[Eyroles] Qui aurait cru que ce jour viendrait ? | Hadjaoui, Andran & Aislinn

Début de la 4ème ennéade
Automne, Barkios de l'An 17:XI

De grands coups secouèrent la large porte d'entrée, tel un bélier tentant de la fracasser. Pourtant, il n'y en eu que trois, pas plus. Et les gonds n'avaient pas soufferts. L'intention était seulement de se faire entendre dans toute la maisonnée.

Quelques secondes s'écoulèrent, et les coups revinrent de plus belle.
Se faire entendre... Et faire comprendre que l'on aimait guère attendre. Au diable le politesse et les bonnes manières. Ils venaient de trop loin et avaient déjà rencontrés trop d'ennuis. L'heure n'était plus à la patience mais aux réponses. Et avec le tournoi dont ils avaient entendu parler, il était à craindre qu'ils avaient une deuxième fois manqué celui qu'ils cherchaient.

Quelques secondes, et les coups tonnèrent encore, plus forts.
Mais à peine le quatrième coup s'était-il abattu sur la porte qu'elle s'ouvrit enfin. L'accueil de l'hôte ne fut pas des plus chaleureux mais le chevalier n'avait en face de lui qu'une masse de muscle à l'air sombre, coléreux et froid. Pourtant, l'homme tatoué ne faisait que rester là, sans rien dire ni faire. Il ne voulait de mal à personne, c'était sa tête normale. Mais maintenant qu'on leur avait ouvert, il se rappelait qu'il ne pigeait toujours pas un mot de cette foutue langue locale. Et avec les accents, c'était pire. Alors il s'écarta de l’entrebâillement et laissa apparaître derrière lui une jeune femme blonde et un homme roux et armé. Ces derniers semblaient bien plus calmes et amicaux mais leurs tenues n'étaient pas plus péninsulaires que celle du colosse qui avait frappé.

-Désolez mon frère. Être brute un peu. Minimisa Digne. Nous venir de loin... pour trouver Andran Straggen. Lui bien ici ?

Avec les douces manières de Courtois, il y avait fort à parier que le chevalier n'était pas de meilleure humeur. Il n'y avait plus qu'à prier pour qu'il accepte ne serait-ce que de répondre à sa question...

« Je crois que ça a cogné à la porte. » commenta Spahi, planqué à l’étage aux côtés de son ami dans son bureau.

Ce dernier ne répondit rien, tendant l’oreille pour s’assurer qu’ils avaient bien des visiteurs. Le silence dura de longs instants avant que de nouveaux coups secouèrent la porte d’entrée. Peut-être que l’âge commençait à avoir raisons de son ouïe, ou bien les premiers coups ne furent pas assez puissants. Peu importe, ce n’est pas ce qui préoccupait les deux chevaliers présents sur les lieux.

« Tu attends de la visite ? »
« J’allais te poser la même question. Nos frères ont la clé, donc je suppose que nous avons de la visite plus… inattendue. »
« Je vais aller voir. »

Andran reposa le parchemin qu’il était en train de lire, au milieu d’un fatras de rouleaux en tout genre qu’il feuilletait de temps à autre. Il enfila son manteau et descendit au rez-de-chaussée pour accueillir les visiteurs qui se voulurent très insistants. Les coups furent de plus en plus tonnants, ce qui agaça le chevalier, qui remarqua que le temps d’attente entre chaque tambourinement n’était pas très long.

Le chevalier ouvrit enfin la porte, et aperçut deux bonshommes aux airs très différents. D’un côté, un colosse au physique rappelant les hommes des Wandres, sauf qu’il était basané. Andran dut se résoudre à rencontrer quelqu’un de plus grand que lui, et pas qu’un petit peu. Son partenaire avait un physique plus banal, si l’on met de côté ses cheveux roux. Au premier coup d’œil, il était difficile de déceler quel lien pouvait bien animer ces deux hommes.

« Encore un miracle que celle-ci soit intacte, n’est-il pas ? » ironisa Andran, sans même saluer les visiteurs, en pointant du doigt la porte qu’il venait d’ouvrir.

Le plus petit des deux s’exprima d’un accent pitoyable, et l’hôte de ses lieux comprit rapidement qu’il n’était pas du Royaume. Mais, si le vocabulaire pêchait, Andran avait aussi bien compris que le jeune garçon s’excusait du vacarme qu’il avait prononcé son propre nom. Il ne put s’empêcher de froncer les sourcils d’un air interrogatif. Comment connaissait-il ce nom, alors même que le chevalier n’avait pas souvenir d’avoir vu ces deux gaillards, et qu’il n’était jamais sorti du Royaume ? Il vieillissait, certes, mais il n’était pas devenu amnésique, d’autant plus que ces deux là n’étaient pas banals. Pire encore, ils le cherchaient. Qu’est-ce que deux étrangers pouvaient bien lui vouloir ?

« Il est même devant vous. Je suis Andran Straggen. » En temps normal, il aurait pris le temps de lister tous ses titres, mais il savait que cela ferait non-sens à des étrangers qui ne savaient probablement pas ce qu’était la chevalerie. « Puis-je au moins savoir qui vous êtes, et ce que vous attendez de moi ? »

C'était lui ? Vraiment ? La nouvelle leur semblait si surnaturelle, si invraisemblable que les trois vaanis se regardèrent mutuellement. Non pas qu'ils s'étaient imaginés quelqu'un d'autre mais, après toutes leurs péripéties, ils ne s'attendaient plus à tomber sur lui avec une telle facilité. Cependant, ce n'était pas le moment de laisser passer leur chance. Cet homme était le seul lien avec leur sœur et à peut-être savoir ce qu'il était advenu d'elle. Après toutes ces années d'absence et ces mois de recherche, ce n'était pas le moment de flancher. Le roux revint rapidement sur le chevalier et continua.

