Quand sa Princesse lui revient, le Chevalier triomphe ~ Clémence Hadjaoui

Arcamenel 26 Karfias de l'An XVIII du Onzième Cycle, Troisième Ennéade,
Cantharel, Marquisat de Sainte-Berthilde, Royaume de Péninsule.

Terré dans ses quartiers dont il pouvait à nouveau profiter, Andran était assis sur son siège derrière son bureau, sur lequel se tenaient trois chopes d'eau, quelques plumes dans un encrier, et plusieurs parchemins. Face à lui, ses amis Reold et Korm étaient également assis sur un siège. L'inquisiteur était revenu d'Hardancour dans la matinée où il était parti aider un commerçant à qui l'Ordre avait souvent affaire. Depuis son retour d'Estrevent sans la belle Clémence, il avait réalisé beaucoup de choses pour l'Ordre et s'était pleinement consacré à ses obligations. Il avait également confié le sanctuaire d'Eyroles à Spahi, ce qui lui évitera de nombreux voyages à l'avenir. De plus, se consacrer à la chevalerie lui permettait de pallier l'impatience de retrouver sa chère et tendre, et cela lui faisait beaucoup de bien. Et puis, il appréciait également passer du temps avec ses frères d'armes, et cette fois-ci le cœur plus léger qu'avant son départ.

Les trois chevaliers réunis dans les quartiers de l'inquisiteur étaient présents avant tout pour discuter de la mission d'Andran à Hardancour. Mais, comme souvent entre amis, la conversation avait dévié de sujet jusqu'à évoquer des anecdotes qui n'avaient rien à voir avec l'Ordre. Korm était également tombé sur les lettres que Clémence avait fait parvenir à son amant à travers l'Ordre, seule adresse qu'elle connaissait. Il y en avait moins d'une dizaine, toutes écrites et signées par la jeune femme. Si Korm ne lut aucune des lettres car il avait une once de respect pour la vie privé de son ami, il ne put s'empêcher de lui demander où leur relation en était. A ce jour, les chevaliers ne savaient pas grand chose : Andran et Clémence étaient retombés amoureux, et il avait acheté une maison à Cantharel pour qu'ils y vivent ensemble. De ce fait, l'Inquisiteur avait fait retirer son lit dans ses quartiers, car il n'y dormirait probablement plus, à l'avenir.

« Elle revient bientôt, ton amoureuse ? » demanda Korm avant de boire une gorgée d'eau. Il était sérieux, et rien ne trahissait moquerie ou plaisanterie.
« Je l'espère toujours plus. Mais, elle en devrait plus tarder. » répondit Andran, qui avait reçu une ultime lettre annonçant le départ de Clémence du domaine de sa famille, il y a plusieurs jours. D'ailleurs, cela le préoccupait.
« Tu penses que la maison que tu as choisie va lui plaire ? » demanda Reold, qui but à son tour une gorgée d'eau.
« Je croise les doigts... » dit l'inquisiteur, en étirant un léger sourire et en imitant le geste. Il passa le regard par la fenêtre, et se leva. « Pour une fois qu'il fait beau et pas trop froid, pourquoi n'en discuterions pas dehors avant que la neige ne revienne ? »

Approuvant l'idée d'Andran, Reold et Korm ressortirent en sa compagnie et prirent le chemin de la cour. Depuis plus d'un mois, maintenant, la neige avait remplacé la pluie, et les nuages ternes et épais privaient sans cesse le Marquisat des rayons du soleil. Le territoire était complètement recouvert de neige et le froid perçant forçait les habitants à s'enrouler dans leur fourrure et à allumer leur cheminée. Mais, aujourd'hui, le ciel était bleu et le soleil brillait comme un jour d'été. Tellement habitués aux grandes chutes de neige, les nordiens s'extasiaient toujours devant le moindre rayon du soleil. Parés de leur fourrure, ils remarquèrent que des visiteurs arrivaient. Pensant d'abord à Clémence, Andran fut presque déçu de ne voir que Kolgrim arriver, lui qui était parti une ennéade auparavant du côté de La Ferté-sur-Cours. Les quatre hommes échangèrent une poignée de main virile et une accolade pleine d'affection.

« Hé bien, mon cher Andran ! Cheveux coupées, barbe taillée... fais attention ! Se faire beau est une bonne chose, mais encore faudrait-il que Clémence te reconnaisse ! »

La raillerie du chevalier suscita un rire général, même venant de l'intéressé. En effet, il y a quelques jours, Andran s'était offert les services d'un barbier afin de tailler sa barbe et ses cheveux, espérant plaire à Clémence en se montrant plus soigné. Ses mèches de cheveux étaient désormais plus faciles à manier et à coiffer même s'il les a gardé assez longues pour donner du volume, et sa barbe lui donnait un air moins bourru. Il appréciait qu'elle couvre toute sa mâchoire et la sentir sur sa peau, mais préférait limiter sa longueur. En plus, il savait que Clémence aimait sa pilosité.

« Au lieu de me railler sur mon physique, vilain chevalier, racontes-nous donc ton voyage. » rétorqua Andran qui asséna un coup de poing factice à son ami.
« Ouais, j'y compte bien. Mais d'abord, je me défais de mon armure et je prends un bain car j'en ai bien besoin. »
« Vas donc te laver, saligaud ! » railla Korm, qui reçut une tape sur l'épaule de la part de son frère d'armes avant qu'il ne s'en aille.

Les trois autres hommes préférèrent rester dehors et profiter de ce soleil avant qu'il ne se couche. Du fait de ces journées plus courtes et de ces températures capricieuses, les Marcheurs Austères se contentaient d'une seule séance d'entraînement par jour, mais partaient plus souvent aider les autres car la neige apportait son lot de problèmes à qui n'en avait pas besoin. De son côté, cela avait permis à l'inquisiteur de trouver une belle maison qui plairait à Clémence et où elle s'épanouira aux côtés de son preux chevalier. Il ressentait appréhension et impatience à l'idée de la revoir. Il craignait que la maison ne lui plaise place, et encore plus que leur relation ne se déroule pas comme ils le souhaitent. Mais, après toutes ces ennéades, il sentait l'envie... non, le besoin de la revoir.

Alors qu'ils s'apprêtaient à retourner à l'intérieur, les trois chevaliers entendirent des visiteurs tambouriner la grande porte d'entrée du Sanctuaire. Andran releva le regard sur ses amis, plein d'espoir et d'anxiété. Après une seconde d'immobilité totale, il pressa le pas vers l'entrée, ses amis restant dans la Cour au besoin. Arrivé devant les portes, l'inquisiteur sentit son cœur se serrer et battre à la chamade. Il respira longuement comme pour se détendre, et ouvrit enfin les portes.

Cela ferait bientôt cinq ennéades... Cinq ennéades qu'Andran était parti de chez eux et qu'elle lui avait promis de le rejoindre un jour. Elle avait eu besoin de ce temps pour poursuivre ses réflexions mais pas seulement. En effet, il était assez vite paru évident qu'il lui manquait bien trop... Dans une de ses lettres, elle lui avait avoué -un peu honteusement- qu'elle était retournée dormir dans sa chambre une nuit afin de retrouver son odeur dans les draps qu'elle n'avait pas eu le courage de changer. Elle jouait régulièrement avec la bague pendue à une chaîne autour de son cou et passait souvent du temps à la regarder, l'imaginant toujours au doigt de son compagnon.
Non, sa décision de partir fut vite prise. En revanche, le deuil de ce rêve qui devait la ramener chez elle pour toujours fut un peu plus long à faire. Elle était retournée à son arbre presque chaque jour. Elle avait fait tinter la cloche quelques fois. Elle avait observé longuement chacune des pièces de la maison. Elle était plus d'une fois restée plantée là, à regarder sa famille interagir avec un air amusé et nostalgique à la fois. Elle les aimait... Et ils lui manqueraient, tous autant qu'ils étaient.

Lorsqu'elle eut fini de dire au revoir à cet endroit et à Patience qui ne pourrait l'accompagner dans son voyage afin de veiller sur Sincère, alors Aimé et elle prirent la route pour Geresh puis Thaar. Là, elle passa du temps avec chacun de ses frères et même un peu avec Modeste jusqu'à ce qu'elle se sente prête à partir enfin pour la Péninsule. Sauveur ne pouvait les accompagner pour bon nombre de raisons, à commencer par ses enfants. Courtois ne pouvait guère se le permettre de nouveau vis à vis de son travail après son dernier séjour à l'Ouest. Elle ne voulait pas contraindre Digne à retourner dans ce pays qu'il n'aimait pas mais il décida néanmoins de l'accompagner. Quant à Modeste, elle était curieuse de découvrir cette terre lointaine. Néanmoins, elle était en train de montrer un projet de boutique et ne pouvait se permettre de s'en aller maintenant.
Ainsi, se fut accompagner des deux rouquins qu'elle prit le bateau depuis Thaar jusqu'à Isgaard. Cependant, leur route ne fut pas de tout repos. Une tempête avait endommagé leur navire qui dut faire une halte d'un jour. Puis un blizzard les avait contraint à s'arrêter deux jours supplémentaires dans une auberge, provoquant même une petite pique de la part du cadet de la fratrie, demandant à Clémence si elle était certaine de vouloir vivre dans un pays pareil ! Mais cette fois, ils étaient bel et bien arrivés à Cantharel. Une fois les portes de la cité passées, Aimé indiqua l'intérieur de la ville d'un geste.

-A toi de nous guider maintenant. Fit-il d'un air enjoué.

Il savait à quel point il tardait à sa sœur de retrouver son chevalier. C'était assez étrange pour elle de revenir là deux mois plus tard... Elle avait l'impression de plonger dans un rêve. A moins qu'elle ne soit en train de s'éveiller au contraire ? Toujours était-il que la vue des murs et des maisons finirent par raviver sa mémoire et elle se tourna vers la rue qu'elle avait plusieurs fois empruntée avec Andran lors de leurs sorties, entraînant Sessiz à sa suite. Bientôt, les murs du sanctuaire de l'Ordre apparurent et Clémence sentit des émotions toutes contradictoires nouer son ventre. Elle ressentait soudain l'appréhension des retrouvailles et l'angoisse de l'avenir. Car, maintenant qu'elle était là, tout l'impact de sa décision devenait si réel...
Alors qu'elle s'était figée à vingt mètres de l'entrée, une main vint lui reprendre les rênes de son cheval. Elle tourna alors un visage surpris vers Digne. Ce dernier étira un sourire rassurant avant de lui indiquer la porte d'un signe de tête. Aimé avait déjà avancé et attendait sa sœur à mi-chemin. Cette dernière prit une grande inspiration et s'élança finalement...

La porte s'ouvrit sur l'épaisse carrure du roux qui étira un large sourire en découvrant un visage bien connu. S'était-il fait portier depuis la dernière lettre de la métisse afin d'être certain de ne pas manquer son arrivée ? L'idée l'effleura et l'amusa.

-Bonjour. Fit-il dans la langue du péninsulaire. Puis il répéta une phrase qu'il avait entendu quelques jours plus tôt et dont il semblait avoir compris le sens. Un colis pour vous.

Il s'écarta alors pour laisser apparaître une Clémence presque tétanisée. Cependant, lorsqu'elle retrouva le regard d'Andran, ses lèvres s'étirèrent en un sourire timide mais sincère. Même si l'appréhension et l'angoisse étaient toujours là, elle se souvint soudain pour quelle raison elle avait fait ce voyage et qu'est-ce qui l'avait poussé à prendre cette décision. Elle l'avait fait pour lui... Alors elle le regardait, heureuse malgré toutes ses inquiétudes.

« Aimé ? » laissa échappe le chevalier, surpris de voir le frère de Clémence ici-même. Il avait d'ailleurs prononcé son nom dans la langue du Royaume, ce que le gaillard ne comprendrait sûrement pas. Andran fronça encore plus les sourcils en l'entendant parler en péninsulaire. « Un colis ? »

Sans laisser le noble réfléchir à ce qu'il sous-entendait, le grand rouquin s'écarta et Andran put alors voir le visage de celle qu'il attendait si impatiemment depuis de longues ennéades. Ainsi, elle était seulement accompagnée de deux de ses frères. Pendant un court instant, le chevalier avait craint le pire, ayant pensé que sa belle avait changé d'avis. Clémence était enfin là ! Non, ce n'était ni un rêve ni une illusion, mais bien la réalité ! Pourtant incapable de bouger, Andran ne put retenir un large sourire qui illumina son visage. Puis, après l'avoir regardé dans les yeux pendant de longues secondes, il s'approcha d'elle et la prit dans ses bras, enfouissant sa tête dans le creux de son cou.

« Je suis si heureux de vous revoir, mon Amour. » murmura-t-il d'une voix soulagée. Peu après, il desserra l'étreinte pour admirer et caresser le visage de Clémence. « J'ai attendu avec impatience votre retour, et mon cœur est détendu maintenant que vous êtes là. » glissa-t-il avant d'approcher ses lèvres pour l'embrasser.

Andran savoura ce baiser d'une valeur inestimable, symbolisant le retour de son amante dans sa vie. Depuis son départ, il était heureux de savoir qu'il vivrait à ses côtés, et il l'était encore plus maintenant qu'elle était juste devant lui. Et, désormais, ils connaîtront l'intimité de la maison que le chevalier avait choisi, ce qui serait sans nul doute bien plus agréable que les quartiers de l'inquisiteur. Une nouvelle vie s'offrait à eux. Pour elle, ce sera certainement le jour et la nuit, si l'on compare cette vie à sa vie d'esclave. Mais, même pour lui, tout ceci était nouveau. Il avait beau avoir l'habitude des châteaux et des grands manoirs, jamais il n'en avait partagé un avec une seule femme. Hélas, il leur faudra attendre quelques instants avant d'y aller ensemble. En effet, il serait malpoli de partir sans laisser tout le monde se reposer et saluer les chevaliers. Et puis, Andran souhaitait encore profiter de ses retrouvailles. Si leur baiser avait fini par s'achever, les deux amoureux se tenaient toujours dans les bras.

« Vous êtes toujours si belle. » remarqua-t-il en replaçant une mèche de cheveux de la jeune femme. Un doux sourire s'étira sur ses lèvres. « Vous m'avez tant manquée. » ajouta-t-il d'une voix étirée alors qu'il avait son regard plongé dans celui de Clémence.

