Sœur et inconnue | Serythil & Cilastiel

3ème ennéade
Automne, Bàrkios 19:XI

Le camp des Mirthil'Di est paisible. Chacun s'affaire à ses activités quotidiennes et, dans cette région, il y en a toujours car l'hiver est particulièrement doux. Il y a toujours quelque chose à cueillir, quelque chose à chasser, un abri à réparer... Un secret à protéger. Les journées se ressemblent tout en étant différentes les unes des autres. Et, celle-ci va être totalement chamboulée par une invitée surprise.

Tandis qu'elle nettoie le dos d'une fourrure fraîchement retirée du dos de son propriétaire qui cuit au-dessus du feu, une femme est tirée de sa tâche par une forme qui se détache entre les arbres. Elle tourne son regard vers elle et aperçoit deux silhouettes qui approchent. En tête se trouve un être de la taille d'une adolescente, la tête surmontée de plumes. Appelant un nom, elle interpelle son chef de clan pour attirer son attention. Ce dernier suit son regard pour découvrir les nouveaux venus. Plusieurs membres du groupe d'approchent et les deux groupes s'arrêtent à plusieurs pas l'un de l'autre, sans un mot. Tous se regardent, comme pour se jauger.

Parmi les Mirthil'Di, un homme s'avance un peu plus, comme pris d'une intuition qu'il veut confirmer. Il détaille la toute jeune femme qui a de vagues airs de ressemblance avec quelqu'un qu'il connaît mais il n'arrive pas à mettre le doigt dessus...
Et puis...

-Ciryië ?...

La petite elfe sourit et Yesevelas a du mal à y croire. Mais c'est pourtant bien elle.

-C'est Ciryië ! Déclare-t-il au reste du groupe.

D'autres s'avancent, comme pour vérifier la chose par eux-mêmes mais ils finissent tous leurs observations avec la même conclusion : c'est bien elle. Ils se parlent entre eux et n'osent pas trop l'approcher, comme pour la préserver et éviter d'entrer dans son espace. Ils se souviennent de l'enfant qui n'aimait pas le contact et n'arrivait à faire aucune connexion avec le monde qui l'entourait. Mais elle va bien vite leur montrer qu'elle n'a pas changer que physiquement.

-Je comprends ce que vous dites. Leur annonce-t-elle sans le moindre accent.

Il y a quelques expressions de joie et puis, finalement, une femme lui prend la main et l'entraîne vers le centre du campement. On invite joyeusement son compagnon à rester avec elle. Cilastiel se tourne vers lui avec un sourire. Elle lui avait dit qu'elle passait dire bonjour à des amis. Des amis qui, visiblement, ne connaissent pas encore son nouveau nom, celui qu'elle utilise depuis qu'elle porte ce masque.
Près du foyer central, les Mirthil'Di semblent s'écarter, laissant passer une jeune femme. Blonde, le front orné d'un tatouage symétrique représentant des branches entrelacées, elle s'approche de la petite elfe et le silence se fait rapidement autour d'elles. Ce sont des retrouvailles importantes pour les deux femmes.

A son tour, Miresgal détaille les traits de celle qui a permis à son Souffle de subsister pendant des mois. Celle qui a obtenu l'aide nécessaire pour la ramener parmi les siens. Tout comme Yesevelas, elle parvient à la reconnaître après quelques instants et elle étire un sourire discret mais sincère.

-Tu as tardé à revenir.
-C'est une longue histoire...
-Et tu vas pouvoir me la raconter, cette fois.

Comme il est étrange pour elles de pouvoir échanger dans un langage connu et entièrement maîtrisé par les deux elfes. La blonde lève légèrement les mains dans sa direction.

-Je peux ?

La toute jeune femme est touchée par sa prévenance mais il faut qu'elle lui dise quelque chose...

-Ciryië a laissé place à quelqu'un d'autre. Je m'appelle Cilastiel.

Le groupe réagit à l'écoute de ce nouveau nom. Elle entend entre autre qu'il lui va très bien, qu'il est très approprié étant donné les changements qui se sont visiblement opérés en elle. Mais, faisant mine de ne pas les écouter, la nouvelle venue répond enfin à la demande de son amie et s'approche pour la prendre dans ses bras. Miresgal la serre contre elle et lui souffle quelques mots à l'oreille.