-Nous chercher quelqu'un. Une femme... que vous croiser.

Il était difficile d'expliquer tous les tenants et les aboutissants de leur histoire. Même dans leur langue, qui croirait au fait qu'ils connaissaient une gardienne de Tyra, qu'elle avait eu la vision d'un souvenir, qu'elle avait pu leur donner un nom et qu'ils avaient traverser Miradelphia avec cette seule information pour retrouver une personne perdue depuis bientôt vingt ans ? Alors tenter d'expliquer ça avec ses trois mots de vocabulaires péninsulaires...
Bref, il passa outre son récit et entra dans le vif du sujet.

-Elle pas d'ici. Peau couleur...

Le jeune homme chercha du regard quelque chose qui se rapprocherait du teint d'une métisse. Il finit par soulever sa cuirasse du pouce. C'était peut-être un peu foncé mais il était petit à l'époque et cela faisait si longtemps de toute façon... Cela donnait au moins une indication sur le type de personne qu'ils recherchaient.

-Pas savoir quel nom porter ici. Pour nous, être Merhamet. Vous connaître ?

Il avait prononcé le prénom d'origine de Clémence avec la même intonation qu'elle. D'ailleurs, à bien écouter, on pouvait facilement retrouvé les origines de son accent mais en nettement moins discret. Elle vivait dans ce pays depuis bien plus longtemps après tout.

Le jeune garçon expliqua la raison de sa venue, et au fur à mesure des informations qu'il donnait, la mine d'Andran s'assombrit de plus en plus. Couleur de peau, Merhamet… Aucun doute n'était possible, ils venaient pour Clémence. Son ancienne troupe aurait-elle survécu à l'embuscade des bandits ? Ou alors avait-elle commis un délit ou un crime dont le chevalier n'aurait pas eu connaissance ? Lui aurait-elle caché un évènement qu'il aurait dû ou voulu savoir ?

« Merhamet. » répéta-t-il dans un rire étouffé. Son accent nordien écorchait la mélodie chantante de l'Estrevent, mais il avait bel et bien reconnu ce prénom de la bouche du jeune visiteur. « S'agit-elle bien de Merhamet Hadjaoui ? »

Devant la réponse affirmative des visiteurs, Andran sentit une boule nouer son cœur d'anxiété. Jusqu'à aujourd'hui, elle avait été assez discrète que personne n'y attache de l'importance. Clémence ne causait aucun remous, et le prestige du chevalier éloignait ceux qui voudraient s'en prendre à elle.

« Dans notre langue, elle s'appelle Clémence Acciari, même si elle tient à ne pas oublier ses origines. »

Cette information peut paraître passable, mais il est plus aisé d'utiliser un prénom commun dans ces contrées où le racisme prédomine la société. Même si le colosse qui accompagnait le jeune rouquin pouvait éloigner les plus faiblards, il pourrait être préférable de ne pas attirer le regard des autorités locales.

« Par conséquent : oui, je la connais. Cela fait plus d'un mois que je la protège. Mais, avant toute précision supplémentaire, j'aimerais bien connaître la raison pour laquelle vous la cherchez. »

Tandis que la mine sombre du chevalier lui faisait craindre le pire, l'entendre répéter le nom de sa sœur ne lui laissa aucun doute : il la connaissait. Son cœur se serra alors que leur piste semblait enfin aboutir. Pourvu que cela ne soit pas sur une triste nouvelle. Il répondit un peu précipitamment à sa question, pressé qu'il était de savoir ce qu'il avait à lui dire sur Merhamet exactement. Ainsi apprit-il qu'elle était en sûreté, qu'elle avait trouvé un protecteur en la personne de son sauveur lui-même. Digne s'empressa de transmettre l'information à son frère dans leur langue si chantante. Le colosse ne sembla pas aussi enjoué que son cadet face à cette nouvelle. Tout juste adressa-t-il un haussement de sourcil à l'égard d'Andran en le détaillant avec un intérêt un peu différent. Il la protégeait, d'accord. Mais à quel prix ? Avec ce qu'il avait pu voir de ce pays, il se méfiait désormais...

Cependant, le guerrier aux cheveux de feu ne devait pas en oublier la requête de son interlocuteur. Il ne prit donc qu'un bref instant pour expliquer à son aîné ce qu'il venait d'apprendre avant de revenir vers Straggen. Il se désigna puis montra son frère tandis qu'il faisait les présentations dans les deux langues.

-Moi, Layik. Lui Saygili. Digne et Courtois... Hadjaoui. Nous venir d'Ithri'Vaan pour trouver notre sœur. Soudain, le jeune homme réalisa qu'il ne s'était plus soucié de celle dont il tenait la main depuis le début. Venait-elle de lui faire un signe pour lui rappeler qu'elle était là ? Hm ! Ma compagne. Aislinn Noblegriffon.