Le visage de son compagnon plongé dans un mélange de tissu et de cheveux, la voix d'Andran parvint néanmoins à la jeune femme. Si ses bras l'avaient enserré machinalement à son approche, ils le serrèrent d'autant plus fort en réalisant qu'elle était bel et bien là. Elle avait bel et bien fait ce voyage. Elle avait bel et bien pris sa décision. Elle se trouvait à Cantharel et allait y demeurer... C'était fou, mais c'était ce qu'elle avait choisi. Retrouvant le visage du chevalier, elle ne pouvait que constater qu'elle aussi se sentait mieux. La peur des retrouvailles, aussi illogique était-elle, était passée. Et, comme pour la chasser définitivement, il l'embrassa.

Pendant ce temps, Aimé était retourné aux côtés de son cadet pour leur laisser de l'espace et attendre. Même si la porte était accessible, il ne se voyait guère entrer sans permission dans un bâtiment qui regorgeait de chevaliers. D'autant qu'il n'en connaissait pas un seul. Digne en avait croisé un lors de sa première visite mais c'était surtout Aislinn qui lui avait parlé afin de comprendre où se trouvait Clémence. Il se souvenait à peine de son visage, alors son nom... Ainsi il ne pourrait guère faire mieux que son aîné...

Lorsque le baiser s'acheva ("enfin" ajouteraient les deux frères), les bruits alentours semblèrent émerger de nulle part pour venir s'immiscer jusqu'à l'oreille de Clémence, comme si elle ne les avait plus perçu depuis de longues minutes. Elle sembla alors seulement réaliser qu'ils se tenaient là, à la vue de tous, dans les bras l'un de l'autre. Ils venaient de s'embrasser un long moment, en public, chose qu'ils n'avaient encore jamais faite. La jeune femme pensa aussitôt à ce que l'on penserait d'une estrevine métissée cajolée par un chevalier... Mais elle s'efforça de chasser tout cela tant bien que mal. Andran avait parfaitement conscience de tout ceci et il était prêt à passer outre, sinon il ne lui aurait jamais demandé de venir vivre avec lui.
Alors, devant son compliment, elle s'efforça de lui sourire. A sa tenue, elle ressemblait toujours à une vaanie mais ses vêtements étaient bien plus discrets que ceux que l'Inquisiteur l'avait vu porter au domaine familial. Ceux-là, elle les gardait pour l'intimité de leur maison. Elle n'avait pas pu se résoudre à jeter les robes qu'il lui avait achetée mais elle ne saurait les porter non plus. C'était un acte généreux de la part d'Andran à l'époque, cependant leur facture ne reflétait plus ce qu'elle était aujourd'hui. Elle était la fille d'un riche propriétaire terrien d'Ithri'Vaan et la compagne d'un chevalier. Alors certes, la qualité n'était pas encore celle à laquelle on pourrait s'y attendre chez une femme de cette modeste envergure et elle n'avait pas d'orgueil particulier mais c'était déjà mieux ainsi.

-Je suis désolée d'avoir tant tardé... Et je ne parle pas seulement du temps qui nous a un peu ralenti... Ajouta-t-elle d'un air contrit.

Il lui avait laissé le temps dont elle avait besoin mais ce fut au prix d'une angoisse certaine qu'elle retrouvait à présent dans le soulagement qu'il exprimait. Oui, elle avait tardé... A achever de se décider, à faire son deuil puis ses adieux... Elle s'en voulait de l'avoir fait souffrir de cette manière, même si elle avait fini par venir le délivrer de ses tourments.
Derrière eux, deux rouquins s'impatientaient néanmoins et la voix du plus âgé se fit entendre. Clémence sourit, amusée. Elle baissa la tête sans pour autant se tourner vers eux.

-Il dit qu'il s'excuse de nous interrompre mais qu'ils ont un peu froid... C'est un euphémisme.

S'il neigeait actuellement en Ithri'Vaan, la température était encore moins clémente ici. Andran était né dans ce paysage et la belle métisse avait fini par s'y habituer au fil des ans mais les deux hommes débarquaient tout droit d'un pays où ils n'avaient que rarement vus la neige tomber dans leur existence... Aimé regardait son ancien partenaire d'entraînement, les bras croisés et un sourire rieur aux lèvres.

« L'essentiel est que vous soyez enfin là. » répondit Andran, lorsque Clémence évoqua ce temps écoulé avant son arrivée. « C'est tout ce qui m'importe désormais. »

Le chevalier savait qu'en venant vivre à ses cotés, la belle estreventine avait choisi de quitter sa famille, sa demeure familiale, et un mode de vie bien différent de celui de la Péninsule et que ce lui était difficile. A lui, désormais, de la protéger et de l'aider à s'intégrer un peu plus chaque jour, jusqu'à ce qu'elle fasse fi de ses origines, et également de son passé. Andran et Clémence avaient tant progressé en Estrevent qu'il serait certainement aisé de passer d'autres caps ici, à Cantharel. Et, maintenant qu'ils auront leur demeure, ce sera d'autant plus facile.

Leurs retrouvailles tant attendues durent néanmoins faire face à l'attente de ses deux frères venus l'accompagner. Pour le chevalier, ce fut un retour abrupt à la réalité. Obnubilé par revoir son Amour, il n'avait pas remarqué qu'il l'avait embrassé dans la rue, à la vue de tous, et ce devant le sanctuaire de son Ordre de chevaliers. Cela n'était pas arrivé souvent, car lui était pudique, et elle réservée. Andran passa le regard par-dessus l'épaule, remarquant alors que la porte du sanctuaire était encore ouverte, et que ses amis ne s'étaient pas approchés. Nul doute qu'ils étaient toujours dans la cour. Il soupira après que Clémence lui ait traduit ce qu'ils avaient dit dans leur langue.

« J'aurais souhaité profiter de ce moment un peu plus longtemps... » dit-il d'un faussement bougon. Il interrompit définitivement leur étreinte avec Clémence, après lui avoir caressé la joue. « Mais, vous avez fait un long voyage, entrez vous désaltérer et vous reposer un peu. »

Andran salua Aimé puis Digne d'une poignée de main et d'une accolade amicale, avant de porter quelques unes de leurs affaires à l'intérieur. Dans la cour, Korm, Reold et Kolgrim, couvert d'épais manteaux, attendaient devant la porte de la salle commune. Ils furent étonnés de voir deux hommes roux avec Clémence et lui, mais néanmoins souriant en revoyant celle-ci.

« C'est... étrange de vous revoir ici, Clémence. » dit Reold avec un sourire. « Mais sachez que je n'en suis pas moins heureux. »
« J'ai convié tout le monde à se reposer ici et boire un coup parce qu'ils ont fait un long voyage. Ils dormiront tous chez moi jusqu'à leur départ. » prévint Andran, qui pensait que Clémence préférerait que ses frères soient proches d'elle.
« Et moi qui pensait qu'on allait les recruter... » plaisanta Kolgrim lorsqu'il passa le regard sur Aimé. « Posez vos affaires à l'intérieur, elles y seront au chaud et au sec. »

Sa consigne s'adressait tant aux frères qui ne parlaient pas la langue du Royaume qu'à Clémence et aux chevaliers qui allaient l'aider. A l'intérieur, ils devaient être moins d'une dizaine, car nombreux étaient les absents aujourd'hui. Entre la séance d'entraînement et le dîner, la plupart des chevaliers tuaient le temps en jouant à des jeux ou en se racontant des histoires. Lorsqu'Andran rentra aux côtés de Clémence et de ses frères, ils eurent droit à des acclamations de la part de ses frères d'armes, eux qui n'avaient jamais cru que la jeune femme reviendrait avec lui, tant à cause de son attitude que du fait qu'elle était pas heureuse ici, à Cantharel.

Korm sortit quelques chopes en plus et les remplit d'eau avant de les servir aux arrivants qui s'assirent sur les chaises, pendant que Reold se permit de convier les employés à retrouver leur ancienne partenaire et à passer un bon moment. Clémence opérait les traductions nécessaires pour que tous se comprennent car personne d'autre ne parlait l'oliyan. Certains chevaliers ne cachaient pas leur étonnement car Aimé et Digne n'avaient aucun point commun avec leur sœur, du moins en apparence. Pour Andran, qui connaissait les détails de sa famille, cela l'amusa car il était le premier à trouver étrange la polygamie. Une fois que les visiteurs furent désaltérés et reposés et que tous se perdaient dans de reposantes discussions, l'inquisiteur des Marcheurs Austères vint quérir sa dulcinée.

« Clémence, est-ce que vous me suivriez jusqu'à notre maison ? J'aimerais que vous la découvriez avant tout le monde. »

Si elle semblait hésitante au premier abord, la jeune femme accepta et ils s'éclipsèrent après qu'Andran n'ait expliqué qu'ils allaient à leur maison pour qu'elle la visite. En effet, pas même les frères d'armes du chevalier ne l'avait vue. Certains l'avaient accompagné dans sa recherche, mais il avait gardé son choix secret. Après avoir sellés leurs montures, Andran guida Clémence sur la route jusqu'à leur maison. Il était souriant et gardait son amante près de lui, car la beauté de ses lettres ne remplaceront jamais la douceur de sa voix.

« J'aurais sûrement dû vous poser quelques questions avant de partir, car cela n'a pas toujours été facile. Mais, je crois sincèrement que celle que j'ai choisi vous plaira. » évoqua-t-il, tout sourire en repensant à ce temps consacré à la recherche d'une maison agréable. « Depuis mon enfance, je n'ai jamais vécu dans ma maison... je suis tellement habitué à mes quartiers disponibles au sein de l'Ordre que cela me paraît presque bizarre de loger ailleurs. »

Cependant, la maison est assez éloignée du Sanctuaire de l'Ordre, détail sur lequel ne s'est jamais attardé le chevalier, car ce n'est certainement pas quelque chose qui importait. Et puis, cet éloignement des rues les plus arpentées par la population serait sûrement plus agréable pour Clémence, qui avait sûrement l'habitude du calme, en Estrevent. Par ailleurs, elle n'aurait pas à affronter le regard scrutateur des passants.

Enfin, ils arrivèrent à destination. Une grande maison leur faisait face, derrière un portail à deux grandes portes et un muret en pierre, duquel jaillissait une barrière de fer. Derrière le portail, un chemin de pierre menait un petit escalier permettant l'accès à la porte d'entrée, et un autre qui lui est relié menait aux écuries. Avec l'hiver, l'herbe, les plantes et fleurs ornant l'extérieur de l'entrée étaient fanées et manquait de décorations, mais nul doute qu'elle pouvait devenir très accueillante.

Pour ce qui est de la maison en elle-même, elle était de pierre sombre commune aux villes du Nord, et dispose de nombreuses fenêtres, car le chevalier savait que Clémence appréciait la luminosité. Elle est haute de deux étages, compensant ce manque de hauteur par une grande largeur et une certaine longueur. Sa toiture est composée de tuiles sombres également, et elle n'abritait aucun employés pour l'instant. Andran était certain que Clémence préférait attendre avant de partager cette maison avec un majordome, une demoiselle de compagnie ou encore quelques gardiens.

« Nous y sommes. » annonça le noble d'une voix timide. « Bienvenue chez vous, Clémence. »

Clémence ne s'attendait pas vraiment à l'accueil qui lui fut réservé... Que ce soit la remarque de Reold, l'humour de Kolgrim ou encore les acclamations de tous les autres. C'était étrange, surprenant et à la fois plaisant. Un peu comme si elle était déjà intégrée dans ce groupe alors qu'elle venait d'arriver. La main dans celle d'Andran, elle ne le quitta pas d'un centimètre, se cachant même à moitié derrière lui en arrivant dans la salle commune avant de sourire, contrainte et forcée par l'enthousiasme des plus contagieux que l'on manifestait à sa vue. Elle pensait faire le bonheur de son compagnon en revenant, pas celui de l'Ordre tout entier. Et pourtant...

Digne et Aimé étaient différents physiquement mais aussi dans leur attitude. Ils ne semblaient en rien timides alors qu'ils se trouvaient dans un pays étranger dont ils ne comprenaient la langue qu'à moitié. Ils essayèrent d'échanger par eux-mêmes avec tous ces chevaliers des plus dynamiques mais l'intervention de Clémence fut souvent la bienvenue. Si les deux frères s'installèrent près de leur sœur, ce ne fut que pour la rassurer, elle. Aussi, lorsqu'elle leur fit savoir qu'elle allait s'absenter, ils ne bronchèrent pas plus que cela.

-D'accord, à tout à l'heure.
-Attends, tu te sens de leur parler, toi ?
-A nous deux, on va bien y arriver ! Tout à l'heure, j'ai compris que celui-là voulait me recruter.
-Toi ? Je suis pas sûr qu'ils aient une armure à ta taille.
-Ça va, je ne suis pas Courtois non plus !

Tandis que Clémence s'éloignait dans les couloirs, elle entendit les rires de ses frères. Cela la fit sourire sans savoir pourquoi car elle ignorait ce qui les amusait autant. Cependant, elle avait bien d'autres préoccupations à l'esprit. Elle sella Sessiz à la demande d'Andran mais elle ne comprit pas vraiment pourquoi. Leur maison était si loin que cela ? Elle hésita à prendre ses affaires avec elle mais elle y renonça. Autant qu'elle se contente de découvrir les lieux pour le moment. Elle aurait tout le temps du monde pour s'installer ensuite. Elle se contenta donc de son cheval et suivit son compagnon.
Lorsqu'il évoqua le sentiment que lui provoquait l'idée d'avoir sa propre maison, elle ne put que lui offrir un sourire compatissant. Elle ne saurait vraiment comprendre son dilemme. Son chez elle avait toujours été en Ithri'Vaan jusque là. Son défi à elle était donc très différent du sien. Elle devait accepter cette demeure comme étant la sienne mais en faisant son deuil du domaine familial. Au moins, sa famille en avait repris possession et y vivait de nouveau.

Leurs pas les conduisirent dans une partie de la ville que la jeune femme de connaissait pas. Jusqu'alors, elle n'avaient réalisé que les trajets qui lui permettaient de se rendre de l'Ordre au marché ou à l'extérieur de la cité, rien de plus. Les quartiers riches et nobles étaient bien loin de ses destinations habituelles. Malgré le jour déclinant et la grisaille de l'hiver, elle ne pouvait que remarquer le changement de décor. Ici, les rues étaient plus propres que nulle part ailleurs. Les maisons étaient aussi grandes que belles et on voyait que les propriétaires avaient fait en sorte que chacune se démarque des autres. Ce n'étaient certes pas les Soieries de Thaar mais cela restait très beau aux yeux de l'ancienne nomade.

