[Mare Noire] L'Ombre d'un dangereux héritage | Artiön

Dans un silence tout relatif, le temps s’écoule. Lentement. La druidesse et toi partagez un instant d’une doucereuse tristesse. Tu profites de la compassion de celle qui a créé chez toi le besoin de compassion. Tu profites, tout confus que tu es, de la présence celle qui s’est aujourd’hui faite pansement à la plaie qu’elle a elle-même ouverte, sans savoir réellement quoi en retirer.
Fallait-il que cela te suffise à pardonner ? Fallait-il que tu acceptes la douleur comme une inévitable étape ? Fallait-il au contraire voir en cela un rappel de votre faiblesse à tous, y compris de celle des hérauts de La Mère ? Tu ne le sais pas. Tu n’en serais probablement jamais certain. Tu ne pourrais qu’y réfléchir, et péniblement essayer de comprendre l’état de tes propres sentiments.

Si seulement Kaëlistravaë était là pour t’épauler…

Ton oreille frémit. Tu reconnais des voix. Tes doigts se délient d’entre ceux de Lareless et viennent chasser les résidus de larme de sur ton visage. Si les éperviers sont ici, c’est qu’un message important t’est destiné, alors tu te lèves, et offrant un regard à mi-chemin entre accusations et remerciements à la druidesse pour tout au-revoir, tu t’en retournes vers les tiens. Comme elle aussi peut s’en retourner vers les siens.
Eperviers et Ornedhels arrivent ensemble. Les uns t’accueillant parmi eux pour te souffler leur version des derniers événements du Chapitre Blanc et te convier à en rejoindre le Doyen ; les autres entourant la druidesse pour partager avec elle ce qu’eux avaient retiré de cette dernière rencontre. Quelques discrets regards s’échangent entre les deux groupes, lourds de sens à défaut d’être expliqués par des mots.

Là-dessus vous vous sépariez.

De bonnes nouvelles. Tu espérais qu’il s’agisse de bonnes nouvelles. Tout portait à croire qu’il s’agisse de bonnes nouvelles. Les éperviers t’avaient laissé comprendre que le rituel de stabilisation de Laurënis était un succès, et que malgré l’attaque d’une ombre, personne n’avait été blessé. En ce qui te concerne, tu te rendais bien compte que la Trame avait regagné de sa stabilité. Le souffle d’arcane qui émanait du Puits et balayait Alëandir s’estompait, laissant loisir aux jeteurs de sorts les moins adroits de reprendre leurs pratiques et apprentissage sans risque. Que l’on ne vienne pas t’annoncer un quelconque tragique contrecoup et tu pourrais enfin profiter d’une véritable victoire.

Tu souris. Une véritable victoire. À voir l’expression de celle auprès de qui tes pas t’avaient mené, le goût d’une véritable victoire t’imprégnait de plus en plus les papilles. Quelques coups frappés à la porte des bureaux du Doyen par une Laurënis à l’air satisfait vous en ouvrirent les portes. Deux pas en avant te dévoilèrent au Maître des Lieux. En cette heure, ton Souffle était plus fait d’espoirs que de doutes. Puisse l’Archimage Ineinior ne pas les briser.

- Heru Lòmion, vous m’avez fait demander ?  

Tu acquiesces discrètement, rendant au Doyen son sourire. Si les mages extérieurs au Chapitre Blanc avaient su, tu te demandes comment eux auraient réagi à ta place. Pas besoin d’imaginer leur réaction au retour d’une Trame stabilisée ; celle-là tu avais eu tout loisir de la voir durant la traversée des couloirs, mais s’ils avaient su ce à quoi vous veniez potentiellement d’échapper… est-ce qu’eux se contenteraient d’un fin sourire et d’une conversation autour d’une table ?

- Un portail… tes doigts viennent se poser à ton menton Une idée d’où il mène ?

