Bienvenu à l'Intendant

Fin Barkias (jai opas le temps pour la date 7e jour de la 9e ennéade)

La journée est merveilleuse et claire. Le carrosse cahote gaiement sur les pavés de la route de Fernel, suivi par une caravane de marchands ambulants. Pourquoi une telle procession? Parce que le Parfumeur a découvert une chose rare et de prix. Il a réussit à capturer l'essence des Carmines pour en faire des huiles hors de prix pour stimuler l'économie de Fernel. Le fait que cette fleur rare ne soit que peu productible, ce qui augmente la rareté du produit, le rend encore plus luxueux.

Allez ma mie, ne fais pas cette tête. Il nous faut bien rentrer un jour ou l'autre, louise a besoin de nous... Elle sera contente de mon initiative. Tu ne vas pas nier que, pour une fois, cette plante ne te sera pas profitable. Même avec une production modeste et bisannuelle, il y aura une plus value considérable dans les coffres du domaine de notre fille.

Le vieil homme approche sa canne de son épouse. Une nouvelle canne, toute sobre mais aussi meutrière que la familiale. Il se penche pour lui donner un langoureux baiser. C'est fou comment Elisabeth le fait se sentir jeune et vert. Les prunelles d'argent scintilles comme lune d'argent.

Cette pieuse excuse pour pouvoir passer quelques ennéades à nous redécouvrir ma chère. J'espère que je ne t'ai pas lassée avec cette vie honnête.


D'ailleurs, le château de Fernel se dessine, amenant un sourire à Elazar. SOn petit bouton de marguerite est là.

Les bras croisés sur sa poitrine, Elisabeth n’est pas contente, non. Elle déteste Fernel. Elle n’aime pas du tout cet endroit pour toutes les raisons que le lecteur assidu des péripéties de Bonne Ma’ ou d’un journal désormais disparu dans les flammes d’un âtre connait. Non, elle n’a pas envie de rentrer. Elle était bien, là bas, avec son mari, loin du monde, loin des regards, loin de tout. Elle a eu du temps avec lui, en toute liberté, du temps merveilleux, merveilleux et insuffisant.

A Fernel, il faut être triplement prudent. Etre tout le temps sur ses gardes. Rester loin de tout et de tout le monde. Et surtout de Louise, qui ne sait rien.

- Elle n’a pas besoin de moi. Elle ne sait rien. Or ce que je sais moi, c’est que dès que nous aurons franchi le seuil de notre maison, je vais encore devoir rester cachée…

Même le langoureux baiser d’Elazar ne parvient pas à la dérider.

- Une vie honnête, sans meurtre ni contrat ? C’était étrange, je ne te le cache pas…Etrange et doux.

Enfin, un sourire. Elisabeth a un regard pour l’homme qu’elle aime jusqu’à la déraison. Elle ferait absolument n’importe quoi pour lui, comme l’ont prouvé ces vingt dernières années d’aventures sanglantes. Cela étant, elle estime aussi avoir assez attendu. Rentrer à Fernel, même avec lui, c’est comme rentrer dans une prison qui lui rappelle sans cesse ses fautes. Et elle apprécie très moyennement la vie dans le Nord.

- J’aurais préféré rester là où nous étions…mais bon, s’il le faut absolument…rentrons.

Elle aussi, elle voit le château, un château dont on distingue les fenêtres du corps de logis principal. Ouvertes. Signe que Louise est là, effectivement. Une moue s’affiche sur le joli visage de la blonde dame.

- Cette manie qu’elle a de toujours tout ouvrir…Cela sent le cheval partout dans les couloirs. Elle ne sait vraiment rien faire comme les autres, cette petite…Je me demande de qui elle tient ça.

Le mécontentement parfaitement visibler de sa douce moitié le fait sourire.

Ma chère, je n'ai pas l'intention de te cacher. Au contraire... Je n'aime pas te savoir irrité ma belle marguerite. Plus rien ni personne ne peut nous faire du mal.


Prenant la petite main dans la sienne, il se met à embrasser chaque doigt avec dévotion.

- J’aurais préféré rester là où nous étions…mais bon, s’il le faut absolument…rentrons.


Emporté dans son doux élan, Elazar la tire vers lui, pour qu'Elizabeth puisse s'appuyer sur son épaule. I comprend ses craintes.
- Cette manie qu’elle a de toujours tout ouvrir…Cela sent le cheval partout dans les couloirs. Elle ne sait vraiment rien faire comme les autres, cette petite…Je me demande de qui elle tient ça.


