[L'ire impatiente] Deux détectives pour une seule piste | Cassiopée & Neassa

Le vent soufflait fort à cette heure de la journée. Les premières lueurs venaient à peine de poindre à l’horizon que le mercenaire aux yeux d’argents surveillait déjà le bâtiment d’où surgissaient les premiers hommes du Guet, revenant probablement d’une banale patrouille nocturne. Leurs visages exténués ne laissaient que peu de doute sur la nuit glaciale qu’il venait de passer à déambuler le long des venelles silencieuses de la cité endormie.

Le visage de Nehril n’était pourtant pas exempt de fatigue non plus. Après avoir prévenu Stephen de l’avancement de ses recherches, il avait préféré continuer à creuser différentes pistes auprès de plusieurs de ses informateurs afin de voir s’il pouvait glaner de nouvelles informations. Ces derniers étaient malheureusement restés muets devant ses questions, soit par méconnaissance, soit par mépris envers celui-ci. En dernier recours, il avait pris place devant l’édifice du Guet et attendait qu’il fasse suffisamment jour pour pénétrer en ces lieux.

— Je peux vous aider ? s’éleva soudainement une voix en provenance de sa gauche.

Instinctivement, Nehril porta une main sur son arme avant de s’immobiliser. Il ne s’agissait que d’un jeune soldat, l’uniforme impeccablement lissé et arborant quelques taches de rousseur sur les joues et l’arête de son nez. Contrastant avec son visage juvénile, son regard était de ceux qui ont vu davantage qu’il ne l’aurait souhaité. Des yeux profondément enfoncés dans ses orbites d’où brillait une lueur méfiante et inquisitrice.

— Oui, répondit Nehril d’une voix rauque. Une femme, une dénommée Cassiopée devrait venir ici dans la matinée afin de s’entretenir avec le Guet sur une affaire. J’enquête également sur la même. Je cherche à prendre contacte avec elle.

— Et ne pouvez-vous pas vous renseigner sur l’endroit où elle loge au lieu de rester ici toute la nuit ? rétorqua le jeune garde avec une lueur suspicieuse au fond des yeux. D’aucuns penseraient que vous préparez un mauvais coup.

— Je ne resterais pas à la vue de tous si j’en préparais réellement un. Quoiqu'il en soit, pouvez-vous m’aider ?

Le jeune homme renifla longuement, comme pour se donner un air plus dur avant de répondre :

— Venez entrer, vous me raconterez ça plus en détail. Cassiopee vous dites ?

Nehril le suivit alors qu’il pénétrait dans le bâtiment.

— Oui. Pouvez-vous me mettre en relation avec elle une fois qu’elle arrivera ?

Le garde le fixa un instant.

— Je vais d’abord devoir lui demander si elle accepte de vous rencontrer. Vous comprenez que l’on ne peut écarter la possibilité que vous soyez ici pour faire pression sur cette dernière si jamais elle venait dans le but de porter une plainte qui vous serez préjudiciable.

Le mercenaire aux cheveux clairsemés grimaça.

— Naturellement. Faites-lui seulement savoir que cela concerne la disparition de la prêtresse de Tyra.

Le jeune homme hocha la tête. Il ouvrit la bouche un moment avant de la refermer.

— Ah… cette disparition.

— Pourrais-je également entendre ce qu’a donné l’enquête du Guet ?  

Le garde resta un moment immobile, visiblement hésitant.

— Je vous dirais ce que vous voulez savoir, il faut seulement que j’en discute avec mon supérieur. Pouvez-vous attendre sa réponse ?

Nehril haussa les épaules en signe d’impuissance.

— Que puis-je faire d’autre ? répondit-il avec une grimace tandis que l’autre disparaissait dans un angle du couloir.

Espérons que cette Cassiopée vienne effectivement chercher des réponses auprès du Guet. Sinon j’aurais perdu une journée pour rien. Et Neassa court un grave danger entre les mains de ces deux fous…

«  Non mais sans rire … c’est ça le Guet aujourd’hui ? Ca a quand même vachement moins d’classe que quand j’y étais … »

Bon … objectivement, le Guet était clairement mieux équipé que lorsqu’elle y était, mais de temps en temps, il était bon de râler sur les temps nouveaux et de se dire qu’avant, ça avait quand même plus de chien ! Armée de sa sacoche d’alchimiste, de sa petite arbalète et de la masse qu’elle avait ramené de son aventure en Péninsule, la jeune femme se présenta aux portes des baraquements quelques temps après l’arrivée du mercenaire.

