En attendant Sagar...

Haut temple d'Isten
Premier jour de la neuvième ennéade de Barkios

En attendant l'arrivée de Kerath

La pièce que la culte d'Isten avait mis à disposition était généreusement pourvue en diverses banquettes et en recoins dû à la forme en U. Dans la partie intérieure et inaccessible aux participants, un orchestre jouait différents airs, tantôt lancinant, tantôt entrainant.  Le plafond en avait était poli pour refléter tout ce qu'il se passait en dessous. Le tout était baigné dans une atmosphère chaleureuse et tamisée.

Les participants avaient déjà pris possession des lieux en s'étaient éparpillés dans la salle. Des premiers couples s'embrassaient déjà, mais sinon la majorité discutait. Les esclaves d'Isten, aux corps mis en valeur par diverses huiles et bijoux, distribuaient à qui en voulait boissons et objets aux formes étranges mais étudiées pour honorer la Sulfureuse.

S'arg, en héros du jour, était déjà allongé sur le flanc, un bel éphèbe à sa hanche et une demoiselle nubile et déjà nue à ses pieds. Face à lui, d'autres prétendant-e-s se faisaient évaluer leurs arguments pour passer la soirée avec l'auguste personne qu'il était devenu.

Assise du bout des fesses sur le rembourrage moelleux, la cambrant légèrement en mettant en valeur son buste, Na'ri bavardait distraitement avec un collègue, un verre, toujours plein, à la main. Elle regardait régulièrement la porte d’entrée dans l'attente d'y voir apparaitre un sombre, bien particulier. Elle portait toujours la robe de cérémonie des Grands Prêtres et ses cheveux, redevenus long, cascadaient dans son dos. La seule chose qu'elle avait enlevé avant de venir était sa bague de cuivre.
Bien qu'elle se sentait vulnérable et complètement nue, elle avait laissé son focalisateur dans sa cellule. Elle n'avait pas oublié sa menace et, ce soir en particulier, même s'il ne portait pas le titre de Triumvir, elle ne se voulait pas menaçante.

Toute à un autre, elle n'avait pas particulièrement fait attention qu'un sombre la couvait du regard. Au gris et au vert de sa tunique, il était clair qu'il appartenait au culte de la Mère des vermine. D'ailleurs, sur son épaule délicatement musclée, légèrement caché par le rideau des ses long cheveux de neige, un centipède de belle taille s'y promenait. Et quand le prêtre de Leetha vit qu’elle éconduisait prétendant sur prétendante, il prit son courage à deux mains pour éviter un scandale en cette journée festive entre toute.

Parce que sa solitude, surtout ce soir, pourrait paraître blasphématoire. Pourquoi n’honorait-elle pas la Sulfureuse?

Le mâle, de vert et de gris vêtu, s’inclina devant la grande prêtresse. Il n’était pas bâti comme un guerrier, mais il n’en abritait  pas moins une musculature agréable. D’un geste simple avant de s’asseoir sur un fauteuil jouxtant celui de Na’ri avant de prendre  la parole.

- Pardonnez mon intrusion dans votre espace vital. Puis je m’offrir pour honorer intellectuellement la Sulfureuse avec vous ce soir ?

Les yeux carmins luisaient  doucement sous la lumière tamisée tandis qu'elle ria.

" Intellectuellement ? Je connais bien des façons pour honorer la Belle Dame, mais que physiquement. Je suis donc curieuse d'apprendre de nouvelles pratiques… "
Curieuse et joueuse, elle attendait avec impatience d'apprendre.

