[Papincourt] L'oeil du tigre | Dante

Fin de la 7ème ennéade de Karfias, an 18 du XIe cycle.
Papincourt, à midi

C’est l’hiver et pourtant, il fait plutôt chaud, en ce jour, pour la demoiselle du Nord qu’elle est. Une douceur un peu déconcertante pour Louise, qui a emporté dans ses malles d’épaisses tenues qui conviennent bien mieux au froid auquel elle est habituée depuis sa naissance. En ce jour ensoleillé, il fait si doux que la châtelaine a renoncé à se vêtir des épais velours qui forment ses tenues ordinaires. Non. Autant les garder intactes et propres pour le mariage qui doit avoir lieu sous peu. Pour ce qu’elle a à faire aujourd’hui, les robes, les dentelles, les meringues de tissu ne sont pas recommandées. Et de toute façon, elle n’a aucunement envie de s’embarrasser de telles futilités. Elle quitte donc le château où elle est logée, ainsi que tous les invités, afin de se rendre aux écuries, vêtues comme son escorte, quelques signes la distinguant toutefois de ses gardes.

Ses vêtements sont bien plus riches et mieux finis, ornés de galons d’argent, la chemise est d’un blanc qui n’est pas sans rappeler les neiges de Fernel, ses bottes de cuir sont souples et brillantes, sa cape de laine et de fourrure dissimule à peine un surcot coupé à la taille et aux manches, retenu par une ceinture de cuir merveilleusement gravée. A son côté, la Fille que lui a donné Dante. Dans ses cheveux habilement relevés, point de bijoux. Elle ne porte que le sceau de Fernel, suspendu à une chaînette d’or, dissimulée sous ses habits.

Elle a l’habitude, désormais, que les gens l’observent comme si elle était un animal ou une folle échappée des petites maisons. Souvent, un regard peu aimable suffit à faire taire les discussions et à dissiper les regards insistants. Arrivée près de Lasgalen, elle soupire et tape gentiment l’encolure avant de le libérer de sa stalle et de s’installer en souplesse sur la selle.

- A croire qu’ils n’ont jamais vu de femmes porter un pantalon…Allons-y Lasgalen.

Elle quitte l’enceinte en direction d’une résidence bien précise, chevauchant en compagnie d’Enguerrand et d’un autre membre de son escorte. D’ordinaire, elle leur aurait dit de rester sagement là où ils se trouvent mais Louise est en terres étrangères. Qu’elle soit accompagnée est du bon sens, même pour un trajet aussi bref. A peine arrivée au lieu dit, la châtelaine a tôt fait de confier son cheval à un de ses gardes, invitant les deux hommes à attendre dehors, tandis qu’elle pose des questions à la logeuse. Elle incline poliment la tête, ayant reçu réponse, avant de s’éclipser dans les escaliers et de se rendre dans les étages, s’arrêtant à une porte bien précise. Elle abat ensuite sa main plusieurs fois sur les planches de bois, sans la moindre délicatesse, avec un sourire jusqu’aux oreilles.

- Je sais que t’es là. Allez sors, on a des choses importantes à faire !

Louise recule d’un pas et regarde ailleurs, dans le couloir, le temps que son frère ait l’obligeance de se manifester.

- On n’a pas toute la journée.  

Lasgalen a un instinct plutôt développé. Il sait, au fond de lui, qui est digne de confiance et qui ne l’est pas. Qui est « gentil » et qui ne l’est pas. Or, il a parfaitement senti que Dante, lui, n’est pas un « gentil », même s’il se donne des grands airs de joueurs de comédie. Le regard du chasseur, souvent direct et sans bonté aucune, n’aide pas. Sans parler de ce sens inné qu’ont les animaux de deviner qui peut leur causer du tort ou non. L’instinct de survie. Et tout, absolument tout en Lasgalen, repousse Dante avec force. Pourtant, Louise lui fait confiance. Elle n’a pas peur de lui. Alors il se méfie et reste tranquille. Par contre, qu’il n’approche pas trop près…Il renâcle à la vue du chasseur, dans une manifestation de dédain, puis tourne sa large encolure ailleurs. Autant ne pas lui donner de l’importance, à cet humain, il serait trop content.

Enguerrand, par contre, a un large sourire en voyant arriver Monsieur Claude. Toujours poli, toujours bien mis, toujours aimable et prévenant envers leur Dame, il est considéré comme un ami par l’escorte de la châtelaine.

- Monsieur Claude ! C’est un plaisir de vous voir, c’est vous que nous recherchons à dire vrai ! Dame Louise est à l’intérieur, je suppose qu’elle doit être en train d’attendre devant votre ch…
- Ha ben tu es là !

Enguerrand tourne la tête vers l’encadrement de la porte, révélant une Louise en train de replacer ses mitaines de cuir avec un sourire moqueur.

- Ta logeuse aurait pu me dire que tu n’étais pas dans ta chambre, elle m’a juste dit qu’elle ne t’a pas vu ce matin…Des minutes que je tambourine pour rien à ta porte….enfin bref, tu es là c’est l’essentiel.

Elle approche, en levant les yeux au ciel, puis tend sa main à baiser à Dante, ainsi que le veut l’usage. En réalité, dans un monde sans garde, sans escorte, sans étiquette, sans personne, elle serait déjà dans ses bras avec un rire, à l’embêter comme seule une sœur pourrait le faire. Seul ce qu’elle sait à propos du ressenti physique de Dante l’en empêche. Elle ne veut pas lui faire du mal, ni lui imposer de douleur en public. Il pourra voir, cependant, que son œil pétille de malice. Pour être honnête, jamais Louise n’a été aussi radieuse. La liberté dans laquelle elle baigne depuis des jours, des ennéades, l’a transformée. Elle n’est décidément plus la même femme, c’est une certitude.

- Tu es très beau aujourd’hui ! Mais, il va falloir troquer tes plumes et tes chemises propres pour ton barda. Il y a de vastes champs au-delà de la ville, je les ai repérés en arrivant. Ce sera parfait pour ce que nous avons à faire. Enguerrand ici présent se chargera de t’apprendre les bases, c’est mon maître d’armes. Jehan, lui, l’autre garde penche la tête pour saluer, t’expliquera les trucs et les astuces qui te permettront de rester en vie. On y va ?

Louise trépigne d’impatience, frappant ses petits doigts les uns contre les autres. Non, décidément, ce n’est plus la même femme.

Louise approche de son frère et esquisse un sourire en coin parfaitement moqueur. Ce ton qu’il prend quand il y a du monde autour d’eux…Les membres de son escorte savent pourtant qu’elle s’entend à merveille avec lui et qu’elle le tutoie.

- J’ai besoin de toi et je n’ai de toute façon personne d'autre à qui demander cela.

La châtelaine entraîne Dante un peu à l’écart, de manière à ne pas être entendue par Enguerrand et Jehan.

- Ecoute, je sais que je te prends un peu au dépourvu, mais j’ai vraiment besoin de toi. Un tournoi est organisé et je n’ai pas de champion. Est-ce que tu voudrais être le champion de Fernel ?

Voilà, c’est dit. Elle penche la tête et ne tente pas de l’attendrir avec ses grands yeux quémandeurs, elle sait très bien que ça ne marchera pas aussi bien avec Dante comme cela fonctionne avec son père. Alors, elle le surprend. Elle essaye, du moins. Et cela même si tout sur le visage de Dante exprime un mécontentement qui n’est pas sans rappeler celui de son père. Ces deux-là partagent des expressions communes…surtout quand ils sont fâchés.