Finalement, Andran arrêta sa monture et elle en fit autant. Suivant le regard du chevalier, elle découvrit la propriété qu'il lui indiquait. Certes, il fallait un peu d'imagination pour se projeter à la belle saison, quand le doux soleil du printemps éclairerait les murs gris et que la nature pourrait embellir cette petite cour d'entrée. Cependant, la jeune femme demeura sans voix.

C'était... chez elle ? Vraiment ?

Détaillant plus attentivement la façade, un léger vacillement attira son attention au niveau de l'une des fenêtres et elle remarqua une faible lueur. Un feu était visiblement encore en vie dans l'âtre. Elle se tourna alors vers son compagnon.

-Vous vivez déjà ici ?

Son ton n'était en rien accusateur, bien au contraire. Elle aurait compris s'il avait souhaité l'attendre afin qu'ils emménagent en même temps mais le fait qu'il investisse les lieux avant son arrivée ne la dérangeait pas le moins du monde. Cela signifiait qu'il était sérieux dans son souhait de vivre avec elle et s'y projetait si bien qu'il avait décidé de vivre dans leur maison dès que cela lui avait été possible. D'ailleurs, la réponse positive d'Andran la fit sourire timidement avant de se tourner à nouveau vers la bâtisse.
Clémence regarda également la rue autour d'eux. L'endroit était relativement calme. Les passants les regardaient et s'attardaient plus longuement sur elle mais le fait qu'ils soient peu nombreux rendait la chose moins oppressante. Sans doute l'Inquisiteur avait-il fait exprès.

-Vous avez pensé à prendre vos clefs ?

Une expression malicieuse passa sur le visage de la jeune femme tandis qu'elle posait cette question un peu détournée de son but. En vérité, elle était tout simplement impatiente d'entrer pour en découvrir l'intérieur.

Si Clémence ne semblait pas nécessairement enjouée à l'idée de vivre dans cette maison, elle n'en semblait pas déçue pour autant. Mais, l'attention qu'elle portait à la maison était normal, car c'est un changement radical de mode de vie, tant par rapport à ces dernières ennéades en Estrevent que par rapport à leur relation amoureuse avant son départ. Il lui faudrait du temps pour prendre ses marques et s'y adapter pleinement, mais cela sera plus facile si la maison est à son goût.

« Hé bien, je n'y ai pas passé beaucoup de temps mais oui, j'y vis déjà. » répondit-il simplement en haussant les épaules. « Pour moi aussi, cette maison est un changement qui mérite un peu de temps pour s'y faire. »

Andran vivait au sein de l'Ordre et s'en était jamais détaché jusqu'à maintenant. Beaucoup de ses frères d'armes avaient vécu un tel changement, lorsque leurs obligations maritales les obligèrent à siéger auprès de leur épouse respective. Certes, Clémence n'est pas son épouse, mais ce n'est pas pour autant qu'Andran se permettrait de la traiter comme si elle ne l'était pas. Quelle que soit la maison qu'il aurait choisi, il aurait eu besoin de ce temps d'adaptation.

« Oh mince ! » s'exclama-t-il lorsque la jeune femme évoqua le sujet des clefs. « Je les ai oublié ! Ne bougez pas je reviens tout de suite. »

Après avoir fait mine de repartir et de prendre le chemin de l'Ordre, Andran revint vers Clémence, agitant les clefs avec un sourire espiègle, fier comme un paon de sa plaisanterie. Il mit pied à terre, et convia sa jeune et tendre amante à faire de même. Il ouvrit le portail et laissa la jeune femme entrer en premier. Le matin-même, le chevalier avait lui-même déblayé la neige du chemin de pierre afin d'éviter les dangereuses glissades. Ils dessellèrent leurs montures et les abritèrent dans les écuries avant de se diriger vers la porte d'entrée vers l'intérieur.

« Vous êtes prêtes ? » demanda-t-il alors qu'il inséra la clef dans la serrure. La jeune femme acquiesça. « Alors, que la visite commence. »

Andran ouvrit la porte en bois, et encore une fois galant, il laissa son amante prendre les devants. Un assez grand vestibule s'offrit à eux, illuminée par quelques fenêtres, et accueillant, sur le côté, un bel escalier donnant sur l'étage du dessus. De l'autre côté, une porte menait au petit jardin enneigée en cette période. Bien que la salle accueillait plusieurs meubles, et qu'elle était bien éclairée, elle manquait cruellement de décoration et paraissait vide.

Le chevalier préféra, néanmoins, lui montrer d'autres pièces avant de s'attarder sur ce détail, comme s'il n'avait pas la moindre importance. Ainsi, ils observèrent les cuisines, le salon, et d'autres salles du rez-de-chaussée dont la fonction était encore à déterminer. Nul doute qu'il faudrait de quoi loger quelques employés, et que certaines pourraient être utilisées pour certains loisirs. Là encore, les pièces étaient spacieuses, lumineuses, car Andran avait remarqué, dans son domaine en Estrevent, que Clémence aimait les salles bien illuminées. D'ailleurs, il s'était permis de compenser l'absence de lumière de certaines pièces par des chandeliers sur les murs. Cependant, comme pour le vestibule, chacune des salles manquait d'ameublement et de décoration. Mais, s'il l'avait caché durant la visite de toutes ces salles, il vaudrait mieux que Clémence comprenne que ce manque de décoration était purement intentionnel.

« Lorsque j'ai choisi cette maison, j'ai fait le choix de ne pas trop la décorer parce que... » commença-t-il, hésitant et le regard planté sur le sol. Lui qui pensait qu'elle apprécierait son intention, il se trouvait infiniment ridicule rien qu'à l'idée de la lui partager. « Comme cette maison est à nous, j'aurais pensé que... comment... nous la décorerions ensemble, que... nous choisirions ensembles certaines choses, comme les tapisseries, les rideaux ou... que sais-je encore. »

Clémence vivrait ici avec lui, et, pour qu'elle s'y sente chez elle, le mieux était pourtant que la décoration et l'agencement de la maison lui convienne et donc que son avis soit pris en compte. Andran s'en serait voulu de régler tous les détails et qu'au final, cela déplaise à la jeune femme. Alors, il ne s'est contenté que d'acheter les meubles strictement nécessaires.

« Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais... lorsque je vous ai annoncé mon départ d'Estrevent, je vous avais confié vouloir choisir notre maison ensemble, à vos côtés. Si cela n'a pas été possible, j'aimerais que ce le soit en ce qui concerne sa décoration et son organisation. Vous faites partie de cette maison, désormais, et j'aimerais que votre personnalité s'en dégage... »

Dans le vestibule, Clémence prit la main d'Andran dans la sienne et ils commencèrent la visite ainsi. Bien vite, elle découvrit que la maison était aussi vide que l'entrée. Le chevalier l'avait à peine meublée. Cela demandait donc un certain effort pour parvenir à s'y projeter. Seul le salon était identifiable et la salle à manger était assez facile à imaginer dans cette grande pièce tout en longueur et flanquée de deux cheminées. Pour le reste, c'était un peu plus flou. Il y en avait d'ailleurs beaucoup... Tellement qu'elle ne savait pas comment ils pourraient les utiliser et l'idée d'avoir des serviteurs ne lui effleurait même pas l'esprit.
Au fur et à mesure, elle se détacha finalement du chevalier pour explorer un peu plus par elle-même, notamment la cuisine dont elle fit le tour plus en détails. Elle possédait déjà un certain nombre d'équipements et suffisamment de plan de travail pour une armée de cuisiniers. Ici, à part le matériel nécessaire à la confection des plats, ils n'auraient pas grand chose à acheter.

Alors qu'elle observait une tapisserie dans l'une des pièces vides, Andran s'approcha et lui parla de décoration. Il était vrai que cet objet n'était plus de prise jeunesse et elle n'était pas certaine que la scène qui y était représentée soit à son goût. Cette femme semblait l'objet de l'homme qui la tenait dans ses bras, ou il la retenait peut-être. Sa tête était tournée de l'autre côté, comme si elle cherchait à le fuir sans y parvenir. Et puis, le tapis était plein de poussière et perdait ses couleurs. Portant son regard sur les murs et le plafond, elle constata que les peintures non plus n'étaient plus de prime jeunesse. Il y aurait beaucoup à faire... Mais ce n'était pas cela qui l'effrayait.

-Merci... Dit-elle, touchée par son attention. Mais je... ne sais pas vraiment ce qui se fait... ici. Avoua-t-elle honteusement.

Elle devait être sa compagne mais elle avait bien peur de ne pas être à la hauteur pour le moment. Même s'il avait un peu commencé à lui enseigner, elle avait tout à apprendre : comment se comporter, comment s'habiller et même comment décorer sa propre maison. Les apparences avaient énormément d'importance dans la noblesse, elle l'avait bien compris. Elle ne voulait pas commettre d'impairs et elle doutait que son compagnon soit beaucoup plus au fait qu'elle des tendances actuelles. Du peu qu'elle avait pu voir dans les manoirs et châteaux dans lesquels elle était entrée, elle savait que les goûts étaient bien différents de chez elle. On faisait preuve de plus de piété ou on affichait sa puissance militaire en disposant armes et armures. Si la religion faisait nécessairement partie de leur quotidien, devaient-ils s'en inspirer autant chez eux ? Elle ne savait pas vraiment... Et ce qu'elle aimait, elle, possédait bien plus de couleurs que ce qu'il se pratiquait ici.

-Peut-être que nous pourrons... qu'il y a une pièce où je pourrais mettre un peu plus d'objets qui viennent de chez moi ? A l'étage ?

Elle n'envisageait pas de pouvoir afficher ses origines dans des lieux où tout un chacun pourrait se rendre. On lisait déjà sur son visage et dans sa voix chantante qu'elle était étrangère, elle n'avait nul besoin de s'exposer davantage.

Andran était soulagé de savoir que Clémence appréciait son attention. Peut-être aurait-elle préféré qu'il prenne certaines initiatives supplémentaires, mais il souhaitait que cette maison lui ressemble également. Il était un chevalier ; il avait combattu durant maintes guerres, et son propre Ordre rassemblait des combattants aguerris. Certes, ils faisaient preuve de bienveillance, d'écoute et de compassion envers autrui, quel qu'il soit, mais ils demeuraient des gens de guerre dans une terre qui en avaient connu un grand nombre, et qui en connaîtront tout autant à l'avenir. Cependant, Andran souhaiterait que sa propre maison puisse être un tant soit peu différente, et la personnalité de Clémence était parfaite pour cela. Il souhaitait qu'une aura de douceur, de sérénité s'en dégage, plus qu'une atmosphère guerrière à laquelle il était habituée.

« Je... je m'en voudrais que cette maison ne vous ressemble pas du tout. » dit le chevalier, qui s'était approché de sa belle. Il baissa la tête, la bouche grimaçant tristement de déception. « Je voudrais que, dans chacune de ces pièces, votre personnalité puisse se dégager, même discrètement si cela est nécessaire. »

C'était un équilibre qu'il fallait trouver entre la noblesse péninsulaire du chevalier, et les origines orientales de la jeune femme. Andran pensait que ces dernières pouvaient figurer dans la décoration d'intérieure sans que chacun des invités qui la côtoieront ne hurlent à l'hérésie ou au scandale. Plus que le penser, il le souhaitait parce que c'était le meilleur moyen qu'elle s'y sente bien. Pour qu'elle s'y sente chez elle, car, quoi que n'importe qui peut penser ou bavasser : dans cette maison, elle était chez elle. Mais, il devait admettre qu'elle avait raison sur un point : ils pouvaient plus facilement disposer d'objets plus exotiques dans les endroits intimes comme leur chambre à coucher.

« Toutes les chambres sont à l'étage, et l'escalier mène à une assez grande salle. Mais, si je ne souhaite pas nécessairement vous refuser quoi que ce soit dans les salles communes, j'ai encore moins de raisons de le faire en ce qui concerne notre chambre. » ajouta-t-il en s'éloignant de Clémence de quelques pas menant au vestibule. « Nous pouvons monter à l'étage, si vous n'avez plus rien à voir au rez-de-chaussée. »

-Notre chambre... Avait répété la jeune femme à voix basse alors que son compagnon s'éloignait.

Les mots employés par le chevalier pour lui répondre la touchait bien plus qu'il ne le croyait. En arrivant, elle s'attendait à trouver une maison déjà bien remplie et où elle n'aurait pas vraiment la place de s'exprimer. En droit qu'elle aurait juste à accepter en l'état puisqu'elle avait pris le parti de ne pas être là pour la choisir. Mais la bâtisse avait visiblement été achetée vide et il avait vécu avec le strict minimum pour l'attendre. Les lieux semblaient presque lugubres en l'état. Aucune vie ne pouvait se dégager là où il n'y avait rien d'autre que de la poussière et une décoration datée. Mais il avait fait l'effort de ne toucher à rien... Se contraignant à vivre dans ce qui ressemblait pour le moment à une maison fantôme, jusqu'à son arrivée qui aurait pu prendre encore quelques ennéades.

-Andran...

En quelques pas rapides, elle rattrapa le chevalier et, si son appel ne l'avait pas arrêté, sa main sur son bras le ferait sans doute. Puis elle l'inviterait à se tourner vers elle avant de s'approcher pour venir tout contre lui. Se hissant sur ses pieds, une main vint trouver sa joue et ses lèvres les siennes dans un baiser long et appuyé. Un baiser qui devait traduire son émotion du moment : son amour mais aussi son bonheur.
Lorsque leurs yeux se retrouvèrent de nouveau, ils demeurèrent dans les bras l'un de l'autre encore un petit moment. Juste là, au seuil du vestibule.

-Cette maison est bien triste pour le moment. Mais je la vois comme une toile blanche qui nous permettra d'en faire notre chez nous.

Il était vrai qu'en l'état, cela demandait un gros effort pour parvenir à se projeter dans un tel endroit mais Clémence revenait de si loin qu'un projet de cette ampleur ne l'effrayait pas. Bien au contraire. Ce serait elle qui passerait le plus clair de son temps ici et elle appréciait qu'il ait tenu à ce qu'elle puisse y appliquer son empreinte au moins autant que lui.

-Et si vous me montriez notre chambre. Les yeux de la belle s'écarquillèrent soudain en réalisant ce qu'elle venait de dire et à quel point cela pourrait être mal interprété. Enfin je...