La demoiselle réalisa une révérence rapide mais néanmoins distinguée à l'égard du chevalier. Il était clair qu'elle avait reçu une certaine éducation péninsulaire. Son attitude fit sourire son compagnon qui la toisait d'un regard tendre mais ses traits ne tardèrent pas à se teinter d'une certaine forme d'inquiétude tandis qu'il se tournait à nouveau vers Andran.

-Est-ce que Mer... Clémence... ici ?

Andran écarquilla les yeux en entendant les deux visiteurs se présenter. Digne et Courtois Hadjaoui, deux des nombreux membres de la famille Hadjaoui. Finalement, comme l'espérait Clémence, certains avaient survécu et s'étaient visiblement tiré de leur tragique situation d'esclave. Pour autant, cela ne ressemblait pas nécessairement à une bonne nouvelle. Étant donné son attachement à sa famille, Clémence serait sûrement prompte à rentrer avec ses frères et tirer un trait définitif sur cette vie difficile dans le Marquisat. Néanmoins, le chevalier serait bien détestable s'il rejetait les visiteurs et mentait à sa protégée. De toute manière, cela ne sauverait même pas leur amour.

« Merhamet est ici. Elle m'accompagne dans tous mes déplacements. Entrez à l'intérieur, je vais vous l'amener. »

Il ne pouvait pas agir autrement, ne serait-ce que pour son honneur personnel, mais surtout pour Clémence. Elle qui semblait tant espérer les revoir, et qui aimait tant entretenir ses souvenirs de famille, Andran ne pouvait pas l'empêcher de les revoir. Il se dirigea vers les cuisines, car, en ces heures, la belle était sûrement aux fourneaux, elle qui s'était trouvée un goût pour la cuisine. Comme quoi, il connaissait bien sa protégée, car il la trouva bien en cuisine.

« Clémence, je… vous avez de la visite. Ce sont… vos frères, Courtois et Digne, qui est venu avec sa femme. Enfin, c'est ce qu'ils m'ont dit, mais les descriptions que vous m'avez faites de vos frères collent avec ce que j'ai vu. Digne est roux, et Courtois vous ressemble en plusieurs points. » dit le chevalier, alors que sa voix trahissait sa nervosité. « Ils sont dans le salon. Suivez-moi, ils vous attendent. »

Andran amena la jeune femme à ses deux frères, qui s'étaient assis sur les chaises. Il était nerveux, mais les liens du sang étaient trop forts entre Hadjaoui. Une force que le chevalier ne pouvait comprendre, lui qui n'entretenait plus aucun lien avec son seul frère, mais qu'il subissait car c'était la seule chose à faire.

« Je crois que… je vais vous laisser seuls. Je suppose que vous préférez rester en intimité dans cet instant. »

Les mots du chevalier surprirent les trois vaanis et les rendèrent euphoriques tout à la fois. Quoi que cela demeurait assez discret en ce qui concernait la masse de muscles. Ils entèrent cependant sans la moindre hésitation et attendirent là où le leur demanda. Ils avaient peine à y croire. Après toutes ces années de recherches et ces tentatives échouées, ils arrivaient enfin au terme de leur quête à propos de Clémence. C'était sans nul doute celle qui leur avait donné le plus de fil à retordre depuis le début.

Dans la cuisine, la belle estrevine œuvrait avec plaisir. Après avoir dû tenir le lit plusieurs jours, elle pouvait enfin reprendre ses occupations préférées. Andran lui redonnait des leçons de lecture et d'écriture. Ils pouvaient ressortir pour se promener ou simplement faire des courses pour le dîner. Elle mettait en pratique les conseils d'Hans en testant des recettes du livre qu'il lui avait donné. La vie reprenait son cours et, si la situation n'était pas tout à fait revenue à la normale pour ce qui était de sa relation avec l'Inquisiteur, les choses évoluaient néanmoins dans le bon sens. Il se montrait doux, attentionné et patient. Tout ce dont elle avait besoin. Aussi, lorsqu'elle le vit apparaître sur le pas de la porte, elle étira un sourire, ravie par son activité mais aussi touchée par sa vision. Cependant, ce qu'il avait à lui dire changerait bien vite l'expression de son visage.

-De la visite ? Fit-elle, un peu surprise mais sans se départir de son sourire pour autant. Elle commença à essuyer ses mains pleines de farine sur son tablier lorsque le chevalier poursuivit. Là, les traits de la métisse perdirent subitement leur éclat. La stupéfaction se lisait sur son visage tout autant que le choc de l'information qu'il lui apportait. Quoi ?...

Digne... Et Courtois... Ici ? Andran avait-il seulement réalisé qu'elle n'espérait même plus les revoir un jour ? Qu'elle avait abandonné cette idée ? Qu'elle se tapissait dans ses souvenirs pour moins en souffrir ? A moins de retourner elle-même chez elle, elle n'imaginait pas que sa route recroiserait un jour celle d'un seul membre de sa famille. Et, comme elle l'avait déjà exprimé, elle n'avait pas l'intention de faire un si long voyage alors qu'elle n'avait aucune piste, aucun point de départ pour entamer des recherches. Pourtant, ils étaient deux à frapper à sa porte ce jour-là !
L'Inquisiteur la guida à travers les couloirs qu'elle connaissait pourtant assez bien désormais. Mais il s'était fait son escorte dans ce moment où elle ignorait encore si elle devait se réjouir ou non... Un espoir venait de se rallumer soudainement en elle mais de manière si brutale qu'elle n'osait encore y croire.