Il ne fallut pas longtemps à la demoiselle pour retrouver ses marques. S’il y avait peu de chance que les humains du Guet se souviennent d’elle, ce n’était pas le cas des Doebens. Certains n’étaient jamais partis à la retraite et occupaient toujours leur poste avec un zèle peu commun pour des Vaanis.

Venue pour poser des questions au sujet de la disparition de Neassa-Lealla, la prêtresse de Tyra, Cassiopée espérait sincèrement que le Guet pourrait répondre à ses questions, notamment concernant le signalement qu’on lui avait décrit des deux personnes qui semblaient l’avoir kidnappée. Etrangement … elle n’eut pas le temps de s’adresser au capitaine que déjà, deux officiers vinrent à elle pour la prévenir qu’elle était attendue …

Attendue ? Par qui exactement ? Visiblement, un mercenaire – faute de description plus poussée – avait demandé à la voir. Etrange, elle ne se souvenait pas avoir une affaire en cours avec un quelconque mercenaire, ni avoir été suivie. Quoiqu’il aurait été particulièrement stupide qu’un chasseur de primes tente de s’en prendre à elle devant le bâtiment du Guet … Mais d’après les officiers, il avait demandé spécifiquement à la voir, mais n’avait donné que son prénom, et non son nom. Il était donc probable que cette personne ne connaisse rien de son statut de Princesse Marchande.

Méfiante, elle accepta toutefois de rencontrer le mercenaire. Celui-ci l’attendait non loin. Il ressemblait … à … un mercenaire ! Diantre ! Que dire de plus ? Cet homme était exactement le portrait craché du mercenaire endurci tel qu’on le décrivait dans les contes pour enfants : grand, musclé, d’un calme froid et armé jusqu’aux dents. Comme quoi, les stéréotypes n’étaient pas tous faux !

Les deux officiers restèrent à portée de Cassiopée. Au moindre mouvement, ils agiraient pour l’occire,  sans savoir que ... soyons sérieux un instant … ils se feraient découper avant même d’avoir pu dégainer leurs lames émoussées. Le ton de Cassiopée se fit poli et mesuré.

«  Bonjour Mercenaire … on m’a dit que vous souhaitiez vous entretenir avec moi. Faites vite s’il vous plait … je dois retrouver quelqu’un et je ne suis malheureusement que de passage »

Les yeux du mercenaire papillonnèrent en direction de la nouvelle arrivante. Il nota sa peau légèrement grisâtre, ses cheveux d’albâtres et son regard aux reflets argentés étrangement similaire au sien. Apparemment du sang drow coulait dans ses veines. 

S’éloignant du mur sur lequel il était accoudé, il s’approcha lorsqu’elle prit la parole : 

 — Vous êtes Cassiopée, lâcha Nehril d’une voix si rocailleuse qu’elle semblât se répercuter le long du couloir.  J’ai cru comprendre que vous enquêtiez sur la disparition de Neassa. Les serviteurs de la prêtresse ont lâché votre nom lorsque je suis allé chez elle il y a quelques heures. J’ai besoin de connaître tout ce que vous savez sur cette affaire. Je la recherche également. 

Le regard de Nehril se dirigea un moment vers les soldats du Guet avant de revenir sur Cassiopée.

 — Pouvons-nous en discuter en privé ?  

— Je pense que cela peut s’arranger…    

Elle fit directement signe aux deux officiers qu’elle ne courrait aucun danger. Ces derniers s’éclipsèrent, non sans échanger quelques regards circonspects. Mais bon, après tout, tout cela ne les regardait déjà plus. 

La sang-mêlé reprit la discussion et renifla un bon coup. Le temps se rafraîchissait et malgré sa bonne constitution, elle n’échapperait pas à un bon rhume. 
    
"Que voulez-vous savoir exactement ? Ce sont Anora et Ibrahim qui vous envoient ? Ça y est, ils ne me font plus confiance ?

