entrepôts et une zone de mouillage pour nos navires. De ce que j’ai vu, vous ne chômez pas sur la modernisation des installations et nous pourrons vous apporter notre concours sur cette question si vous le désirez, en gage de notre bonne volonté.

On ne pouvait pas encore parler de modernisation à proprement parlé, il entamait les travaux qu'il estimait nécessaire au développement du port et du commerce sur les terres odéliannes. Le port rappelait encore trop de mauvais souvenir aux missédois qui devaient ronger leur frein en pensant au fait que c'était désormais les Nordiens qui profitait de leur port. Mais même si ces péquenots de suderons avaient su planter trois piquets tendre cinq bâches pour appeler ça un port, Gaubert allait en faire le noeud commercial le plus important de l'Olienne et éclipserait ces geignards du langecin en écrasant leur concurrence sans aucune vergogne. Surtout tant que le dragons nicheraient dans les îles nelenites. Cassiopée poursuivit, bavarde comme toujours.

Il va de soi que nos registres seront transparents pour vos commissaires et que nous nous soumettrons à leur contrôle. Quant au commerce d’esclaves, la Compagnie Olyane se refuse à faire le commerce de la chair. C’est une pratique barbare que beaucoup d’Estreventins apprécient, mais que je trouve inhumaine, dégradante et totalement inepte sur le plan économique. Si j’ai un conseil à vous donner, monseigneur, c’est de vous méfiez des marchands d’esclaves estreventins. Rien ne vaut la loyauté d’un homme libre … celle des esclaves ne se mesure qu’à la longueur de votre fouet. Quant à votre condition de ne pas commercer avec Etherna … elle me semble compliquée à tenir. Voyez-vous, je ne peux vous concéder une exclusivité qu’en échange de quelque chose d’équivalent. Face à l’interdiction de commercer avec le port de Seram, une parcelle constructible et une zone de mouillage valent peu de choses. Que diriez-vous de mettre dans la balance l’accès à la Sirilya et l’interdiction de négocier avec la cité d’Ashaï en Ithri’Vaan  ?

Gaubert croqua dans une portion de camembert en écoutant les exigences que son interlocutrice formulait. Il arqua un sourcil en entendant la sang-mêlée dénigrer autant la vente d'esclave. Lui qui pensait que ces singes d'estreventins étaient tous friands de leurs petits favoris d'eunuques qui leur pompaient le noeud entre deux ventes et que leurs accords avec les puysards consistaient à leur fournir des jeunes vierges afin d'assouvir les messes barbares de ces chiens de drow.

Elle marchandait, elle imposait même des conditions la garce. Elle n'avait toujours pas saisi qui était le maître des lieux et comment Gaubert entendait mener son affaire. Il avala sa bouchée avant de poser un regard froid sur Cassiopée.

J'imagine que nous nous sommes mal compris, ma Dame. Si vous n'entravez pas votre commerce avec Seram, il n'y aura aucun accord, aucun bureau et aucun entrepôt en Isgard. C'est une condition sinéquanone, ma chère. En revanche, un accord avec moi, vous ouvre de fait, l'accès à la Sirilya et un laisser-passer sous la forteresse de l'Etau afin de pouvoir faire commerce avec mes voisins alonnais et sgardiens. Et d'ailleurs, leurs marchands descendent eux-mêmes le fleuve pour gagner l'Olienne, vous n'aurez même pas besoin de vous déplacer, ils viendront à vous.

Il enfourna une nouvelle bouchée de fromage, achevant sa portion de camembert bruyamment avant de tendre son verre au jeune serviteur qui semblait perdu sans une tâche à accomplir. Il poursuivit sous le bruit du liquide qui coulait dans sa coupe.

Quand à Ashaï, j'en entends parler pour la première fois de votre bouche. Je n'ai donc aucune raison de commercer ou non avec eux. Renoncer à Seram et au commerce ethernien et nous pouvons écrire le contrat. Je vous propose un contrat qui court jusqu'à la fin de l'hiver. D'ici là, selon le bilan qui en ressortira, nous pourrons renégocier les termes. Pour le moment, je vous propose une officine adjacente à un entrepôt et une zone de mouillage réduite, disons trois navires en même temps, par exemple et un laisser-passer à mi-prix sur la Sirilya. Marché conclu ?