Et puis, ils arrivèrent sur place et Clémence se stoppa net. La première chose qu'elle vit, c'était cette montagne de muscles tatoués qui se tourna pour poser sur elle son regard presque dur malgré le sourire qui s'immisça discrètement sur ses lèvres après avoir détaillé la jeune femme.

-Saygili ?... Fit-elle comme si elle n'était pas tout à fait sûre d'elle. Elle approcha d'un pas. Saygili ! Et elle s'élança finalement vers lui. Elle se jeta dans ses bras dans une étreinte à la hauteur de cet instant, plein de joie et de rêves réalisés. Suspendue à son cou tandis qu'il la serrait contre elle avec une force mesurée, ils échangèrent des mots dans leur langue si chantante. Pendant ce temps, Digne se contenta de les observer mais on lisait dans ses yeux le miracle qui était en train de se réaliser devant lui. Il avait passé un an sur ces terres à la chercher sans jamais parvenir à la trouver... Et elle était là. Tout simplement là. Il était trop jeune pour se rappeler vraiment de ses traits. Il était trop jeune pour être capable de reconnaître l'enfant dans la femme qu'elle était devenue. Mais son aîné ne pouvait s'y tromper, lui.
Finalement, Clémence se détacha enfin de Courtois. Ils échangèrent un regard alors que le visage du colosse semblait s'être un peu déridé. Puis elle se tourna vers le jeune homme qui se tenait un peu en retrait. Prise d'un doute, elle se tourna vers son premier frère pour lui demandé une confirmation silencieuse. Andran lui avait parlé de Digne mais elle n'était pas sûre de le reconnaître sous cette masse de cheveux bouclés et avec ce bouc. Mais Saygili lui adressa un signe entendu... Alors, elle fit de nouveau face au rouquin, quittant lentement les bras du géant. Elle s'avança avec plus de prudence tandis qu'elle détaillait son visage.

-Layik ?

Le jeune homme écarta les bras et formula quelques mots estrevins avec bien moins de difficultés qu'il ne parlait péninsulaire.

-C'est bien moi. Clémence progressait toujours et arriva à un pas de lui. Elle s'arrêta, toujours partagée entre la joie et le trouble. Elle ne retrouvait pas le bambin qu'elle avait connu.
-Tu voles toujours des pommes ?

Le jeune homme leva un doigt en l'air tel un enseignant corrigeant son élève.

-C'était des prunes. Seulement je ne savais pas faire la différence à l'époque. Il ne parvint pas à s'empêcher de sourire, se moquant de sa propre ignorance d'enfant. Et je crois que le Père Khasham ne se porte pas plus mal de ne plus les voir disparaître de son verger.

Ce souvenir provoqua un doux rire nostalgique chez les Hadjaoui et, finalement, Clémence franchit le dernier pas qui la séparait de son cadet pour le prendre à son tour dans ses bras. Son étreinte fut cependant plus courte alors que le chevalier leur annonçait qu'il les laissait un peu seuls. La métisse se redressa aussitôt. Elle le vit disparaître dans le couloir... Elle s'excusa auprès de Digne et s'élança à sa suite.

-Andran, attendez ! Elle le rattrapa et, dès qu'elle fut à sa hauteur, elle lui prit délicatement la main. Restez... S'il vous plaît.

Il n'avait aucune raison d'accepter. Officiellement, ils n'étaient plus en couple. Ils ne cherchaient plus à construire un avenir ensemble. Un avenir dont ils n'avaient même jamais parlé. Cependant, même s'ils étaient ses frères et même si elle était folle de joie de les retrouver, l'Inquisiteur était la personne qu'elle connaissait le mieux dans ce bâtiment. Il faisait partie intégrante d'un pan de sa vie désormais. Et elle voulait partager ce moment avec celui qui lui avait sauvé la vie et qui, au bout du compte, avait rendu tout cela possible.

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La nuit était tombée. La soirée avait été des plus animée. L'Ordre avait accueilli et invité les trois vaanis pour le dîner. Les discussions aux tonalités chantantes étaient allées bon train. Fort heureusement pour les deux chevaliers, Aislinn était toute disposée à leur faire la traduction. Elle était péninsulaire de naissance mais aussi noble de sang. Ce qui rendait sa relation avec un affranchi d'autant plus surprenante sans doute. La conversation était resté concentrée sur des souvenirs essentiellement mais aussi quelques récits concernant leurs péripéties pour tenter de retrouver Clémence. Ce fut ainsi que la métisse découvrit qu'Aimé avait fait le voyage avec Digne la première fois. Courtois évoqua également Sauveur avec qui il travaillait comme mercenaire pour la Princesse Marchande qui les avait tiré de l'école des gladiateurs.

Finalement, il se fit tard. Les deux frères prirent congés, se donnant rendez-vous pour le lendemain. Maintenant qu'ils étaient enfin arrivés à destination, ils allaient se donner quelques jours pour se reposer un peu avant d'envisager le voyage en sens inverse. Un voyage plus direct cette fois. Clémence les laissa partir à regret et avec l'adresse d'une auberge située non loin que l'Inquisiteur leur fournit.