- A charge de revanche ? Je t’en devrai une. Mais dis oui s’il te plaît. Allez…La gloire, le combat, le plaisir d’une joute au milieu des autres seigneurs ! Cela ne te tente pas ? Avec un Melkor tout rutilant, le plus bel animal de la lice ! T’auras même pas besoin de gagner, ça je m’en fiche, juste…participer.

Louise sait qu’elle demande beaucoup. D’autant plus que Dante ne doit certainement pas tout savoir à propos de cet art, même s’il a sans doute déjà assisté à un tel spectacle.

- Mais si tu dis non, ce n’est pas grave, je comprendrai parfaitement. Après tout, c’est assez effrayant, quand on y songe. C’est dangereux.

Elle se frotte le menton, pensive.

- Alors ? Qu’en dis-tu ?

- Evidemment que si ! Mais il se trouve qu’en trois ennéades de chevauchée, il y a ce qu’on appelle les « impondérables ». En l’occurrence, l’impondérable qui m’occupe est que le membre de mon escorte qui devait endosser ce rôle s’est malencontreusement foulé la cheville hier soir en marchant sur un pavé déchaussé.  

Louise se pince l’arrête du nez en soupirant. L’accident bête. A quelques heures du tournoi. Alors même si elle se fiche du prestige, de la gloire, des honneurs et de tout le tralala qui accompagne toujours ce genre d’événements, il n’en reste pas moins qu’elle a annoncé un champion. Et si Louise se préoccupe peu des fastes et des convenances, elle a tout de même son petit orgueil. Déclarer forfait à quelques heures du tournoi et ce sera la honte. Et elle n’a pas envie d’être un sujet de conversation plein de moqueries.

- Il était le seul à maîtriser cet art et le voilà cloué dans son lit avec le pied tout bleu. Il ne peut même pas enfiler un chausson…

Elle a un regard pour son frère. Un regard sérieux cette fois.

- Je sais que vous n’êtes prêts ni l’un ni l’autre. Il n’est pas question de gagner, les autres jouteurs sont des brutes, entraînées et probablement prêtes à tout pour la victoire. Il est juste question de faire comme moi…

Elle se désigne avec un sourire en coin.

- …de la figuration ! Ce mariage n’est qu’un prétexte. Une halte dans tout le reste. Personne ne sait qui je suis ici, Fernel est trop petit, trop insignifiant pour être digne de leur intérêt. Alors voilà, je tiens mon rôle, celui de la gentille châtelaine venue de loin pour assister à tout cela. Tout ce que je cherche, c’est mon pendant masculin à ce tournoi. Et comme je n’ai que toi sous la main…

Louise ajuste sa cape sur ses épaules, ses mitaines de cuir, l’air songeur.

- Quant au reste, je ne reviens pas sur ma parole. Si tu acceptes, je te devrai une faveur. Maintenant décide-toi. Si tu refuses, je dois avertir le héraut à temps.

- Dante, toute brute que tu sois, tu n’as absolument aucune idée de ce que ces hommes sont capables de faire avec une armure de trente livres ou plus sur l’échine…Ils ont l’habitude. Pas toi. Je ne souhaite pas qu’il t’arrive malheur en lice. Voilà pourquoi je te suggérais cela…Après…Si tu as envie de te frotter à ces monstres…Tu peux. Mais…

Elle approche et se hisse sur la pointe des pieds, restant toutefois à distance pour ne pas le toucher, soufflant à son oreille :

- …Tu peux être certain que je serai là, à tout regarder. Si l’un d’entre eux s’avise de faire un coup bas, à Melkor ou à toi…

Elle reprend sa place initiale. Dans le regard de Louise il y a une lueur, une promesse. Quelque chose qu’elle étaye par de courtes paroles.

- La chevalerie, c’est bon uniquement quand ça les arrange. La noblesse, certains d’entre eux ne savent même plus ce que c’est, tellement ils vivent dans d’autres réalités. Méfie toi d’eux. Tout le temps. Et plus ils ont de titres, pires ils sont, tu peux en être certain. Parce que ces gens-là sont prêts à tout pour conserver leur « prestige ».

De manière générale, Louise considère fort mal les hommes désormais. Et de manière plus précise, elle a un mépris pour les hommes nobles même si elle n’en montre jamais rien. Il est rare qu’elle s’exprime à ce sujet, donnant à son frère un conseil appris par son expérience. Le souvenir du Duc de Serramire se moquant d’elle en son château lui revient avec la brutalité d’une gifle. Elle renifle de dédain et regarde ailleurs.

- Si l’un d’eux vous fait du mal, je viendrai moi-même sur la lice pour vous tirer de là. Et je me fiche de leur intérêt ou non. Je n’ai pas à gagner l’estime de gens que je n’estime pas beaucoup moi-même…Je veux juste faire ma part de châtelaine et de noble demoiselle de Péninsule, pour que personne n’ait rien à redire à mon sujet, c’est tout.

Elle a une grimace en sentant le doigt tapoter son bras. Mine de rien, même après autant de jours, c’est toujours sensible.

- Le chevalier errant se bat pour une cause qui lui semble juste. Et souvent désespérée. Je suis ravie de voir que je réunis les deux conditions…

Louise le regarde s’en aller, et revient près de Lasgalen, montant sur la selle avec toute l’habileté conférée par l’habitude. Lorsqu’elle voit Dante revenir vêtu comme elle a l’habitude de le voir, elle ne peut s’empêcher de sourire. Il est infiniment plus séduisant comme cela qu’avec toutes ses fanfreluches et ses plumes ostentatoires.

- On y va.

Elle prend la tête de la petite troupe et les mène vers l’extérieur de la ville, sans se départir de son sourire. Derrière, Enguerrand chevauche aux côtés de Dante et commence par lui poser des questions simples mais nécessaires.

- Monsieur Claude, avez-vous déjà assisté à un tournoi ? Porté une armure ?? Manié une épée ? J’ai besoin de savoir tout cela pour mieux vous apprendre. Alors ce sera loin d’être parfait mais je peux au moins vous enseigner l’essentiel…On peut être néophyte mais avoir tout de même quelques bases.

Il attend les réponses, tout à fait patient et cordial. Jehan les rejoint, écoutant la conversation.

Il l'écoute parler, immobile. Elle le sous estime. Ils le sous estime tous. Et si oui, l'armure le chicote un peu, il a bien quelques cartes dans sa manche. La beauté de la chose, c'est qu'il n'a rien à prouver à personne. Elle ne l'a jamais vu à l'oeuvre c'est certain. Remarque, en carapacon de homard, ca sera difficile de se battre comme d'habitude.

Et la voilà, Louise de Fernel qui va regarder si quelqu'un va lui faire un coup bas. Pense t'elle vraiment qu'il en a quelque chose à foutre de l'honneur?

Louise, relaxe. Nous serons deux. Parce que si je ne sais pas, eux non plus... Et chacun se bat pour ce qu'il a le plus à perdre. Je me battrai pour l'expérience de la chose. Je ferai de mon mieux mais ne t'inquiète pas Louve, je ne me ferai pas tuer.

Il a un léger rire grincant.

Le prestige... Ca ne rempli pas une soupière, l'honneur la vertue et le prestige non plus...