-Bienvenue Cilastiel.
-Et ton compagnon ? Commente une voix qu'elle reconnaît comme étant celle de l'un de ses anciens compagnons de voyage. Elle quitte alors les bras de son amie et se tourne vers celui qui attire désormais plus l'attention qu'elle.
-Je vous présente Serythil. Mon frère.

Alors que toutes les autres nouvelles ont provoqué des réactions plutôt joyeuses, celle-ci rend tout le groupe plutôt perplexe. Yesevelas et Miresgal croisent leurs regards, s'interrogeant silencieusement avant que le premier ne prenne finalement la parole.

-Ciryië... Dit-il par réflexe, comme s'il préparait à lui annoncer une nouvelle déplaisante.
-Mon frère de cœur. Complète-t-elle pour l'interrompre avant qu'il ne prononce les mots qu'il a en tête.

Ils se sont visiblement compris. Elle sait pertinemment ce qu'il allait dire. Elle a changé mais elle n'a pas oublié. Seulement elle a comblé l'absence puis la mort de son véritable frère en trouvant quelqu'un avec qui elle partage une affection similaire. Serythil se souviendra sans doute qu'elle lui a parlé de son frère de sang juste avant qu'ils ne définissent leur nouvelle relation, ce jour-là, dans la rivière.
Yesevelas hoche alors la tête en signe d'entente et Miresgal prend la suite.

-Venez vous asseoir. Vous avez faim ?

Elle entraîne la petite elfe avec elle tandis que son comparse propose d'un geste à Seythil de se joindre à elles. Ils ne seront que quelques uns à s'asseoir autour du feu, les autres s'éparpillant tout en restant à proximité.

Lorsqu’ils ont enfin atteint les Mirthil’Di, Sërythil s’est tout doucement mis en retrait, par timidité naturelle, de rencontrer un clan sans doute bien différent du sien. En tout un clan qu'il ne connaissait pas et qui ne le connaissait pas plus. Il comptait observer et écouter leurs coutumes et leurs manières de faire avant tout pour les respecter comme les siens exigeaient qu'on les respecte, car par la force des choses, il représentait son propre clan à leurs yeux.

Quoi qu’il en soit, il observa avec un sourire sincère les retrouvailles de sa petite sœur de cœur avec ces ornedhels inconnus. Il était heureux de la voir ainsi même s'il ne comprenait pas l'origine de toute ces effusions de joie et il la laissa en profiter sans broncher, ses mains sagement entrelacées devant lui. A tel point qu’il fut presque pris au dépourvu lorsqu’on voulut savoir qui il était lui, l’étranger et il s’inclina lorsque Cilastiel donna son nom.

-Sërythil, du Clan Vetëhril. Honoré Répétât-il avec respect après qu’elle l’ait présenté comme son frère de cœur.

Et timidement il s’approcha après qu’on lui propose de venir s’asseoir. Il chercha discrètement une assise un peu plus surélevée qui lui laisse un peu de confort pour ses faibles jambes, mais, trop polis pour se faire remarquer, il finit par se contenter de se poser sur le sol, comme les autres, pliant sa jambe valide et étendant l'autre. De discrètes œillades à droite à gauche, il chercha à imiter de son mieux les comportements des uns et des autres. Jusqu’ici, ils ne semblaient pas tant différents que sa propre famille en fin de compte…

Les retrouvailles sont touchantes et joyeuses à la fois. Mais là où Cilastiel fait presque partie du clan des Vëtherills, elle n'a pas la même attitude dans celui-ci et on ne se comporte pas de la même façon avec elle qu'avec un membre des Mirthil'Di. Elle est leur amie, mais pas l'une des leurs. Cependant, quelque chose semble lier la petite elfe avec la dénommée Miresgal et son clan. Quelque chose de bien particulier et de très fort, comme une épreuve.