Dans la cuisine, l'estrvine rangeait le désordre que cette soirée avait créé. Un désordre semblable à ces repas à Sainte-Berthilde avec la vingtaine de chevaliers qui y résidait. Il fallait débarrasser assiettes et couverts sales, ranger le pain, le sel, la cruche d'eau, entamer la vaisselle... Et il se faisait déjà bien tard. Cependant, la belle continuait malgré la fatigue, et l'esprit un peu préoccupé. Soudain, une voix la sortit de sa rêverie et elle sursauta en se tournant vers Andran, une main sur le cœur.

-Oh... Fit-elle pour se calmer elle-même. Pardonnez-moi. J'avais la tête ailleurs. Vous disiez ?

Visiblement, les visiteurs n'avaient pas menti sur leur identité, car Clémence, au départ hésitante, ne se retint pas longtemps de leur sauter au cou. Après avoir vécu des années et des années loin d'eux, les voilà qu'ils étaient en vie et qu'ils venaient la chercher. De telles retrouvailles laissèrent le chevalier perplexe, lui qui ne s'imaginait pas du tout le même scénario s'il revoyait son frère aîné.

Mais pour une fois, le chevalier voyait Clémence heureuse, et démonstrative. On était loin de celle qui était réservé et discrète. Au moins, elle n'avait pas menti ni minimisé son attachement à sa famille. Si Andran avait légèrement moins pensé au fait qu'elle pouvait le quitter d'un moment à l'autre, il aurait constaté plus facilement que sa joie de les revoir concordait avec le bonheur qu'ils lui inspiraient.

Alors qu'il s'apprêtait à rejoindre Spahi, qui n'avait probablement même pas suivi ce qu'il s'était passé ici, ou alors de loin, Clémence le retint par le bras, lui demandant poliment de rester. Pour ainsi dire, il était seul à connaître le nom de ses frères et sœurs, et elle n'avait connu de relation intime (au sens large) qu'avec lui. Il hésita sincèrement à rester. Andran et Clémence n'étaient plus en couple, mais le chevalier progressait pour obtenir son pardon. En bref, il ne préférait pas s'imaginer expliquer sa relation avec la jeune femme. Mais, Clémence était sûrement sincère dans sa volonté de voir Andran rester avec eux.

« Très bien. Je vais rester avec vous. Laissez-moi simplement prévenir Spahi de ce qu'il s'est passé, et je reviens vers vous. » accepta-t-il, d'une voix trahissant sa gêne.

Il étira un léger sourire à destination de Clémence, avant de monter à l'étage pour raconter à Spahi ce qu'il s'était passé. Les visiteurs étaient de la famille de Clémence, et le chevalier voulait leur laisser de l'intimité, même si la jeune femme lui avait demandé de rester. Heureusement, le jeune homme se montra compréhensif, et Andran lui avait promis qu'il pourrait les rejoindre un peu plus tard.

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Finalement, les retrouvailles entre Hadjaoui se déroulèrent dans une ambiante bonne humeur. Ils avaient même partagé un repas avec les deux chevaliers et Aislinn, la compagne de Digne. Elle devait également ne pas trop savoir où se mettre face à ses retrouvailles familiales. Ou alors, seul Andran était gêné car il était le seul à détester sa famille.

Plus tard, les deux frères prirent congé. Les chevaliers avaient convié les visiteurs à prendre place dans les dortoirs. Fort heureusement, trois lits étaient encore vacants. Andran et Clémence étaient restés pour débarrasser la table et ranger la vaisselle.

« Clémence, vous êtes lessivée. Vous devriez aller vous coucher. » dit le chevalier, qui fut surprit de se confronter au silence de sa protégée. Elle ne réagit que quelques instants plus tard, lui demandant de répéter ce qu'il venait de lui dire. « Je disais que vous devriez sûrement aller vous coucher. Cette journée a été intense en émotion pour vous. Je ne vous avais pas vu aussi heureuse depuis longtemps, mais les émotions ont tendance à saper de l'énergie. »

Clémence entendit les paroles bienveillantes du chevalier et ne put s'empêcher de lui adresser un doux sourire reconnaissant envers l'attention qu'il lui témoignait. S'il était un bon protecteur au moment de leur rencontre, il était plus attentif encore depuis quelques temps. L'envie de se racheter sans doute, non seulement après l'épisode de Diantra mais aussi parce qu'il l'avait sans le vouloir poussée à une fatigue qui avait favorisé la maladie. Il n'y était pour rien, elle le lui avait déjà dit. Après la vie qu'elle avait enduré, elle aurait dû être plus solide que ça. Cependant, leur histoire et leurs déboires l'avaient fragilisée et les deux premières nuits à Eyrolles l'avait achevée. A présent, elle n'avait de cesse de lui répéter qu'elle allait bien. Et ce serait encore le cas aujourd'hui... Car ce n'était pas tant la fatigue le problème qu'une certaine forme d'angoisse.

-Ça va... Ce... Ce n'est pas ça.

Elle esquissa un sourire qui disparut aussi vite et se retourna pour poser la pile d'assiettes qu'elle tenait dans les mains près du baquet à vaisselle. Elle ne savait pas vraiment comment aborder le sujet sans qu'il y ait méprise sur le sens de ses paroles... Ni si elle devait l'aborder... Ou même si elle en serait capable. C'était si délicat à dire... Pourtant, Andran n'était pas touché par la question. Il serait sans doute le plus à même de l'aider, de la conseiller, sans risquer de le vexer ou de le blesser.