Un léger rire salue la remarque.

Tu le sais, elle a besoin de nous. Quand elle sera bien entourée et défendue, je pourrai prendre ma retraite de l'intendance. Je lui ai promis d'être toujours là pour elle, mais ca ne m'empêchera pas d'être là pour toi. D'ailleurs, mon âme, ne pas te connaitre je penserais que tu es jalouse. Cela se pourrait t'il?

Il donne à son épouse un baiser sur la tempe avant d eplonger ses prunelles d'argent dans le noisette de sa dame.

Tu es certaine de ne pas vouloir le lui dire?

- Jalouse ? Moi ?

Elisabeth lève les yeux au ciel avant de grommeler contre lui des paroles incompréhensibles. Elle peut bien prétendre le contraire, il y a quand même au fond d’elle cette petite voix qui ricane et qui lui murmure qu’il a peut-être bien raison.

Elle a cherché son époux pendant vingt ans, elle a abandonné sa fille à sa sœur, comptant sur une extraordinaire ressemblance physique pour pouvoir vivre cette aventure-là, chercher le seul et unique amour de toute sa vie, le ramener et vivre une vie paisible avec lui et leur enfant. Elle aurait massacré Eudes de ses mains, avec la plus grande des joies, à son retour, tout autant que sa sœur, d’ailleurs, si elle avait causé le moindre souci, mais ce beau projet n’a jamais pu se concrétiser.

Ses recherches ont été vaines, elle a du trouver des expédients pour survivre, des expédients dont elle n’est pas fière mais qui lui ont permis de rester en vie et de finalement le retrouver lui, ici, dans ce carrosse. Il a toujours été le but de sa vie. Louise, elle…

- C’est ma fille mais j’ai parfois l’impression que tu l’aimes plus que moi.

Louise est une personne qu’elle ne connait pas. Elle ne la connait plus. Le petit être geignant dans ses draps fins en réclamant sa mère a grandi. C’est une femme maintenant, et une femme accomplie pour ce qu’elle en a pu en voir, lorsqu’elle l’espionne à chaque fois que c’est possible. Une femme très belle, au cœur tendre et au caractère fort.

Elisabeth se love contre son époux, comme le ferait un petit chat des rues.

- Le lui dire…

Bien des fois elle a du résister à la tentation. Tellement de fois. Prendre Louise dans ses bras, lui chanter cette chanson qu’elle aimait, toute petite, la cajoler, lui dire à quel point elle est fière d’elle…Ce serait merveilleux mais…

- C’est impossible. Elle me tuerait, Elazar.

La jolie blonde lève son regard sur lui. Un regard sincère mais triste.

- J’ai parfois l’impression que tu ne vois en elle qu’une fillette. Tu l’as déjà vue manier sa lame ? Moi je l’ai vue. Plusieurs fois. Quand elle l’utilise, amour, elle a le même regard que toi. Le même que le mien. Elle est brutale. Violente. Agile comme une ombre. Colérique aussi…Et je ne suis plus cet assassin que l’on connaît à Thaar. Elle aurait le dessus sur moi, j’en suis convaincue.

Elle serre les doigts de son époux dans les siens, songeuse.

- J’aimerais le lui dire. J’aimerais tellement. Mais…comment ?

Des mensonges, oui. Partout. Tout le temps. Tant et si bien qu’elle ne fait désormais plus confiance à qui que ce soit hormis ce grand estreventin qui a déboulé dans sa vie il y a de cela quelques mois. Il est le seul à posséder la totale confiance de Louise, personne d’autre ne peut se targuer d’être dans ses petits papiers. Trop de déceptions.

- Je sais tout ça…et je suis le plus gros d’entre eux.

Assise sur ses genoux, elle se sent pourtant bien mieux, apaisée. Il a toujours réponse à tout, il a toujours des solutions, il est apaisant, cet homme-là, l’homme de son cœur.

- Lui dire…

Elle joue avec les doigts d’Elazar, avant de les porter à ses lèvres et d’y déposer un baiser. Le noisette rencontre l’argent, avant qu’elle ne murmure :

- C’est d’accord…

Elisabeth a peur, vraiment peur de la réaction de Louise. Cela étant, Elazar a raison. Elle ne peut rester cachée indéfiniment. Son époux en serait malheureux et ce n’est pas une vie pour elle. Au pire, si ça se passe mal, ils pourront peut-être rentrer à Thaar. Ce qui ferait ses affaires, égoïstement.

