[Terminé] [Quartier des Fontaines] De pierre et d'acier. (Ouvert)

Verimios de l'An 17:XI ~ Hiver
Panahos de la première ennéade.

Le Cité Blanche, jamais ne dort. Nuit et jour bat son cœur, rythmé par les flux et reflux de ses habitants, déambulant de l’Estaon jusqu’à l’Harmalaica en passant par le Quartier des Fontaines. Frivolité, allégresse et candeur. L’appétence de la pierre ne connait pour limite que l’ennui, mais sans cesse la pierre gave de loisirs et de divertissements. Insouciance, négligence et naïveté.
Et la gwaeren maethor l’observait. Son antique superbe sculpturale, son éternelle beauté amorale. Et ils l’épiaient. Farouche par son armure semblable aux leurs, dont le cuir souple et léger souffrait de magnifiques dorures savamment agencées, dont le tissu teinté du bleu des nuits estivales rappelait les ateliers des couturiers, dont les bijoux scintillant attiraient l’œil envieux de l’orfèvre. Sauvage par sa petite taille, bien trop même pour une noss, par ses courbes moins androgynes, plus prononcées, plus galbées. Citadine par la neige éternelle de sa longue chevelure. Mystérieuse par son arc, dont le bois aux courbures agressives ne portaient ni les marques du rabot ni celles du couteau, dont les symboles semblables à des gravures inquiétaient par leur étonnante lueur indigo.

Elle n’était pas d’ici. « Étrangère ». Ceux-là s’en revenaient de l’Amphithéâtre, tout juste extirpés des émouvantes déclamations de Thor'il Bidil. Lui, célèbre taledhel d’Alëandir reconnu pour sa verve vive et son verbiage verbeux, qui depuis des siècles met en scène les vies nées de son esprit fertile.
Elle l’avait entendu aussi. Niaises pitreries d’un saltimbanque, névrosé par la reconnaissance et l’admiration sans bornes de ses fidèles admirateurs. Pathétique spectacle l’ayant laissée de marbre au milieu d’elfes de pierre bouleversés.

- Qui es-tu, petite puce ?

Gwilithiel se figea. Les spectateurs libérant les lieux dans un calme factice, pressé par l’excitation d’atteindre la prochaine étape de leur candide et indolent quotidien, évitèrent de justesse l’aegedhel, invisible à leurs pupilles aveugles. Mais derrière elle, le roi borgne l’avait remarquée.
Elle se fendit d’un sourire radieux, les yeux rieurs. Celui-ci, elle n’appréciait pas. Dédaigneux, hautain et impoli, le menton dressé, le regard instigateur il l’exhortait à répondre.

- Celle qui voyage à l’insu des racines et des pierres. Alëandir n’est qu’une étape sur ma route.

- Et d’où vient-elle, « cette ombre dans les feuilles » ? Ironisa-t-il, insatisfait de sa réponse. Agacé par sa malice.

- Là d’où vient le vent. Il me pousse et me porte, me repousse et m’emporte. Continue-t-elle avec l’air de celle qui se joue de son interlocuteur tout en sachant qu’elle ne le devrait pas. Désormais me voilà, ici à tes côtés, à la recherche des forgerons de la Cité Blanche. Moi et mon espérance que quelques lingots d’acier me soient gracieusement cédés en vertu des liens unissant les nôtres.

- Parasite. Rétorque-t-il avant de siffler entre ses dents.

- N’est-ce pas le propre des puces ?

Ses comparses se fendirent d’un sourire silencieux, cependant l’arrogant incongru céda à ses pulsions et ses paroles devinrent éclats de voix, brisant le calme de l’eau des fontaines, arguant que tout garde qu’il était, elle lui devait un respect évident. Un respect non mérité au goût de Gwilithiel.

De mauvaise humeur.
C’était clair, net précis et ça décrivait parfaitement l’état d’esprit dans lequel se trouvais le Mainyth qui traînait des pieds en rentrant à la caserne

Il appréciait pourtant fort passer dans les Teluimë. D’habitude il appréciait observer le jeu délicat des fontaines, l’éclat de la foule rieuse, l’amphithéâtre non loin. Il appréciait la clameur tranquille de la vie lëandrine, du plus profond de son cœur.