Il fit tournoyer son breuvage dans sa coupe, ses lèvres s'étirant dans un sourire crispé.

Il faudra ensuite que nous parlions des suderons.

Clairement, Cassiopée gagnait sur tous les tableaux avec cet accord commercial. Il serait toujours temps de changer de fusil d’épaule si jamais il s’avérait infructueux et pour l’instant, elle obtenait plus qu’elle ne donnait au comte d’Odélian. Qu’importe le port de Seram : bientôt, il serait englouti par la prospérité des deux ports voisins. Il n’y avait aucun intérêt à commercer avec des gens qui n’avaient que la moitié de l’accès aux ressources que Cassiopée convoitait. Il fallait simplement donner des garanties au comte pour qu’il ne reconsidère pas cet accord une fois l’hiver passé.  

Elle se redressa sur le canapé et annonça sa réponse d’un ton clair :

« Cela me semble un accord plus que raisonnable. Il n’y aura aucun commerce de ma part avec Seram. Votre proposition me semble très juste et je suis ravie que nous soyons parvenus à un accord. J’espère simplement que nous saurons travailler en bonne intelligence, mais je ne doute pas de cela. »

Elle finit sa coupe de vin et écouta le comte déblatérer sur la cité qu’il ne connaissait pas. Cela l'arrangeait parfaitement qu'il ne cherche pas à commercer avec Ashaï. Cela lui retirait une épine du pied.

« Jusqu’à la fin de l’hiver me semble une bonne date. Cela nous laissera le temps de faire transiter nos premiers navires et d’installer nos bureaux sur un temps très court … C’est donc marché conclu pour moi. »

Elle sourit puis fit signe à La Valériane de préparer rapidement un document avec les données de l’accord, afin de formaliser l’accord commercial naissant sur du bon papier. La jeune femme s’exécuta et commença à gratter à la plume juste à côté d’eux. Elle n’avait pas dit un mot de toute la conversation. C’était quelque part rassurant : s’il y avait eu le moindre problème, elle aurait pris la parole. Le fait qu’elle rédige le papier laissa du temps à Cassiopée pour reporter son attention sur le comte.

« Les Suderons ? »

Cela me semble un accord plus que raisonnable. Il n’y aura aucun commerce de ma part avec Seram. Votre proposition me semble très juste et je suis ravie que nous soyons parvenus à un accord. J’espère simplement que nous saurons travailler en bonne intelligence, mais je ne doute pas de cela. Jusqu’à la fin de l’hiver me semble une bonne date. Cela nous laissera le temps de faire transiter nos premiers navires et d’installer nos bureaux sur un temps très court … C’est donc marché conclu pour moi.

Odélian 1 Etherna 0. Il s'était promis de couler la maudite baronnie et son port, voilà une étape de franchi. Certes ce n'était qu'une seule cité, estreventine qui plus est, mais pour construire un temple il fallait poser une première pierre. Si d'autres dirigeants venaient à s'engager dans le même sens, les etherniens n'auraient plus d'autre choix que d'acheter les richesses orientales chez leur voisin, et Gaubert comptait bien leur offrir des tarifs bien gras afin de vider leurs poches. Ils paieraient leur propre déchéance, ces chiens.

La suivante de Cassiopée sortit de sa besace du vélin et une plume. Elle la trempa dans l'encre avant de faire glisser la pointe. Le comte leva son verre en direction de la demi drow, esquissant un petit sourire qu'il s'efforça de garder en évoquant les habitants du Sud.

Les Suderons ?
Oui ma Dame, les suderons !

Il avala une gorgée avant de reposer sa coup et de joindre les mains entre ses genoux, l'air concerné.

Nul doute que si vous prospectez en Péninsule, vous aurez à faire avec leurs marchands. Et puisque nous sommes tombés d'accord sur notre coopération, je me dois de vous avertir.

Les missédois devaient encore l'avoir mauvaise de la perte d'Isgard et ils ne manqueraient probablement pas de déblatérer quelques inepties sur le dos des nordiens. Il fallait saisir l'opportunité d'être le premier péninsulaire qu'elle rencontrait pour lui souffler quelques conseils tout à fait nordiens.