Tu t’étonnerais presque d’être capable de poser ce genre de question sans lever les sourcils haut au point de les voir se décoller de ton visage. Ce genre d’artefacts, ce genre de manifestations magiques, ce n’était pas ce que l’armée vous enseignait à affronter. Ton cursus à toi – bien qu’il ait été tout sauf imperméable à la théorie – visait des applications bien plus pratiques, et bien plus terre-à-terre de la magie. Ce que tu avais d’érudition était surtout ce qui te permettait d’un côté d’exploiter la Trame d’une manière qui donne à tes sortilèges plus de poids, et de l’autre d’anticiper sur les potentiels sortilèges que pourraient déployer des ennemis.

Mais à la guerre, il n’était que trop peu question de complexes rituels, de glyphes et de vaisseaux.

Alors tu t’étonnais de ne pas t’être posé plus de questions, et d’avoir ainsi accepté la déclaration de Lòmion comme s’il s’agissait d’une évidence. Comme si tu savais exactement de quoi il en retournait lorsque l’on parlait de portail. Peut-être ces quelques ennéades à régulièrement consulter le Chapitre Blanc t’avaient-elle exposé à plus de choses étranges et logiques alambiquées que tu ne t’en étais rendu compte.

- Et vous êtes certains que maintenant stabilité, son entropie est assez basse pour que l’Œuvre soit en sécurité ?

Parce que c’était finalement là ton premier point d’intérêt. La sécurité des tiens. L’utilité – ou son absence – des Ornedhels ne t’importait pour l’instant que peu. S’ils s’étaient encore lancés dans une croisade contre les Citadins, s’ils avaient encore et toujours continué de s’essayer à vous réduire, s’ils avaient cherché à remettre en question vos décisions, votre expertise, vos talents et votre légitimité, tu l’apprendrais bien assez tôt. Nul doute que Laurënis, toute satisfaite qu’elle soit, si tu n’amenais pas toi-même le sujet, ne le prenne à bras le corps et te fasse regretter d’être allé contre son commandement.

Mais si Lòmion confiait les vôtres être dorénavant en sécurité, alors qu’elle plaise ou pas à ta collègue, tu serais en paix avec tes décisions. Que la vie puisse reprendre, c’est tout ce que tu demandais.

Stabilisé et maintenant sans danger. La nouvelle aura eu le mérite de t’arracher un long soupir, et de te libérer d’au moins une partie des tensions accumulées. Tes avant-bras chutent lourdement sur la table, et tes poumons vidés, ton buste s’avachit quelques peu. Tu te creuses une place dans cette nouvelle position sur une chaise trop petite, avant de te redresser, le soulagement lisible sur ton visage, et la curiosité attisée par le soulagement.

- Le Plan des Ombres donc… ton front se plisse J’ai toujours trouvé cette Voie de la magie tellement… imprévisible. imprévisible et dangereuse, et le peu de mages d’Ombres parmi les Sylvains laisse facilement entendre que tu n’es pas le seul Je me demande si les mages à l’origine du Portail s’attendaient à ce qu’il adopte ce genre de comportements.

Probablement pas. S’il s’y attendaient, ils n’auraient certainement pas pris le risque de briser leur propre rituel pour que l’un de leurs cristaux soit envoyé à Lomëar. Et s’il s’y attendaient, ils auraient probablement laissé à la postérité plus d’outils pour gérer un phénomène d’une telle magnitude. À vrai dire, tu étais même étonné que des mages aient pu être à l’origine d’un phénomène d’une telle magnitude. Certes, la magie de votre peuple est puissante, et les érudits d’antan – par manque d’une érudition que seule le temps et l’expérimentation amènent – moins précautionneux. Mais de là à générer un construct arcanique d’une ampleur non sans rappeler celle des Nœuds… comment ?

- Nous pouvons au moins nous féliciter d’avoir su gérer la situation sans trop de heurts.