Mais aujourd’hui son cœur se serrait.

Aujourd’hui il ne comptait plus le nombre de jours où il avait fait un allez retour jusqu’à un amis fauconnier dans l’espoir d’y récupérer une lettre qui n’arrivait pas. Sa bien aimée était devenue muette et il en devenait amère. Pourquoi ne répondait-elle pas ? Il s’inquiétait. Les révélations qu’elle lui avait faite sur son second rôle tournaient en boucle dans sa tête. Si il lui était arrivé malheur ?

Ses pensées s’égaraient dans ces tourbillons d’inquiétude lorsqu’il entendit un éclat de voix qui lui fit plaquer les oreilles en arrière. Il espérait sincèrement ne pas avoir entendu ce qu’il avait entendu.
Et pourtant…

S’occuper de soldat un peu trop imbu d’eux même n’allait pas aider à améliorer son état d’esprit c’était certain.
Malgré tout il s’approcha, jusqu’à poser une main sur l’épaule de l’agresseur et lui offrit un regard noir comme il avait rarement dû en voir de sa part.

-Je peux savoir pourquoi tu importune la dame ? Son ton, calme était malgré tout glacial.

Autant le comportement de ceux qui riaient l’agaçait, autant il supporterait encore moins d’abus de pouvoir d’une quelconque forme de la part de ses soldats. S’ils étaient entrés dans la milice pour cela, il n’y avait pas leur place.

Il jeta un vague regard en direction de ladite dame, qui soit dit en passant était bien petite pour une citadine. Elle n’avait pas l’air particulièrement touchée émotionnellement c’était déjà ça.

Surprise agaçante à son oreille. Interruption inopportune fut cette main sur son épaule. Le milicien tourna la tête, et il le vit. Le taledhel aux cheveux de feu. Et il comprit. Noir était son regard et serrée était sa mâchoire. Les éclats de voix tranchés par quelques mots.

-   Je peux savoir pourquoi tu importunes la dame ?

Ainsi le feu avait soufflé une brise glaciale, balayant le cruel ressentiment et la colère grandissante. Le milicien resta sans voix, son regard allant de l’insignifiante petite puce à l’impressionnant prédateur à la crinière flamboyante.

- Commandant. Reprit le milicien dans salut exemplaire. Cette étrangère refuse de décliner son identité, ni de révéler sa provenance. Il fit un pas de côté pour désigner l’elfe. Elle imagine pouvoir profiter des ressources de notre cité sans contrepartie, aucune.

- Il parle vrai, Commandant. Intervint l’aegedhel en inclinant le buste, une main sur la poitrine. Seulement, je ne saurais dire s’il s’agit de vos traditions, mais son approche me parut, sur l’instant, particulièrement cavalière.

Ce milicien, sa honte lui crispait le visage, sa rancœur tordant les commissures de ses lèvres pincées, ses sourcils affaissés sous le poids de l’agacement. Tout comme son cœur, la gwaeren maethor fit un pas vers le milicien. L’humilité commanda sa fierté et son buste plia.

- À l’image de la Mère, je pardonne. Je pardonne ton outrage avec l’espérance sincère que tu en feras tout autant pour le miens. Et elle se redressa, dirigeant ses iris anthracite vers ces taledhels la dépassant aisément d’une bonne tête. Je suis Gwilithiel, et croyez-le bien, j’aurais préféré que notre rencontre se soit faite sous de meilleures hospices.

Sa cape, d’un vert semblable à celui des herbes des contrées au nord des Monts du Telion, chassée d’un mouvement de bras dirigeant l’attention dans la direction des fontaines abreuvant les rigoles courant le long de la place, elle se fendit d’un paisible sourire. Et la malice de ses yeux aspirée dans le néant de ses pupilles. La puce, aussi farouche pouvait-elle être montrait le flanc. L’apaisement pour la ruse. La confiance pour la prédation.

