L’autochtone étrangère | Serythil & Cilastiel

Première ennéade
Été, Verimios 18:XI

Cilastiel observe du haut de son perchoir. Accroupie sur une branche, elle ouvre tous ses sens. Le parfum de la forêt estivale, le bruissement des feuillages qui s'agitent au gré de la brise, la Trame paisible et régulière, les Chants des arbres tranquilles... Il ne se passe rien de particulier et cela lui convient parfaitement. Quelques Vëtherill sont dans les parages mais si discrets qu'ils ne parviennent même pas à troubler la quiétude des environs.
Un trésaillement de magie à son côté lui fait tourner la tête et c'est sans surprise qu'elle voit apparaître un visage familier. Il lui fait quelques signes et elle hoche la tête en guise de réponse. Alors il disparaît dans les ombres et elle ne tarde pas à en faire autant, sautant dans le vide pour, la seconde suivante, marcher d'un pas lent sur la terre ferme.

Cilastiel commence à connaître ce petit coin de forêt. Elle est loin d'en avoir découvert les moindres recoins mais elle sait au moins s'y retrouver. En chemin, d'autres silhouettes sortent des ombres -magiques ou non- et lui emboîtent le pas ou la précèdent. Deux d'entre eux transportent leur prise du jour : un cerf. Le petit groupe d'éclaireurs se rassemble assez vite et retournent ensemble au camp qu'ils ne tardent pas à rejoindre. Ils y sont accueillis par les cris de joie de quelques enfants qui retrouvent un père, une mère, un frère, une sœur. La petite elfe observe leurs visages heureux. Leur vie est paisible et douce. Une vie qu'elle n'a pas connue. Une enfance dont elle a été privée. Mais elle a renoncé à avoir des regrets ou de la rancœur. Elle n'a plus personne à mettre en cause pour ce qu'elle a vécu. Et puis, quelqu'un l'attend toujours quelque part maintenant.
Ceux qu'elle croise la saluent et elle leur rend leur bonjour, parfois par des mots, parfois par un signe de tête. Elle n'est pas très loquace la petite elfe fragile et ils le savent bien. Elle n'est pas des leurs, mais pas totalement étrangère non plus. Son statut ici est un peu particulier. Elle leur ressemble et son frère vit ici. Pourtant, ce n'est pas elle qui décidera de rester ou non. La Symphonie la laisse tranquille pour l'instant parce qu'elle achève de se remettre de ses blessures. Mais elle sait qu'elle la rappellera un jour.

Elle a changé la jeune mage. Ses émotions la travaillent toujours mais elle semble... Un peu plus mature. L'expérience de l'attaque l'a influencée dans cette évolution. Cela a été un choc. Elle n'avait encore jamais eu peur de mourir auparavant. De perdre un proche, si... Mais sa vie lui importait bien peu avant. Avoir frôlé la mort l'a tempérée. Elle est restée longtemps alitée avant de pouvoir se mettre de debout. Puis marcher. Au début, le moindre effort requerrait un repos considérable mais, avec le temps, cela lui a demandé de moins en moins d'énergie. A présent, elle a presque retrouvé sa forme habituelle.
Son apparence aussi a changé. Ses vêtements étant devenu hors d'usage, il a bien fallu la rhabiller et ils s'en sont donné à cœur joie. Son ancien haut recyclé, sa tenue de soin mise de côté, on lui a rendu son pantalon noir et on lui a offert une nouvelle tunique de couleur ocre cette fois. Quelques motifs sont dessinés dessus à la teinture brune, donnant à l'habit cintré à sa taille gracile un aspect ésotérique et gracieux.

Arrivant près d'un feu, elle s'assoit tout contre une silhouette bien connue et elle lui donne un léger coup d'épaule pour le saluer avec une sourire discret et teinté d'un brin de malice. Les bras posés sur ses genoux repliés, se tenant le poignet, elle regarde son frère avec complicité. Ils ont eu le temps de s'en dire des choses durant toutes ces ennéades... Et elle partage désormais sa vie comme si elle y avait toujours eu sa place. C'est un sentiment à la fois étrange et extrêmement agréable. Et elle reste là, sans même chercher à lui parler, parce qu'elle n'a pas besoin de combler le silence par des mots. Elle se sent bien, là.

Sërythil adressa un sourire complice à la jeune fille à ses côtés. Ça faisait du bien de la voir si détendue après les derniers jours difficiles qu’elle avait passés. Il posa fraternellement sa main sur son épaule. Cilastiel pouvait d’ailleurs remarquer que sous sa tunique les quelques bandages avaient à présent tout à fait disparus.

L’ambiance au sein du camp avait été paisible ce jour-là. Chacun vaquait à son occupation dans une chorégraphie bien huilée ou chacun avait sa place et le savait. Il y avait une certaine beauté dans ce spectacle car chaque frère accomplissait sa tâche et aidait son prochain à faire de même dans une profonde harmonie. Le soir venu cependant, on délaissait tâches quotidiennes et travail et l’on se réunissait tous près de ce qui semblait être un foyer permanent au sein d’une clairière dont le ciel était dégagé de toutes branches et qui laissait à la nuit tombée observer les étoiles et les lunes briller. D’un côté, la clairière était fermée par une formation rocheuse lisse un peu plus haute qu’un elfe de bonne taille.

Autour, à assez bonne distance pour être épargnées des flammes se trouvaient des pans de bois plantés dans le sol. Ils étaient troués, gravés et hauts de quelques dizaines de centimètres et achevaient de former un large arc de cercle dans lequel la majeure partie du clan se tenait. Les Vethërill n’étaient pas un clan très imposant.

Sur le feu, quelques ornedhels s’affairaient d’ores et déjà à y cuire les animaux qui avaient donnés leurs vies pour eux ce jours-là. D’autres apportaient quelques récipients, des condiments déjà préparés, en bref de quoi partager pour tous pendant que les retardataires arrivaient au fur et à mesure.

Aujourd’hui cependant, l’agitation était tout particulière chez les Vethërill. Comme si un frisson intangible parcourait le clan, beaucoup semblaient plus pressé qu’à leur habitude de venir s’assoir parmi frère et sœur. Çà et là on voyait des gamins courir et rire sans que leur parent ne les réprimande vraiment.  Contrairement aux soirée habituelles, personne ne faisait mine de se placer entre le mur naturel et le feu.

Sërythil se pencha à l’oreille de sa petite sœur sans se départir de son paisible sourire, se doutant que cela pourrait l’intriguer.

-Ce soir nous veillerons pour accueillir l’été.