La toute jeune Noss éludera le secret qui lui a été dévoilé par le clan près de Daranovar mais elle parlera du fait de s'être retrouvée seule dans la forêt, d'avoir entendu une musique et de l'avoir suivie en pensant trouver quelqu'un. D'être arrivée en Quatrième Saison et d'avoir croisé un dénommé Zaahrian que les deux femmes semblent parfaitement connaître malgré son nom étranger, de même que "Léonie". Elle parlera de sa rencontre avec un Vëtherill qui l'a conduite jusqu'à son clan et la façon dont, souvent, Anaëh l'a ramenée à eux. Elle aura de touchants regards vers son frère chaque fois qu'elle abordera le sujet... Puis elle évoquera son voyage jusqu'à un endroit où le sable se mêle à la terre, des rêves qu'elle faisait à ce moment-là, de la cérémonie à laquelle elle a tenté de participer avant de s'enfuir au bout d'un nouvel échec, finissant par achever sa vision éveillée au lieu d'être endormie... Elle racontera ce phœnix qui l'a approchée en rêve pour se consumer devant elle et renaître en un superbe oiseau de brume noire... Voilà comment elle avait acquis son nom et son masque qu'elle baissera pour en montrer l'effet. Elle expliquera que, depuis, elle voyage en suivant la Symphonie, recroisant souvent ou retournant jusque chez les Vëtherills. C'est un peu son refuge lorsqu'elle a besoin de se reposer et de se ressourcer. Mais Anaëh lui a fait découvrir mille merveilles et elle trouve chacune de ses excursions passionnantes.
De son côté, Miresgal aura un récit bien plus court que le sien. Elle n'a plus quitté l'enceinte du camp pendant longtemps, sous-entendant, sans le dire, qu'elle avait peur que quelque chose ne lui arrive si elle le faisait. Sa première sortie, elle l'a faite avec Yesevelas. En prononçant son nom, elle échangera un regard avec lui. Une lueur apparaîtra dans les yeux du Noss qui hochera la tête dans un discret sourire. C'est ainsi qu'elle annoncera à son amie qu'il lui a apporté beaucoup de soutien dans sa rémission et... qu'ils sont en couple désormais. Cilastiel s'en montrera très heureuse pour eux mais pas aussi exubérante qu'elle a pu l'être avec Serythil ou les siens. La fille de la forêt, au même tempérament espiègle et rieur qu'Anaëh, semble bien plus discrète et modérée ici. Mais les Mirthil'Di ne s'apercevront de rien. Ils ne l'ont jamais connu ainsi.

La soirée s'annonce et une petite fête se prépare en l'honneur de la jeune elfe revenue. Cette dernière profite de l'occasion pour s'éclipser quelques minutes. Perchée dans un arbre qui surplombe les autres, elle regarde au loin quelque chose qui se détache de la canopée. Là, au milieu des branchages, à quelques lieues d'eux, on distingue quelques constructions qui se détachent de la verdure sous les derniers rayons du soleil. De toutes les villes qu'elle a pu voir, c'est la seule qui se mêle aussi bien à la Prime Oeuvre. C'était peut-être un signe qu'elle soit née dans cette cité plutôt que dans l'une des plus fortifiées... Mais entendait-elle seulement la Symphonie à la naissance ?... Elle n'a aucun moyen de le savoir. Elle était... trop jeune.

De loin, Sërythil observait sa jeune petite sœur prendre un peu de recul par rapport aux festivités qui s’annonçaient. Pour lui la journée avait été emprunte de bien des révélations auquel il ne s’attendait pas. Il y avait toujours eu une zone d’ombre à propos du passé de Cilastiel, qu’il ne lui avait jamais demandé. Aujourd’hui il en apprenait beaucoup à la fois, sur une histoire tragique. Au moins la jeune femme avait-elle l’air heureuse, et en paix. Cela soulageait quelque peu son inquiétude.

L’espace d’une minute ou deux, il ne fit rien de plus que de l’observer de loin, comme veillant sur elle dans les ombres. Et puis, n’osant pas l’interrompre, le vethëril préféra se tourner vers le clan qui les accueillait de si bon cœur. Il chercha simplement un visage dont il avait pu retenir le nom et un morceau de l’histoire, et s’approchant alors de la dénommée Miresgal, il joignit les mains devant lui et lui sourit.