- J’aurais apprécié que l’on m’indique le chemin de vos forges et fonderies, que je sais se situer aux alentours de cette place. Gwilithiel ramena son bras le long de son corps, plantant ses mires dans celles du Commandant. Si sa verve s’emporte, sa langue ne connait pas le mensonge, car ton compagnon disait vrai, encore une fois. Je suis bien à la recherche de d’acier. Je n’ai cependant rien a offrir en échange. Et je vous prie et vous conjure de n’y voir aucune offense.

Vif, son regard sautait lestement du milicien à son supérieur. Calme, son visage ne souffrait que de son sourire amical.

Aegden ne fit pas mine de se réchauffer une seule seconde en écoutant les explications du garde. Il avait sans doute cru bien faire mais son comportement n’en était pas moins inacceptable et le maintyh tenais à le lui faire bien comprendre.

D’ailleurs, elle lui donna, son nom ‘’l’étrangère’’ finalement. Et elle s’excusa autant qu’elle l’excusa, prouvant à tous qui était le plus rustre au final.

-J’aurais aussi préféré de meilleures hospices…Marmonna-t-il entre ses dents.

Il se tourna vers celui qui avait plus ou moins entamé tout cette histoire, relevant un peu le menton, comme toisant son vis à vis. Sa main d'arme se posa sur le pommeau de son épée, actuellement seul indice de son statut de soldat et, plus implicitement, de commandant.

-Quand ton tour de garde sera terminé, je veux que tu viennes me chercher. J’ai deux mots à te dire à propos de tes manières.

Il aurait pu lui remonter les bretelles ici, devant tout le monde mais il ne le ferait pas. Il n’était pas adepte des humiliations publiques et le soldat en avait déjà eut assez pour son grade. De plus il avait avait un travail à terminer et ce travail passait avant.

-Y a intérêt à ce qu’on ne me fasse pas remonter d’autres incident entre temps par contre.

Son attention se focalisa à nouveau sur celle qui se faisait appeler Gwilithel. Son ton, toujours quelques peu agacé se radoucit un peu.

-Je ne vois aucune offense là-dedans. Suis-moi, je peux te conduire à un ou deux de nos forgerons, c’est à eux de décider si oui ou non ils veulent t’aider.

Il fit quelque pas, faisant mine à la femme de le suivre.

-En revanche, je ne peux pas m’empêcher d’être aussi curieux que mon camarade, même je n'approuve pas sa réaction. Il haussa un sourcil. Tes manières de faire rappellent les ornedhels mais leur présence dans les cités sont trop rares pour passer inaperçues. En tout cas je peux certainement dire que tu n'es pas d'ici. D’où viens-tu Gwilithel ?

Un marché implicite. Un guide pour des réponses.

Gwilithiel s’inclina une fois encore à l’intention du milicien, courtois adieu et véritable délivrance, avant de tourner les talons et approcher du Commandant, ses cheveux se balançant au rythme de ses lestes mouvements.

- Je ne vois aucune offense là-dedans. Suis-moi, je peux te conduire à un ou deux de nos forgerons, c’est à eux de décider si oui ou non ils veulent t’aider.

Inévitable était l'imprévu qu’il soulevait avec une justesse propre aux taledhels. Le jeu ne faisait que commencer et son sourire s’évanouit. Répondant d’un simple hochement tête, l’aegedhel accepta l’invitation du soldat, marchant dans chacun de ses pas comme une enfant jouerait à la marelle. Ils traversaient la place, aux sons paisibles de l’écoulement des eaux, contournant les fontaines ainsi qu’un petit groupe de badauds marmonnant et minaudant autour d’une elfe à la peau de neige et aux traits d'une beauté sibylline.

- En revanche, je ne peux pas m’empêcher d’être aussi curieux que mon camarade, même je n'approuve pas sa réaction. Il haussa un sourcil. Tes manières de faire rappellent les ornedhels mais leur présence dans les cités sont trop rares pour passer inaperçues. En tout cas je peux certainement dire que tu n'es pas d'ici. D’où viens-tu Gwilithel ?