"C’est simple pourtant !" Répondit son interlocuteur, bon enfant. "Quel sujet vous passionne t’il au point d’oublier tout le reste? Pour ma part c’est l’élevage et l’hybridation des vecteurs de maladies et d’infections, augmenter leur résistance pour que les desseins de La Rampante s’accomplissent. Je suis un Jardinier de Leetha. On me surnomme le gentil rat. J’ai entendu l’histoire de votre novice qui ne peut s’empêcher de boire les souches... Est il encore vivant ? J’aimerais l’étudier... "

" Fort heureusement, ce n'est pas mon novice. Quand l'atmosphère sera chaude, cherchez un support en bois, et son tuteur y sera accroché. Ce sera plus simple pour lui faire la demande et le moyen le plus sûr d'avoir une réponse positive. "

A cette tirade, Ssinjin sourit et rit légèrement en se cachant derrière une main abîmée par des cicatrices de piqûres, de morsures et de griffures.  Puis elle revint vers les propos du prêtre. Quel type d 'élevage ? J'ai tenté celui de l'esclave humain, mais il est plutôt long. "

Le visage du prêtre de Leetha s'éclaira par la passion et c'était magnifique. Manifestement, il n'avait pas beaucoup d'occasion de parler de ses travaux. Un truc noir sortit brièvement de la manche verte avant de faire volte face et d'y rentrer aussitôt.

"L'élevage d'humain est trop onéreux en temps et en ressources pour des résultats trop aléatoires dépendamment de l'ethnie et du caractère de la bête, leur esprit est complexe et on ne sait jamais quand une rébellion s'ourdit derrière. Ils rechignent, ils se plaignent et se lamentent, ils pleurent. Ils vivent d'espoir et quand ils en n'ont plus, ils se laissent mourir. Et avec eux, combien d'années perdons nous ? Même si nous vivons extrêmement longtemps, ils créent des contretemps très fâcheux dans nos recherches.  Mes études portent sur ce qui est facilement transportable, transposable et fascinants. Les vecteurs de la majorité des maladies. Ce qui est nettement sous estimé. Ils sont égaux à eux même, reconnaissent celui qui les nourrit, mais se fichent carrément de se faire étudier ou disséquer. Ils n'ont que deux but, manger et se reproduire. Et ils ont un esprit de communauté … Mes études portent sur la sélection des sujets selon des critères précis, leur domination et leur utilisation diverses, allant de la résistance à l'élaboration de vaccin, jusqu'à devenir une arme peut-être si Leetha le désire un jour… En ce moment, je travaille sur une nouvelle génération de scorpions particulièrement venimeux. Et je travaille sur les centipèdes durant mes loisirs.. Vous voulez voir ? "

Tandis qu'elle hochait de la tête, il plongea soudainement une main dans ses cheveux immaculés et attendit quelques secondes avant de présenter un mille-pattes long d'une dizaine de centimètres le cachant d'abord partiellement de la lumière tamisée pour le montrer à Na'Ri.

"-Ne la prenez pas " La prêtresse recula ses mains immédiatement, légèrement déçue. " Elle ne vous connait pas et elle se demande pourquoi je l'ai extrait de sa place favorite. Elle pourrait vous mordre et vous indisposer grandement. Bien sûr, je vous sors la version littéraire… Et vous, vous me parliez d'humain… Excusez-moi grande-prêtresse... Je parle, je parle et je suis sot. C'est vos ambitions qui sont célébrées ce soir et non les miennes. " Dit il en remettant respectueusement l'insecte à sa place.

"Mais non, il n'y a pas que mes ambitions. Toutes les passions sont à l'honneurs ce soir ! Vous parlez, mais s'il vous plait, continuez. Pourquoi avez vous préféré les sang-froid plutôt que les sang chauds ? Ne sont ils pas… plus attachant ? Le prêtre haussa les sourcils, interrogatif. Mais elle se rendit compte que sa remarque pouvait porter à confusion et apporter un jugement. Pardon, je voulais dire par là que les sentiments des mammifères me semblaient potentiellement plus complexe et plus profond. Mais je n'ai vécu ni avec les uns, ni avec les autres. "

C'était une question très intéressante qui était posée en cet instant précis. Comment y répondre en toute franchise sans que ca ne porte à jugement ?

Oh, les rats ont le sang bien chaud, je vous rassure. Comme certaines autres créatures "amicales" de l'Edna. Comment pourrais je dire… Je les comprends naturellement. Tout simplement. Ils sont mal aimés, et pourtant. Ils sont fascinant et simples. Reposant. Pour qui sait, ces bestioles représentent moins de risques de mourir prématurément qu'en côtoyant…

Il a un geste vague de la main vers les sombres qui soupirent autour d'eux.