-J’aimerais à nouveau vous remercier pour votre générosité et votre accueil. Cilastiel est votre amie, mais moi je ne suis qu'un étranger. Fit-il avec la même simplicité qui l'animait toujours. Chez moi, il est de bon ton pour eux de participer aux tâches du clan qui reçoit. Pour partager leur joie comme leur fardeau. Alors, puis-je vous aider ?

Il y avait mille questions derrières ses lèvres, mais pudique, il se retenait encore de les exprimer tout à fait.

Tandis qu'elle broie quelques herbes pour parfumer la viande qui cours de cuisson, Miresgal relève les yeux vers Serythil en entendant une voix peu connue qui lui parle. Elle lui répond dans un sourire poli mais sincère.

-Les amis de Cilastiel sont nos amis. Et pour qu'elle vous considère comme son véritable frère, elle doit beaucoup tenir à vous.

De la Ciryië qu'elle connaissait, il était difficile de se lier à cette enfant. Mais une fois que c'était fait, elle devenait une amie précieuse et fidèle, prête à tout pour protéger ceux qu'elle aime. Mais même dans la souffrance, elle était parvenu à conserver un cœur en or. Ce même cœur qui l'avait poussé à préserver cette Noss inconnue devenue sa compagne d'infortune.
A la requête du Vëtherill, la blonde semble réfléchir, regardant autour d'elle ce qu'il lui reste à faire. Elle lui propose alors d'effeuiller une autre plante aromatique séchée. Une tâche un peu longue qui parfumera les doigts de Serythil mais qui rendra bien service à la jeune femme. Puis elle reprend son travail, regardant son homologue travailler, hésitant elle aussi à lui poser des questions, avant de se lancer enfin.

-Le collier de Cilastiel. Il vient de votre clan, n'est-ce pas ? C'est un talisman ?

Son amie semble s'être très liée aux Vëtherill et elle est curieuse d'en savoir plus sur eux. La petite elfe a bien changé mais son attitude ne lui semble pas totalement naturelle et elle se demande comment elle est avec eux et à quel point elle est intégrée à leur clan. Elle dit voyager au gré de la volonté d'Anaëh mais revenir souvent après d'eux... Alors, est-elle encore et toujours une solitaire ou est-elle parvenu à t'attacher à une communauté ? Il doit bien y avoir une raison pour que la Prime oeuvre ne l'ait pas ramenée auprès des premiers Noss à lui être venus en aide...

-On peut dire ça comme ça oui.

Sërythil avait doucement sourit à la proposition de la jeune femme et s’était attelé à sa nouvelle tâche sans attendre. En herboriste chevronné, il exécutait ses gestes avec une précision habile sans même y prêter vraiment attention. D’ailleurs Miresgal pouvait remarquer qu’il ne se contentait pas de détacher les feuilles mais les broyait légèrement entre son pouce et son index, une petite astuce qui leur permettrait de libérer plus facilement leur saveur et leurs effets, une fois cuites.

Cilastiel a passé beaucoup de temps parmi nous. Expliqua-t-il en même temps. La première fois, c’est un de mes frères qui l’a trouvée perdue dans les Bois. Elle n’a pas tenue bien longtemps avant de repartir, mais elle est revenue, et le temps passant…eh bien nous nous sommes attachés à elle.

Il cessa un instant son ouvrage et porta sa main à son amulette, en traçant les contours du bout des doigts. Puis, il passa la cordelette autour de son cou, et tendit le tout à son interlocutrice.