- Si l’un d’eux vous fait du mal, je viendrai moi-même sur la lice pour vous tirer de là. Et je me fiche de leur intérêt ou non. Je n’ai pas à gagner l’estime de gens que je n’estime pas beaucoup moi-même…Je veux juste faire ma part de châtelaine et de noble demoiselle de Péninsule, pour que personne n’ait rien à redire à mon sujet, c’est tout.


Si ca te permet de te poser en salvatrice, va. Mais personnellement, laisse moi donc la chance d'élargir mes horizons. Qui sait ce qui pourrait arriver. Au moins attend que je ne bouge plus

Et en s'en allant, il lance par dessus son épaule.

Je n'ai pas besoin de cause juste pour donner des chataignes. Je ne crois pas à ces sornettes Dame. Mais pour toi, je ferai comme si...

*********

Sous la capuche noire, bien au chaud, l'assassin regarde un peu partout, attentif à son environnement. Devant lui, les boucles brunes de Louise qui dansent au rythme de Lasgalen. A droite, Enguerrand. Melkor piaffe un peu. Au court des ennéades, le fougueux étalon a été habitué à avaler les kilomètres à sa guise.

- Monsieur Claude, avez-vous déjà assisté à un tournoi ? Porté une armure ?? Manié une épée ? J’ai besoin de savoir tout cela pour mieux vous apprendre. Alors ce sera loin d’être parfait mais je peux au moins vous enseigner l’essentiel…On peut être néophyte mais avoir tout de même quelques bases.


J'ai déjà assisté à quelques tournois avec mon maître entre l'an 5 et l'an 9. Je sais que les règles diffèrent selon les régions ou l'on se trouve. Non, je ne porte que ce que j'ai sur le dos comme armure. Par contre, je passe minimum quatre heures par jour lors de mes voyages avec mon bardas sur le dos, si ca peut vous aider. J'ai été formé, une épée courte, si elle est légère et bien équilibrée, ne me posera pas de problèmes. Je ne me suis jamais battu avec aucun bouclier ni aucune lance. Vous pouvez me considérer autant droitier  que gaucher, cela devrait gommer quelques désavantages.

Il marque une pause, avant de reporter son attention sur le maître d'arme. En doutait il avec ses quatres lames aux hanches?

Cela doit répondre à quelques interrogations de votre part non? Si vous voulez, nous pouvons commencer par  échanger quelques passes avec mes armes usuelles. Cela vous permettrait de voir mon style pour mieux me guider.

Enguerrand écoute avec attention les paroles et explications de Monsieur Claude, tout en observant le chemin emprunté. Le maître d’armes de Louise n’aime pas les villes et les grandes cités. Rien ne vaut, à ses yeux, la froide solitude des montagnes du nord. Et il lui tarde de regagner son logis où l’attendent femme et enfants.

- Donc cela ne vous est pas inconnu. Vous connaissez donc, je présume, les bases, même s’il est vrai que l’organisation d’un tournoi varie d’un endroit à un autre. Saviez-vous par exemple qu’en certaines contrées le chevalier vaincu doit céder son cheval et ses armes ?

Ils atteignent bientôt les limites de la ville et en sortent, pour se rendre vers les immenses champs que Louise évoquait tout à l’heure.

- Il s’agit d’un tournoi offert pour des noces, je présume donc que seuls l’Amour et la Chevalerie seront célébrés. Je peux me tromper mais cela me semblerait plutôt pertinent…

L’homme se frotte le menton avant de bifurquer sur un petit sentier à travers les champs, suivant Louise qui semble savoir où se rendre.

- Vous êtes ambidextre, c’est une excellente chose. Cela étant, je vois que vos armes sortent quelque peu de l’ordinaire, dit-il en lorgnant la ceinture de Dante. Généralement, les chevaliers se battent à l’épée. Courte, longue, tout dépend une fois encore de ce qui sera organisé et comme je ne peux présumer de rien, nous partirons sur une épée à une main.  Cela étant, vous avez tout à fait raison. J’aimerais beaucoup vous voir à l’œuvre, histoire de savoir où vous en êtes.

Enguerrand n’est pas un idiot. Un homme qui se promène avec de telles armes accrochées à sa ceinture n’est pas un débutant. On ne frime pas avec de pareilles lames. Ce sont des lames de tueurs plus faciles à manier qu’une épée, légères, petites certes mais pouvant occasionner de très sérieux dégâts quand elles sont utilisées avec dextérité. Il note la lame courbe, pensivement, et réfléchit. Monsieur Claude n’est pas très épais, il est sec, souple et probablement rapide. A voir donc, sur le terrain.

Louise s’arrête au milieu d’un champ un peu surélevé et descend de Lasgalen.

- Ici, c’est très bien, personne ne viendra nous embêter.

Jehan et Enguerrand mettent pieds à terre, le maître d’armes se prépare, Louise, elle, conduit son cheval près de hautes touffes d’herbes.

- Quelques passes histoire de s’échauffer et que vous me montriez comment vous vous en sortez avec vos lames. J’aimerais que vous ne vous reteniez pas vos mouvements ni votre bras. Je voudrais voir comment vous bougez.

Enguerrand enlève sa cape et la dépose sur la selle de son cheval, avant de sortir son épée du fourreau et d’effectuer quelques mouvements afin de délier son poignet droit.

- A votre guise, Monsieur Claude. Quand vous êtes prêt, prenez votre temps.

Inutile de préciser que Louise, assise à même le sol, n’en perd pas la moindre petite miette. L’occasion est bien trop belle d’apprendre, même en restant assise et elle s’en réjouit déjà d’avance.

- Ne vous en faites pas pour moi, Monsieur Claude. Les bâtons ne seront pas nécessaires.

Enguerrand ne perd le contact visuel un seul instant. La posture prise par son adversaire du jour est tout sauf conventionnelle. Il voit la position changer, il voit les pieds s’enfoncer dans le sol, il observe les déplacements et s’arrange toujours pour avoir Claude en face de lui.

- Voyons cela.

L’attaque est rapide, précise. Il ne tremble pas. Enguerrand sent toute la puissance de cet homme dans ce premier mouvement, il appréhende toute sa technique dans le second, esquivant un coup qui aurait pu sérieusement lui entailler le flanc. Il a un sourire. Et a compris. Le maître d’arme change de tactique, évite les attaques directes, il essaye plusieurs mouvements, de face, de biais, concentré sur son style totalement péninsulaire qui reprend absolument tous les codes de combat de la chevalerie. Il n’est pas question du moindre coup bas, il n’est pas question non plus de chercher à blesser. Son orgueil peut encaisser le fait que la personne qui se trouve face à lui maîtrise une toute autre façon de combattre de laquelle il a beaucoup à apprendre.

Cette façon de se déplacer ! Vive, rapide, ondulante comme celle d’un serpent ! C’est un peu comme s’il utilisait le moindre petit élément à sa portée pour en faire un support, un allié, quelque chose qui lui donnera l’avantage. Et c’est extrêmement déstabilisant pour le maître d’arme tout à fait traditionnel qu’il est.