-Je suis heureuse de les voir, c'est vrai. C'est... inespéré.

Cette fois, ses traits s'illuminèrent d'un bonheur aussi pur que sincère. Elle parlait souvent d'eux et toujours au présent. C'était un moyen de garder espoir mais, à présent, elle se rendait compte qu'elle n'avait fait que maintenir une illusion. Et son regard brillant de joie se teinta légèrement de tristesse et d'angoisse.

-Je suis contente de savoir qu'il sont en vie... et qu'ils sont libres... mais... Sa voix se noua légèrement, la rendant un peu plus rauque. J-J'ai peur aussi. Peur de poser certaines questions... Peur des réponses qu'ils me donneront... Pourquoi se sont eux qui sont venus ? Où sont les autres ?... Est-ce qu'ils vont bien ? Une larme coula sur sa joue et un sanglot la fit tressaillir. Il peut se passer tellement de choses en une journée alors dix-huit ans...

Elle se sentait si idiote en cet instant... Telle une enfant, elle avait conservé une image en tête, celle de son père, de ses mères, de ses frères et de ses sœurs tous réunis sur leurs terres, dans leur maison... Pourtant, leurs terres n'étaient plus les leurs et leur maison était-elle encore seulement debout ? Elle avait tellement maintenu cette image qu'elle ne s'était pas préparée à la réalité. Elle n'osait même pas penser aux mots qui blessaient... Aux mots qu'elle redoutait.
Les joues rayées par quelques larmes, elle tourna enfin son regard vers celui d'Andran. Quelque part, elle était en colère contre elle. En colère, déçue et honteuse.

-J'ai été naïve... J'ai moi-même créé une utopie autour de ma famille et, maintenant que deux de mes frères sont là, j'ai si peur qu'elle se brise...

Pour sûr, la tristesse de Clémence affecta le chevalier, qui n'avait pas les armes pour l'apaiser. Il ne connaissait pas une telle relation avec sa famille, et il ne croyait plus réellement en l'amour fraternel. Andran avait plus tendance à espérer ne plus jamais revoir son aîné qu'à lui souhaiter de trouver l'amour et d'avoir plein d'enfants. Enfin, son dédain s'était un peu adouci avec le temps, mais il demeurait incapable de la surmonter.

« Vous êtes une femme désormais, et ils ont également grandis. Vos relations étaient vouées à évoluer, car vous n'êtes plus des enfants… et vous n'êtes plus des esclaves. »

Intérieurement, le chevalier ne savait même pas si ce qu'il disait avait le moindre sens ou procurait le moindre réconfort. Si la situation n'était pas aussi émouvante, il aurait nerveusement ri tant il se sentait ridicule. Voilà maintenant qu'un homme qui détestait sa famille donnait des leçons d'amour fraternel. Quoi qu'il en dise, la fraternité de l'honneur et des armes étaient fondamentalement différentes.

« Vous finirez par savoir ce qu'il est advenu des autres, tôt ou tard. Si Digne a pu refaire sa vie, c'est plutôt encourageant, n'est-ce pas ? Il faudra bien leur poser la question, vous ne pensez pas ? Je gage que ce sera difficile d'encaisser les mauvaises nouvelles, mais après tout, vous en avez déjà retrouvé deux. »

Même s'il s'abstint de le lui rappeler, Andran savait que Courtois avait également une place plus particulière dans ses souvenirs. Pour sûr, le bougre avait sûrement triplé en taille et en masse musculaire et il avait l'allure d'un bagarreur impitoyable, mais Clémence avait sûrement changé aux yeux de son frère. Il leur faudrait peut-être du temps pour recouvrer leur complicité, mais nul doute que cela irait assez vite. Andran prit les mains de sa compagne et les serra d'une force qui se voulait réconfortante.

« Quoi qu'il arrive et quoi que vous apprendriez, je serai présent pour vous épauler si jamais vous en ressentez le besoin. D'accord ? »

Si les premières paroles d'Andran lui laissèrent à penser qu'il n'avait pas tout à fait compris sa crainte, ses derniers mots la convinrent du contraire et elle ne put que lui répondre par un sourire. Elle avait certes retrouvé sa famille mais le chevalier restait un point d'ancrage sur lequel elle pouvait compter. Il était si patient depuis sa promesse... Elle voyait les efforts qu'il fournissait pour lui plaire et sa constance à vouloir demeurer près d'elle dans l'épreuve. Elle allait l'en remercier le plus simplement du monde lorsque deux coups furent donnés sur le montant de la porte. Elle tourna alors un regard légèrement surpris vers un Digne qui affichait un sourire contrit.

-Désolé. Commença-t-il en péninsulaire avant de continuer dans sa langue natale. Aislinn a oublié son sac. Dit-il en montrant la besace au pied du banc ou la Dame était assise un peu plus tôt. Et j'ai entendu bien malgré moi... Si tu veux, je peux te libérer de ses questions tout de suite. Proposa-t-il.

