Sombre bête | Na'ri

Courant 7e ennéade de Barkios de l'an 17
L'Etat Major

A un rythme soutenu, le soldat poussiéreux questionnait de droite et de gauche les prêtres. Il eut pu passer inaperçu, parmi les eldéens, si un massif chien-ours ne le talonnait pas, attentif. Nerveux, le soldat veillait - avec les moyens du bord - à ce qu'il en reste ainsi. L'animal, jusqu'alors, s'était montré relativement docile... Avec l'aide d'un peu de viande. Mais les stocks ont leur limite, au même titre que la patience du soldat. La tâche devait être accompli, mais qui sait ce qu'il adviendrait ensuite ?

Après avoir interrompu plus d'un prêtre de Kiran dans sa tâche, puis d'avoir été envoyé auprès du 2nd Ost, où il questionna des militaires puis à nouveau des prêtres, en ne tournant absolument pas en rond, le drow finit par avoir la position de celle qu'elle cherchait. Avec l'efficacité d'une flèche filant vers sa cible, il eut tôt fait de la rejoindre avant qu'elle ne disparaisse pour il ne savait - et ne voulait savoir - quelle autre tâche. Ayant eu l'occasion de la croiser - de vue - pendant son service, il n'eut aucun doute en la voyant, et se planta devant être comme une pique, le chien-ours sur ses talons. L'animal, sur la réserve, renifla en direction de la prêtresse.

"Na'ri Yisfi ? dit le garde sans une hésitation, avec le minimum de cordialité. Cette bête vous revient, par la volonté de Viconia X'Ianxin. Il répond au nom de Varg. La tête massive du chien-ours se releva, attentive. Le soldat tendit un gros morceau de viande à la prêtresse, tout en grimaçant. Pour le reste, demandez à... Il agita une main. Aux prêtres de Zhak'Bar. Ils sauront sans doute quoi faire."

La main posée sur la lame à son flanc, le regard direct, il semblait crier en silence 'Ma place est au combat, pas à livrer des chiens.' Mais le devoir est ce qu'il est, et le bout du chemin semblait si proche, à un 'oui' près...

Varg:

Toujours de droite et de gauche, la prêtresse vaquait à beaucoup trop d'activités pour des journées qui finalement s'avéraient toujours trop courtes. Parce qu'entre son travail au second Ost, son étude sur les esclaves chez le Grand Architecte, ses études sur sa magie et sur l'amélioration de sa pratique et enfin, passer un peu de temps avec le culte de Natha pour être avec son petit, Na'ri n'avait pas le temps pour autre chose. Elle ne s'en plaignait pas, pas encore du moins, car elle avait le sentiment de rajeunir. Peut être parce qu'épuisée, elle ne faisait plus de cauchemar, ou parce que, comble de l'horreur, elle était tout simplement heureuse. Peut être bien.

Elle avait un peu de retard, alors elle salua poliment le soldat mais sans vraiment le voir. Mais les mots la laissa interdite.

Sans réfléchir, elle prit le morceau de viande du soldat.

" Comment ça ? Qu'est il arrivé à Viconia X'Ianxin ? Pourquoi elle me donne un chien ? "

La pretresse regarda la bête qui maintenant bavait à ses pieds, attendant sagement son morceau de viande. C'est alors qu'elle le reconnu. Ses yeux s'écarquillèrent un peu plus.

" Varg ? Les oreilles du molosse bougèrent légèrement.

" Pourquoi m'offre t'elle son chien ?" La prêtresse avait le dos droit et le regard fixé dans celui du soldat. Ses bras étaient croisés tandis qu'elle tenait toujours la viande dont ses effluves âcres et douceâtres caressaient le nez jusqu'à l'écœurement.

Aux questions de la sombre, la mine du soldat ne se renferma qu'un peu plus, laissant seulement filtrer un déplaisir grandissant. La main, libérée de son fardeau suintant, resta en suspend, jusqu'à ce qu'un esclave passe à portée. Qu'il s'avance pour en saisir le col pour s'essuyer sur son vêtement de tissu sans attrait, et il eut le plaisir de constater que le molosse ne le suivait plus : la grosse tête n'était qu'attention pour la sombre au morceau de viande, tout juste les oreilles avaient-elles pivoté. Oubliant le sans-nom sitôt qu'il fut soulagé de sa saleté - la poussière et le sable, c'était une autre affaire -, le guerrier posa à nouveau les yeux sur la Yisfi.

"Parce qu'elle vous appréciait ? Ou qu'elle avait un certain sens de l'humour ? Aviez-vous jamais dit rêver d'une telle bête ? Vous êtes la mieux placée pour le savoir." répondit-il - volontairement - à côté, non sans un brin de satisfaction au coin des lèvres.

L'essentiel était fait, le reste ne dépendait plus de lui... Et l'individu avait ses propres questionnements, qui ne concernait pas cette problématique-ci. D'un signe de tête, il salua brièvement et eut un petit bruit de bouche. Aussitôt, le chien se releva et se tourna vers lui. Le sombre fit un pas en arrière, surpris. Rien... D'un geste de la main, il lui fit signe de se tourner plutôt vers celle qui tenait la viande, sans résultat si ce n'est une attention soutenue toute canine.

"Je ne comprend rien à ces bêtes..." marmonna-t-il.

Non sans un regard d'agacement pour la sombre, il la planta là, s'en allant retrouver un devoir à sa mesure.

Le chien regarda faire... Avant de tourner la tête vers Yari, l'air interrogateur. L'air chaud ambiant du Vatna lui fit ouvrir la bouche, dévoilant encore ses crocs, tandis qu'un filet de bave se formait petit à petit.