Ayant compris cela, il s’adapte, il change quelque peu sa façon de tenir son arme, trouvant dans chaque attaque une réponse tout à fait satisfaisante, quelque chose qui évoque une danse, une danse merveilleuse que la châtelaine regarde avec un fin sourire aux lèvres. Elle le regarde lui, l’homme fidèle de sa suite, qui lui apprend le combat tous les jours, et elle le regarde lui, l’homme pour lequel elle tait tant de choses. C’est la première fois qu’elle le voit à l’œuvre et elle admet, en silence, qu’il est d’une séduction pratiquement irréelle quand il manie ses armes de cette façon-là. Cette façon de bouger est hypnotique, elle-même se demande où il a pu apprendre à se déplacer de cette façon et hausse même un sourcil en détaillant ces deux sauts acrobatiques vers l’arrière qu’il exécute afin d’éviter l’épée d’Enguerrand.

Ce dernier se redresse et replace son épée au fourreau, avec un sourire totalement satisfait, avant de regarder Claude et de s’incliner légèrement, avec un respect évident. Le salut d’un homme d’armes à un autre.

- Je suis satisfait et vous remercie. C’était extrêmement instructif et un réel privilège de croiser le fer avec vous, Monsieur Claude.

Enguerrand a un regard approbateur pour Louise qui le lui rend. La chatelaine ne dit toujours rien mais Enguerrand peut être certain qu’elle lui demandera de lui apprendre ces mouvements-là. C’était tout simplement fabuleux.

- Vitesse, précision, puissance. Ce sont vos points forts. Une armure classique vous désavantagera. Pour les combats à l’épée, je recommande fortement que vous ne portiez pas d’équipement qui entrave vos genoux, vos bras ou vos pieds. Portez uniquement ce qu’il faut au niveau du thorax, des cuisses si vous le pouvez. Sans vouloir vous flatter et tout à fait objectivement…vous remporterez sans difficulté un duel face à un homme encombré d’une armure et devant manier une épée bien lourde, et ce même s’il a l’habitude de combattre de cette façon. Votre façon de bouger est votre alliée.

Enguerrand se frotte le menton à présent.

- En ce qui concerne la joute équestre, là par contre, vous n’aurez pas le choix, il vous faudra porter une armure. Le but n’est pas de vous faire tomber de Melkor, le but est de briser le plus possible de lances sur les armures de chaque adversaire. Or, une lance qui se brise provoque des dégâts autant pour vous que pour votre monture.

Il a un regard pour Melkor, dubitatif.

- Il est à votre semblance, vif, rapide. Intelligent. Plus rapide qu’un cheval de guerre, lourd et entraîné à la charge…Il lui faudra une protection à lui aussi…Il suffira sans doute de transposer celle destinée à Valyas. Peut-être ajuster les sangles. Il faudra que vous veniez à l’écurie avec votre cheval afin de faire un essai. Quant à vous…

Il reporte son attention sur Dante, avec un sourire aimable.

- Avez-vous déjà tenté d’atteindre une cible avec Melkor lancé au galop, Monsieur Claude ? Voulez-vous essayer ? Jehan peut vous y aider.

Louise regarde l’autre membre de son escorte qui confirme d’un mouvement de la tête, écoutant avec attention les paroles d’Enguerrand.

Le visage d’Enguerrand se fend d’un large sourire content.

- « Fatigué » ?! Comme vous y allez, Monsieur Claude…

Il en faut un peu plus qu’un échauffement et quelques pas d’armes pour le fatiguer. L’homme se dirige vers son comparse qui lui tend son bouclier et son épée bâtarde, avec un sourire. Enguerrand installe le bouclier sur son bras et approche de Claude, tout en lui expliquant la façon de le fixer par l’intérieur et de le tenir fermement.

- Oui, c’est lourd, mais celui-ci est en bois de chêne. Nous venons de Fernel, ne l’oubliez pas.

Un large sourire illumine une fois de plus ce visage plutôt avenant et sympathique. L’écu est taillé dans une seule pièce de chêne et orné du blason de Fernel. De vert et d’argent, aux feuilles de chênes sculptées et au cheval cabré stylisé. En soi, le bouclier est superbe et est davantage destiné à l’apparat qu’au combat. Quoi qu’il en soit, Enguerrand se défait à présent de l’écu et demande :

- Avec votre permission…

L’homme d'arme guide alors Claude dans la façon correcte de tenir un bouclier, avant de lui tendre, garde en avant, l’épée bâtarde de Jehan.

- L’écu est tout autant une arme qu’un moyen de défense. Quant à votre arme, elle est plus lourde que vos lames. Portez une attention toute particulière à la façon que vous avez de prendre l'épée en main. Selon la façon dont seront disposés vos doigts, l’effet au combat sera différent. Regardez…

Il passe alors derrière lui et pose sa main sur la poignée recouverte de bandelettes de cuir, disposant le pouce de Claude de différentes façons, tout en l’obligeant à faire un mouvement souple de l’avant-bras. A chaque fois que le pouce change de position, la façon dont l’épée réagit change également. Il s’éloigne alors et sort son épée de son fourreau, pour une démonstration plus précise que Claude pourra mieux suivre.

- Comme ça pour l’esquive. Comme ça pour la parade… Comme ça pour l’estoc…

Louise a appris cela et connait les gestes de base, elle répète à voix basse, effectuant les mouvements avec un bout de bois trouvé là, tandis que Jehan regarde les hommes, les bras croisés. Il a toujours aimé écouter Enguerrand, qui est un vrai pédagogue à l’écoute de ses élèves.

- Si votre adversaire vous surpasse en ces techniques, il est autorisé de le déstabiliser. Tapez du pied sur le sol, détournez son attention, déconcentrez le, trouvez un moyen. Un chevalier qui perd le contact visuel est un chevalier en danger. Faites quelques mouvements, ceux que je viens de vous montrer, pour voir.

Enguerrand observe aussi la façon de placer ses pieds.

- N’oubliez pas. Vous serez plus lourd avec cette arme et un bouclier. Si vous devez vous déplacer, observez bien le terrain sur lequel vous êtes. N’oubliez pas non plus que vous ne serez pas là pour occire vos adversaires. En théorie, quelqu’un se chargera de compter les touches. Mais encore une fois, je peux me tromper, j’ignore les us et coutumes de ce pays, Monsieur Claude.

Après d’assez longues minutes d'explications, Enguerrand se place face à Claude et s’incline.

- Avant chaque combat, la politesse exige un salut entre adversaire et un salut au public.

Louise sourit de toutes ses dents.

- Quand vous voulez, Monsieur Claude, je suis tout à vous.

Enguerrand l'a à la bonne. C'est bien. Mais ses dehors sympathiques laisse Dante de glace. Malgré tout, il joue le rôle à la perfection, ne laissant les Fernelais voir que ce qu'il veut qu'ils voient. Quand il prend le bouclier, l'assassin peut sentir ses pieds s'enfoncer dans le sol. Putain... Du bois de chêne. Un alliage léger ferait amplement l'affaire, et si en plus le rebord est aiguisé, il aurait là quelque chose d'intéressant à manier. Pour le moment, il sent le bois de ce truc peser lourdement sur sa personne.

Derrière, il entend Melkor hennir bruyamment en mâchouillant il ne sait trop quoi, un bout d'écorce sans doute. Relevant la tête, les deux créatures de Zhak'Bar échangent un regard.

Ne ris pas trop vite toi, ca sera ton tour bientôt.