Elle ne savait plus vraiment comment rattraper sa maladresse alors, résignée et honteuse, elle baissa la tête dans un soupir et ferma les yeux pour se soustraire au regard d'Andran. Qu'est-ce qui lui avait pris ? Elle voulait seulement exprimer son impatience à l'idée de découvrir l'espace qui leur serait dévolu à eux seuls. Il n'avait pas prévu de chambre à elle, sans doute parce qu'il voulait pouvoir s'endormir à ses côtés chaque soir. Et, après une si longue séparation, elle devait bien admettre qu'elle n'avait pas envie de s'éloigner de lui. Cependant, elle l'avait dit n'importe comment et se retrouvait à présent à fuir le regard de son compagnon après avoir évoqué sans le vouloir cette étape qui la terrorisait encore.

Alors qu'il se dirigeait vers l'escalier menant à l'étage supérieur, Andran s'arrêta lorsqu'il entendit Clémence prononcer son prénom. Au même moment où il interrompit sa marche, il sentit la jeune femme l'attraper par le bras pour qu'il se retourne vers elle. De là, elle lui caressa la joue et se dressa pour l'embrasser. Il ferma alors les yeux et se focalisa sur ce baiser jusqu'à ce qu'il s'interrompe, ce qui n'eut d'autre effet que de lui procurer une intense vague de volupté. Il adorait profondément ces baisers lorsque c'est elle qui en prenait les initiatives. Cela procurait un bien-être supplémentaire car le chevalier savait que cela signifiait que leur amour était fort réciproquement. D'ailleurs, même lorsque ce baiser s'acheva, ils ne ressentirent ni l'envie ni le besoin de desserrer leur étreinte si exquise.

« Je serais heureux et honoré de peindre cette toile blanche avec vous. » répondit-il aux mots de Clémence qui, finalement, équivalaient à des remerciements plus que sincères. Ce joli baiser en était d'ailleurs une autre illustration, et Andran sourit simplement en y repensant. Son Amour était réceptive à cette attention et à son souhait qu'il avait eu à son égard, et il en était infiniment comblé. « Je rêve de pouvoir sentir votre présence rien qu'en regardant les murs décorés chaque fois que je franchis le seuil de la porte. Et je serais encore plus heureux de vous voir, vous, la femme que j'aime, radieuse comme un soleil d'été, m'attendant patiemment dans cette maison dans laquelle vous vivrez, heureuse. »

Andran avait de nouveau fermé ses yeux pour visualiser cette scène de retrouvailles, tous ces soirs où il rentrera après avoir rempli ses obligations auprès de l'Ordre. Bien entendu, il y aura des jours durant lesquels il sera près de son Amour toute une journée, ou même pendant plusieurs jours de suite, et d'autres jours, où, malheureusement, il ne rentrera pas. C'était le prix à payer lorsque l'on était chevalier, et que l'on se battait pour aider autrui, parfois loin de son foyer. Néanmoins, dans ces cas-là, Andran s'assurera toujours du bien-être de sa belle compagne, car, il le sait pertinemment, elle aura toujours besoin de lui, de sa protection et de son attention.

Mais, ces tergiversations sur l'avenir n'avaient pas encore lieu d'être, et il valait mieux que le chevalier ne les laisse pas le rattraper. Clémence parvint d'ailleurs, par une soudaine proposition presque enthousiaste, à ramener son compagnon à la réalité de l'instant qui, lui, était bien plus plaisant. Il rit même de la gêne et la honte qui se rendirent immédiatement lisibles sur le visage de Clémence, qui se rendit compte rapidement de sa maladresse. Andran posa une main sur sa joue et l'embrassa sur le front à deux reprises. Il était conscient que cette étape n'était pas complètement derrière eux, et il ne pouvait pas l'en blâmer, mais il voulait qu'ils la franchissent une bonne fois pour toute. Lorsqu'il acheva son deuxième baiser sur son front, il prit sa main et la serra d'une force qui se voulait apaisante.

« Ne perdons pas de temps, car n'oublions pas qu'il faudra ensuite installer vos deux frères. » rappela-t-il avec un sourire enfantin.

De là, il guida sa princesse jusqu'à l'escalier et gravirent les marches jusqu'à accéder dans une salle plutôt moyenne de taille, car plus petite que le vestibule. Elle était très bien illuminée car une double porte-fenêtre menait à un joli balcon donnant sur le jardin de la propriété, et que d'autres fenêtres apportaient la lumière du soleil dans la salle. Des deux côtés de cette pièce se dessinaient des corridors menant aux plusieurs chambres qui composaient cet étage, et que les amoureux visitèrent une à une. Elles mesuraient toute la même taille, et comprenaient toutes au moins deux fenêtres et une cheminée. Cependant, comme toutes les autres pièces, elles manquaient de décoration et cela était criard. Comme Andran savait que Clémence voudrait que ses frères et sœurs puissent lui rendre visite, il avait pris le soin d'équiper certaines d'entre elles de lits et de meubles de rangement. Par la suite, ils passèrent rapidement dans la salle de bain, qui était déjà équipée de sa baignoire et autre meubles servant à entretenir son hygiène. Enfin, les tourtereaux conclurent la visite par la chambre qu'Andran avait prévu pour eux, au bout du couloir à droite de l'escalier, et dont les fenêtres donnaient sur leur jardin, et au-delà. Pour l'instant, seul un lit double et une armoire ornementaient ces chambres, ainsi que le minimum pour se toiletter, mais cela ne durera probablement pas.

« J'ai pensé que celle-ci vous plairait, car entre la vue sur le jardin, les murs épais de la maison, et la rue loin de nous, vous vous y sentiriez en sécurité, et en intimité. » expliqua-t-il à la jeune femme en gloussant nerveusement. Peut-être apprécierait-elle également cette attention ? « Dans tous les cas, les chambres sont assez spacieuses, donc, si vous le désirez vraiment, il est aisé de décorer la nôtre d'ornements venant d'Estrevent. Cela ne me dérange pas le moins du monde. » ajouta le chevalier, qui écarta les bras d'un air démonstrateur. « Nous pourrons même ajouter ces petits bâtonnets que vous brûlez et qui sentent fort, vous savez... » conclut-il en imitant le geste de celui qui les allume et qui disperse la fumée odorante dans toute la pièce.

Les chambres étaient toutes assez semblables les unes aux autres. Plusieurs étaient déjà meublées du strict nécessaire, ce qui constituait un arsenal plus chargé qu'au rez-de-chaussé. Sans doute Andran avait-il anticipé le fait qu'elle ne viendrait pas seule. Difficile cependant de savoir par combien de ses frères et sœurs elle se ferait escorter alors il en avait complété plus d'une. La petite salle de bain restait encore à aménager et se trouvait désespérément vide.
Clémence s'attarda plus longuement sur la chambre qu'il lui suggérait pour être la leur. Elle passa une main sur l'armoire et s'arrêta sur la clef qui permettait de la verrouiller. Elle se tourna vers son compagnon pour lui demander silencieusement la permission de l'ouvrir. Elle actionna alors le mécanisme et écarta les pans de bois. Les affaires du chevaliers prenaient de la place mais le meuble était grand et elle n'avait que peu de vêtements elle-même. Ce qu'elle avait prélevé dans sa propre armoire rentrerait largement dans l'espace disponible qu'il restait.

-J'ai apporté quelques robes de chez moi... mais... J'imagine qu'il vaut mieux que j'évite de les porter en dehors de la maison... Fit-elle en refermant l'armoire.

Elle allait devoir se constituer une garde-robe très différente pour pouvoir vivre ici. Pour tous les jours et peut-être aussi pour recevoir ou se rendre à une réception. Elle n'avait jamais vu Andran participer à ce genre d'évènements mais elle imaginait que cela devait bien lui arriver de temps à autres. Et puis, elle ne pourrait pas se limiter à des interactions avec l'Ordre. Tous deux devraient probablement avoir un minimum de vie sociale alors il serait important qu'elle s'apprête telle la compagne d'un chevalier et non comme une estrevine...

Clémence se tourna vers le seul autre meuble de la pièce. Le lit était bien assez grand pour eux deux, plus que ceux qu'ils avaient en Ithri'Vaan. Le style était profondément péninsulaire et un peu abrupte, quoi qu'un peu plus décoré que celui qui attendait dans sa chambre au pays. Quoi qu'il en fut, elle détourna la tête sans rien dire. Même s'ils avaient déjà dormi ensemble, l'idée de se retrouver allongée avec lui dans cette couche lui faisait monter le rose aux joues. Ainsi, elle découvrit le petit recoin qu'Andran avait aménagé pour faire sa toilette. C'était très sommaire mais suffisant. Quoi qu'il manquait un léger détail à ses yeux...

-Il... faudra peut-être un paravent. Suggéra-t-elle, n'osant toujours pas regarder son compagnon.

Si elle s'était déjà montrée en chemise de nuit hivernale devant lui, elle ne s'était jamais changée ni lavée sous ses yeux et s'en sentirait bien incapable... Chez elle, ils avaient leurs propres chambres alors la question ne s'était pas posée. Ici, ils n'en auraient qu'une seule. Ils devraient donc prévoir quelques aménagements afin de pouvoir cohabiter sans se gêner. Car elle ignorait combien de temps il lui faudrait encore pour ne plus avoir peur de sauter le dernier pas que leur relation devait encore franchir. Elle imaginait que tout serait terminé ensuite, que ses cauchemars seraient loin derrière elle, qu'elle n'aurait plus peur d'être avec Andran ni de se montrer à lui. C'était ainsi que fonctionnaient les couples normaux, non ?
Finalement, Clémence se tourna vers le chevalier.

-C'est très bien choisi. La chambre mais aussi la... la maison, dans son entier. Confia-t-elle, timide mais sincère.

Durant cette observation de leur chambre à coucher, Clémence ouvrit l'armoire dans laquelle Andran avait rangé toutes ses affaires. Fort heureusement, il avait prévu un grand meuble pour que la jeune femme puisse entreposer ses vêtements, même s'il savait bien qu'il avait une garde-robe plus riche quantitativement, et probablement plus à la mode péninsulaire. Au fil de toutes ces années, le chevalier avait accumulé beaucoup de vêtement, parfois simples, parfois cérémonials.

« Je pense que... certains vêtements que vous portiez là-bas pourraient sûrement s'adapter dans le Royaume. » commença le chevalier, qui rougit à l'idée d'évoquer certains autres robes beaucoup moins habillées et qui avaient parfois tendance à dévoiler le corps de la femme qui la portait. « Mais... pour ce qui est des robes trop... voyantes, vous ne pourrez que vous contenter de les porter ici, je pense, en effet. »

Le chevalier ne voulait pas évoquer ces robes d'Estrevent de manière péjorative, même si nombreux sont ceux qui les qualifieraient de fantasques ou vulgaires. Mais Clémence y était attachée, et il ne voulait pas qu'elle se sente obligée de les défausser ou de se condamner à ne plus les porter. Il ne souhaitait pas non plus qu'elle croit que ces vêtements lui déplaisaient, bien au contraire. Pourtant, elle devait bien reconnaître que porter ces robes, au-delà de rappeler ses origines, ne feraient qu'attirer des regards, parfois déplacés et malveillants, sur ses parties de son corps qu'elle ne cachera pas. Andran lui-même se souvient encore d'avoir déjà succombé à la prenante envie de regarder son corps si parfait dans ces vêtements exotiques. Rien qu'en y pensant, il se sentit honteux et gêné, car il savait que le désir, contrairement à l'amour, n'était pas réciproque entre eux. Une boule se forma dans sa gorge, et ses joues s'empourprèrent légèrement.

« Vous avez raison. Je n'y ai pas pensé car j'étais seul, mais il nous faudra un paravent à l'avenir. » répondit-il à sa suggestion, toujours terrassé par la timidité. Il se frotta d'ailleurs le visage pour tenter de se ressaisir. « D'ailleurs, je me suis contenté d'un lit simple car j'ai pensé c'était une chose que vous aimeriez sûrement choisir également. »

Détournant le regard sur le lit qui ne n'avait rien d'exceptionnel, Andran savait que celui-ci pouvait suffire pour une chambre d'amis voire une chambre d'enfants, et qu'ils pourraient le remplacer par un beau lit. Le faste n'était pas dans les habitudes de Clémence, mais si le noble avait les moyens, pourquoi s'en priver ? Meubler et décorer cette maison nécessiteraient plusieurs ennéades, si ce n'est plusieurs mois, mais Andran voulait vivre dans une belle maison, et nul doute que Clémence également. Finalement, il était heureux que cette maison fasse le plaisir de la jeune femme. Cela lui permit également de se détendre, et de vaincre sa gêne par un sourire espiègle.

« Pourtant, vous n'avez pas encore tout vu. » remarqua-t-il en se dirigeant vers la sortie de la chambre. « Je vous ai réservé le meilleur pour la fin. »

De là, il reconduit la jeune femme vers la salle de l'escalier puis l'emmena vers les portes-fenêtre, qu'il ouvrit malgré le froid. Derrière, un balcon en pierre surplombait la terrasse et offrait vue étendue sur tout le jardin de la propriété, et également sur la ville. Certes, le blanc de la neige remplaçait le vert des plantes et les couleurs fleuries, mais, il fallait se projeter sur les belles saisons pour accorder plus de crédit à cet endroit. Une petite fontaine, dont la paroi était fissurée à certains endroits et dont l'eau était gelée, se situait au cœur du jardin. De plus, d'ici, l'on pouvait apercevoir les plus hauts bâtiments de la cité, les Grand-Temples, la forteresse, et également toutes les maisons qui les entouraient. Ce balcon était assez grand pour que des chaises y soient installées, mais pas plus.