Le jeune rouquin fit en sorte de rester aussi neutre que possible. Il se doutait que ces questions tarauderaient Clémence et l'empêcheraient de trouver le sommeil au moins une bonne partie de la nuit. Cependant, si jamais elle préférait repousser à demain, il ne voulait pas laisser entendre qu'il avait quelques malheurs à lui apprendre. Bien qu'elle puisse s'en douter car, dans le cas contraire, il lui aurait simplement dit que tout allait bien dans le meilleur des mondes pour toute la famille...
Clémence hésita un instant puis finit par hocher la tête avant d'expliquer à Andran ce qu'il se passait. Digne invita sa sœur à s'asseoir et elle s'exécuta, conservant une main du chevalier dans la sienne. Elle ne voulait pas qu'il la laisse seule. Pas maintenant... Le jeune homme prit une feuille et un fusain avant de venir s'installer à côté d'elle. Il demanda si son protecteur connaissait un peu leur famille et il commença dessiner leur arbre généalogique, à ceci près qu'il était sans doute un peu différent de celui des péninsulaire. Il partait de leur père pour aller vers ses trois épouses et continuer sur leur descendance à chacune.

Digne commença par les bonnes nouvelles, laissant à Clémence le soin de traduire ce qu'il disait au chevalier.
Une fois n'était pas coutume, il parla de lui en premier. Il avait évité les arènes de gladiateurs grâce à Aimé et n'avait donc jamais eu à divertir le "bon peuple d'Ithri'Vaan" en se battant pour eux. Il était en couple avec Aislinn depuis plusieurs années : leur relation n'avait pas toujours été simple, bien indépendamment de leur volonté, mais ils étaient sincèrement amoureux.
Sauveur et Courtois avaient pu quitté l'école de gladiateurs grâce à leur mécène qui leur avait demandé en échange cinq années à son service. Ils achevaient la troisième. Courtois était un indécrottable célibataire, bien qu'il entretienne une relation assez suivie avec une demie-drow, tandis que Sauveur était un bourreau des cœurs : il avait une compagne avec qui il avait deux petites filles d'un an (raison de son absence dans ce voyage) et une seconde amante qui leur avait permis de récupérer les terres qui leur avait été volées lors de leur mise en esclavage.
Aimé avait donc quitté la vie de gladiateur depuis six ou sept ans après être devenu un champion reconnu, emmenant Digne avec lui pour le préserver de cette vie. C'était lui qui avait repris la responsabilité de leurs terres et, la chose étant toute récente et l'ancien propriétaire s'en occupant comme un manche, il avait énormément de travail et n'avait pas pu se joindre à leur équipe.
Ils avaient retrouvé Patience par un heureux hasard. Elle était alors esclave d'une des plus importantes personnes du Puy d'Elda. Depuis, elle avait retrouvé sa liberté et était rentrée avec son fils de trois ans. Elle prêtait main forte à Aimé actuellement.

Clémence nota que son frère ne parlait déjà plus des hommes de la famille alors qu'ils avaient pourtant tous été vendus à la même école de gladiateurs. Son ventre se noua alors qu'elle lui demandait pourquoi il avait changé de direction dans son récit. Mais elle savait qu'elle avait besoin de la réponse car elle serait la seule à pouvoir faire taire l'angoisse qui venait de naître en elle et serrait si fortement la main d'Andran. Digne marqua une pause puis, dans un soupir, entreprit de lui répondre.

Aimé n'avait pas été le premier à tenter de devenir un champion d'arène dans un combat à mort pour tenter de les libérer. Leur père avait initié cette idée, suivi par Aimé. Ensemble, ils devaient libérer les deux plus jeunes de la famille avant leur premier combat. Mais Honoré avait perdu son duel... Et ce fut le premier coup de massue pour la jeune femme dont le rêve se brisait sous ses yeux tandis que Digne rayait ce rond en haut de la pyramide et qui représentait le patriarche. Cependant, le jeune homme prit le parti de ne pas s'arrêter et de lancer tous les drames à la suite les uns des autres. Il barra ensuite le rond qui représentait Serein... Il avait lui aussi perdu son combat à mort quelques années plus tard. Puis, il répéta ce geste pour Nadea, la mère de Sauveur et Modeste, dont ils avaient retrouvé la tombe à Baaz'Hima. Enfin, il traça un symbole qui ressemblait étrangement à un point d'interrogation sur les emplacements des deux autres mères de la famille. Ils ne les avaient pas encore retrouvées mais continuaient leurs recherches. Quant à Modeste, Sauveur était sur une piste qu'il s'apprêtait à exploiter au moment de leur départ et ils espéraient de bonnes nouvelles à leur retour.

Alors que Digne achevait son résumé aussi rapidement que possible pour abréger la souffrance de sa sœur, celle-ci pleurait à chaudes larmes et détourna enfin les yeux du parchemin et de ces ronds barrés... C'était fait. Le rêve n'existait plus. Elle était dans la réalité et elle n'était pas aussi belle qu'elle aurait pu naïvement l'espérer. Trois étaient morts -dont certains de manière très violentes- et trois étaient toujours disparues. Parmi eux, les piliers de la famille... Leurs parents. Non seulement elle n'avait pas vu ses frères et sœurs grandir pour devenir des hommes et des femmes, mais en plus elle n'avait plus ce repère, ce cocon rassurant que représentait un père et une mère. Elle se sentait soudain si seule... Entourée, mais pourtant si seule... Car si Digne partageait sa douleur, il avait fait ses deuils les uns après les autres et depuis bien longtemps pour certains.
Andran et lui firent front commun pour tenter de consoler la jeune femme dont les larmes s'éteignirent d'elles-mêmes. Le chevalier, par pudeur ou par noblesse, n'avait eu qu'un baiser sur sa tête en tentative de réconfort mais elle n'eut pas autant de scrupules que lui et se laissa aller à se poser sur son épaule afin de lui réclamer une étreinte. Les observant, Digne ne pouvait qu'imaginer la relation qui les unissait même s'il demeurait un doute... Il n'était guère habitué aux réactions des péninsulaires... Une chose était sûre, Clémence et lui étaient proches. Il ne s'offusqua pas de la voir demander les bras d'un homme qu'il ne connaissait pas plutôt que ceux de son frère qu'elle n'avait pas vu depuis près de deux décennies.
Lorsqu'elle fut un peu calmée, la fatigue rattrapa la jeune femme et tous deux la ramenèrent jusqu'à son lit. Digne fut assez surpris en découvrant ce dortoir qu'elle partageait avec les deux chevaliers mais ne dit rien. Elle ne lui avait pas semblé en danger, elle était en confiance avec ses hôtes.
Enfin il pris congés pour ne revenir qu'au matin.