Rétorque Dante en faisant quelques mouvements singés sur ceux des guerriers qu'il a déjà vu. Il se sent... Lent. L'honneur et la gloire, carapaçonné comme des Païms. Quelle gloire y a t'il à se taper dessus sans danger? Ca lui fait penser à la chorégraphie de Diolando. Mais gardant tout cela pour lui, il écoute de toute ses oreilles et observe de tout ses yeux.


- L’écu est tout autant une arme qu’un moyen de défense. Mwoui, ca il l'a pigé assez vite. Dommage que cette arme soit si lourde. Et de prendre cette saleté de bâtarde dont la pointe se dirige tout de suite vers le sol. Pas la peine de se forcer à la lever tout de suite. Il sait que ses muscles ne sont pas adaptés au maniement long terme de cette lame. La tenir immobile, en l'air, ne fera qu'accroitre son inconfort  Quant à votre arme, elle est plus lourde que vos lames. Portez une attention toute particulière à la façon que vous avez de prendre l'épée en main. Selon la façon dont seront disposés vos doigts, l’effet au combat sera différent. Regardez…

Dante combat son instinct quand il passe derrière lui, qu'il lui prend la main, puis qu'il place son pouce de différente façon. La mâchoire de Claude se carre imperceptiblement. En bon élève cependant, il fait les mouvements requis avec une hésitation causée par la longueur et le poid de la lame. Au bout d'un moment, Enguerrand voit la l'épée commencer à trembler légèrement dans la grande main. Il peut se rendre compte aussi que son élève du jour a conscience de ses limites parce qu'il ne demande même pas de croiser le fer ainsi équipé. Sans être  néophyte, Claude est très moyen avec l'arme. Il sait qu'il n'est pas la pour occire ses adversaires et ca le désole. Le surplus de poid va le désavantager et ca, ca va être chiant. Sauf si ils peuvent combattre comme ils veulent. Taper du pied pour déconcentrer? Non... il a d'autres idées, mais ca implique autre chose que d'être pris dans une boite de conserve.

Non, pas aujourd'hui. Je vais me blesser si je persévère avec cette lame en particulier, je ne lui suis pas adapté.

Dit il de façon fort polie, mettant le problème sur sa personne même s'il sait parfaitement que, pour lui, c'est simplement une arme de merde. Sans en rajouter, les deux hommes se saluent, même si intérieurement, Dante aurait envie de lui faire avaler ce satané bouclier trop lourd. et de lui planter ce truc... bref, vous avez compris. Claude, lui, a toujours cet air concentré de bon élève.

Le bouclier peut aller si je suis obligé, par contre, je ne suis pas habitué au maniement de l'épée bâtarde même si je comprend la mécanique, je n'ai pas le poignet endurci. Si je m'entête aujourd'hui, je serai courbatu le moment venu. Je suggère que nous reprenions demain après que j'ai enfilé l'équipement approprié au complet. Je vais me trouver une épée courte légère et un écu différent si c'est possible. Etant ambidextre, je pourrais en trouver une utilité originale, vu qu'il est autant pour défense qu'arme, j'espère ne pas vous décevoir de par mon refus et que cela vous convient de recroiser le fer demain, lorsque j'aurai toute l'armure sur le dos. Nous pourrons refaire différents tests ici, je en veux pas que les autres chevaliers me voient avant le tournois.

Il marque une pause, allant mener l'équipement à Jehan.

J'irai voir cela demain pendant que vous ajusterez Melkor. Avec un tournois, les forgerons abondent. J'y trouverai sûrement mon bonheur. Oh il me fait penser, sire Jehan, est ce que nous allons voir ce que Melkor a dans le ventre? Enseignez moi à jouter je vous prie.

Louise jette un coup d’œil quelque peu inquiet à Dante lorsque Enguerrand passe derrière lui et prend ses doigts pour lui expliquer l’art et la manière de tenir une bâtarde. Elle tend le cou pour mieux voir et pince les lèvres. Rassurée, elle se détend, et sourit en regardant le sol, jouant du bout du pied avec un caillou qui traîne là, se sentant extraordinairement inutile.

Enguerrand, lui, note avec une certaine satisfaction que l’homme en face de lui connait ses limites et qu’il n’a pas envie de les dépasser pour l’instant, en parfaite connaissance de ses réactions physiques, ce qui démontre un sens de la réflexion et de la logique plutôt intéressant. Il replace son épée dans son fourreau, acquiesçant sans le moindre problème à la demande de Claude.

- Vous n’avez pas à vous justifier, Monsieur Claude. L’on vous demande de manier des armes que vous ne maîtrisez pas et tout cela en un très court laps de temps. Cela attendra.

Louise soupire. Oui, maintenant, elle se sent un peu coupable d’avoir demandé cela à son frère. Elle frappe le caillou du pied et l’envoie plus loin, la mine contrite. Quelle idée débile d’avoir inscrit un champion à ce tournoi ! Et de lui avoir demandé de tenir ce rôle ! S’il lui arrive un malheur, elle ne s’en remettra pas. Et elle le sait : si jamais il lui arrive quoi que ce soit sur la lice, velours et or ou pas, tiare d’argent et perles ou pas, elle s'y rendra pour le remettre droit sur ses pieds, d’une façon ou d’une autre, et l’évacuer de là. On ne touche pas à Dante, on ne lui fait pas de mal. Zhak’Bar seul sait en quelle furie elle serait capable de se transformer si cela devait arriver…Elle se frotte le menton en songeant à sa tenue. Sa robe est longue, et dissimulera ses pieds. Il y a donc quelque chose à faire de ce côté-là, histoire de ne pas être sans défense…Il sera temps d’y penser quand elle sera de retour en la cité. En attendant…

- En selle, Monsieur Claude !

La voix de Jehan vient de la distraire de ses pensées. Le fier cavalier est déjà sur sa monture, tout en lui parlant en cette langue étrange qui semble la rendre toute excitée, piaffant d’impatience. Jehan a un petit sourire moqueur, presque provocateur, le cheval, lui, agite la tête en direction de Melkor. Visiblement, le noble destrier gris, presque semblable à Lasgalen par sa robe, semble tout aussi impétueux que la monture de Dante.

- Vous avez eu le temps de partager du temps avec Melkor, Monsieur Claude. Vous avez réussi à en faire quelque chose, c’est déjà en soi un petit miracle.

Il provoque à dessein. Il sait que lors des joutes ce sont des pratiques courantes et que les chevaliers, piqués au vif, excitent leur monture au combat. Jehan approche de Melkor et susurre des mots qui font hennir tous les chevaux. Même Lasgalen semble agité. Et Louise se lève, pour croiser les bras sur sa poitrine.

- Jehan ! Qu’est-ce qui vous prend !??
- Dame…Les autres menacent parfois leurs montures de fers brûlants…

Louise approche rapidement de Dante et de Melkor. La Dame de Fernel est indignée et passe sa main sur la robe d’obsidienne, en chuchotant d’autres paroles, pour l’apaiser. Elle a un regard pour Dante, l’enjoignant à caresser son cheval d’un mouvement du menton.

- C’était grossier et non je ne t’expliquerai pas.

Jehan lui hausse les épaules, avant de froncer les sourcils.

- C’est pas une petite nature, Dame, c’est Melkor. C’est un sang vif, il est impétueux, rapide et puissant. S’il n’est pas maîtrisé au départ de la joute, Monsieur Claude se retrouvera le cul au sol, sans pouvoir se relever. Sans vouloir vous offenser, Monsieur, il faut que je sache comment vous comptez lui faire prendre de la vitesse sur une courte distance. Les chevaux de Fernel sont rapides, je connais pratiquement toutes les bêtes du château sur ce point sauf le vôtre. Alors montrez-moi !