« Je crois que c'est l'endroit que je préfère dans cette maison. J'imagine toutes ses fleurs que nous pourrons planter pour que ce jardin soit magnifique l'été prochain. Et, sur le balcon, nous pourrions ajouter d'autres lits de fleurs sur des bacs, et mettre des chaises sur lesquels nous nous assoirons pour lire un livre et sentir l'air frais et l'odeur fleurie du jardin. » raconta Andran à la manière d'un conteur, le regard pétillant perdu au loin, et un sourire rêveur aux lèvres. Lorsqu'il reposa les yeux sur la jeune femme, il s'approcha d'elle, et passa son bras derrière son dos pour l'enlacer et posa sa tête sur la sienne, expirant longuement de bonheur et de sérénité. « Et puis... je rêvais de rester comme cela quelques instants à vos côtés, pour nos retrouvailles, parce que je me sens apaisé dans vos bras. Je m'y sens heureux, et comblé. »

Une chose était certaine, Clémence ne s'attendait certainement pas à cette vue. Pourtant, elle avait bien remarqué le balcon en montant et le jardin en visitant le rez-de-chaussée. Mais qui aurait cru que l'on pouvait voir aussi loin depuis ici ? Au chaud dans les bras d'Andran, elle admirait le spectacle sans un mot. Pour toute réponse à la jolie description du chevalier, elle était venue poser ses mains sur lui, l'enlaçant comme elle le pouvait alors qu'elle se trouvait presque devant lui, lui tournant le dos. Les minutes s'égrainèrent et un soupir d'aise lui échappa. Elle aussi se sentait apaisée contre lui.

Le jour d'hiver déclinait déjà dangereusement et il serait bientôt temps d'aller chercher ses frères afin de profiter des dernières lueurs du jour pour s'installer à peu près confortablement pour la nuit. Il fallait trouver des draps propres, faire les lits, glaner bassines, pichets, savons et serviettes pour que tous aient de quoi se laver. A moins d'installer le tout dans la salle de bain pour créer un espace de toilette commun en attendant d'équiper les différentes chambres. Il faudrait aussi s'inquiéter du repas et de l'endroit où ils pourraient manger dans cette maison encore vide ?
Bref, tant de choses à faire d'ici le coucher... Et elle se surprenait à déjà réfléchir à tout cela alors qu'elle venait à peine d'achever la visite de sa propre maison. Comme quoi, elle parvenait déjà à se l'approprier.

Tandis qu'une de ses mains caressait le bras d'Andran, ses doigts sentirent une fine chaîne enroulée autour de son poignet. Elle baissa alors les yeux et vit qu'il portait toujours le collier qu'elle lui avait confié. Elle étira un large sourire. Il l'avait conservé sur lui tout ce temps... Alors, elle porta ses mains à sa nuque et défit une autre chaîne, bien plus large que celle du chevalier. Elle en retira ce qui pendait à son extrémité et, doucement, remit la bague à sa place, au doigt de l'Inquisiteur. Ensuite, elle défit l'attache de son collier afin de le dénouer du poignet de son compagnon. Elle le lui présenta et, lorsqu'il l'eut pris dans ses mains, elle dégagea son cou et sa nuque de sa longue chevelure bouclée afin qu'il le lui remette. Quand cela fut fait, elle laissa retomber sa crinière noire et posa les doigts sur la fine chaînette et l'espèce de pendentif intégré.

Tout était rentré dans l'ordre... Chaque chose était à sa place.
Sa bague à son doigt.
Son collier à son cou.

Et elle, ici.

Arkuisa 41 Karfias de l'An XVIII du Onzième Cycle, Cinquième Ennéade,
Cantharel, Marquisat de Sainte-Berthilde, Royaume de Péninsule.

Quinze jours s'étaient écoulées depuis le retour de Clémence, accompagnée de deux de ses nombreux frères. Tous avaient pris place dans leur nouvelle maison, et, après qu'Andran ait assisté Aimé lorsqu'il l'hébergeât un mois plus tôt dans leur domaine d'Estrevent, celui-ci lui rendit le même service en retour, ici-même, à Cantharel. Cette maison avait besoin d'un travail pharaonique pour qu'elle puisse ressembler à celle d'un chevalier, car ce dernier n'avait aménagé aucune pièce.

Ainsi, pour commencer, ils s'étaient attelés à travailler les principales pièces de vie : le salon et la salle à manger, et également le vestibule, et la cuisine. Cette dernière n'avait surtout besoin que d'un réagencement, mais comme Clémence y passerait du temps dans l'attente d'employé, il valait mieux qu'elle s'y sente à l'aise. Ces salles, qui étaient très spacieuses et dans lesquelles on passait beaucoup de temps, se situaient sur l'un des côtés de la maison. De l'autre côté, d'autres pièces composaient le rez-de-chaussée, moins spacieuses, et probablement dédiées aux employés, ou encore à des loisirs précis. Andran pourrait sûrement y installer une salle d'armes, tandis que Clémence pourrait s'en approprier une pour ce qu'elle voulait.

En l'espace de ces quinze jours, le chevalier et sa princesse avaient pu s'adapter à cette nouvelle vie et, peu à peu, se projeter car cette vie prenait forme, et que cette toile blanche qu'ils voulaient peindre devenait une œuvre. Il apprit, par ailleurs, que le jour d'anniversaire de l'élue de son cœur approchait, et après avoir manqué le précédent car ils avaient, tous les deux, l'esprit perdu dans d'épreuves difficiles, Andran ne voudrait, pour rien au monde, ne pas le célébrer cette année-là. Quoi de mieux qu'un anniversaire pour organiser une petite réception de plusieurs personnes chez soi ? Si Clémence voulait s'habituer au mode de vie péninsulaire, ceci était une incontournable étape, notamment pour un couple. Et, maintenant que les salles élaborées pour étaient proches d'être terminées, pourquoi s'en priver ? De plus, sa vie d'esclave lui a sûrement empêché de les célébrer comme il se doit ; nul doute qu'elle sera heureuse de pouvoir, enfin, en célébrer un avec des personnes qui l'aimaient.

De plus d'Aimé et de Digne, Andran avait pu compter sur l'aide de certains de ses frères d'armes et amis, de temps à autre, pour l'assister à la tâche. Maintenant que Clémence avait découvert cette maison la première, plus rien n'empêchait l'inquisiteur d'accueillir ceux qui voulaient observer son choix. Ainsi, Korm, Reold, ou encore Kolgrim venaient, de temps à autre, aider leur ami dans les travaux de la maison, et le moins que l'on puisse dire est que leurs bras n'étaient pas de trop. En effet, de la peinture à l'ameublement, en passant par la décoration et le dépoussiérage : beaucoup de choses nécessitaient de gros bras, notamment pour porter les meubles.

Les principales pièces à vivre prenaient forme. Le salon avait été aménagé de manière à ne pas entrer dans l'excès, en conservant des couleurs froides. Le plafond avait été repeint en bleu foncée, laissant des symboles néerites, tels que la plume, blanc argentée en dessiner des motifs. Les poutres soutenant le plafond avaient également été peintes en bleu, mais s'inscrire sur leur longueur des branches d'arbres feuillues et fleuries, parmi lesquels quelques étoiles blanches venaient se greffer. Les cloisons avaient également été repeintes afin de s'associer avec le plafond, tandis que les pierres des murs de la maison demeuraient inchangés, simplement masqués par meubles et tapisseries dont les couleurs s'associaient au reste de la salle. Devant la cheminée, fauteuils et canapé se dressaient autour d'une table, sur un doux tapis ne manquant pas de rappeler les origines de Clémence, tandis qu'au dessus de l'âtre siégeait un bouclier devant deux épées croisées, tandis que, sur sa tablette se tenaient une statuette de Néera, comme si sa présence protégerait la maisonée. Si Andran voulait amoindrir la partie guerrière à laquelle il était habitué, il avait tenu à en conserver une légère présence. Enfin, de fins rideaux bleus plus clairs que le plafond se suspendaient au dessus des fenêtres, alors que d'autres meubles servant au rangement d'objets ou même de support, ainsi que des bancs et des sièges, trônaient dans la salle, servant notamment pour les réceptions. Quelques plantes à fleurs agrémentaient certains meubles, tandis qu'Andran n'hésitait pas à brûler de l'encens donner une odeur épicée à la salle. Des chandeliers étaient également accrochés aux murs pour les heures tardives.

Du côté de la salle à manger, les tons étaient différents, comme pour contraster avec le salon. D'une certaine manière, il était plus facile de manger dans une salle dont les couleurs se voulaient plus chaleureuses et accueillantes. Ainsi, le bleu et le blanc avaient été remplacées par des couleurs plus chaudes comme le rouge. Si celui-ci n'avait rien de criard ou de pétant, il était tout de même assez clair pour que l'on s'y sente à l'aise, notamment autour de cette très grande table d'un beau bois au centre de la pièce, situé sur un tapis moins exotique que celui du salon. Les cloisons ont été peintes du même rouge que le plafond, et des motifs verts ou dorés les ornaient. Enfin, plusieurs meubles comme des vaisseliers, des placards à nappes et chemin de tables, des chaises ainsi qu'un grand chandelier était suspendu au-dessus de la table pour les dîners.

Venu l'aube du nouvel anniversaire de Clémence, Andran ne put s'empêcher de demeurer à ses côtés jusqu'à son réveil. Ces derniers jours, il avait bel et bien organisé une soirée pour le célébrer dans les règles de l'art. Certes, ce ne serait pas comparable aux réceptions royales ou marquisales, mais le chevalier souhaitait que l'étiquette noble y soit respectée à la lettre pour initier Clémence à ce mode de vie. Ainsi, plusieurs amis de la noblesse étaient invités à venir ce soir pour un repas, en plus de Digne et Aimé, bien entendu, et Elise et Hans, les employés de l'Ordre autorisés par Reold à venir, ce dernier étant lui-même invité avec son épouse, Diana, que Clémence n'avait jamais rencontré. Lorsque cette dernière fut tirée de sa torpeur, son amant étira un large sourire avant de se pencher pour lui baiser le front.

« Joyeux anniversaire, Clémence. » souhaita-t-il d'une voix douce en se redressant. Sourire aux lèvres, il prit l'une de ses mains dont il caressa doucement la paume. « Acceptez-vous d'être la Reine, rien que le temps d'une soirée ? Votre soirée ? »

Clémence ouvrit les yeux et, comme chaque jour depuis son arrivée, elle trouva le visage souriant de son compagnon qui attendait qu'elle s'éveille. Depuis Ithri'Vaan, il avait compris comment faire pour ne pas attiser ses angoisses au réveil. Il ne cherchait donc plus à l'étreindre ou à la saisir d'une quelconque manière que ce fut. A la rigueur pouvait-il lui prendre la main, ce qui soulevait des interrogations dans son esprit embrumé plutôt que de la peur. Les caresses et les baisers, eux, étaient toujours bien accueillis.
Ainsi, comme tous les matins, elle lui rendit son sourire tandis qu'elle s'éveillait, paisible. Et, une fois n'était pas coutume, les premiers mots du chevalier ne furent pas "bonjour". Ses lèvres s'étirèrent alors de plus belle et elle vint se serrer contre lui, ses lèvres trouvant les siennes dans un baiser appuyé.

-Seulement si vous êtes mon Roi... Répondit-elle avec malice avant que ne reprenne leur échange silencieux.

C'était déjà arrivé, en quelques occasions, qu'ils se retrouvent dans cette situation. Allongés l'un contre l'autre, dans leur lit, il s'étaient embrassés longuement. Cela devait peut-être être la quatrième fois qu'ils le faisaient et la jeune femme se montrait chaque fois un peu plus détendue que la précédente, leur permettant de prolonger leur étreinte un peu plus longtemps que la fois d'avant.
Ces quelques jours avaient changé beaucoup de choses. Clémence avait pu constater qu'Andran respectait toutes ses promesses. Toutes les décisions concernant la maison, ce que soit les choix des couleurs, la sélection des meubles, la définition de l'agencement... Tout ce qui n'aurait pour elle été que des détails jusque là passait également par elle. Elle pouvait émettre un avis sur tout et elle était toujours entendue. Chacun cherchait le compromis lorsque les opinions divergeaient. Quoi qu'il fasse, le chevalier la faisait se sentir pleinement à sa place dans cette demeure et lui faisait comprendre qu'elle était à eux deux.

Cette expérience était certes éprouvante et il leur restait encore beaucoup à faire mais elle avait le sentiment que tout cela ne faisait que les rapprocher. La jeune métisse se sentait bien plus à son aise dans un environnement qu'elle pouvait parfaitement maîtriser, entourée principalement par ses frères et son compagnon. Les quelques chevaliers venus les aider ne reconnurent sans doute que peu la jeune femme qu'ils avaient accueilli, fraîchement libérée qui tremblait dès qu'on l'approchait de trop près et qui se murait dans le silence en présence de n'importe lequel d'entre eux. Aujourd'hui, elle souriait beaucoup, elle semblait pleine de vie et, surtout, son affection pour Andran se lisait dans les regards qu'elle posait sur lui. Et, comme personne ne lui en faisait de remarque déplacée, elle continuait de plus belle...

Ses mains caressant le visage, l'épaule et le bras accessible de son compagnon, Clémence était moins passive que d'habitude durant cette étreinte. La joie l'emportait sur ses craintes et elle voulait transmettre à son chevalier tout l'amour qu'elle ressentait en cet instant. Finalement, leurs regards se retrouvèrent de nouveau.

-Ce soir me semble si loin... J'ai encore tellement de choses à faire... Dit-elle en fronçant des sourcils préoccupés tandis que ses lèvres souriaient toujours, signifiant que tout cela n'avait rien d'une corvée à ses yeux.

Le menu avait été décidé la veille mais il lui faudrait faire les courses ce matin pour avoir tout ce dont elle avait besoin. Avant midi, elle aurait probablement l'occasion de commencer à préparer ce qui pouvait l'être puis elle passerait une grande partie de l'après-midi à cuisiner. Il fallait également mettre la table en utilisant la nappe qu'ils avaient acheté deux jours plus tôt et qu'elle avait lavé dans la foulée. Il y avait également toute la vaisselle neuve à laver et essuyer avant de pouvoir mettre le couvert. Un petit peu de décoration serait la bienvenue également. Enfin, il y avait une chambre supplémentaire à nettoyer et apprêter pour le frère d'Andran... Tant de choses sur sa liste et si peu de temps... Bien qu'elle puisse compter sur l'aide de toutes les personnes résidant actuellement dans la maison.

-Elise a demandé sa journée pour aider. Je dois l'attendre pour aller faire les courses. Je crois qu'elle mijote quelque chose... Elle a interdit que vous nous accompagniez.

Son amie pouvait se montrer si imprévisible qu'elle n'aurait pas su dire ce qu'elle pouvait bien avoir derrière la tête. Et quoi qu'elle prépare, elle ne saurait l'en détourner. La jeune servante était plus têtue qu'un mulet quand elle le voulait. C'était une fonceuse qui ne connaissait ni la peur, ni les regrets. Clémence l'enviait parfois d'être aussi libérée. Elle-même ne se sentait pas capable d'être ainsi.
Les mains posées sur le torse d'Andran, la belle métisse passa à un tout autre sujet tandis qu'elle se remémorait sa liste des choses à finir pour ce soir.