-Chaque membre de notre clan possède sa propre version à quelques détails près. Le rituel n’est pas bien complexe, mais comme beaucoup de chose chez nous, il est très précis. Elle nous protège, mais d'un point de vue plus terre à terre... elle nous rappelle d'où l'on vient. C'est un bout de chez nous. Son regard s’égara dans la direction de sa jeune sœur adoptive, pensif. Nous l’avons donnée à Cilastiel car nous pension qu’elle aurait besoin d’un refuge, d’une famille. Aucun de nous ne connait vraiment son histoire, nous l’avons adopté telle qu’elle est aujourd’hui…

Il n’y avait point de reproche dans sa voix. Rien qu’une certaine forme d’inquiétude. La jeune noss semblait avoir guérie de blessures dont l’herboriste n’avait jamais eu idée…

Miresgal semble un peu pensive et un peu triste aussi. La petite elfe n'est pas revenue auprès des Mirthil'Di durant plus d'un an après qu'ils lui soient venus en aide. Pendant ce temps, elle s'est liée à un autre clan qui l'a acceptée comme l'une d'entre eux... Alors qu'elle aurait également eu sa place parmi eux qui la connaissent parfaitement, elle et son histoire. Cependant...

-Je comprends... qu'elle ait voulu couper les ponts avec tout ce qui pouvait lui rappeler son ancienne vie. Dit-elle à la fois blessée et empathique à l'égard de la petite elfe. Le regard baissé, comme concentrée sur sa tâche, elle évite surtout de lever les yeux pour ne pas afficher plus clairement sa déception. Elle est très différente de celle que j'ai rencontrée... De celle que nous avons aidée.

A son tour, la Noss se tourne vers son amie. Elle sait dans quelle direction elle regarde et elle sait pourquoi. Même si elle est une toute autre personne aujourd'hui, elle se souvient qui elle a été et elle semble se rappeler que ses racines sont ici. Même si elle a choisi de s'attacher à un clan bien plus éloigné, elle reste liée à cet endroit.

-Sa vie a été tellement bouleversée en si peu de temps... Vous avez eu raison de lui offrir un abri. J'imagine à quel point elle devait se sentir perdue... Elle avait probablement besoin d'un ancrage. C'est ce que vous lui avez donné. Ce doit être pour cela qu'elle s'est attachée à vous au point d'accepter ce talisman. Même si j'ai cru comprendre qu'elle conserve sa liberté, telle une véritable fille d'Anaëh.

Il n'y a pas qu'à ce clan qu'elle s'est liée. La Prime Oeuvre est devenue également extrêmement importante dans sa vie. Au point qu'elle se laisse porter des ennéades durant d'un bout à l'autre de la forêt, simplement en suivant sa Voix. C'est un mode de vie que même Miresgal a du mal à comprendre, d'autant plus de la part de celle qu'elle appelait Ciryië. Elle semble avoir totalement tourné la page. Cependant, n'a-t-elle vraiment aucune séquelle de son passé ? Elle aurait du mal à le croire... Pas après ce qu'elle a vécu.
L'Ornedhelle hésite et puis...

-Si jamais... Elle vous raconte son passé un jour... Ne perdez pas de vue qu'elle était privée de toute possibilité de choix. Et que les rares fois où elle a pu jouir de son libre arbitre, elle l'a fait pour sauver des vies. La mienne en fait partie.

Cela ne rachète pas ce qu'elle a fait mais peut-on réellement comprendre lorsqu'on n'a pas vécu cette situation soi-même. Miresgal a été si affectée par ce qu'elle a vécu qu'elle s'en remet à peine, des années plus tard, et qu'elle reste encore au cœur de toutes les attentions de son clan qui sent sa fragilité. Cilastiel n'était-elle pas un peu comme elle après avoir recouvré son Souffle ? Parmi son égarement et toutes ces nouveautés qu'elle vivait, n'y avait-il pas la preuve d'une instabilité dans son caractère marqué par un passé tourmenté ?
La Noss se sent soudain mal à l'aise. Faisant mine d'avoir fini son travail -ce qui est plus ou moins vrai-, elle se lève et s'approche du chef cuisinier de la soirée pour lui donner les herbes pilées qu'elle a préparé. Celui-ci la remercie d'un sourire sans se rendre compte qu'elle essaie surtout de quitter une situation gênante qu'elle a elle-même provoqué sans le vouloir, laissant leur invité seul.

Sërythil aurait bien voulu répondre à Miresgal mais celle-ci s’était éclipsée avant qu’il ne puisse ne serait-ce que poser une question. Alors, comprenant son malaise, il se tut. L’espace de quelques instants Il resta là, les mains vides, son amulette dans l'herbe un peu plus loin, à fixer ses paumes parfumées par les herbes aromatiques.