Jehan est tout à fait moins pédagogue que son compagnon Enguerrand, c’est une certitude. Plus jeune, plus direct, plus incisif dans sa façon de s’exprimer, même si tout cela part d’une bonne intention : éviter à Claude de se retrouver au sol avec une carapace lourde et dans l’impossibilité de se relever tout seul tout en gesticulant comme un crabe…

- En selle, Monsieur Claude !

Dante se dirige vers Melkor quand il se passe quelque chose d'inattendu. Il ne sais pas trop ce que Jehan veut prouver en agissant ainsi. Alors il se campe solidement sur ses jambes, les bras croisés sur son torse, en une immobilité absolue. Son étalon lève les oreilles et tourne son regard d'obsidienne, intrigué d'abord, sur l'autre cheval. Mâchouillant son écorce, il ne comprend pas tout d'abord, étant concentré sur ce bouleau particulièrement savoureux.

Ses flancs s'agitent d'indifférence. Les autres chevaux de Fernel, il ne les aiment pas. Pas plus qu'eux l'aime.

- Vous avez eu le temps de partager du temps avec Melkor, Monsieur Claude. Vous avez réussi à en faire quelque chose, c’est déjà en soi un petit miracle.


Le faciès de marbre, l'Estreventin ne bouge toujours, il fait quoi cet énergumène? Il ne montera pas dans ces conditions. Et quand il s'approche de Melkor et lui murmure des mots à l'oreille, des mots qu'il ne comprend pas, l'Estreventin baisse un peu la tête, le regardant par dessous d'un regard de miel et de vert radioactif. Le pli de la grande bouche reste neutre.

Le grand Fernelais, lui, regarde Jehan, les oreilles couchées dans le crin. Hennissant bruyamment, il encense avec vigueur, tapant du sabot et exhalant des naseaux bruyamment quand Louise vient le calmer. Pendant l'échange de la châtelaine avec son garde, l'étalon  regarde Dante qui relève la tête et hausse les sourcils

Lui tu as le droit.

Lui dit il en Olyian, sachant qu'il a appris Droit à Melkor.  

- C’est pas une petite nature, Dame, c’est Melkor. C’est un sang vif, il est impétueux, rapide et puissant. S’il n’est pas maîtrisé au départ de la joute, Monsieur Claude se retrouvera le cul au sol, sans pouvoir se relever. Sans vouloir vous offenser, Monsieur, il faut que je sache comment vous comptez lui faire prendre de la vitesse sur une courte distance. Les chevaux de Fernel sont rapides, je connais pratiquement toutes les bêtes du château sur ce point sauf le vôtre. Alors montrez-moi !


Melkor s'avance alors, jusqu'à être tête à tête, les yeux dans les yeux, avec l'autre Fernelais qu'il pousse un peu en défi, l'oeil d'obsidienne luisant de fort mauvaise façon. Ils pensent qu'il n'est pas capable de prende soin de son humain?

Dante ne bouge toujours pas.

Tenant son terrain, il oblige l'autre monture à reculer un peu, avant de lancer un hennissement bruyant, retournant l'insulte du cavalier contre lui, moqueur, avant de tourner le dos à Jehan et l'autre. Regardant l'humain par dessus son encolure, il lève sa queue noire et chie carrément aux sabots de l'autre avant de rejoindre son humain en caracolant, crâneur. Dante se hisse alors sur son dos, comme si de rien n'était, ne le laissant même pas arrêter.

Quand vous aurez fini de faire déféquer Melkor, nous pourrons nous mettre au boulot? Ne vous inquiétez pas pour lui. Il apprend vite, comme moi.

Louise, elle, sent sous sa main toute la tension de Melkor. Et elle le comprend parfaitement. Qu’est-ce qui a pris de dire ça à Melkor ?? De la provocation ? Mais elle est ignoble cette provocation, comment a-t-il pu oser ? Même Louise en frémit d’indignation. Non, les mauvais chevaux ne sont pas mangés…Il n’y a d’ailleurs pas de mauvais cheval, c’est une question d’interprétation sur laquelle les palefreniers de Fernel débattent depuis des générations.  

- Jehan, vous n’aviez pas le droit…C’était…

Elle n’a pas le temps de finir sa phrase, malgré le fait qu’elle essaye de le réconforter comme elle peut. Le cheval avance droit sur l’autre fernelais. Louise connait très bien les chevaux et la posture de Melkor ne lui inspire rien de bien. Elle a un regard pour Dante et ne dit rien pourtant. Melkor est SA monture. Il n’obéira de toute façon à personne d’autre, c’est une quasi certitude.

La monture de Jehan ne se laisse pas particulièrement impressionner, étant précédemment excité par les paroles de son cavalier. Les oreilles aplaties, hennissant tout aussi bruyamment que Melkor, il donne des coups de sa large tête, histoire de montrer qu’il n’est pas le seul à savoir donner de la voix. Et Jehan ne fait rien pour l’en empêcher. Ce n’est pas son cheval qui l’intéresse, mais bien ce sauvage cheval à la robe de ténèbres. Et il sourit, à son avertissement sonore. Bien sûr, bien sûr…

Il allait dire un mot, quant il voit Melkor se tourner et lever la queue.

Louise observe la scène et à ce moment hausse un sourcil, tout comme Enguerrand.

D’énormes crottes tombent alors au sol, dans un silence stupéfait, avant que Melkor ne s’éloigne, visiblement très fier de son comportement.

Jehan ouvre la bouche, indigné. Son cheval recule, dégouté.

Louise et Enguerrand, eux, échangent un regard avant de pouffer de rire, discrètement d’abord, puis plus franchement. Enguerrand est littéralement plié en deux à se taper sur la cuisse tellement il n’en peut plus. Quant à Louise, elle a les larmes aux yeux, dissimulant son fou rire derrière un morceau de tissu léger, hoquetant à en perdre haleine, ce qui n’est guère gracieux. Elle ne se rappelle plus quand c’était la dernière fois qu’elle a ri de la sorte et cela lui fait un bien fou…

- Je crois que je n’ai jamais rien vu d’aussi drôle…hahaha…Jehan, votre tête…hahaha…impayable !hahaha ! J’ai mal aux côtes…

Jehan renifle d’un air dégouté et s’éloigne, avant de crier.

- Maintenant qu’il est plus léger, on va dire qu’il ira encore plus vite.

Nouvelle crise de rires en provenance de Louise et d’Enguerrand. A croire qu’ils ne s’en remettront pas…

- Bon, quand j’abaisse mon bras, élancez-vous et rejoignez moi au galop, que je voie un peu tout ça.

Jehan a un sourire en coin. Melkor est une sale bête, mais une sale bête intelligente. Tout n’est pas perdu.

- Allez-y !!!, crie-t-il en baissant son bras.

Laissant Melkor se dépenser un peu, Dante se laisse aller sur l'encolure, Les poils de l'équidé étant heureusement adoucis par ses vêtement.  Il lui murmure, audible de lui seul pendant que les autres s'esclaffent, ce qui rend l'étalon encore plus fier de son coup.

Je ne sais pas ce qu'il t'a dit vieux, mais ne t'inquiète pas, il va tomber très malade à la fin du tournois. Promis.