-Je n'ai pas eu l'occasion de vous le dire l'autre jour mais je suis contente que vous ayez renoué avec votre frère... Même si j'imagine que cela n'a pas dû être facile.

A peine éveillée, le bonheur se lisait sur le visage de la jeune femme, qui vint trouver ses lèvres pour un baiser matinal des plus agréables. Leur chambre était toujours neutre et vide, et pourtant les deux amoureux parvenaient à s'en imprégner et à dormir ensemble sans trop de peine. Peut-être Clémence se réveillait-elle en sursaut durant certaines nuits, mais si elle n'avait jamais demandé à découcher jusqu'à maintenant, c'est qu'elle s'habituait à dormir aux côtés de son amant. Il serait heureux d'être son Roi pour une soirée, et cela se lisait sur son visage.

Ce Arkuisa sera pleinement consacré à son anniversaire et à la soirée prévue pour le célébrer. Un repas sera de mise, et plusieurs amis étaient invités. Andran ne voulait pas accabler Clémence d'une soirée typique et complète d'une famille noble, et n'a donc pas prévu de danses, ni quoi que ce soit exigeant une très longue préparation. La belle estreventine avait de nombreuses choses à apprendre de l'étiquette noble, mais elle avait encore du temps devant elle pour s'en imprégner. Son anniversaire permettait une certaine initiation à la vie d'un noble, ou de la compagne d'un noble, et, pour cela, Andran avait invité des personnes qu'elle connaissait bien... sauf Reynard Straggen et son épouse, Anne-Lise Straggen, que le chevalier avait rencontré quelques ennéades plus tôt.

« Nous vous mettez pas martel en tête. Tout sera prêt pour ce soir, et nous passerons une excellente soirée. » répondit Andran, comme pour apaiser les inquiétudes de Clémence sur l'organisation de la fête d'anniversaire. « J'ai d'ailleurs hâte d'y être. »

Le noble savait pourtant qu'il leur faudrait la journée pour tout mettre en place. Il n'avait toujours pas choisi son costume, et il faudrait préparé le salon et la salle à manger pour recevoir les invités. Mais, ce n'était pas une première pour lui, et il savait qu'aucun retard n'avait été pris. Leurs amis pourront également juger de la décoration choisie par le couple pour leur intérieur, et pourront également découvrir Andran et Clémence étincelant de bonheur. Rien qu'en évoquant Elise, le chevalier rit aux éclats.

« Je ne m'en fais pas pour elle ni pour vous. Je pense qu'elle va se charger de vous pouponner comme une reine. » expliqua-t-il, le sourire toujours dessiné sur ses lèvres. « Et peut-être vous aidera-t-elle pour d'autres choses. A vrai dire, avec Hans, ils sont tous les deux invités, car je sais que vous vous entendez bien avec eux. Leur aide ne sera pas de trop, et puis il suffit de les habiller un minimum. Je ne veux pas vous imposer un strict respect de l'étiquette... pas pour votre anniversaire. »

Évidemment, Hans et Elise n'avaient leur place dans des soirées mondaines qu'en tant que serviteurs. Même s'ils savaient se tenir et faire preuve de bienséance, cela ne suffisait pas. Mais, cela n'empêchait en rien Clémence de les revoir et de passer du temps avec eux dans un cadre moins formel que des soirées et fêtes mondaines. D'ailleurs, peut-être l'épouse de Reynard pourrait l'aider à se familiariser à tout ceci. Andran ne put s'empêcher d'y penser lorsque Clémence évoqua la famille du chevalier, à qui il était prêt à accorder son pardon.

« Étrangement, les retrouvailles ont été moins difficiles que je l'imaginais. » dit Andran en haussant les épaules et en fronçant les sourcils, se demandant si cela était anormal ou non. « Je dois avouer que... vous y êtes pour beaucoup dans cette tentative de renouement. Finalement, j'ai découvert deux personnes qui m'ont l'air digne de confiance et appréciables. J'ai sûrement eu tort de refuser tout contact depuis si longtemps, et vous aviez sûrement raison de me convaincre de les revoir. » Le chevalier ne cachait pourtant pas sa légère appréhension. Il espérait sincèrement que Clémence n'aura pas à subir de remarques désobligeantes. Si jamais l'aîné ou son épouse s'y aventurent, Andran n'hésitera pas à couper court à ces retrouvailles pour protéger son amoureuse. Mais, il avait obtenu une promesse de la part de sa belle-sœur, qui semblait avoir un grand cœur. « Je m'entends bien avec Reynard et Anne-Lise, alors j'ai profité de cette occasion pour qu'ils vous rencontrent et pour m'assurer qu'ils sont bel et bien de bonnes personnes. »

Clémence n'avait encore jamais préparé de soirée quelle qu'elle soit. Et elle ne possédait que les quelques heures de festivités qu'elle avait pu partager avec l'Ordre ou sa famille pour toute référence. Il était donc normal qu'elle ne soit guère rassurée à la perspective de ce qui les attendait. Il y aurait sûrement des erreurs de commises, que ce soit dans la présentation des plats, la décoration ou encore son comportement. S'il ne s'agissait pas seulement de proches, elle n'aurait sans doute pas osé prendre la parole de toute la soirée. Mais elle espérait un peu de souplesse et d'indulgence à son égard de la part des chevaliers et de leurs épouses, ainsi que du frère et de la belle-sœur d'Andran.

Et l'idée qu'Elise se mêle à tout cela ne la rassurait pas tout à fait. Non pas qu'elle craignait que son amie ne la conduise à faire un faux pas ou prendre une mauvaise décisions mais la jeune femme était plutôt sûre d'elle et décomplexée, tout l'opposé de Clémence qui n'aimait guère qu'on la remarque et, ce, même dans son pays natal. Mais la belle métisse serait au centre de l'attention ce jour-là entre son anniversaire et son statut d'hôtesse... Elle ne pourrait se cacher dans ses cuisines en permanence et se contenter d'apporter les plats.

Andran lui avoua le rôle qu'elle avait joué dans ses retrouvailles familiales et elle afficha un sourire heureux et satisfait. Ils n'en avaient pas discuté bien souvent pourtant mais elle se souvenait de ce qu'elle lui avait dit et elle était contente que ses paroles aient su faire mouche. Clémence inscrivit leurs prénoms dans un recoin de son esprit pour s'en souvenir le moment venu.

-Eh bien... S'ils m'acceptent dans leur famille... Ce sera bel et bien une preuve de ce qu'ils sont.

Cela n'était pas encore assuré mais il n'y avait pas des dizaines de possibilités. Soit ils l'accueillaient, par altruisme, par tolérance ou simplement par affection envers Andran, soit ils la rejetaient au risque de couper à jamais les ponts avec le chevalier. Clémence ne souhaiterait pas que cette deuxième éventualité soit celle qu'ils retiendraient. Mais elle ne pourrait le savoir que le soir venu, au mieux.

Après une dernière étreinte, les deux amoureux se levèrent et commença alors une bien longue journée. Elise était arrivée tôt et, ensemble, elles partirent faire quelques courses avec Aimé en guise d'escorte et, surtout, de porteur. Elles revinrent, les bras chargés. Une grande partie fut déposée en cuisine tandis que le reste fut entreposé dans la chambre des maîtres des lieux. Le reste de la journée passé à une vitesse folle entre la préparation et la cuisson des différents plats. La belle métisse sortit tout juste pour donner son avis sur la décoration avant de retourner à ses fourneaux. Mais alors que la nuit tombait et que les premiers invités s'annonceraient bientôt, Elise vint chercher son amie pour la contraindre à quitter sa place en cuisine.

-Mais, je n'ai pas fini. J'ai enc...
-Il faut que tu sois apprêtée avant que tout le monde n'arrive.
-Mais j...
-Hans ! Tu peux prendre le relais un petit moment, s'il te plaît ?

Clémence découvrit avec stupeur que le cuisinier de l'Ordre était déjà là et elle comprit bien vite que c'était Elise qui lui avait demandé de venir plus tôt aux vus des regards entendus qu'ils se lancèrent. L'estrevine se laissa donc entraîner par la servante, croisant au passage Andran et lui offrant une mine plutôt inquiète tandis que son amie souriait de toutes ses dents. Lorsqu'elles descendirent, quelques invités étaient déjà là. Hans avait pu quitter les cuisines, laissant le plat principal mijoté et ayant caché le gâteau qu'il avait pris soin de décorer. Alors que les conversations allaient bon train, des pas se firent entendre dans l'escalier. Elise apparut la première, rayonnante, avant qu'une seconde silhouette de se profile enfin.

Alors que l'Inquisiteur avait fait en sorte que sa compagne possède désormais quelques robes un peu plus dignes de son rang afin qu'on puisse la distinguer lorsqu'elles sortaient dans la rue, la servante lui en avait fait acheter une nouvelle. Une robe qui, sans être celle d'une princesse, répondait à bien plus de critères de l'étiquette sociale des nobles. Cintrée sur son buste afin de dessiner au milieu son corps, elle partait ensuite en forme de cloche jusqu'au sol. Elle montrait un peu plus de sa gorge sans pour autant être ostentatoire. Elise avait osé un rouge un peu plus criard que les pourpres auxquels son amie se limitait pour demeurer discrète. Et puis... Elle portait un corset, objet jusqu'alors inconnu à la jeune femme. Pour sublimer le tout, les cheveux ondulés de l'estrevine avaient été attachés et relevés afin de libérer entièrement sa nuque. Le tout tenait à l'aide de quelques épingles savamment positionnées dans le chignon et dont la tête était ornée d'un motif doré. Enfin, un collier pendait au cou de belle métisse et les boucles d'oreille assorties pendaient à ses lobes.

-On... On est censé pouvoir respiré avec ça ? Commenta Clémence en posant une main sur son ventre pour désigner le corset, essayant d'oublier sa gêne tant physique qu'émotionnelle en arborant une telle tenue.

Le réveil d'une douceur inégalée fut rapidement rattrapé par la réalité, car, effectivement, certaines choses devaient encore être réglées. Clémence partit avec Elise et Aimé de son côté afin de finaliser les derniers achats nécessaires à la soirée, tandis qu'Andran demeura à la maison pour terminer tout ce qui était décoration et organisation de l'intérieur. Reold et Kolgrim étaient venu pour lui apporter un coup de main et s'assurer que tout serait prêt pour ce soir. De plus, Hans était venu assez tôt pour préparer le repas, faute d'employés dans le domaine pour l'instant.

« Dis-moi Andran. Pour cette fois nous faisons tout nous-même, mais tu as prévu d'engager du personnel à l'avenir ? » demanda Reold, après avoir posé un banc de fleur sur le milieu de la table.
« J'y ai songé, mais encore faudrait-il que j'en parle à Clémence. Ce n'est pas une chose que je peux choisir seul… imagines s'ils ne s'entendent pas. » répondit l'inquisiteur en haussant des épaules, alors qu'il termina de placer les bougies qui serviront à l'éclairage pour le soir. « Ce n'est pas ce que tu as fait, toi ? »
« Natalya n'a jamais été très compliquée… du moins pas avec ses employés. Mais Clémence a toujours été contrainte à une situation de dominée, je peux comprendre que ce ne soit pas facile pour elle de devenir employeuse. Ne t'en fais pas trop, elle s'y fera plus rapidement que tu ne le crois. Cela dit, fais attention à bien t'entendre, toi aussi, avec tes employés. »
« Bien entendu. »
« D'un autre côté, tu as de la veine, car Clémence est plutôt débrouillarde et autonome. Elle n'a pas besoin d'une armée pour vivre sereinement. Tu sauras que Natalya l'est beaucoup moins… mais au moins, elle se montre bienveillante et agréable à leur égard. Cela reste un bon compromis. »
« Je verrai bien le jour venu. Je pense qu'il vaut mieux attendre que Clémence se sente bien ici avant d'amener de nouvelles têtes. Voyons déjà comment se déroulera cette soirée avant de conjecturer. »

Andran savait que Clémence pouvait commettre des erreurs, mais cela ne l'inquiétait pas outre mesure. Il craignait surtout cette rencontre avec ces personnes qu'elle ne connaissait pas et qui ne la connaissaient pas. Il connaissait bien Natalya Var-Denborr, pour être l'un des seuls Marcheurs Austères à l'avoir fréquenté plus d'une fois, et il savait qu'elle n'avait rien d'une femme exécrable et méfiante. Et, s'il avait obtenu la promesse d'Anne-Lise, il ne pouvait s'empêcher de craindre le pire.

Pour autant, le chevalier sut faire abstraction de ses inquiétudes et terminer d'installer toutes les décoration et de préparer la table pour la soirée. Clémence avait fini préparer le repas, de son apéritif jusqu'au dessert avec l'aide d'Elise et également de Hans, tandis que les chevaliers avaient préparés les différents vins proposés, ainsi que des boissons sans alcool. Digne et Kolgrim se changèrent dans les chambres, et Andran en fit de même tandis que Reold était reparti pour amener son épouse. Elise et Clémence se changèrent plus tard lorsqu'elles terminèrent le repas, tout comme Hans. Les deux frères Hadjaoui optèrent pour des tenues plus sobres, ce qui convenaient parfaitement au chevalier.

Tout était fin prêt pour recevoir les invités, y compris la maîtresse de maison, habillée comme une Dame. Pour sûr, Andran ne l'avait jamais vu ainsi, et, force est d'admettre qu'elle était différente, mais toujours aussi charmante. La jeune estreventine avait pour habitude de porter des robes moins volumineuses et bien moins brodées. Elle avait même été au bout du geste en portant un corset, et d'autres accessoires qui la rendaient sublime et radieuse. Et la couleur lui allait à ravir, d'autant plus que son chevalier avait opté pour une tenue d'un rouge similaire. Il ne pouvait pas s'empêcher de sourire, fier et amoureux.