Alors qu'Andran tentait d'apporter réponse et réconfort à sa protégée, le jeune frère de la belle revint afin de récupérer le sac que son épouse avait oublié de prendre en partant. Le chevalier se garda de tout commentaire désobligeant, d'autant plus qu'il n'était pas non plus arrivé à un moment réellement intime. Dans sa propre langue que Clémence lui traduisit, le jeune rouquin avait avoué avoir écouté aux portes. Digne avait donc les réponses aux questions et aux craintes que Clémence venait de confier au chevalier. Cette dernière hésita longuement avant de choisir d'obtenir les réponses. Andran demeura avec elle, plus impassible et assuré que sa protégée.

Au fur et à mesure que Digne annonçait les nouvelles, Clémence opéra les traductions pour le noble de Péninsule. Le rouquin avait trouvé un parchemin et de quoi écrire pour dessiner un arbre généalogique, celui de sa famille. Andran découvrit alors que les Hadjaoui savaient lire et écrire, contrairement à Clémence, qui pouvait ré-apprendre à parler et écrire sa langue. Le jeune homme fit alors le récit de ceux qui avaient survécu dans un premier temps, car les meilleures nouvelles étaient plus faciles à annoncer.

Cela n'effacera pas la mort de son père, d'une de ses mères et d'un de ses frères, c'est vrai. Le doute subsistait sur d'autres membres de la famille, mais si Clémence n'avait pas cet état d'esprit, Andran, lui, trouvait que ces nouvelles étaient encourageantes. La jeune femme était en pleurs, et jamais le chevalier ne l'avait vu pleurer autant. Encore une fois, son vécu l'empêchait de concevoir un tel amour fraternel. Andran savait qu'il ne pleurerait pas la mort de son frère aîné. Le chevalier et Digne tentèrent de la réconforter, en lui serrant la main, par des étreintes ou par des petits bisous, mais rien n'y faisait : la belle était dévastée.

Au moins, il était toujours possible de retrouver vivants certains membres de leur famille. Les Hadjaoui ne pouvaient plus être réunis au complet, mais ils pouvaient espérer réunir la grande majorité des membres et d'aller de l'avant, malgré la mort de certains d'entre eux. Pour ce qui est de Clémence, il valait mieux tout lui révéler le plus tôt possible, pour qu'elle puisse faire son deuil et qu'elle ne se braque pas devant la réalité. C'était un mal pour un bien.

Ses larmes finirent par cesser, et dès lors, Digne put repartir, et Clémence se préparer pour aller se coucher. Andran attendit que Digne soit loin pour glisser quelques mots à la jeune femme avant d'aller se coucher de son côté.

« Vous ferez votre deuil, petit à petit, et vos frères et moi seront là pour vous épauler. Profitez d'eux, Clémence. Vous avez rêvé de les revoir toute votre vie, et vous avez l'occasion de revoir plusieurs de vos frères et sœurs. Je sais à quel point vous êtes attaché à votre famille, et que la disparition de certains d'entre eux est difficile, mais ne laissez pas les morts prendre le pas sur les vivants. Ne faites pas cette erreur que j'ai déjà commise. »

Andran lui avait déjà avoué avoir laissé le deuil de son meilleur ami le rendre aigri et froid. Celui de sa tutrice lorsqu'il était page également. Bref, le chevalier avait déjà perdu des êtres qui lui étaient chers. Et, si l'amour fraternel lui était étranger, il avait suffisamment connu de deuil pour pouvoir aider Clémence à faire le sien et à faire en sorte qu'elle ne laisse pas sa tristesse détruire ses relations avec les autres. Le noble lui adressa plusieurs baisers sur le front et les joues pour la réconforter, et ces étreintes furent bien moins réservés que celle qu'il lui avait accordé devant Digne.

Il profitait également de cette situation car, dans quelques jours, Clémence allait repartir avec ses frères pour rentrer chez eux, pendant que le chevalier allait jouter en Oësgard. Pour la première fois, ils seront séparés par de grandes distances, et pour une longue durée. Il aurait voulu que cela n'arrive qu'une fois avoir totalement reconquis le cœur de la jeune femme, mais il pouvait au moins se targuer d'avoir fait le maximum. Leur relation s'était améliorée, malgré tout. Andran finit par laisser Clémence aller se coucher, et il partit rapidement se coucher également, car la fatigue commençait à l'assaillir.