Avant de se redresser, toisant l'instructeur avec une fixité dérangeante, il regarde Jehan comme précédemment, avant de jeteur un regard de travers sur Louise et Enguerrand.

Et quand le cavalier baisse son bras, Dante ne donne pas l'ordre. Melkor piétine un peu, avant de finir par s'immobiliser, secouant sa crinière. La voix grave s'élève alors dans l'air, calme et posée, glaciale, toute trace d'amabilité perdue.

Avant de nous mettre à l'entrainement, une chose. Je trouve fort inconvenant que vous insultiez ma monture.  Quand vous parlez à Melkor, je veux comprendre. Et si vous aimez dire des insanités à votre cheval avant l'exercice, allez y. Je peux même vous donner quelques expressions de mon cru. Sachez cependant que ce n'est pas ma méthode.   La grande bouche prend un léger pli tandis qu'il fixe la monture adverse d'un oeil critique. D'ailleurs on voit le résultat de votre méthode... sur votre monture....  

Termine t'il avant de lancer Melkor au galop d'un simple claquement de langue sans plus de cérémonie. Avec plaisir, l'étalon enfonce ses sabots au sol, se lançant dans un départ fulgurant avec un Dante parfaitement à l'aise sur son dos... Le fauve du pelage soutenu trouvant son pendant chez la peau de miel de son cavalier, les deux crinières noires au vent. Créature aux yeux d'obsidiennes, d'ambre et de jade.

Dante adore cet animal comme il a adoré Ténèbres même s'il était vicieux. D'ailleurs, il espère qu'il va bien et qu'Owen s'en occupe convenablement, les deux ayant disparus ensembles. Au moins le sale canasson, s'il est mort, aura mouru sur les routes, en liberté. Le fait est que els deux animaux se ressemblent, ils ont la même indicipline, la même soif de vivre. Mais où l'un était vicelard, le deuxième a un sens de l'humour bien à lui.

La preuve, Melkor fonce droit sur Jehan et sa monture et son cavalier lui fait confiance assez pour ne pas essayer de le faire changer de trajectoire.

Louise ne rit plus. Elle a entendu la voix se moduler différemment. Toujours aussi grave mais infiniment moins agréable que d’ordinaire. Enguerrand, en voyant la réaction de Louise, cesse de rire à son tour et plisse les yeux pour observer la châtelaine, puis Monsieur Claude et enfin Jehan. Ce dernier affiche un sourire sarcastique sous un regard qui étincelle de quelque chose qui n’annonce rien de bien.

- Enguerrand…

La châtelaine connait ses chevaux et elle connait aussi parfaitement bien ses hommes. Jehan est un des plus jeunes, un des plus vifs. Il est orgueilleux, plein de morgue et provoque facilement quand son estime de lui a été mise à mal. Il est un excellent combattant, lui aussi, ajoutant à la technique d’Enguerrand une fougue conférée par la jeunesse. Une fougue imprudente. Parce qu’il ne sait pas qui lui fait face, en ce moment précis. Louise, elle, sait…

- Je parle comme je le veux, que ça vous plaise ou non. Si mes méthodes ne vous conviennent pas, vous pouvez toujours trouver un autre instructeur…A ce propos, la voltige à cheval, ce n’est pas un art circassien…pardon, estreventin? On raconte tant de choses sur ce pays de voleurs enrubannés…Pouvez-vous me montrer ?
- JEHAN !

Jehan serre les mains sur les rênes, se penchant sur sa monture, alors que Dante vient de s’élancer. Il a rendu coup pour coup, il est presque satisfait. Presque. Parce que personne ne peut l’insulter sans qu’il ne rende au centuple. Ami de la châtelaine ou pas, il y a des limites et si ce Claude est incapable de comprendre alors...Ce type est louche. Il l’a senti depuis un long moment déjà et cette démonstration au combat n’a fait que le lui confirmer. Si Enguerrand a gardé ses conclusions pour lui, Jehan, lui, n’attendra pas. Et c’est cette conclusion qui brille dans le regard de cet homme du Nord. Une conclusion que Louise a comprise, tant et si bien qu’elle fait volte face et court vers Lasgalen, au même moment. Prenant son élan, elle prend place sur la selle, tire sur les rênes tout en parlant dans cette langue étrange propres aux palefreniers de Fernel. Aussitôt le hongre gris perle rue avant de galoper vers les deux hommes sur le point de se rencontrer, sous le regard d’un Enguerrand pris au dépourvu.

- Ma Dame ! Mais qu’est-ce que…REVENEZ !

Jehan ne voit pas Louise qui arrive sur le côté, il ne voit que Claude, Melkor, l’œil luisant d’une étincelle mauvaise, la main proche de sa botte.

Et la suite ira très très vite. Au moment où Claude passe si près de Jehan que le déplacement d’air oblige le cheval de Jehan à se déplacer sur le côté, le palefrenier atteint sa botte, sur le point d’en extraire une arme, furieux. Et il n’en aura pas le temps. De l’autre côté, le galop de Lasgalen, dissimulé par la charge de Melkor, s’arrête tout près de l’homme du Nord, tandis qu’une lame vient se caller sous le menton de Jehan. Louise ne tremble pas le moins du monde, malgré son souffle court.

- Vous faites honte à toute votre famille, Jehan Rittenheim. Donnez-moi cela. Immédiatement.

Ce qui se passe là, sous les yeux de Dante, est absolument inédit. Et le seul à le regarder lui, c’est Jehan. Un Jehan visiblement prêt à en découdre, l’œil luisant d’une rage uniquement contenue par une lame coincée sous son menton. Enguerrand est à cheval et regarde son camarade avec une désapprobation teintée d’une intense déception. Il baisse la tête et ne dit rien. Parce qu’il ne peut rien dire. Il a compris en voyant la botte de Jehan. L’homme d’arme a toutefois un regard pour Louise, il l’observe. Et ce qu’il voit le plonge dans d’intenses réflexions. Elle est droite sur sa selle, face à Jehan, Monsieur Claude dans son dos. Louise ne peut le voir revenir vers le trio étrangement silencieux qu’ils forment. Quoiqu’il en soit, Enguerrand observe, avec une satisfaction tout à fait dissimulée, qu’elle a parfaitement retenu ses leçons. Si Jehan bouge, il risque fort d’être sérieusement blessé.

Quant à Louise…Elle n’a pas vraiment réfléchi, elle a agi avec son instinct et son bras ne tremble pas, alors même qu’elle tient cette dague si proche de tuer un membre de son escorte. A un mouvement que fait Jehan pour faire avancer son cheval, réagissant aux paroles de Claude et se disant probablement qu’elle n’oserait jamais porter la main sur lui, Louise appuie la lame plus fort. Jehan grimace et lève les mains. Du sang roule sur la lame grise.

- Alors c’est lui que vous choisissez ? Lui, un étranger, au lieu d’une personne qui vous a toujours été fidèle ?
- Enguerrand, son arme. Sortez là de sa botte.

L’homme d’arme s’exécute et extirpe de l’endroit susnommé une dague à lame courte, qu’il range à sa ceinture.

- Vous faites honte à toute votre famille et votre seigneurie. Vous me faites honte, devant mon champion qui est également un ami. Comment avez-vous pu seulement songer vous en prendre à lui ?