— Au contraire, répondit aussitôt le mercenaire en reprenant sa position contre le mur du couloir. Il attendit que d’autres soldats s’éloignent avant de reprendre. Ils m’ont orienté vers vous pour obtenir davantage de réponses.

Nehril rajusta sa longue cape noire et leva une main.

— Je suis Nehril, un mercenaire. Pour faire court sur mes motivations : j’ai jadis été embauché par Neassa, connu alors sous le nom de Sirène, avec deux autres compagnons pour régler un contrat… particulier. Récemment, j’ai reçu la visite d’un de ses hommes de confiance qui m’a révélé que ma vie, et la sienne étaient en danger. Après être allé à sa résidence, Ibrahim et Anora m’ont confirmé que la situation était bien plus grave qu’elle semblait le paraître.

Le semi-elfe croisa les bras.

— Le contrat sur lequel nous avons tous œuvré, avait pour origine d’arrêter une fratrie : les Deelzenil, des assassins retors qui charmaient et assassinaient sans le moindre remords. Nous avons réussi à les mettre hors d’état de nuire avant de finalement tous prendre congé. Néanmoins, d’après les informations que m’ont fournies Ibrahim et Anora, ce serait eux qui seraient à l’origine de la disparition de Neassa.

Nehril renifla et prononça les derniers mots avec un soupçon de colère.

— Les Deelzenil se sont échappés. Il se pencha en avant. Ibrahim et Anora m’ont dit que vous avez le bras long, bien plus long que le mien. J’ai besoin de votre aide pour réussir à mettre la main sur eux.

—Je vois… Et bien, je suppose que deux paires de bras valent mieux qu’une, surtout s’il faut nous occuper d’un binôme aussi dangereux.

Il était clair que seule, Cassiopée n’avait que de très mince chance de réussir la mission qui lui avait été confiée. Elle se sentait plus rassurée en présence de quelqu’un sachant manier une lame. Non pas que l’arbalète ne soit pas mortelle et que la masse d’armes ne puisse trouver quelques crânes à enfoncer… mais une erreur était si vite arrivée et Cassiopée n’était pas une combattante émérite. Elle savait viser juste et disposait de bien des astuces pour tourner un combat à son avantage avec l’alchimie, mais elle n’était pas une experte dans ce domaine. 

"Booooon, messire Nehril-le-Mercenaire. N’y allons pas par quatre chemins. Avez-vous des pistes ? Je n’crache pas sur un peu d’aide, surtout si nous devons faire une intervention musclée, mais si nous ne savons pas où se terrent ces "Deelzenil", nous ne risquons pas de sauver grand chose. J’avais dans l’idée de questionner le Guet et de faire jouer quelques contacts, mais si vous avez une meilleure idée, je suis tout ouïe !"

Le mercenaire eut un sourire, visiblement soulagé que Cassiopée ne mette pas en doute ses motivations, puis frotta pensivement sa barbe charbonneuse.

— Des idées hein ? répéta Nehril plus pour lui-même que pour son interlocutrice. Je me souviens qu’il y avait un autre homme… un certain nécromancien du nom de Légende. Un nom quelque peu présomptueux, mais nullement usurpé. Il avait travaillé pour eux et nous l’avons capturé en même temps que les Deelzenil. Nous pourrions nous renseigner de son état auprès du Guet. S’il est toujours en cellule, nous pourrions l’interroger pour savoir s’il dispose de certaines informations qui nous permettraient de localiser Neassa.

Le semi-elfe fit un grand geste du bras avant de préciser.

— Comme la présence d’une cachette secrète, un repère dissimulé, voire quelqu’un qui pourrait nous mettre sur leur piste.

Il plissa ensuite les yeux et croisa les bras.

— Nous pourrions également creuser du côté de leurs précédentes victimes. Avant que nous ne les arrêtions, les Deelzenil avaient pour quartier général un imposant manoir appartenant à un certain Urbain et son épouse. Peut être que même délivré de l’emprise d’Ihisca, cet Urbain garde des fragments de souvenirs, quelque chose qui nous permettrait de localiser nos deux fugitifs.

"Urbain ... Légende ... mais dites-moi, ils ont trouvé leurs surnoms et leurs titres dans des pochettes surprises ?! Avec des noms pareils, ce ne sont pas des clowns, mais le cirque au complet !"