Bien entendu, je n'ai ni le désir, ni le droit de vous empêcher de commercer avec mes compatriotes du Sud. Cependant, en tant qu'allié commercial, il est de mon devoir de vous avertir. On les dit fourbes et mauvais payeurs ! N'ayez confiance en leurs promesses qu'une fois qu'ils auront verser la totalité de leur paiement. Ils sont bien plus enclin à faire la guerre qu'ici en Odélian.

Il mentait éhontément mais peu importe, si Cassiopée retenait en partie ses mises en garde, il aurait gagné son pari.

Ils ont ravagés ma contrée, il y a cinq ou six ans de cela, brûlant les récoltes et massacrant femmes et enfants sans aucun respect des lois de la guerre. J'ai du mener la chasse à leurs reîtres jusque dans les forêts du nord du comté. Alors qu'avant ces évènements tragiques nous fûmes des partenaires commerciaux, presque des frères ! Méfiez-vous d'eux, ma Dame et surtout des missédois ! La pire espèce de suderon ! Ils sont veules, de véritables intriguants !

Après cette démonstration de jeu de comédien brillante, il tendit sa coupe vers la Princesse Marchande, abandonnant son attitude inquiète pour une plus détendue.

Et si vous vous rappelez de mes paroles, un peu plus tôt sur le quai, je ne scelle jamais de contrat sans avoir trinqué ! À la collaboration entre Ys et Odélian. Les perles de l'Olienne !

Il tendit le bras, attendant que Cassiopée cogne sa coupe contre la sienne, ce qui marquerait la fin des négociations et le début d'une entente avec l'estrevent inédite dans le comté.

Pénible … C’était le mot que Cassiopée cherchait. Décidément, les Nordiens étaient pénibles. Pouvait-on espérer discuter sans cracher sur le compte de quelqu’un dans cette contrée ? Visiblement non. Mais, en invitée polie – et menacée par des gardes prêts à la tuer au moindre mouvement de travers – Cassiopée écouta attentivement le comte cracher son fiel sur les Suderons.

C’est qu’il en avait gros sur le cœur le comte ! Si elle n’avait pas été menacée de finir en carpaccio quelques dizaines de minutes plus tôt, elle aurait presque pu avoir de l’empathie pour son histoire … Presque ! Mais qu’importe, elle n’avait qu’à faire semblant de l’écouter.

Elle hocha la tête à intervalles réguliers, pour signifier qu’elle comprenait bien ce que Gaubert de Prademont racontait, mais c’était d’un ennui mortel.

« Je vois … je tâcherai de me souvenir de vos paroles si d’aventure, je venais à croiser l’un de ces fameux Suderons ! »

C’était dit sans conviction … Elle s’en fichait éperdument. Les affaires restaient les affaires et il était peu probable que les gens vivant de l’autre côté du golfe soient si différents des gens d’Odélian, surtout s’ils avaient l’habitude, eux-aussi de guerroyer. Cassiopée jeta un regard à La Valériane tandis que celle-ci écrivait le contrat. Elle voyait à son pincement de lèvres que celle-ci était irritée, mais tentait de se réfréner de mettre une baffe au comte. Après tout, elle venait du sud elle-aussi, mais son devoir envers Cassiopée l’empêchait de lui faire ravaler ses paroles.

Mais elle n’eut pas le temps de continuer plus avant ses réflexions qu’enfin, le comte se décidait à porter un toast ! A la bonne heure ! La Protectrice d’Ys récupéra sa coupe de vin, que l’échanson avait discrètement rempli pendant une seconde d’inattention et la leva à hauteur de celle de son interlocuteur.

« A notre fructueuse et j’espère longue collaboration ! A Isgaard, perle noire du Nord et Ys, perle blanche de l’Est. »

Elle cogna sa coupe contre celle du comte et but d’une traite le contenu. Ce vin serait probablement la première chose qu’elle ferait venir du Nord ! C’était le début de quelque chose de prometteur. Le comte était un être particulièrement dur à la négociation, mais il était un partenaire commercial idéal : il aimait l’argent, le vin et le fromage ! Comment ne pas s’entendre professionnellement avec quelqu’un comme ça ?