« Vous êtes sublime dans cette tenue, Clémence. Vous êtes définitivement ma princesse. » souffla-t-il, en posant la main sur celle qu'elle avait posé sur son ventre. « Vous vous habituerez aux corsets au fil du temps. Certaines robes peuvent d'ailleurs s'en passer. » Andran avait conservé son sourire d'homme complètement subjugué par la beauté de sa compagne. Il s'attarda sur les motifs de la robe, ainsi que les bijoux qu'elle portait. Elise avait fait du très bon travail, elle qui était également joliment habillée. « La mode péninsulaire est parfois complexe. Mais je suis heureux de voir que vous la portez aussi bien. Désormais, nous pouvons accueillir nos invités qui arriveront bientôt. »

Certes, il n'y aura pas de majordome pour annoncer l'arrivée des invités tout en dressant la liste de leurs titres, mais il espérait sincèrement que les invités jouent le jeu des rudiments de l'étiquette pour ce qui est de l'apparence et des gestes et manières que pratiquent les nobles. Certes il s'agissait d'une soirée assez familiale, pourtant cela pouvait être une bonne mise en bouche pour Clémence, qui devait s'adapter à ce milieu. Alors que Hans terminait les derniers préparatifs pour l'apéritif, les premiers invités arrivèrent et frappèrent à la porte. Ouvrant lui-même la porte, Andran étira un sourire en voyant son ami habillé coquettement aux côtés de son épouse Natalya, une belle femme brune aux traits doux et aux yeux noisettes.

« Sire Reold, Dame Natalya… soyez les bienvenus. » les salua Andran, en partageant une poignée de mains virile avec Reold et en baisant la main de sa femme. « Entrez, je vous prie. »
« Sire Andran. Je suis ravie de vous revoir. » salua la Dame en se dévêtant de son manteau, que le chevalier accrocha sur le porte-manteau.

Natalya et Reold portaient tous les deux des tenues bleues et blanches, et entrèrent dans le salon en se tenant par le bras, et en souriant légèrement. La Dame ne pouvait s'empêcher d'inspecter le vestibule et le salon, comme pour vérifier qu'elle était bien au bon endroit. Ils saluèrent la maîtresse de maison en premier, et c'est alors que Natalya découvrit Clémence, qu'elle ne put s'empêcher de regarder. Elle conserva néanmoins son sourire et son timbre assez doux.

« Clémence. Voici mon épouse, Natalya Var-Denborr. » présenta Reold.
« Je suis ravie de vous rencontrer, Chère Clémence. » dit Natalya, qui avait volontairement évité le terme de "Dame", car celui-ci désignait les nobles, qui plus est les femmes mariées. Andran, qui s'était fiché aux côtés de sa chère et tendre, l'avait prévenu que, faute de mariage, les titres étaient en suspens. « Vous êtes très en beauté. Oh et… je vous souhaite un bon anniversaire. »

Alors que les deux époux se dirigèrent vers les autres afin de les saluer également, la porte fut de nouveaux prises de quelques coups. Cette fois-ci, Andran sentit son anxiété prendre un nouveau pas, car il savait qui se trouvaient derrière. Il quitta le salon rapidement pour aller retrouver son frère et sa belle-sœur. Il ouvrit la porte et se laissa aller à un sourire bienveillant pour leur souhaiter la bienvenue.

« Sire Reynard, Dame Anne-Lise. Soyez le bienvenue. » souhaita Andran d'un ton chaleureux.
« Nous ne sommes pas en retard, Sire Andran, j'espère ? »
« Pas le moins du monde. Laissez-moi vos manteaux, je vais m'en charger pour cette fois. »

Les deux frères affichaient un sourire plaisantin car cela les amusaient de devoir jouer le jeu jusqu'au bout. Formalité oblige, plusieurs proches peuvent également s'appeler par leur titre, même si, généralement, la famille pouvait échapper à la règle. Andran s'occupa d'accrocher leurs manteaux avant de les conduire jusqu'au salon où les invités discutaient encore, pour les faire rencontrer la fameuse Clémence. Si Anne-Lise conservait un sourire plutôt bienveillant, Reynard, lui, était toujours dans l'hésitation. Il regarda son frère cadet, avant de prendre la main de Clémence et de la lui baiser à la manière de la noblesse.

« Je… nous sommes enchantés de vous rencontrer… Clémence. » s'exprima Reynard, qui faillit oublier le nom de sa "belle-sœur". Il préférait également éviter des titres que Clémence ne portait pas encore. « Je suis Reynard Straggen, le frère d'Andran. » Nul doute qu'elle s'en doutait, mais il était néanmoins plus courtois et logique de se présenter. « Et voici Anne-Lise, mon épouse. Nous n'étions pas sûr de pouvoir amener nos enfants, alors nous avons préféré les confier aux soins de précepteurs. »
« Nous vous souhaitons également un bon anniversaire. ajouta Anne-Lise.

L'accueil des nouveaux arrivants fut plutôt chaleureux. Malgré un certain embarras du côté de la famille d'Andran, tous semblaient heureux de la rencontrer et lui souhaitèrent un bon anniversaire. Clémence essaya de coller au plus près des recommandations de son compagnon, cette soirée étant pour elle un exercice qui devait la préparer aux soirées mondaines auxquelles elle pourrait être amenée à participer à l'avenir. Elle avait donc appliqué tout ce qu'il lui avait enseigné dès la première minute en saluant ses invités par une révérence, en les remerciant pour leurs vœux et en leur retournant leurs politesses et compliments.
Une fois que tout le monde fut arrivé et les présentations d'usage terminées, la maîtresse de maison disparue un instant avec Elise. Elle revinrent au bout de quelques minutes à peine, chacune chargée d'un plateau. La jeune servante déposa le sien -rempli de mignardises- sur la table basse au centre de la pièce tandis que l'estrevine offrait un verre à chacun. Une fois le service terminé, elle se défit de son plateau et on porta un toast en son honneur. S'ensuivit un moment de discussion des plus agréable, bien que la jeune femme ne se sente pas pleinement à son aise dans les conversations avec les autres nobles. Elle fit de son mieux pour dissimuler sa gêne, bien qu'elle soit évidente aux yeux de son compagnon ainsi que de ses frères.

Lorsque le plateau apporté par Elise fut pratiquement vide, les hôtes convièrent leurs invités à rejoindre la salle à manger. Malgré la taille de la pièce, il y faisait bon, la cheminée apportant une chaleur appréciable. Les plats se succédèrent et la discussion ne se tarit pas. Clémence fut néanmoins ennuyée au moment d'apporter le dessert, ne parvenant pas à le trouver...

-Comme si tu allais apporter ton propre gâteau d'anniversaire ! La gronda Hans qui avait parfois dû imposer son aide avec sa collègue pour que l'estrevine ne fasse pas le service toute seule. D'un geste, il lui intima l'ordre de s'asseoir et quitta la pièce. Il revint après quelques minutes, portant dans ses mains le dessert à étage nappé et décoré par ses soins et recouvert d'une multitude de bougies.
Clémence ne savait plus quoi dire et, pour la première fois depuis presque deux décennies, elle souffla les vingt six minuscules chandelles avant d'être applaudie par la petite assemblée. Les estomacs bien remplis, les invités retournèrent dans le salon pour digérer tandis que Clémence débarrassait, avec un peu d'aide. Ne pouvant toutefois pas délaisser leurs hôtes, la vaisselle attendrait le lendemain.

Après des heures de discussions, de repas et de bonnes manières, les maîtres des lieux poussèrent enfin la porte de leur chambre. Hans, Elise, Kolgrim, Reold et sa femme étaient partis. Digne et Aimé avaient regagné leur chambre tandis que Reynard et Anne-Lise étaient installés dans la leur. Clémence attendit que le chevalier ait refermé derrière eux pour pousser un soupir de fatigue et de soulagement. S'appuyant d'une main contre le mur, elle joua de ses pieds pour les libérer de leur prison de cuir qui avaient pris la forme d'escarpins.

-Je n'en peux plus. Comment les femmes font-elles pour marcher avec ça toute la journée ? C'est inhumain. Fit-elle, épuisée mais rieuse.

En un geste, sa taille diminua d'une dizaine de centimètres et son visage afficha une expression de soulagement. Elle trouvait déjà ses chaussures gênantes au bout d'une heure... Et la soirée avait été presque aussi longues que les préparatifs. Elle ne réalisait pas que les femmes nobles ne marchaient probablement pas autant qu'elle l'avait fait, les serviteurs se chargeant de faire les allers-retours en cuisine et entre les invités. Elle avait certainement fait cent fois plus de pas que leur voisine lorsqu'elle recevait des amis.
Une main posée sur son ventre, l'attention de la belle métisse se portait désormais sur ce corset qui constituait le dernier élément inconfortable de sa tenue. Cependant, elle avait une autre préoccupation plus urgente et elle se tourna vers Andran, un peu incertaine.

-J'ai l'impression... que ça s'est... plutôt bien passé ?

Bien qu'elle ne s'en rende pas entièrement compte, Clémence avait fait quelques petites erreurs. Rien qui ne portait à préjudice mais qu'on saurait aisément lui reprocher en tant qu'étrangère qui s'essayait à la vie de noble de Péninsule si jamais on souhaitait s'en prendre à elle. Toutefois, ses efforts étaient notables et, pour une première fois, c'était loin de constituer une mauvaise prestation.

L'arrivée des invités ne changea l'ambiance générale de la soirée. Devant Clémence, Reynard Straggen se montrait gêné mais courtois, tandis que Natalya et Anne-Lise, elles, étaient agréables. L'apéritif commença et l'épreuve de la noblesse commença pour la maîtresse de maison, qui affichait, comme son compagnon, une mine agréable, mais hésitante. Andran connaissait les rouages du Noble Jeu et de toutes ses déclinaisons, mais il n'avait jamais eu l'occasion de recevoir des invités chez lui quant à Clémence… elle n'a jamais vécu ce genre de soirée. Une fois la mise en bouche terminée dans le salon, les hôtes convièrent leurs amis à rejoindre la salle à manger pour la suite du repas. Pour l'instant, tout se déroulait à merveille et cela rassurait le chevalier.

L'e repas ne se déroula guère moins correctement. Les discussions entre les invités échappèrent les sujets houleux, qu'il s'agisse de politique, d'économie, ou encore celui de leur hôtesse. Tout le monde savait plus ou moins ce qui lui était arrivé, donc tous savait qu'il était difficile à aborder. Du moins, il valait mieux aborder ces sujets en comité plus restreints, lorsque l'ambiance se prêtait à des discussions séparées entre plusieurs groupes et qui ne pouvait altérer l'humeur générale de la soirée. Jusqu'au dessert apporté par Hans, le repas se déroulait dans les sourires, les rires et la bienveillance. Un merveilleux gâteau en pièces montées fut apporté par Hans, parsemé de vingt-six bougies représentant l'âge de Clémence. Elle souffla sur ces bougies après avoir prononcé son vœu, ponctuant la soirée par des applaudissements et des sourires, et par la dégustation du délicieux gâteau.

Après d'ultimes discussions, tous finirent pas quitter les lieux. Kolgrim rentra au Sanctuaire aux côtés d'Elise et Hans, car demain il devait repartir avec un autre chevalier. Puis Reold et Natalya quittèrent leurs hôtes à leur tour, non sans remercier Andran et Clémence pour cette soirée et les convier à venir chez eux s'ils en avaient envie. Digne et Aimé, ainsi que Reynard et Anne-Lise, eux, dormiraient dans les chambres prévues pour les invités. Ceux-ci ne tardèrent pas non plus, car la soirée fut longue, et leurs hôtes les imitèrent une fois la table débarrassée, préférant attendre le lendemain pour le nettoyage.

L'es deux amoureux étaient totalement éreintées par cette soirée riche en activité. Andran était habitué à des journées parfois intenses, mais celle-ci l'était d'une tout autre manière à laquelle il n'était pas habitué. D'ailleurs, c'était sûrement la même chose pour Clémence, finalement. Le chevalier s'amusa de la voir endolorie par la mode vestimentaire de la noblesse péninsulaire mais il voyait clairement qu'elle était contente de la soirée.

« C'est une question d'habitude, je suppose. » répondit Andran, qui ne pouvait pas réellement trouver une réponse convenable car il était un homme. « Peut-être que vous pourrez poser la question à Anne-Lise ? » ajouta-t-il dans un sourire innocent, car il avait remarqué que sa belle-sœur se montrait gentille.

Et puis, Clémence avait travaillé toute la journée, sans compter les courses de la matinée. Sa fatigue physique était également dû à son activité débordante depuis le réveil, même si elle ne portait pas de vêtements inconfortables. Au final, elle ressentait une douleur similaire à celle que l'on subit lorsque l'on essaye une nouvelle paire de bottes ou même la première fois qu'un chevalier endossait son armure de plates.

« C'était une très bonne soirée, et je suis forcé d'admettre que vous vous êtes plutôt bien débrouillée pour une première fois. Je pensais que vous auriez commis plus d'erreurs. » admit-il en s'approchant de sa belle qui avait la main sur son ventre. Le chevalier y posa la sienne et embrassa Clémence sur le front. « Mais, c'est normal. Les femmes nobles sont éduquées comme cela depuis leur adolescence. Cela prend du temps, mais nous y arriverons rapidement, j'en suis persuadé. »

Clémence était manifestement rassurée par les paroles de son compagnon. Son impression était la bonne et, si elle avait commis quelques erreurs, elle en avait identifié un bon nombre toute seule, ne serait-ce qu'au travers des réactions de ses interlocuteurs. Mais le moment de refaire le point sur toute cette soirée n'était pas encore venu. Pour l'heure, ils avaient besoin de repos !! Et cela passait par des vêtements plus confortables. Surtout pour elle...

Après avoir sourit et embrassé amoureusement Andran, la belle métisse se détacha de lui et se dirigea derrière le grand paravent qu'ils avaient installé afin de leur donner un peu d'intimité. Il dissimulait à présent un espace de toilette composé d'une sorte de commode dont les étagères étaient pourvues de tout le matériel nécessaire : savon, bassine, pichet (toujours plein), serviettes... Et toutes les chambres actuellement habitées en étaient dorénavant équipées. Mais ce n'était pas pour faire sa toilette que Clémence était allé se dissimuler... Tout ce qu'elle voulait pour le moment, c'était retirer cette robe.
Se souvenant de la façon dont Elise l'avait habillée, elle porta les mains dans son dos. Elle lui avait d'abord mis le jupon et le corset avant de le enfiler la robe par-dessus. Le laçage qui ajustait le vêtement à sa silhouette si fine était noué en haut, quelque part entre ses omoplates... Clémence essaya de l'atteindre et y parvint en de multiples occasions. Il lui fallaut plusieurs tentatives pour réussir à le faire mais ce fut tout ce dont elle était capable. Ensuite, pour retirer la robe, il fallait encore desserrer la ficelle... Elle se tortilla un peu dans tous les sens mais sans y parvenir. Se faisant elle réalisa qu'elle aurait le même problème avec le corset... Et qu'Elise était déjà partie depuis longtemps.