C'était une coutume chez les Vaanis d'offrir aux enfants lors des grandes fêtes des cônes de vieux papiers liés remplis de petits cadeaux, de breloques de bois ou de friandises. Cette coutume était très appréciée des petits. Le souci, c'était que selon la personne qui remplissait le cône, vous pouviez vous retrouver avec des choses intéressantes, ou de vieux morceaux d'oranges. Cassiopée sourit et rit de bon coeur.

"Blague à part. Nous pouvons aller cuisiner ce fameux Mythique ... pardon ... Légende, si le Guet ne l'a pas relâché entre temps - ce qui est probable - mais ne pensons pas au pire. Quant à votre idée d'aller questionner l'une de leurs victimes ... pourquoi pas ? Je suis ouverte à toute proposition du moment que nous pouvons retrouver la prêtresse !"

Nehril eut un sourire.

— Puisque nous sommes au Guet, essayons de savoir ce qu’il en est de ce Légende.

Le mercenaire se redressa et entreprit de rejoindre le hall principal. De là il repéra l’un des gardes que Cassiopée avait congédié un peu plus tôt.

— Bonjour, fit le semi-elfe en arrivant à sa hauteur. Nous cherchons à connaître la situation de deux prisonniers. Un frère et une sœur répondant au nom de Deelzenil. Nous aimerons avoir confirmation qu’ils sont toujours en cellule, ou si un avis de recherche a été déclaré à leur encontre.

L'homme releva la tête en direction du mercenaire. A quoi il jouait celui-là ? Il arrive en demandant à parler à une nana qui n'était même pas là et maintenant ils lui demandait des informations sur des prisonniers. C'était quoi la prochaine étape ? Cependant, malgré son air renfrogné, le gars se détacha du mur contre lequel il était adossé.

-J'connais pas tous les taulards. Faut r'garder dans l'registre.

Sans attendre qu'on le lui demande, il s'éloigna en direction d'une pièce un peu plus loin, s'attendant à ce que les deux individus le suivent. Là, il s'approcha d'un énorme bouquin posé sur un pupitre disposant d'une plume. Il commença à en tourner les pages, questionnant au passage le demi-elfe pour savoir quand ils leur auraient été amené. Il y en eu des pages à tourner... C'est que des criminels, il en passait dans les geôles de Thaar en deux mois.

-Alors, alors... Ah, les voilà. Delzeenil. Ihisca et Habaren. Capturés par Drystan, La Grise, Nehril et... Sirène, bah ça m'étonne pas. Ils sont... Hm, évadés depuis quatre, p'tet cinq ennéades.

Le garde ne semblait pas plus surpris que ça, ni même outré. Certes, ces individus étaient dangereux mais c'était pas vraiment son problème. Les cas comme ceux-là, on les refilait aux chasseurs de prime et point barre. Il s'accouda sur le registre, amusé.

-On dirait qu'vous allez devoir rengager Sirène si vous les voulez. C'est des mages. Ce s'ra la meilleure pour les r'chopper.

— Et merde, laissa échapper Nehril en jetant également un œil au registre malgré les protestations évidentes du soldat. On a une idée de comment ils se sont échappé de leur geôle ?

- Vous êtes des génies les gars, vous le savez j'espère ... ?

-Eh, j'suis pas gardien d'prison moi. Et non, j'ai pas la moindre foutue idée d'comment y sont sortis et j'pense pas qu'les geôliers en sachent davantage. Y passent pas tous les jours visiter les prisonniers à vie. Y s'sont rendus compte qui z'étaient pu là, point barre. Pis d'toute façon, c'est pas des p'tits mages. Même sans leur focaliseurs, ils peuvent toujours jouer avec leur magie.

Cassiopée se passa la main sur le visage en soupirant lourdement. Leur bêtise était sans commune mesure. Les choses avaient bien changé depuis sa période dans le Guet ...

"Et c'est tout ? Vous voulez dire que vous avez des meurtriers extrêmement dangereux mais que bon...Ça vaaaaa, on n'va pas s'mettre martel en tête : ce sont des mages. Ils vont, ils viennent, mais on ne peut rien y faire ? Et si demain ils reviennent vous trancher ce qui vous sert de couilles, vous consentirez à ... je n'sais pas moi ... VÉRIFIER QUE LES PRISONNIERS RESTENT PRISONNIERS ?!"