- Mais…Si elle me rejette… ?

Elisabeth plisse les lèvres, dans un étrange mouvement qu’effectue également Louise, lorsqu’elle est sur le point de dire quelque chose de fâcheux ou de désagréable. La jolie blonde se tait mais elle n’en pense pas moins. Elle n’est pas aussi confiante que l’est Elazar. Probablement parce qu’elle a bien plus de choses à se reprocher que lui, vis-à-vis de leur fille. La confrontation lui fait peur. Très peur. Et pourtant elle n’en dira rien à son époux.

Lorsqu’il lui tendra la main pour sortir, elle s’en saisit et s’extirpe du carrosse, regardant sans dire un mot le serviteur de son époux, cet Eugène qu’elle n’apprécie pas beaucoup.

- Dame Louise est au château et le domaine s’est fort bien porté en votre absence.

Il a un regard pour Elisabeth, un regard tout à fait neutre, puis reporte son attention sur Elazar.

- Elle est revenue de Kirgan il y a de cela trois ennéades à présent, un seigneur arétan réside au château et elle est sur le point de se rendre à Arétria avec des vivres.

Il toussote un peu.

- Monsieur Claude est passé ici en votre absence, il n’est pas resté et est parti assez rapidement. Dame Louise vous expliquera sans doute mieux que moi les détails.

Il s’écarte et laisse le couple s’avancer.

- Dois-je raccompagner Madame en votre logis ? Dame Louise est en son petit bureau, enfermée depuis des heures. Je peux vous annoncer si vous le souhaitez…

Même s’il sait que c’est une précaution totalement inutile, vu que le lys noir peut se déplacer dans les Ombres.

DAme son âme n'a pas besoin de parler. Depuis qu'il la connait, ELazar sait pertinemment très bien décrypter chaque froncement de lèvres, chaques mimiques de sa dame. Et sil il manifeste un enthousiasme certain, en lui il est pas mal moins confiant. Louise a toujours été imprévisible. Il s'est donné comme point d'honneur de ne pas lui mentir plus que nécessaire et Elisabeth serait un trop gros morceau à cacher. Elle peut lui en vouloir de lui dire, peut-être, mais elle lui en voudrait indubitablement si il ne lui dit pas.

- Dame Louise est au château et le domaine s’est fort bien porté en votre absence.


Bien, je vérifierai les livres sous peu. Qu'ils soient prêts dans mon bureau.


- Elle est revenue de Kirgan il y a de cela trois ennéades à présent, un seigneur arétan réside au château et elle est sur le point de se rendre à Arétria avec des vivres.


C'est plus étonnant. Arétria? Ce trou perdu et boueux? Un échange commercial? Ils ont quoi que Fernel a besoin? main dans la main de dame son épouse, il se porte à la rencontre de son apprenti.

- Monsieur Claude est passé ici en votre absence, il n’est pas resté et est parti assez rapidement. Dame Louise vous expliquera sans doute mieux que moi les détails.

Il s’écarte et laisse le couple s’avancer.

- Dois-je raccompagner Madame en votre logis ? Dame Louise est en son petit bureau, enfermée depuis des heures. Je peux vous annoncer si vous le souhaitez…


L'argenté rencontre le noisette de la dame. Pendant quelques secondes, ils ont un dialogue silencieux avant qu'Elazar ne s'incline avec un claquement simple de sa canne devant Elizabeth en lui faisant un galant baise-main.

-Le devoir m'appelle, Dame. Eugène vous restez à sa disposition en tout temps.

Les doigts gantés de l'empoisonneur serrent un peu celle de sa compagne en un geste de réconfort, avant qu'il ne s'engouffre dans le château de Fernel.

clac...

Chante la canne de l'intendant.

Clac....

Je suis de retour,

Clac...

A votre travail à vos labours.

Clac.

La dame de Fernel m'attends.


Le bruit de la canne se fait entendre avec une application certaine dans les corridors du château, avant de s'arrêter devant le bureau de Louise. il y a un moment de pause, avant qu'il ne cogne galamment sur le battant et attend la permission avant d'entrer.