Patience. La gwaeren maethor fit attendre sa réponse, profitant du silence pour rattraper son guide et marcher à ses côtés, tout en s’intéressant à ces impayables paons emportés dans le tourbillon d'émotions de la saison des amours. Une grotesque parade dont la convoitée semblait pourtant se délecter sous un aimable masque d’indifférence.

- Méprise. Ni plus, ni moins. Ne sois pas trop sévère avec lui, l’incompréhension est une porte close dont tu as su trouver la clef. Et nous voilà, marchant côte à côte. Souffla-t-elle dans un sourire, les yeux rieurs. Et tu as raison sur ce point, je ne suis pas d’ici. Quant à mes manières, peut-être te paraissent-elles assez étranges pour me croire venir d’une noss, cependant là est ton erreur car aucun des clans de la Prime Œuvre ne me compte parmi les siens.

Au sortir de la place, le son des marteaux tordant le métal et des soufflets affolant les flammes des fourneaux vinrent se mêler aux bruissements des feuilles agitées par les vents doux de l’hiver. Ces maîtres l’acier ne se trouvaient plus si loin.

- À quoi bon vouloir connaître l'origine des vents m’ayant poussée jusqu’ici ? L’interrogea-t-elle, un sourcil arqué exprimant autant l’incrédulité qu’une discrète appréhension. La curiosité dupe bien trop souvent les curieux. Fort de leurs savoirs, ils peuvent tout expliquer sans jamais ne rien comprendre. Gwilithiel marqua une pause, ralentissant le pas au rythme des maillets frappant l’acier dans le lointain. D’autant que tu sais déjà la nature des vents qui m’ont menée en ces murs, n’est-ce pas suffisant ? Quand moi-même je ne sais rien de toi et pourtant marche dans tes pas. Jusqu’ici, je t’ai suivi mon frère, mon guide, mon commandant aux crins de feu et à la verve impérieuse.

C’est un regard en bais qu’Aegden offrit à son interlocutrice. Elle avait une manière de parler sibylline, complexifiant sans raison apparente la moindre de ses phrases. C'était déroutant  pour un elfe ayant l'habitude d'aller droit au but.

Ses oreilles s’agitèrent un instant lorsqu'elle lui fit remarquer qu'il ne s'était même pas présenté. Ce qu'il pouvait être impolis parfois...

-Excuse-moi de ne pas m’être présenté. Soupira-t-il. Je m’appelle Aegden.

Il ne précisa rien de plus, ni son nom, ni son grade, quelle avait déjà entendu de toute façon. Cela n’avait aucun intérêt pour l’instant et par là il espérait sans doute lui signifier qu’il n’était pas plus important qu’elle. Elle n’avait besoin ni de courbette ni de désignation pompeuse pour lui parler. Il mit un temps avant de continuer, calant sa marche sur le rythme de son interlocutrice qui ralentissait.

-Pour le reste c’est juste de la curiosité…Il haussa les épaules. Que tu ne veuille pas me répondre hé bien tant pis. Je n'insisterais pas. Il avait appris à ne pas se mêler de ce qui ne le regardait pas, comme tout elfe. Mais je pense que tu peux comprendre cette curiosité, non ?

Les anedhels étaient naturellement curieux c’était un fait.  Même en apprenant à ne prêter attention au voisin, il était parfois difficile de refréner certains élans.

-Et ce que tu m’as dit est quand même très vague. Ne put-il s'empêcher d'ajouter l'air de rien.

Un commandant pris au dépourvu avec tant d’aisance. L’aegedhel laissa échapper un rire doucereux, interrompu bien vite par la main plaquée sur ses lèvres, ne laissant de moqueurs seulement ses yeux rieurs.

- Je ne saurais te le reprocher, ne t’excuses pas pour si peu. Glissa-t-elle en approchant les doigts de son avant-bras avant qu’il ne reprenne.

- Pour le reste c’est juste de la curiosité… Que tu ne veuilles pas me répondre hé bien tant pis. Je n'insisterais pas. Mais je pense que tu peux comprendre cette curiosité, non ?