Tes pupilles s’abaissent. Sans trop de heurts. Aegden et Lyorindel ne seraient plus jamais les mêmes après ce qu’ils venaient de vivre. Comme toi tu ne serais jamais le même. Tu sais les efforts que cela t’aura coûté de regarder les Ornedhels en face après ce qu’ils avaient pu faire durant ces dernières ennéades. Tu ne le voulais pas, et tu ne le veux toujours pas, mais quelque chose est mort en toi en apprenant jusqu’où même une druidesse avait pu aller pour vous empêcher de faire ce qui aura finalement sauvegardé votre monde tel que vous le connaissez. Et ce qui est mort n’a pas retrouvé la vie lorsqu’elle s’est présentée aux portes de la Cité, malgré des intentions adoucies.

Jusqu’où iraient-ils la prochaine fois ?

C’est la question au centre de ton esprit maintenant que le souci du Portail n’est plus. Comment faire pour que ces affrontements fratricides cessent ? Qu’il s’agisse du moment où tu t’es proposé en tant qu’Aran ou d’aujourd’hui, tu ne t’es que trop peu positionné quant à la gestion des conflits entre Taledhels et Ornedhels. Qu’il s’agisse du moment où tu t’es proposé en tant qu’Aran ou d’aujourd’hui, tu n’as aucune idée de comment gérer cette problématique. À titre personnel, tu as plusieurs fois interagi avec eux. À titre personnel et à petite échelle tu as déjà essayé de nouer le dialogue, et de permettre à vos univers de se rencontrer… avec des résultats mitigés. À Daranovar tout était tellement plus simple !

Sur le Trône comme à la guerre, parfois un combat en amène un autre.

Le regard pesant de la mage du Chapitre Blanc attire le tien, et dans l’expectative, voyant ses lèvres frémir, tu penses déjà une réponse avant même qu’elle ait parlé. Toujours égale à elle-même, Laurënis s’impose en tant que Protectrice du Secret, et par la même occasion, se voulait défenseuse de la tranquillité de la Cité Blanche. Difficile d’ailleurs de lui donner tort. Tu sais très bien quel engouement – positif comme négatif – une telle découverte pourrait provoquer chez les tiens. Les uns seraient tentés de parti de l’artefact, de quelque manière que ce soit, peut-être sans respecter assez scrupuleusement les recommandations de ses gardiens. Les autres seraient tentés, comme l’ont été les Noss, de le détruire, craignant par manque de confiance dans ses gardiens que la puissance du Portail ne soit un jour retournée contre l’Œuvre.

- Après l’onde de choc de l’ennéade dernière, difficile de garder le secret entier effectivement. tu te redresses, ta posture et ton faciès reprenant l’entièreté de leur assurance Mais que l’on accepte de confier tout cela avoir été les suites de la découverte d’un puissant artefact maintenant stabilisé, sans pour autant donner de détail quant à la nature de l’artefact à qui n’est pas voué à interagir avec d’une quelconque manière me paraîtrait une bonne chose.

Tu marques une pause, réfléchis un instant, les doigts contre ton menton. Pour beaucoup, en savoir peu suffisait. Pour beaucoup, savoir les Mages du Chapitre sûrs d’eux suffiraient. Seulement pour encore plus, la crainte sous-jacente resterait bien là. La confiance n’est jamais absolue, et au jour – s’il devait venir – où elle viendrait à faillir, il faudrait des elfes capables de contenir la peur. Quitte à ce qu’elle soit tenue au secret, la milice devait savoir.

- Je pense par contre qu’il est important que l’Armée Royale et la Milice d’Alëandir dans leur intégralité soient toutes les deux informées de la situation. tu fronces les sourcils Tenues au secret, mais informées tout de même. Rien ne garantit que demain, une autre perturbation – venant ou pas du portail – n’endommage la confiance de la population en le Chapitre Blanc. Dans ce cas-là, que la milice soit en position d’intervenir ou de rassurer la Cité risque d’être impératif.

Restait maintenant à espérer que l’aversion des Académiciens pour les militaires ne refasse pas surface au dernier moment, et qu’ils acceptent d’offrir la leur, de confiance.