Il n'y avait plus qu'une solution si elle ne voulait pas dormir dans cette tenue... Et elle était horriblement gênée... et un peu angoissée aussi à cette idée. Mais cela faisait presque dix minutes qu'elle se débattait sans résultat probant. Elle hésita de longues secondes puis ferma les yeux avant d'appeler d'une petite voix.

-Andran ?

Bien. Cela, c'était fait. Il fallait qu'elle explique son problème maintenant... Elle avait l'impression d'encore moins parvenir à respirer qu'avant.

-Je... Je crois que j'ai un problème. Je... Je n'arrive pas à défaire la robe. Elise est partie et je... Je ne vais pas ennuyer Anne-Lise à cette heure... Vous voulez bien... ?

Le chevalier comprit bien vite sa requête et s'avança vers le paravent. Il découvrit la jeune femme qui lui tournait le dos, n'osant pas le regarder alors qu'il s'apprêtait à l'aider à se déshabiller, du moins jusqu'à ce qu'elle puisse se débrouiller toute seule. Ses épaules étaient tendue mais elle ne chercha pas à s'éloigner alors qu'elle savait qu'Andran s'approchait toujours plus d'elle.

-Je... J'ai réussi à défaire le nœud... mais je n'arrive pas à détendre les lacets.

La respiration rendue plus difficile par cette situation aussi inconfortable que sa tenue, Clémence n'osa plus bouger le temps que le chevalier desserre suffisamment le vêtement pour qu'il commence à glisser. Elle le retint d'une main puis, lorsqu'elle sentit que ce serait suffisamment large pour lui permettre de la retirer, elle le fit savoir à son compagnon et, avec une gêne infinie, elle fit descendre la robe pour l'enlever par les pieds. Elle la posa soigneusement sur le paravent puis se remit en position. Le tissu rouge avait laissé place au blanc du jupon et au crème du corset. Ses épaules étaient totalement nues désormais.
Cette fois, le nœud se trouvait dans le bas de son dos. Elle sentit les doigts d'Andran se mettre à nouveau à l'ouvrage et ce ne fut que lorsqu'il commença à détendre le laçage qu'elle se souvint qu'elle ne portait rien en-dessous... Et elle sentit la peau du chevalier frôler la sienne à un endroit qu'il n'avait encore jamais touché. Jamais directement.
Alors qu'elle récupérait l'usage total de ses poumons, sa respiration s'accéléra. De peur, oui, mais pas seulement. La sensation était nouvelle et, indescriptible...

Le corset se desserrait peu à peu et, si Clémence le maintenait toujours en place à l'aide d'une main sur son buste, il descendit néanmoins de quelques centimètres, laissant apparaître la naissance, non pas d'un... mais de deux tatouages sur ses omoplates. Et s'il l’œil d'Andran s'aventurait un peu plus bas, il découvrirait un autre fragment de dessin noir entre les lacets, quelques pas dans le bas de son dos.

Alors que Clémence se cacha derrière le paravent pour se déshabiller, Andran demeura devant le lit pour se changer également. Il commença par se défaire de ses bottes, de sa cape, et de son veston, et c'est alors qu'il entendit la belle estreventine l'appeler, alors qu'elle était toujours derrière le paravent. Distinguant clairement l'hésitation dans le timbre de sa voix chantante, le chevalier s'approcha. Il comprit rapidement, tant avec amusement qu'avec hésitation, que Clémence avait besoin d'aide pour se déshabiller.

« Laissez-moi faire, vous pourriez déchirer vos vêtements en essayant de les détacher seule. » souffla-t-il d'un ton doux, alors qu'il conservait un sourire fiché au. lèvres.

Non sans gêne, il s'approcha de Clémence, qui lui tournait le dos, et s'empara des lacets de la robe. À vrai dire, une multitude d'émotions traversa son corps. L'excitation, le désir, la gêne, la peur. Un sourire se dessina sur ses lèvres, alors qu'il se remémorait de ce jour où elle l'avait déshabillé pour le soigner. Vraisemblablement, il ressentait cette même sensation de gêne, sauf que lui éprouvait du désir pour cette femme magnifique. Pour autant, il n'avait jamais approché le dos de la jeune femme d'aussi près, et encore moins l'occasion de la dévêtir. Lorsqu'il desserra la robe, Clémence la laissa tomber au sol et leva les pieds pour la retirer définitivement.

Puis, le chevalier se sentit encore plus gêné lorsqu'il l'a vit se replacer pour qu'il détache… son corset. S'il devait se sentir plus ou moins content que Clémence ait confiance en lui pour lui demander de le faire alors qu'elle ne portait peut-être rien en dessous, il ne pouvait s'empêcher de craindre une réaction impulsive de la jeune femme. Andran savait que, si lui était plus ou moins prêt à passer ce cap, et qu'il ressentait de plus en plus la folle envie de le faire, ce n'était pas le cas de Clémence. Ce n'est pas pour cela qu'il était prêt à forcer le destin ; comme toujours, il attendrait que sa belle soit prête.

Les joues rouges de timidité, Andran s'attela à détacher les lacets nouant le corset. Comme pour la robe, il agit doucement, tant pour ne pas effrayer la jeune femme que pour rompre avec ce qu'elle avait l'habitude de vivre : de la brutalité. Il voulait lui prouver que, même dans ces moments qui pouvaient se montrer torrides ou sensuelles, un homme pouvait tout de même se montrer doux. Une fois le nœud détaché, il desserra lentement le corset pour ne pas le laisser choir brusquement même si Clémence avait les mains dessus pour éviter toute chute. Andran aperçut alors, à travers les espaces que son vêtement laissait ouverts, des formes noires dessinées sur le dos de la jeune femme, similaires à celles sur ses épaules. Même lorsqu'elle était malade, il n'avait pas souvenir de les avoir observé. Il s'approcha de plus près des dessins, tel un marchand d'art analysant les détails sur une œuvre d'art. Clémence n'aurait sûrement pas de difficulté à ressentir le souffle du chevalier sur sa peau nue. Pour sûr, Andran ne savait pas ce que représentaient ces dessins.

« Qu'est-ce que… que sont ses formes noires sur vos épaules et sur votre dos ? » demanda-t-il, sans employer le ton du reproche ou de l'insistance. Il préférait néanmoins lui poser la question avant qu'elle ne lui intime de repartir pour mettre fin à cet instant aussi gênant qu'agréable (du moins pour lui). Il passa le bout des doigts sur les différents dessins, comme s'il en était fasciné. « Cela ressemble à des tatouages, mais je ne les ai jamais vu… pas même lorsque vous étiez malade et que, en vous déshabillant, j'ai aperçu votre marque d'esclave. Et vous ne m'en avez jamais parlé… »

Andran s'éloigna des tatouages pour se redresser et détacher les cheveux de Clémence, qu'il laissa onduler sur ses épaules. Il passa les mains dans sa chevelure pour la dénouer, même si cela s'avéra bien moins efficace qu'une brosse. Cela lui permettait surtout de la toucher un peu plus au niveau des épaules, du cou, et même du dos, qu'il caressa plusieurs fois du bout de ses doigts, et de faire preuve de toujours plus de douceur et d'attention. Le chevalier souriait depuis le début, presque heureux de pouvoir faire preuve de tant de tendresse physique.

Le moment était doux et Clémence en avait pleinement conscience. Si elle ne pouvait éteindre totalement sa peur, elle sentait toute la précaution dans les gestes d'Andran. Ses doigts ne faisaient pas que toucher son dos... Ils le caressaient... Elle ignorait cette sensation et n'avait pas tout à fait envie qu'elle s'arrête. Alors, elle le laissa continuer, même s'il finit par retirer totalement le lacet du corset alors qu'habituellement on le laissait en place pour ne pas avoir à le repasser dans la quarantaine d’œillets qu'elle avait dans le dos. Pendant un instant, il ne se passa plus rien et elle réalisa grâce à un souffle sur sa peau qu'il s'était penché pour observer ce qu'il devait parvenir à discerner de son tatouage. A part elle, une seule personne était au courant... Elle n'avait pas pris la peine d'en parler au chevalier, trop occupée qu'elle était par tellement d'autres pensées... Et puis, il lui aurait probablement demandé de le lui montrer, comme maintenant, et elle n'y était pas prête.

Ou, tout du moins, elle ne pensait pas l'être il y avait encore cinq petites minutes.

Le chevalier l'interrogea sur la signification de ces dessins. Elle sentit à nouveau ses doigts l'effleurer et elle ferma les yeux, craintive et... pourtant... Il fallut quelques secondes à la belle métisse pour reprendre contenance, revenant à l'instant présent alors que son compagnon défaisait sa coiffure sans qu'elle le lui ait demandé. Il voulait rester un peu plus et sa présence la gênait... autant qu'elle la troublait.

-Je... Euh... C'est une idée... de Patience. Pour... pour dissimuler ma marque.

Ses cheveux désormais libres, elle eut une hésitation puis, d'une main, elle attrapa l'ensemble de sa crinière noire et ondulée pour la passer sur l'une de ses épaules.

-Reculez d'un pas. Vous verrez mieux...

Andran s'exécuta, bien sûr. Gênée, Clémence ne réagit pas tout de suite. Puis, finalement, elle dégagea les pans du corset qui voletaient librement dans son dos afin de lui libérer la vue, les coinçant sous ses bras pour maintenir le vêtement en place sur le devant. Désormais, le chevalier pouvait voir l'ensemble de sa peau, depuis ses épaules jusqu'à la naissance de ses reins. Il pouvait voir de ses yeux la finesse de sa silhouette mais aussi la totalité du dessin. Car il n'y avait pas trois tatouages mais un seul. Partant d'une omoplate, il rejoignait sa jumelle en passant par le creux de son dos. Savant mélange de traits orientaux et de motifs floraux, le tout formait une paire d'ailes, symbole de liberté.

Les secondes s'écoulèrent telles des minutes... Lorsque l'estrevine sentit de nouveau la peau d'Andran sur la sienne, effleurant telles des caresses les traits tracés par une artiste de son pays d'origine en la présence de sa sœur. Son cœur s'emballa et elle contrôla tant bien que mal sa respiration pour que son compagnon ne s'aperçoive de rien. Elle avait peur, oui. C'était inévitable pour quelqu'un dans sa situation. Mais elle ne voulait pas que ça s'arrête. Pas si tôt. Mais le chevalier ne voulait probablement pas abuser de l'instant et elle sentit la pression de ses doigts s'alléger alors qu'il s'apprêtait à rompre le contact.

Non, pas déjà...

-Continuez... S'il vous plaît... Souffla-t-elle comme si elle avait peur que sa propre voix ne brise la magie de cet instant. Elle ne revenait pas de ce qu'elle venait de dire mais ce moment était si doux... C'était une première expérience, un premier pas.

Un pas de géant...

Clémence lui expliqua que son tatouage était un moyen de dissimuler sa marque d'esclave. Il est vrai que le dessin minutieux qu'elle avait sur la peau cachait bien ladite marque, bien qu'en regardant de près, on pouvait apercevoir la cicatrice. Pour qu'il puisse comprendre la signification du dessin, elle défit totalement son corset et laissa son compagnon le regarder dans son entièreté, ce qui n'était jamais arrivé auparavant. Andran comprit alors que le tatouage couvrait tout son dos et qu'il était unique.

« Ah oui… ce tatouage est très grand, en effet. » remarqua-t-il, admiratif devant le travail de précision qui a été opéré. Il resta silencieux un moment, observant les différents motifs qui formaient des ailes, et touchant parfois Clémence pour mieux lire les dessins. De loin, les contours du tatouage étaient similaires à celles de Néera. Le chevalier comprit rapidement le symbole. « Votre dos est le support d'une belle œuvre, à n'en point douter. Et vous êtes imprégnée de Néera jusqu'au creux de votre peau. Je pense que c'est un bon geste pour être en paix avec votre passé. Une paix définitive. »

Cette marque d'esclave est maintenant remplacée par un tatouage symbolisant la liberté. Pour Andran, Clémence n'a jamais été une esclave et ne le sera jamais, et il le lui prouvait en la traitant comme son égale. Il était doux et attentionné, tout ce que n'est pas un esclavagiste. Mais, la jeune femme devait également franchir ce cap d'elle-même, et ce tatouage convenait parfaitement. Le chevalier continuait de dessiner certaines formes avec ses doigts, comme s'il cherchait à s'en imprégner et pouvoir le retenir, le mémoriser. Ce tatouage faisait désormais partie d'elle. Une fois qu'il eût terminé, il enleva les doigts, certain qu'il n'aurait plus à le revoir pour retenir le dessin, car il savait que Clémence ne voudra pas nécessairement se déshabiller pour qu'il revoie ce tatouage.

Pourtant, Andran fut surpris d'entendre Clémence lui demander de continuer, d'une voix chuchotante à peine audible. Lui même demeura immobile, hésitant, de peur de ne pas avoir bien entendu ce qu'elle avait dit. Ses mots qui l'invitaient à passer une nouvelle étape de leur relation. Celle-ci pouvait prendre un tournant presque sensuel, ce qui gêna et excitait le chevalier plus que de raison.

Après un instant d'hésitation, Andran s'approcha légèrement plus de sa belle et accéda à sa demande. Il s'approcha un peu plus, pour qu'elle ressente son souffle sur ses cheveux, et caressa son dos du bout des doigts de bas en haut, de haut en bas. Parfois, il laissa ses lèvres effleurer son cou ou ses épaules pour de doucereux baisers. Emporté par l'excitation, le chevalier laissa ses doigts se balader sur les hanches de sa belle compagne et, peu à peu, remplaça les caresses par des massages plus sensuels. Ne voulant rompre ce silence si éloquent d'amour, il s'approcha de l'oreille de Clémence.

« Votre peau est si douce, si agréable au toucher… et je crois qu'elle avait besoin de massage. » chuchota-t-il, alors qu'il continuait ses gestes soyeux. Un sourire se dessina sur ses lèvres, alors qu'il posa son menton sur l'épaule de la jeune femme, et sa tempe sur ses cheveux de jais continuant ses caresses sur son dos. « Je pourrais rester comme ceci pendant des heures sans ressentir aucune fatigue. »