Le garde ferma le registre  bruyamment et planta son regard sévère dans celui de la demie drow.

-J'crois qu'on en a fini. Vous savez où est la sortie.

Cassiopée, outrée, se retint de lui faire manger le registre ... C'était dur de ne pas céder à la tentation. Il suffisait d'un simple geste ...

Le mercenaire dévisagea longuement le soldat. Il ne servait à rien de l'interroger sur Légende.

— Heureux de savoir que si je me retrouve un jour dans vos geôles, je n’en aurais aucun mal à m’en échapper, asséna-t-il avec sarcasme. Essayez de ne pas trop vous fatiguer, je comprends que vous soyez surchargé.

Il lui adressa ensuite un bref signe de tête avant de prendre congé. Plongeant dans ses pensées, il marcha en direction des lourdes portes cuivrées du hall. Arrivé devant elles, il s’immobilisa avant de se tourner vers Cassiopée.

— Ces gardes sont tout aussi inaptes à leur métier que des enfants que l’on enverrait à la guerre. La seule piste qu’il nous reste est celle d’Urbain, mais je n’ai que peu d’espoir qu’elle nous apprenne quelque chose…

Nehril grommela.

— Je connais également une autre personne qui pourrait nous fournir des informations. Il s’agit de l’homme de main de Neassa. Autant commencer par là avant de nous rabattre sur Urbain. Vous me suivez ?

- Je vous suis ... de toute façon, ce n'est pas comme si nous avions de meilleures options, vous ne croyez pas ?

Cassiopée était particulièrement agacée par l'incompétence du Guet. Ils perdaient clairement leur temps ici. Il n'y avait plus qu'à espérer que les pistes du mercenaire, qui maintenait un calme digne des saints néerites, saurait les remettre sur la bonne voie. En tout cas, elle aimait bien son ton sarcastique. Avec lui, au moins, elle ne risquait pas de s'ennuyer.

Nehril guida sa nouvelle compagne dans les rues de Thaar, marchant dans un premier temps à une allure soutenue avant de progressivement se caler sur la sienne. Après une dizaine de minutes à se frayer un chemin parmi la cohue qui s’était soudainement rassemblé à cette heure, le semi-elfe préféra donner davantage de précision à Cassiopée.

— L’homme en question s’appelle Stephen, fit-il en se penchant vers la jeune femme. Il est le plus proche confident de Neassa. Du moins c’est l’impression qu’il m'a donné. C’est également lui qui m’a averti du danger qui pesait sur moi.

Il écarta une personne qui obstruait le chemin d’un geste ferme, puis s’engagea sur les pavés avec empressement. Devant eux surgit soudainement la forge de l’artisan Vergard, un vieille battisse ayant connu des jours meilleurs, même la structure en elle-même paraissait plus robuste que celle de ses voisins. Parvenant à l’entrée, Nehril frappa deux coups secs à la porte. Il vérifia autour de lui que personne ne l’avait suivi puis attendit un instant que résonne une voix fluette de l’autre côté.

— Ouiiii ?

— Ouvre la porte Ceralyn, grogna Nehril d’une voix légèrement insistante.

La porte pivota aussitôt, révélant une fillette d’une quinzaine d’années. Son visage poupon arborait encore les derniers vestiges d’une enfance marquée, même si certains de ses traits semblaient désormais plus appartenir au monde adulte qu’à celui du petit âge. Sa longue chevelure rousse était d’une surprenante propreté, douteuse même, car en opposition avec son pantalon élimé et sa chemise bouffante percluse de tâches grasses. Dans ses mains, une épée était tenue adroitement, qu’elle devait sûrement orienter en direction de la porte, mais qui était désormais pointée vers le sol. La fillette fit quelques pas joyeux avant de découvrir Cassiopée. Elle pencha aussitôt la tête sur le côté.

— Oh c’est elle Neassa ? Je l'imaginais plus grande !

Nehril fit signe à Cassiopée de rentrer et lui désigna l’une des nombreuses chaises qui trônaient autour d’un foyer désormais éteint. Le mercenaire se défit de sa longue cape noire qu’il déposa au côté de l’âtre.