Il n’y aura pas de réponse immédiate à son annonce pour la simple et bonne raison que Louise s’est littéralement effondrée sur son tapis, au milieu d’un fouillis de parchemins, de cartes, de petits pots contenant de la peinture, de pinceaux éparpillés partout. Il y a des portraits, des paysages dont un qui occupe tout un grand panneau de bois. Il n’est pas terminé, il est loin d’être fini même, mais on devine les montagnes, les esquisses de monts enneigés, l’ébauche d’une cité creusée dans la roche et sur un promontoire deux silhouettes. Une femme drapée de voiles rouges et une silhouette masculine, coiffée d’une couronne, plus petite, une silhouette masculine qui montre l’horizon, un horizon d’or et de pourpre.

Sur une autre planche, une statue, immense, d’un nain coiffé de sa couronne et portant une double hache, un croquis dessiné rapidement, les bases d’un autre portrait…Et cela là lui a demandé tant d’efforts qu’elle s’est assoupie sur son tapis tout moelleux, au milieu des coussins disposés là, par terre, surplombés par des voiles thaaris.

Lorsqu’il frappe, elle se réveille, un œil collé et pas l’autre, endormie sur un pinceau qui lui a coloré la joue droite d’une tache rouge profond. Elle fronce les sourcils. Personne ne peut venir la déranger quand elle est ici, c’est son sanctuaire, son petit lieu sacré rien qu’à elle.

- Une seconde…

Elle passe une main dans ses cheveux et baille, avant de se lever, le pinceau encore à la main. Elle le dépose dans un petit pot rempli d’eau et avance vers la porte en remettant de l’ordre dans sa tenue, fluides voiles rapportés de Thaar, une tenue qu’elle aime porter quand elle est seule et quand elle est certaine que personne ne viendra la déranger. Elle enfile une petite cape d’intérieure, vaste robe de chambre en lourd tissu de velours bleu et ouvre la porte en grand, décoiffée, la joue tâchée, avec la mine de quelqu’un qui vient de se réveiller d’une longue sieste.

- …

Elazar. Elle ouvre la porte un peu plus grande et le laisse entrer, avant de la refermer, tranquillement.

- Je ne savais pas si j’allais te revoir avant de partir en Arétria. Ton voyage dans le Sud s’est-il bien déroulé ?

Elle lui sourit mais elle ne le prend pas dans ses bras, elle s’éloigne pour aller ranger son matériel, sa robe de chambre bien convenablement fermée.

- Je me suis endormie, je suis fatiguée, ces dernières ennéades ont été harassantes, je n’ai pas beaucoup dormi.

Elle lève un regard tranquille sur lui et sourit encore :

-  Quelles nouvelles me rapportes-tu du Sud ?

Les sourcils du vieil homme se haussent d'étonnement devant cet acceuil... Glacial? Curieuses, les prunelles d'argent suivent la jeune femme qui s'éloigne. Elle lui fait l'impression d'un chat boudeur. Elle ne peut pas lui en vouloir parce qu'il est parti représenter le domaine lors de rencontre commerciales et diplomatiques.

- Je ne savais pas si j’allais te revoir avant de partir en Arétria. Ton voyage dans le Sud s’est-il bien déroulé ?


Je ne pouvais pas confier ce voyage à quelqu'un d'autre... Tu as du rouge sur la joue ma fille.

Curieux, ce changement d'attitude. Elle ne se précipite pas dans ses bras pour se lover tout contre lui. Cela trouble beaucoup Elazar.  Elle lui en veut à ce point? Le vieil homme cache son émoi en faisant un pas pour essuyer la tache de peinture incriminante.  

- Je me suis endormie, je suis fatiguée, ces dernières ennéades ont été harassantes, je n’ai pas beaucoup dormi.


Ah? Son apprenti a failli à sa tâche se méprend t'il. les sourcils se froncent et les prunelles claires foncissent sous le déplaisir évident.

Eugène avait des ordres stricts et un budget. Rien n'était sensé troubler ton sommeil. Je suis très très mécontent de l'apprendre.  Peut-être n'est il pas apte à me succéder finalement.

Levant les yeux, l'assassin les écarquille devant les oeuvres les plus récentes de Louise. Particulièrement devant celle où elle est avec ce qui est indubitablement un roi nain.

-  Quelles nouvelles me rapportes-tu du Sud ?


Les nouvelles sont bonnes. Et avec une mise de fond minime, nous pourrons monter une affaire qui apportera un revenu constant et substantiel à Fernel... Je suis aussi passé par Paville et les ruines du château de mon père. J'y ai trouvé ce qui me revenait de droit. Il a un léger sourire. Tu m'a manqué Louise, n'ai je pas droit à un câlin de mon bouton de marguerite?