La châtelaine parle d’une voix douce et tendre, en totale contradiction avec sa gestuelle. Soudain, Louise inspire en plissant le nez. Lasgalen, lui, commence à s’agiter légèrement, l’odeur du sang lui parvient. Jehan, lui, a un regard pour la châtelaine, puis un pour Claude avant d’esquisser un sourire. Un « ami », hein ? Oui, c’est cela…

- Votre père n’aurait jamais toléré qu’un vagabond représente Fernel. J’aurais très bien pu le faire à sa place et…
- DAME LOUISE, NON !
- … !!!!

Enguerrand a vu l’expression de sa Dame changer du tout au tout, il contourne le duo et approche de Louise, une Louise qui n’écoute plus rien, aveuglée par un ressentiment puissant qui l’empêche d’entendre autre chose que la voix de Jehan. Une large main chaude se pose en douceur sur le bras qui tient la lame. Jehan, lui, pâle comme un mort, lance un regard désespéré à Enguerrand.

- Dame Louise…Baissez votre arme…S’il vous plaît, ma Dame…Je vais le ramener au château et faire le nécessaire pour qu’il soit puni pour son attitude. Et qu’il reçoive des soins. Dame Louise…Baissez votre arme…C’est Jehan, ce n’est pas un ennemi…

La jeune femme regarde la main posée sur son bras, elle regarde Enguerrand et plisse les lèvres, détachant enfin la lame de la gorge de Jehan qui pose ses doigts sur sa peau blessée. Louise lève le menton et souffle, d’une voix douce et maîtrisée :

- Emmenez-le.

Enguerrand s’incline avant de prendre les rênes de la monture de Jehan dans ses mains et lui dit :

- Un seul mouvement pour tenter de t’échapper et…

La menace ne sera pas prononcée mais Jehan n’est pas idiot. Enguerrand est le meilleur d’entre tous et il ne fera pas le poids face à lui. Il grommelle quelque chose en direction de Claude et se laisse emmener, laissant Louise et son champion seuls sur le champ. La chatelaine les regarde s’éloigner avant de regarder sa lame, pleine de sang, silencieuse. Du carmin vient de rouler sur ses doigts.  Qu’est-ce qu’elle vient de faire, là ?

- Je suis désolée que tu aies du assister à cela, Dante, dit-elle à voix basse.
 

Louise ne dit rien, elle regarde la lame tachée de sang, pensive. Et triste aussi. Jamais elle n’aurait pensé avoir à l’utiliser contre un homme en qui elle a toute confiance. Avait toute confiance. Parce que désormais les choses ne sont plus aussi simples. Loin de là. Elle relève la tête pour voir son frère approcher Enguerrand et Jehan, fronçant les sourcils. Enguerrand, lui, arrête le mouvement des chevaux et a un regard pour sa Dame avant de laisser Claude approcher. Jehan, quant à lui, est enfoncé dans un mutisme furieux, le teint pâle et l’œil luisant d’une promesse assassine. Il a des choses à dire, c’est évident comme le nez au milieu de la figure. Et pourtant il se contient.

Du moins jusqu’à ce qu’il pose sa main sur son épaule. Aussitôt, Louise est en alerte et approche. Elle est inquiète. Pas pour Dante. Pour Jehan. Un Jehan qui reste digne sous la poigne même si ça lui fait mal.

- Etre le champion d’une seigneurie, d’une Dame, c’est être un homme de confiance, représenter des valeurs de noblesse et de chevalerie qui vous sont totalement étrangères et vous savez à quoi je le sais ?

Il étouffe un cri sous la main crispée de Dante. Enguerrand a un regard rapide pour Louise, prêt à intervenir. La chatelaine, elle, écoute ce que dit Jehan, livide, son arme toujours à la main.

- Vous venez d’un monde où tous vos semblables sont des voleurs, des mendiants et des gens indignes. Tout le monde le sait, dans le Nord, qu’il ne faut jamais faire confiance à une personne qui vient d’Estrevent. Vous êtes tous pareils, bien comme il faut devant, bien laids derrière…On le voit chaque année, avec cette caravane qui vient de chez vous et qui reste à Fernel quelques jours pour vendre sa camelote. A chaque fois, c’est pareil. Des vols. Des beuveries. Des gens dévoyés qui se vautrent dans le stupre le plus éhonté ! Et c’est un membre de ce pays là qui serait champion, en lieu et place d’un homme qui a toujours servi loyalement ?

Il sourit de toutes ses dents, malgré la souffrance, avant de regarder Louise. Il sait qu’il ne joutera pas. Il sait aussi qu’il en a dit trop alors, foutu pour foutu…

- Il est comme tous les autres. Et vous le savez ! « Il est herboriste », dit-il en minaudant, imitant moqueusement Louise. Et mon œil c’est du nougat ? Si lui, il est herboriste, moi je suis boulanger pâtissier. Quel herboriste se balade avec des armes pareilles à sa ceinture et bouge comme ça ? Vous nous prenez pour des idiots ?

Un silence. Un silence seulement interrompu par une petite toux discrète de la part d’Enguerrand. Toute l’inquiétude qu’elle pouvait ressentir pour Jehan vient de s’envoler. Louise est tout près de Dante et le regarde, dans une demande silencieuse. Elle attendra qu’il lâche sa proie et qu’il s’éloigne pour prendre sa place et regarder Jehan, toute pâle. Elle a le regard fixé sur lui, un regard dur qui n’est probablement pas sans en rappeler un autre, gris acier, demeuré au château.

- En plus d’être un lâche, vous êtes pétri de préjugés honteux. Vous êtes plein de haine et de rancœurs, plein d’amertume. Vous auriez été indigne, de toute façon, de porter MES couleurs. N’oubliez pas à qui vous devez votre loyauté, votre maison, votre vie confortable, Jehan. Vous m’avez manqué de respect, en vous comportant comme le dernier des mécréants, en voulant blesser une personne qui ne vous a rien fait du tout, si ce n’est répondre à vos provocations. Vous avez été lâche. Irrespectueux. Envers Claude. Envers Fernel. Envers moi.
- Tout ça ne serait pas arrivé si vous aviez un homme à vos côtés ! Regardez maintenant à quoi nous en sommes réduits, par Neera ! Confier notre honneur à un impie venu d’on n…

Il n’aura pas le temps de terminer. La droite de Louise vient de s’abattre sur son visage, dans un soufflet si vif et si imprévisible que Jehan se tait, son orgueil considérablement malmené par ce geste posé par une femme.

- Enguerrand. Vous l’emmenez. Vous l’enfermez dans sa chambre, vous veillez personnellement à ce qu’il n’en sorte pas. Je statuerai sur son sort en temps utiles.

Enguerrand observe les doigts de Louise, des petits doigts qui bleuissent.

- Ma Dame, votre main…
- Faites ce que je vous dis, c’est un ordre. Emmenez-le.

Jehan, la joue rougie par une marque à cinq doigts, jette un regard assassin à Louise, puis à Claude avant de se laisser entrainer par Enguerrand. Elle ne dit rien pendant un instant, elle essuie la lame tâchée sur un pan de sa chemise, le visage fermé, les sourcils froncés, le teint pâle puis dit, d’une voix rauque, tout en regardant sa main abîmée :

- Je leur laisse quinze minutes d’avance, histoire de me calmer. Dis moi quelque chose de gentil. N’importe quoi. J’en ai besoin.