— Hélas non. Où est Stephen ?
— Il est là...

La voix provenait de l'escalier où des pas assez lourds et irréguliers descendaient les marches. Deux secondes plus tard, le vieux mercenaire au visage durcit par l'âge apparut. L'homme découvrit alors les deux nouveaux arrivants. Il détailla brièvement Cassiopee mais n'afficha aucune réaction particulière. Sirène ne jugeait jamais un livre sur sa couverture, il avait donc travaillé avec des personnes toutes plus différentes les unes que les autres et toutes très compétentes dans leur domaine respectif. Alors une demie-drow plutôt chétive ne lui donnait aucun a priori particulier.

— Je suppose qu'il s'agit de notre enquêtrice ? Vous avez trouvé quelque chose au Guet ? conclut-il en s'adressant aux deux sangs mêlés.

Le semi-elfe grogna.

— Pas grand-chose hélas. Ils sont d’une incompétence qui frôle la stupidité. Nous avons seulement appris que les Deelzenil se sont échappés de leurs geôles. Comment, pourquoi ? Ces fieffés idiots ne le savent même pas…
— Ouais, ça m'étonne pas vraiment. Mais comment ils se sont évadés, c'est pas vraiment notre problème. Quant au "quand", je pense que c'était pas longtemps avant qu'ils me choppent.

S'approchant des deux enquêteurs en boitant, Stephen offrit un spectacle peu valorisant. Ses traits étaient tirés tant par la fatigue que la faim. Sa jambe avait été fraîchement bandés au niveau de la cuisse. Il n'avait pas pu se laver depuis plusieurs jours et sentait relativement mauvais. Cependant, il n'était guère difficile de noter sa robustesse et son assurance dans sa démarche, son visage dur et son regard qui fixait Cassiopée sans la moindre hésitation. Il était certes vieux mais il était encore vaillant pour son âge et étant donné son état.

— Bon... Bah on dirait qu'on va devoir aller jeter un œil à la baraque où ils m'ont questionné. S'ils ont remarqué mon absence, ils y seront sans doute plus mais on trouvera peut-être des indices quant à l'endroit où ils ont pu aller ensuite. Sinon, y'a le repère de Sirène. Elle y garde souvent des informations sur ceux qu'elle a traqué. J'ai pas pris le temps de regarder quand j'y suis passé y'a quelques jours parce que je vous cherchais mais on y trouvera peut-être quelque chose.

- Alors autant commencer par là où vous avez été interrogé. Nous irons voir l'autre endroit après. Ce n'est pas comme si les indices allaient s'envoler avec leurs petites ailes. Si les Deelzenil se sentaient suivis et menacés, nous n'aurions peut être pas cette conversation ... Et d'ailleurs ... notre enquête serait terminée.

Ce qui n'aurait pas été plus mal tout bien considéré. Cela aurait fait économiser du temps à tout le monde ! Pourquoi les criminels ne venaient-ils pas simplement se rendre et ramener avec eux la prêtresse ? De toute façon, Nehril et Cassiopée finiraient par mettre la main dessus, alors à quoi bon s'entêter !?

Nehril opina devant les propos de Cassiopée. Malgré tout au fond de lui, il pressentait qu’il fallait se hâter. Ne pas s’attarder, rester en mouvement. Les indices pouvaient les aider à localiser Neassa, comme ils pouvaient ne rien leur révéler.

Le mercenaire croisa les bras en fixant Ceralyn.

— Reste ici gamine, lui lança-t-il sur un ton qui ne souffrait d’aucune contestation. Nous allons là où tu ne peux nous suivre. Tu seras seule, donc restes attentive au moindre bruit et n’ouvres la porte à personne.

— Je dois donc te laisser dehors ? s’enquit la jeune fille en rengainant d’un geste machinal son épée.

Le mercenaire grogna une réponse indistincte. Il savait que la jeune fille aimait jouer sur les mots. Mais à cette heure, se laisser entraîner dans un débat interminable n’était guère ce qu’il souhaitait. Il lui ébouriffa les cheveux avant de se tourner vers Stephen.

— Nous vous suivons Stephen.