Aux gestes déplacés du soldat envers l'esclave, la prêtresse réprima une grimace. Mais elle ne pipa mot. Elle fut soulagée à ce qu'il parte même s'il n'avait pas du tout confirmé ou infirmé ses craintes. De mémoire, Varg n'était jamais séparée de sa maitresse très longtemps. Alors qu'elle était partie profiter de la vie, elle avait besoin du molosse pour la défendre. Ce n'était pas le moment de le donner… et encore moins sans message. Viconia n'était pas de ce genre là… Il avait dû arriver quelque chose…

Voyant le chien partir avec le soldat, la prêtresse l'appela et lui tendit le morceau de viande qu'il prit délicatement. Elle eut un léger soulagement de ne plus sentir la vielle carne.  

" Varg ! Allez bonhomme. Vient. "
Elle se sentait perdue avec la belle bête, avec ses craintes, avec sa culpabilité. De son sac, elle sortit un biscuit et le tendit au chien-ours.

" Et ça est ce que tu aimerai ? " Le chien renifla avec curiosité le bout de biscuit. Puis il passa  sa langue sur la truffe en se remettant à baver. " Tu as soif peut être ? "

****

Un peu plus tard dans la journée, quand le chien fut repus et soigné. Na'ri alla au temple de Zhak'bar comme lui avait conseillé le soldat. Elle patientait qu'un prêtre ayant les bonnes connaissances soit disponibles. Elle posa une main sur le molosse.

Il avait triste mine ce chien. Ses flans était efflanqués, le poil était terne. Il donnait l'impression d'attendre quelqu'un ou quelque chose.

Au sein du temple, esclaves et prêtres s'affairaient, vaquant à leurs occupations. Des fosses se faisaient entendre rugissements comme barrissements, exprimant rage comme douleur, ou encore confusion, quand des voix drows ne s'y mêlaient pas, scandant d'obscurs psaumes. Sur la roche noire, les sombres se distinguaient par leurs tenues, et le sang qui parfois les tâchait - les rituels de Zhak'Bar n'était pas les plus propres parmi les Douze -.

Au milieu de ce vas-et-vient, le mot fut passé et, avec de l'intérêt dans le regard, une prêtresse s'approcha, sa silhouette généreuse tendant le tissu de sa robe, ce qu'accentuait sa démarche.

"Eh bien, dans quel état est cette bête... susurra-t-elle en s'attardant sur l'animal. Un claquement de langue spécifique... Et l'animal se coucha aussitôt. Non sans un sourire, la prêtresse regarda sa consœur d'un autre culte. Eh bien, il sait encore ! Cette bête servira-t-elle encore, ou bien serait-ce pour l'offrir au Maître des Cataclysmes ?"

A sa hanche saillait une lame des plus atypiques, sur laquelle un texte gravé annonçait un usage plus symbolique que martial.

Le chien-ours attendait. C'était ce qu'il faisait le mieux depuis… depuis quand. Il ne savait pas, il ne savait plus. Ce n'est pas par manque d'intérêt, c'est juste que le temps passe différemment. Il savait juste qu'un jour, son quotidien, ses repères ont changé. Depuis ce jour, il passait de main en main. Mais plus jamais dans celle de sa maitresse.

Elle était fâchée ? Il avait fait une bêtise ? Pourquoi elle ne revenait pas ?

Son odeur s'était petit à petit atténuée. Pourtant, elle était là dans sa mémoire. Comme les autres odeurs d'ailleurs. Cependant, celle des simples ne faisait pas partie de ses préférées. Cela voulait dire qu'il avait mal et qu'en plus il allait être embêté pour avoir plus mal pendant un temps. Et surtout l'interdiction, quand ce n'est pas l'impossibilité, de se débarrasser de la source de l'odeur… Pourtant, il avait suivi la prêtresse de Kiran. Parce qu'elle avait proposé une gamelle. Puis une promenade.

C'était bien les promenades. Il aimait les promenades. Surtout celles où il pouvait après dormir dans un endroit douiller. Ces derniers temps, il y en avait eu des promenades. Mais pas de coussins ou de quelque chose du genre. Il n'y avait juste que le sol et la poussière. Peut être qu'aujourd'hui, s'il est gentil, il aurait droit à un endroit douillet.

Il n'avait plus de routine sur laquelle se raccrocher.

Le temple de Zack'Bar remuait des souvenirs, des vieux souvenirs. Il sentait la bête, les bêtes, le sang, la peur, la transpiration, les hommes, les sombres, le combat, les viscères. Quelque part, c'était un peu chez lui.

Il y eu un claquement de langue. Le chien se coucha immédiatement. Ses oreilles s'étaient légèrement redressées. Il était à l'écoute. On le comprenait enfin.

Il serait un bon chien.

Il attendait l'ordre suivant. Les sombres échangèrent des mots. Il ne comprenait rien, comme d'habitude. De ses yeux humides, il regarda les deux servantes. L'une après l'autre.

Na'ri reçu le regard animal en plein cœur.

" J'aimerai qu'il serve encore. Mais n'y connaissant rien en soin, je venais ici pour en apprendre plus. "

Avoir un chien sur les talons ne enchantait pas particulièrement la sombre. Mais elle n'allait pas, pas encore l'offrir au Maître des Cataclysmes. Elle tue le souhait qu'elle voulait qu'il retrouve sa maîtresse. Dans la mesure du possible. Espérer, c'était toujours gratuit. Comme être réaliste, ceci dit.