Il ignorait ce qu’avait vécu Cilastiel avant son retour chez les Vetëhril et tout s’accordait à dire qu’il y avait là de terribles secrets. Pour elle, comme pour cette nouvelle femme qui semblait l’avoir connue à l’époque.

Mais quelque part, Sërythil n’avait pas vraiment envie de savoir. ou plus envie en tout cas. Il n’en avait pas besoin, et il espérait qu’au moins Cilastiel comprenne une chose : qui elle avait été avant de comptait pas à ses yeux, ni aux yeux du clan qui l’avait adoptée. Elle était Cilastiel aujourd’hui. La jeune fille qui courrait pied nu dans les bois en suivant son cœur et celui de la forêt. La Ciriyë d'avant n'était plus. Tout comme le Sërythil d'avant l'accident n'était plus non plus. Et il y avait du bon dans tout cela.

Doucement il soupira en se relevant, non sans difficulté. Puis il boitilla jusqu’à l’endroit où elle observait le lointain. Sans rien lui demander, il fit l’effort de grimper à ses côtés. Sans un mot. Tout ce qu’il fit c’est de lui prendre la main, tout doucement, et de la serrer dans la sienne. En silence il observa alors cette lointaine cité, certainement théâtre du passé de la petite noss.

Perdue dans sa contemplation et le flot de pensées et de souvenirs qui l'assaillent, Cilastiel réalise néanmoins que quelqu'un approche. Elle n'a pas besoin de se retourner pour savoir ce qui il s'agit, pas plus qu'elle cherche à l'aider, non pas par méchanceté ou dédain mais simplement parce qu'elle sait que son frère a aussi besoin d'accomplir certaines choses par lui-même. Et une fois qu'il l'a rejoint, la seule chose qu'il fait c'est de lui prendre la main. Elle se retourne alors vers lui, un peu surprise par son geste. Il a certainement remarqué qu'elle est différente depuis qu'ils sont arrivés, qu'elle est comme... éteinte. Cette petite luciole vive et paisible à la fois semble soudain agitée par des émotions et des songes qui l'assombrissent et la mettent mal à l'aise. Mais Serythil ne lui demande rien. Il se contente de se tourner vers l'horizon et de regarder dans la même direction qu'elle. Elle lui sourit alors, comme pour le remercier. Elle comprend qu'il n'a pas besoin de savoir... qu'il veut juste être à ses côtés. Et c'était tout ce dont elle avait besoin. Tout en observant la cité, elle vient poser sa tête sur l'épaule de son frère. Cela la réconforte de savoir qu'il est là. Elle aurait presque envie de pleurer de voir le soutien qu'il veut lui apporter alors qu'il ignore tout d'elle. Alors qu'il ignore le monstre qui hante son passé. Le monstre qu'elle a été... Il veut se contenter du présent. Et, quelque part, il a raison : celle qu'il connaît est bien réelle. C'est celle qu'elle est aujourd'hui. Celle qu'elle a choisi.

Le duo rejoindra le reste du clan un peu plus tard et, peu avant que ne commence la soirée, une Taledhelle se joindra à eux. Une Taledhelle que la petite elfe appellera Emig et qui aura du mal à la reconnaître même si elle finira pleurer de joie et serrer sa fille dans ses bras. La ressemblance entre elles est d'ailleurs frappante. Les longs cheveux noirs, le teint pâle, les traits du visage... La différence la plus notable concerne leurs tailles, la mère de Cilastiel étant aussi grande que les hommes des cités. Elle regarde d'ailleurs les yeux de son enfant avec une certaine curiosité, interpellée par leur couleur...

La soirée de fête se passera tout naturellement, la jeune elfe étant désormais un peu apaisée par l'attitude bienveillante de son frère. Cependant, même s'ils partiront dès le lendemain matin, elle ne retrouvera vraiment son sourire que quelques jours plus tard, lorsque tout ce qui est remonté à la surface pendant ce court séjour sera retombé et qu'elle se sentira libérée de ce fantôme qui la suivait depuis cette rencontre avec son passé.

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