Ses doigts s’immobilisèrent, suspendus à une réponse tardant à se faire entendre. Sa verve impérieuse camouflait une escamoteuse expérimentée. Une tentative, travestie et obscure, dont l’effet eut de chasser le sourire de la petite anëdhel. Ramenant sa main le long de son corps, Gwilithiel opina du chef.

- Et ce que tu m’as dit est quand même très vague.

- J’entends, Aedgen. J’entends bien. Commença-t-elle en plongeant son regard dans le sien. Mes paroles se heurtent aux murs de pierre de ton paradigme guerrier semble-t-il, alors laisse-moi te l’expliquer par ces mots… Une courte pause solennelle et pesante, car ses yeux ne cillaient pas. Je voudrais te faire comprendre que, peu importe le sentier emprunté, cela ne t’apporterait rien d’autre qu’une explication simple et nue, quand la nature de ma présence en les murs de la Cité Blanche te révéleront bien plus de moi, l'étrangère à tes yeux. Comprendre ma venue vaut cent fois expliquer le chemin parcouru.

Gwilithiel s’enracina devant le commandant, barrant ainsi le passage. D’une sincère tendresse ses mains se saisirent des poignets d’Aegden, sur son visage se lisait une douceur ineffable. Sa voix se fit murmure dans la brise, son regard miroir d’une vérité indicible. Dressée sur la pointe des pieds, ses lèvres approchèrent de l’oreille du soldat.

- Chacun peut en invoquer son droit et par son absence elle fait douter. Mais Maurquimellë nous l’a appris, il est des histoires dont la beauté est inhérente au songe qu’elles sont. L’aegedhel resserra sa prise sur les avant-bras du commandant avec douceur. Plus ils ont de gardiens moins ils sont gardés, moins ils ont de gardiens plus ils sont gardés, ainsi certains secrets ne peuvent appartenir qu’à moi.

La prise se desserra, ses lèvres s’éloignèrent et ses talons épousèrent à nouveau le pavé froid de la cité. Portée par l’espérance de l’acceptation, la gwaeren maethor reprit sa marche, le pas souple et léger, guidée par le son du métal battu. Son sourire candide et avenant revenu, elle jeta un regard vers l’arrière à l'attention du soldat.

Aegden eut un mouvement de recul lorsque l’étrange anedhelle s’interposa devant lui et lui saisi les poignets. Sincère ou pas, il appréciait fort peu sa trop grande proximité et cela n’alla pas en s’arrangeant lorsqu’elle se mit à chuchoter ses mots à son oreille.

Il mit bien une bonne minute avant de reprendre sa marche, ayant la désagréable impression que c’était plus elle qui le guidait qu’autre chose à présent. Il se contenta ensuite de marcher en silence. L’autre elfe ne comptait pas répondre à ses questions, il avait compris qu’insister ne servait à rien.

Peut être était-il aussi un peut vexé mais il ne l'avouerait pas bien entendu…

Il ne leur fallu pas bien longtemps de plus pour arriver à leur destination. Lorsqu’Aegden fit mine, d'un geste, de dire qu’ils étaient arrivés, ils se trouvaient alors devant un atelier qui ne payait pas de mine. Le bâtiment n’était pas très grand mais l’on ne pouvait se tromper quant à sa fonction à la vue du four, de l’enclume et de tout ce dont un forgeron pouvait avoir besoin.

Un grand elfe semblait absorbé dans l’observation d’une lame, près de l’enclume, ses doigts tapotant son menton. Ses oreilles se relevèrent à l’arrivée des deux autres mais son regard, lui ne dévia pas tout de suite.

-Besoin de quelque chose, Aegden ? Fit-il toujours sans relever le nez de son ouvrage.

-Moi non. Mais je t’amène une elfe qui a besoin d’un service.

Il lança un regard vers sa camarade. Il eut l’air de s’empêcher de soupirer. Il se demandait un peu dans quoi il s'était lancé en aidant cette étrange elfe venu d'il ne savait toujours pas où.

-Gwilithiel, voici Nelion. Nelion…Gwilithiel.

