[L'ire impatiente] Oeil pour oeil... | Mleshka

7ème jour de la 9ème ennéade
Automne, Barkios de l'an 17:XI

La nuit était bien noire ce soir-là. Il avait plu une grande partie de la journée. Le sol était trempé, boueux et glissant dans ce quartier mal entretenu qu'était celui des Lanternes. Si cela avait été possible, ils en auraient choisi un autre. A présent, plus une goutte ne tombait du ciel mais les nuages étaient toujours là, masquant l'éclat des étoiles autant que des deux lunes. Même là où l'éclairage artificiel brillait encore, on n'y voyait guère très loin une fois sorti de leur aura de lumière.
C'était le jour parfait.

Dans un tel endroit, les rues n'étaient jamais silencieuses ni vides à cette heure de la nuit. Au contraire, c'était là que l'activité battait son plein. Hommes et femmes en manque venaient chercher de quoi combler leurs multiples appétits. Les intempéries n'avaient pas suffit à chasser totalement l'odeur de sang, de vomi et de foutre qui embaumait l'air à chaque pas. Si quelques uns s'en trouvaient incommodés, la plupart des passants ne semblait plus le remarquer. Soit ils étaient trop habitués, soit ils était trop ivres d'alcool, de drogue ou de stupre pour s'en rendre compte.
Ici, toutes les races se mêlaient sans distinction. Chacun se préoccupait bien plus de son petit nombril que de la couleur de peau, de la taille ou de la forme des oreilles de son voisin. Aussi, personne ne remarquait ceux qui passaient près d'eux. Que ce soit ce gars bedonnant reniflant de manière si inélégante tandis qu'il relaçait son froc en sortant d'une ruelle. Ou bien cette femme rondelette qui émergea à sa suite en rajustant son décolleté pour mettre son imposante poitrine en valeur. Ou encore la demie-sombre qui passa entre eux, le pas mal assuré et chantonnant à tût-tête.
Le moment était parfait.

Deux silhouettes encapuchonnées sortirent à leur tour dans la ruelle, évoluant dans la même direction que la sang-mêlée. Difficile de marcher discrètement avec un sol aussi instable mais, fort heureusement, l'agitation ambiante et l'état de leur cible les rendait presque transparents. Ils approchaient lentement d'elle, refermant l'étau qui n'allait pas tarder à s'abattre.
C'est alors qu'une forme apparue un peu plus loin devant l'ivrogne. Grande, massive, la peau marquée de figures noires, les cheveux rasés sur les côtés et attachés à l'arrière, le regard peu engageant... L'homme tourna dans une rue sans éclairage, semblant ne pas l'avoir vue.

Thaar, Thaar, Thaar ! Son éternel accueil, la mère de sa mère - si elle osait le penser ainsi -, un monde dans lequel elle retournait tôt où tard... Plus tôt que prévu, cette fois-ci, bien trop tôt à son goût. Trouver de quoi rentrer lui avait pris un peu de temps et d'esbrouf, mais avec quelques contacts et du savoir faire, qu'est-ce qui pouvait l'arrêter ? Retrouver les copains, les tavernes... L'ennui. La routine. M'débrouille toujours... Pour rev'nir. C'est partir et rester LOIN qu'j'y arrive pô...

"Je suis r'venuuuue, poil de cul !
Et j'bois encoooore, tant qu'c'est fort !"

Dans des ruelles de sa connaissance, la demi-drow vaquait sans trop de question, se laissant aller au gré de ses pas, et de la bouteille balançant au bout de son bras dans un clapotis familier. Oh quelle tête avait tiré la mère. D'jà r'venu ! He oué ! HE OUAI ! Ca a pas marché haha ! Qui l'eut cru ? La rasade lui dévala la gorge et la joue, avant qu'elle ne s'exclame avec toujours autant d'entrain :

"J'ai pas un rooond, poil au fion !
Mais j'trouve toujouuurs, d'quoi t'faire l'amouuur !"

Percutant le mur comme les gens, la demi-drow rendit un regard noir à plus d'un qui fut agacé par sa présence. - He là, y en a d'autre qu'moi ! Qu'est-ce t'en as à faire toi ? Hein ?! - Prise d'un vertige, elle se posa contre un mur, chantonnant toujours.

"On était à deux, poil de queue...
Et j'vais t'attendre, même si... Si... Si t'es pas tendre..."

Avec un gloussement, elle se rendit compte que cela n'allait pas, avant d'avoir le regard happé par un détail, et pas des moindre. Enfin, un détail. Quelqu'un, en réalité. Repoussant le mur - Mais qu'est-ce que... L'fait là ? M'a pas dit, l'couillon ? -. Elle eut beau le héler, repoussant sans grand égard qui gênait sa course maladroite, le gaillard ne réagit point.

"He, HE ! T-t'es r'venu ! A-alors ! Elle passa l'angle, et tituba dans la ruelle sombre. T'as r'trouvé ta s-"

Elle ne vit pas le coup venir. La bouteille tinta, puis roula au sol avec un clapotis froid.