Elle esquive habilement le geste qu’il pose envers elle, en se détournant et en se saisissant d’un petit chiffon déposé là. Louise se déplace jusqu’à un petit miroir et observe son visage sali avant d’essuyer la peinture. Ce faisant, elle observe rapidement son père dans le reflet du miroir, un miroir qui montre un Elazar contrit. Revenant à la tache sur son visage, elle s’applique à l’enlever, attentive.  

Il est mécontent, elle le voit tout de suite à son regard. Louise inspire profondément avant de déposer le chiffon et de tourner son visage désormais propre vers lui.

- Eugène n’y est absolument pour rien. Il a fait très exactement ce que je lui ai demandé.

Elle range les petits parchemins, les portraits, rapidement. C’est la fin de la récréation, dirait-on…Elle ne sait pas quand elle pourra de nouveau peindre et s’exprimer comme ça, étant donné qu’elle va encore passer du temps sur les routes. Tous ces visages peints…Ces souvenirs…Un portrait soudain, une esquisse d’un homme à la bouche immense et à la joue balafrée. Un sourire. Il disparait dans un tas de croquis, tandis qu’elle reprend :

- Il a réagi avec diligence et a été un soutien appréciable. Tu ne l’as peut-être pas remarqué mais Fernel est encore en état d’alerte. Pendant que tu étais dans le sud, j’ai du gérer une crise assez déplaisante.

Hop, les portrait sont glissés dans un petit coffre dont elle verrouille la serrure à l’aide d’une clé.

- Le nouveau ferronnier a été attaqué dans les montagnes. Une Drow. La Haute Prêtresse de Kiel, pour être exacte. J’ai placé Fernel en état d’alerte pendant des jours. Voilà pourquoi je n’ai pas beaucoup dormi.

Elle en parle en toute décontraction, sans que cela ne génère la moindre émotion sur son visage fatigué. C’en est devenu presque anecdotique, désormais. Alors elle l’écoute à propos du Sud où elle compte se rendre ce mois, attentive. Elazar parle rarement de Paville et de Redinem. Et Louise ne sait presque rien de ces familles, c’est un sujet qu’elle n’aborde jamais, non pas par désintérêt mais uniquement parce qu’elle n’y pense pas, tout simplement.

Et cette demande…Un câlin ? Depuis Thaar, Louise ne fait plus ce genre de choses. Pour d’excellentes raisons. La châtelaine plisse un instant les lèvres puis avance, se préparant au contact. Un contact raide, plein d’embarras, tandis qu’elle noue ses bras autour de sa taille, la tête sur son épaule. Un parfum subtil d’huiles précieuses provenant de Thaar lui chatouillera sans doute le nez. Et immanquablement, le sourire, le visage de Dante lui revient. Elle l’imagine, petit garçon des rues, ce petit gars affamé et tout seul, entre les griffes de cet homme qu’elle serre dans ses bras. Dante, le petit Dante, dans son lit. A se débattre. A se taire. A tout supporter…Atroce vision. Elle ferme les yeux, le cœur gros et la gorge nouée.

- Qu’est-ce que tu as trouvé là bas ?

Chasser ces visions horribles par n’importe quoi, vite. Tout plutôt que d’imaginer…ce qu’elle vient d’imaginer.

Dans ses bras, il peut sentir la poitrine de sa fille sur son torse. Ce qui l'intéresse en fait c'est le non verbal de la jeune femme. le rythme du coeur, la raideur de la posture. Le changement de ton...Il lui est arrivé quelque chose.

Mais quoi? Les sourcils se froncent par dessus des yeux couleurs de tempête tandis que, par réflexe, le vieil homme la serre tout contre lui d'un geste possessif et protecteur. Des drows, ici? Ca explique pourquoi elle va en Arétria maintenant.

Mon héritage...

La relâchant un peu, il prend son menton du bout du doigt pour qu'elle le regarde. Pendant un instant, il a la même expression que Dante quand il la regarde parfois en la jaugeant du regard. Un sourire qui se veut réconfortant se dessine sur le visage de l'assassin. Ce n'est pas le moment de lui dire pour sa mère, mais il peut toujours la préparer un peu, le choc sera moins dur.

Je comprends que les affaires urgentes t'appellent et que mon voyage a mal tombé. Pars en toute quiétude, je veille au grain. Quand tu va revenir, jeune fille, nous devrons avoir une conversation sérieuse. J'ai appris des choses intéressantes concernant ta mère je ne te le cacherai pas, mais ce n'est pas le moment d'en discuter. Fernel a besoin de nous.