Sommaire présentation mais il ne savais pas grand chose de l'anedhelle de toute façon. Il n’ajouta donc  rien de plus. C’était à elle de se débrouiller maintenant. Le forgeron n’eut pas l’air de vouloir parler non plus, mais il releva la tête, scrutant la jeune femme comme il avait scruté l’épée dans sa main un peu plus tôt.

Guidée par le tintement du métal souffrant l’art du forgeron, Gwilithiel avançait au milieu des lëandrins allant et venant, un air guilleret sur le visage, son regard attiré tant par les bâtiments de pierre blanche que par les ateliers des divers métiers de la cité, installés ci et là au gré du pavé. Tisserands d’exceptions, minutieux orfèvres, peintres aux esquisses sans pareilles, professions et métiers menés au paroxysme de leur potentiel, là résidait le cœur des taledhels. À l’abri des murs, loin des effrayants et mortels dangers de la Prime Œuvre, à l’écart des rudes combats et des guerres sempiternelles, là les passions sans bornes des elfes de pierre fourmillaient et s’épanouissaient au fil des siècles, s’enorgueillissant d’un savoir-faire sans égal.

Le commandant et l’étrangère s’arrêtèrent près de la bâtisse où officiait l’un des forgerons de la Cité Blanche. Les tintements s’étaient tus, le maître des forges étudiait le résultat de son travail d’un œil aussi critique que satisfait. Leur irruption ne passa pas inaperçue, Aegden fit ainsi les présentations.
Gwilithiel s’inclina, un sourire avenant sur le visage. Le forgeron l’observait, tout comme elle scrutait le fond de ses yeux. Un silence malvenu s’installa, seul le ronflement sourd des flammes résonnait entre les murs et l'espace d'un instant forge sembla s’endormir. Les secondes filèrent, semblant s'étirer jusqu’à ce qu'enfin l’étrangère ne prenne la parole.

- Je sais ma position délicate, Nelion, et comprendrais ton refus. Car me voici, devant toi, simple courant d’air entre les pierres et avec pour seule offrande l’espérance que tu voudras bien me céder ne serait-ce qu’un seul lingot d’acier. Dit-elle en dressant un index. Quel qu’il soit, sa nature m’importe peu.

Son regard se perdit dans les coins et les recoins de la forge. L’outillage des cités dépassait l’entendement, pinces de toutes tailles, masses et massettes, marteaux et maillets, ciseaux, limes et bien d’autres outils dont elle ne connaissait même pas le nom étaient accrochés aux murs ou attendaient ci et là sur les établis. Et dans le fond, entreposés soigneusement patientaient de petits lingots destiné à être fondu dans les flammes et la chaleur infernale du four, coulés dans des moules et martelés avec force et précision. Son index dressé pointa l'objet de ces désirs, ses yeux vinrent se planter à nouveau dans ceux du forgeron.

- Si cela t'est possible, naturellement.

Nelion lança un rapide regard interrogateur à l’attention d’Aegden. Ce dernier haussa les épaules l’air relativement indifférent alors le forgerons se focalisa à nouveau sur l’étrangère.

Il prit le temps de ranger son épée avant de répondre, après avoir eut l'air de réfléchir à ce qu'il voulais dire à la jeune femme.

-Je peux. Commença-t-il. Bien évidement il y avait un « mais ». Je veux savoir ce que tu compte en faire par contre.

Le forgeron croisa les bras. Il y avait une forme de neutralité dans sa voix. Pas de haine pas de peur, juste le besoin de savoir ce que deviendrais ce qu’il donnerait à l’Anedhelle.

-Tu vois, je sais que certains ornedhels ne récupèrent le métal issu des cités que dans l’unique but de le rendre à Anaëh. L’intention est sans doute louable, mais c’est du gâchis. Il afficha une moue désapprobatrice. L'idée n'avais pas l'air de lui plaire. J’aimerais que ce que je peux te donner serve, tu me comprends ? Il ajouta en fronçant les sourcils. Et si possible en servant autrement que contre nous citadins...

Étrange anëdhel aux questions sans pareilles, Nelion se refuserait sans connaître l’intention.
Ses lèvres se formèrent en un sourire éphémère, son regard attendrit trahit son caractère. L’aegedhel comprenait son inquiétude mais n’avait à lui offrir que sa sollicitude.