Et pourquoi je les amène ? Elles sont des compagnes fidèles et promptes. Elles me tiennent compagnie et repoussent les indésirables. Je ne me fie à aucun iliithyri qui les dédaignent…

Ssinjinn a un léger air faussement contrit.

Mais qu'est ce qu'un modeste Jardinier de Leetha tel que moi pourrait bien susciter comme convoitise de la part de  l'Ambitieuse ?

Na'ri arborait un sourire presque énigmatique. Elle se tenait le visage dans une main.

" Il y a pourtant bien des choses à convoiter… Un coeur, une gloire, un pouvoir. Mais La Belle Dame n'est pas qu'ambitieuse. "

Le prêtre se penche vers elle. Lui murmurant du ton de la confidence.

Les rats et les insectes nous survivront. Nous devons nous inspirer de leur résilience pour nous améliorer. Je convoite la perfection, la simplicité, la léthalité. Est ce si différent ?

Le souffle chaud de la confidence caressa la peau fine et délicate du cou de la daëdhelle. Difficilement, elle réprima un frisson. Et il tardait à venir… Elle recula, se détachant du prêtre de la Mère des Vermines.

" Il faudrait en discuter avec un prêtre de la Corruptrice. Mais j'ai l'impression que c'est plus une utopie qu'une ambition, ne trouvez vous pas ? "

Les prunelles de rubis prirent une riche teinte de velours. Il aurait pu lui répondre que l'Eda Vengeur était une utopie plus qu'une ambition, mais Sssinjin n'avait pas vécu si longtemps en tenant de tels propos. Un léger sourire mystérieux effleura les lèvres du sombre tandis qu'il se redressa légèrement, sa vermine de compagnie sortit de sa chevelure pour aller se nicher tout contre son oreille fine.

- J'en discute avec vous, ce soir. Ambition et utopie, souvent les deux se ressemblent et se confondent... La voix agréable du sombre baissa d'un cran encore, prit un timbre envoûtant. L'Insecte fit aller ses mandibules dans le vide… créant un drôle de bruit. D'ailleurs ma prime ambition est satisfaite ce soir. Vous me regardez, vous me parlez et vous ne vous sauvez pas de moi, ca m'aura pris trois cent ans finalement avant que cela n'arrive. Maintenant, il me faut tout revoir à la hausse.  Mais sachez que si j'apprécie l'approche et que j'aime votre regard…  notre discussion de ce soir, je suis de ceux qui savourent l'attente… Je n'aime pas brusquer personne et personne ne me brusque, ils n'aiment pas ce qui pourrait se trouver sous mes robes je présume.

Dit il d'un air léger, exempt de sous entendu explicite.

Doucement, la grande prêtresse inclina la tête. Son regard se voila légèrement tandis que les joues de la sombre blêmirent.

" Je... Merci. Mais n'oubliez pas. Surtout pas. Aimer ce n'est pas juste donner. Ce n'est pas juste recevoir, ni même s'offrir et offrir. C'est avant tout partager." La pause dura le temps d'une respiration. " Et j'en suis incapable. Je le crains. Mais surtout... Elle posa une main sur la joue du sombre. " Soyez heureux. " murmura t'elle, comme un vœux pieux et inavouable.

La main du prêtre de Leetha se posa sur celle de la prêtresse de Kiran. Elle était ferme et douce. Et c'est d’une voix basse qu’il lui répondît. Un cafard s’échappa de sa manche pour aller toucher la grande-pretresse et monter sur le poignet de cette dernière. Elle ne fit rien pour déloger l'insecte, mais elle ne lui permis pas de monter plus sur son bras.

- Je le suis... Je vous en souhaite tout autant.
" Merci. Si vous voulez bien m'excuser, je vais chercher de l'eau… " Très doucement mais fermement, elle retira sa main de celle de Ssinjin. Elle guida le cafard vers l'épaule de son maître. Et enfin, fit quelques pas maladroits. Ses jambes devaient être engourdies.

De cette rencontre, elle se sentait perdue.
Sagar… viendras tu ce soir ? La porte d'entrée était toujours autant muette.