- Hélas seul le forgeron, Eithon, saurait, sans trahir ni sa parole ni ta confiance, t’assurer la destinée de ton acier. Je ne puis parler en son nom. Répondit l’elfe en inclinant le buste, une main sur la poitrine. Aussi fais-je appel à ta compréhension et m'en remets humblement à ton jugement.

Gwilithiel se redressa ensuite, plongeant à nouveau son regard dans celui du maître des lieux. Il se fit rieur car elle s’amusait de l’interrogation autant que de son incertitude. Lui qui ne lui accordait d’ores et déjà aucune confiance le pourrait-il vraiment quelle que soit la nature de sa défense ?

- De la réticence à la confiance, une seule réponse à la semonce suffirait à conforter ton assurance, alors que tu me sais n’avoir d’accointance avec la grande Cité Blanche ? Susurra-t-elle, la voix empreinte d'une douceur mielleuse en apposant la main sur l’avant-bras de Nelion, geste symbolique de bienveillance. Ni moi, ni les miens ne cherchons querelle à aucune citadelle. Je ne peux qu’affirmer ne pas vouloir te duper.

Elle recula d’un pas, inclinant légèrement le buste à nouveau. Quelle que soit la réponse du forgeron, il lui semblait très clair désormais qu’elle ne lui tiendrait pas même rigueur d’un refus si tel était son souhait. Les vents l'avaient guidée au cœur de la cité, l'aegedhel s'en remettait à Hwestalindë.

L’air perdu qu'afficha le forgeron citadin tira un bref et discret ricanement au Mainyth qui observait toujours la scène, constatant qu'il n'était pas le seul à avoir du mal à suivre l'étrange elfe...ce qui lui valut alors un regard des plus noir. L’artisan se focalisa ensuite de nouveau sur sa bien étrange interlocutrice.

-Je veux bien te croire. Commença-t-il, un éclat amusé dans ses prunelles charbonneuses. Tu sais quoi j’ai bien envie de te donner ce que tu veux. Il y avait encore un ‘’mais’’. Mais je ne te les donnerais pas à toi, je les donnerais à celui que tu appelle Eithon.

Qu’il vienne à lui et prouve être forgeron et il lui donnerais l’acier avec joie ou bien…

-Neilon tu ne va quand même pas proposer de la suivre tu ne sais pas où ? Comprenant les intentions de son ami ,Aegden intervint, un sourcil haussé démontrant sa surprise et son interrogation.

-Et pourquoi pas ?

-Parce que c’est dangereux et totalement irréfléchis ! Faire confiance à...

-Et ça t’empêche de faire ton métier à toi ? Le forgeron coupa son interlocuteur. Je sais me défendre aussi. J’ai appris à tenir une épée que tu apprenait encore à mettre un pied devant l’autre.

Un point partout. Le soldat ouvrit la bouche pour répliquer mais se contenta de se taire et de se renfrogner. Le forgeron le fixa une seconde de plus, ses sourcil froncées par une forme d’inquiétude dont l’origine échappait à la noss. Et puis il se retourna vers elle comme si la conversation n’avait pas eut lieu, et enchaîna calmement.

-Marché conclu ou non ?

Le forgeron souhaitait apprendre le pourquoi et connaitre le comment, s'ensuivit un émoi aussi surprenant qu’étonnant. La curiosité s’abandonnait à la mêlée, bataillant contre la prudence avec férocité. Le verbe tranchait et l’égo souffrait. Gwilithiel s’était subrepticement reculée de quelques pas, les vainqueurs souvent responsables de la rancœur, il lui sembla tout à fait préférable d’éviter la bévue et d’apaiser les esprits échauffés en ne laissant que des vaincus.

- Je ne puis parler en son nom, bien que je doute de la venue d’Eithon. Cependant tes intentions me semblent cacher encore d’autres conditions, elles forcent la circonspection aussi trouverai-je un autre forgeron.

L’aegedhel fit un pas de côté, en direction de la sortie, puis inclina le buste, une main sur la poitrine. Peut-être cet acier tant recherché se devait d'être le don d’un autre forgeron, sinon pour quelles raisons tant de résistances et d’oppositions ?
Quant à la méfiance du soldat, toute compréhensible qu’elle fut, la gwaeren maethor ne pouvait en atténuer l’importance et elle le savait. Désireuse ne pas se trouver responsable de quelconques conflits, elle ne comptait désormais plus que prendre la sortie.

- Pardonnez mon intrusion, je ne souhaite guère me faire l’origine de l’attrition de vos relations. Je ne doute pas que les vents me mèneront jusqu’à l’objet de pérégrinations. Conclut-elle dans un timide sourire. Aegden, Nelion, au revoir. Croyez-bien que nos rencontres resteront gravées dans mémoire.

Dans un dernier pas vers l’arrière, l’elfe franchit l’embrasure de la porte de l'atelier. Son regard allait et venait entre le soldat et le maître des forges. Elle semblait attendre leur approbation pour réellement tourner les talons, tandis que plus rien en elle ne semblait afficher son désir d’obtenir l’acier lui étant refusé.

-Hé bien tant pis alors. Le forgeron eut l’air aussi étonné que déçu. Je n’avais pas d’autres conditions à te soumettre mais je n’insisterais pas. 

Il haussa les épaules avant de retourner à l'examen de son épée. Quand au début de rixe entre les deux citadins, elle était déjà probablement oubliée du forgerons, son inquiétude ne venant pas de cela précisément. Le soldat n'avait pas l'air bien joyeux non plus mais il n'en avait pas eut l'air depuis le début de la journée de toute façon.

Quoi qu’il en soit aucun des deux elfes ne fit mine de la retenir. Elle refusait, c’était son droit. Aegden fit même un pas de côté lui laissant le champs libre pour sortir de l’atelier. D’un ton neutre, il proposa tout de même une dernière chose.

-Si tu as besoin d’aide pour retrouver ton chemin je peux t’accompagner.

Jusqu’aux portes de la cité et pas plus loin, cela allait de soi. Cela lui éviterait sans doute d’autres rencontres désagréables bien qu’Aegden doutait que la noss ait la malchance de croiser un autre soldat un peu trop zélé. Et puis il savait que les noss avaient du mal à se repérer au sein des cités de pierre. Pour le reste elle saurait sans aucun doute se débrouiller.

Stupéfaction et déception prirent à l’unisson possession de l’atelier du forgeron. L’aegedhel s’inclina une nouvelle fois, avant de reculer encore d’un pas. Elle ne souhaitait pas importuner plus longuement ses pairs bien intentionnés, cependant il était des secrets qu’elle ne pouvait révéler.

- Nul besoin de s’inquiéter, encore moins de m’accompagner. Quant à retrouver mon chemin, je vais compter sur mon instinct. Assura Gwilithiel en se fendant d’un sourire aimable. À dire vrai, j’aimerai aller de ruelles en venelles jusqu’à l’Estel. Je veux observer la cité et m’imprégner de sa gaieté, admirer sa grandeur, seule et sans tuteur.

Ayant déjà franchi l’embrasure de la porte, Gwilithiel fit un pas de côté et disparue du champ de vision des deux citadins qu'elle laissait visiblement circonspects. Cependant, voilà que sa tête reparaissait l’espace d’un instant, un air de malice dans les yeux ainsi qu’un large sourire sur les lèvres. Guillerette, elle adressa un signe de la main au forgeron et au soldat.

- Je ne puis vous remercier de votre hospitalité, croyez cependant en la sincérité du sentiment. Puisse les vents vous êtres accommodants !

Et elle s’en fut pour de bon cette fois-ci, marchant au milieu des grands elfes de la cité, virevoltant entre les passants et souriant aux regards les plus intrigués. L’aegedhel choisit de s’enfoncer dans la première ruelle à sa portée, le pas confiant et le regard sûr. Si l’on pouvait l’imaginer perdue, elle ne semblait pas s’en inquiéter une seule seconde, au contraire tout dans son attitude voulait faire croire qu’elle arpentait un lieu familier.