Les limites de votre monde | La porte d'Anaëh

Milieu de la 6e ennéade de Karfias
19e année du Onzième Cycle
À l’approche de Celimë

- Papa ? si les jambes de la petite fille dans tes bras étaient épuisées, sa tête était tout sauf Et pourquoi on peut pas traverser la rivière ?

- Ce n’est pas une rivière Rhëa. C’est un fleuve. tu réponds avec une appliquée patience, arrachant un sourire aux soldats proches Les rivières relient deux fleuves, et les fleuves relient leur source à la mer. Et d’ailleurs nos fleuves sont beaucoup plus grands qlà ue les rivières !

- Mais on peut pas prendre le bateau ? Comme quand on va chez maman ? Pourquoi on peut pas prendre le bateau là ? Comment il s’appelle le fleuve ?

- Le fleuve qui passe par ici c’est l’Oliya. Et on ne navigue pas beaucoup dessus parce qu’il ne s’arrête pas chez nous. Il va se jeter loin au Sud dans la Mer Olienne, en dehors d’Anaëh.

- Où c’est le Sud ?

- Par là.

- Pourquoi on va pas par-là ?

- Parce que par-là il y a l’Ithri’Vaan, et l’Ithri’Vaan n’appartient pas à notre Royaume. tu offres une moue presque triste à ta fille Et malheureusement, en dehors de notre Royaume, ce n’est pas sûr.

- C’est pour ça qu’il y a pas beaucoup d’arbres ici ? Parce que de l’autre côté c’est pas sûr et ils ont peur ?

- Il y a de ça. tu rigoles Mais c’est surtout que si on avance dans ce sens-là tu pointes le Sud-Est du doigt il y a le désert. Le désert est tout en sable et en roche. Sans terre et sans eau. C’est très difficile pour les plantes, alors quand on approche du désert, elles sont moins nombreuses.

- Comme dans la montagne ?

- Encore pire !

- Encore pire ?!

Kaëlistravaë avait raison. Passer un moment privilégié avec son père semblait faire beaucoup de bien à ta fille. Il faut dire que ces derniers temps elle s’était beaucoup inquiétée pour toi, et que dans toute son inquiétude, elle s’était forcée à être forte pour ses petits frères… et même pour sa propre mère. Et elle était trop jeune pour ça. Alors quoi de mieux qu’un voyage, loin des Cités, loin de ceux dont elle s’était – à sa manière – occupée durant ton absence, avec un père dont la santé était plus que rétablie pour lui remonter le moral ? Et elle aurait l’occasion en plus, de te voir au travail comme elle avait rarement pu le faire.
Il n’y avait finalement qu’un seul et unique souci qui te turlupinait : les questions que tu comptais aborder durant ce passage dans l’Annon étaient dures. Selon les réponses que te donneraient les résidents du fort et des camps, ce pourraient vite devenir des questions qu’il n’est pas bon de se poser lorsque l’on est encore un si jeune enfant. Mais tu verrais en temps et en heure, et tu agirais en conséquence. Voir ses parents se démener pour la protection d’Anaëh n’était après tout pas vraiment nouveau pour la petite elfe.

- Regarde ! tu tends la main en direction du jeune fort C’est Celimë !

- Oh ! ta fille plisse le nez et pince ses lèvres C’est pas beau !

Aussi sérieux qu’auraient voulu rester vos accompagnateurs, ils sont rares les elfes du convoi à retenir un grand éclat de rire. La petite elfe quant à elle, ne sachant quoi en penser, se sera contenter de vous faire les gros yeux. À vous tous.

- C’est pas rigolo ! C’est vrai !

Heureusement, l’intérieur du fort était un peu plus au goût de l’enfant, et son visage bougon se sera détendu en même temps que vos abdominaux. Ne restait plus maintenant qu’à vous installer. Tu prendrais d’ailleurs probablement quelques heures avant de quitter la chambre vous ayant été attribuée. Le temps que ta chère énergumène se repose un peu du voyage.

- Si on me demande, tu lances à un soldat avant d’être laissé seul je l’emmène prendre un bain, et puis je serai probablement ici avec ma fille. Le temps qu’elle fasse une sieste.

- Mais je suis pas fatiguée !

- On verra ça quand tu seras propre. Viens ici ! Petite Tirth’nagra.


Fatiguée, elle l’était, mais pas assez pour ne pas tenter de s’enfuir. Malheureusement pour elle, tes jambes étaient les plus longues, et il te fallut peu de temps pour l’attraper, et la contraindre à te suivre en direction de la salle d’eau.

-Mainyth ?

Le commandant était sorti de sa rêvasserie lorsque des pas avaient résonnés dans l’escalier menant aux hauteurs du fort. Appuyé contre les remparts à contempler le vaste paysage alentour et jouant avec le bracelet à son poignet, l’elfe avait laissé la brise emporter le fil de ses pensées. Le battement était toujours là quelque part, à la fois pluriel et singulier, ténu, sans direction ni origine, comme un bruit blanc qu’on distinguait à peine. C’est presque avec difficulté qu’il arracha son regard au spectacle de la flore en contrebas pour accueillir son subordonné comme il se doit.

-Je vous cherche depuis des heures. Fit-il remarquer, exagérant certainement un peu. Je venais simplement vous prévenir. L’Heru Aran est arrivé tout à l’heure.

Les oreilles du soldat au cheveux roux s’étaient haussées d’étonnement. Voilà longtemps qu’il n’avait pas eu de nouvelles de son ami. Les dernières avaient été terriblement sombres, qu’il soit ici signifiait au moins qu’il allait mieux, bien mieux, c’était heureux. Mais que venait-il faire à Celimë, cela restait encore un mystère…

-Où est-il ?
-Il s’occupe de sa fille dans les bains. Le soldat répondit dans un sourire, visiblement amusé par cette image.
-Je te remercie.

Aegden hocha la tête avec déférence et laissa son camarade tourner les talons pour vaquer à ses propres occupations. Il jeta un dernier regard par-dessus les remparts avant de se décider à descendre à son tour. Il y avait quelques discutions que le temps n’avait que trop retardé.

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Il ne lui fallut pas plus de quelques minutes pour finalement arriver à destination et frapper à la porte. Lorsque la réponse lui parvint, il l’ouvrit sans plus attendre et s’avança dans la salle d’eau, s’approchant de l’elfe encore plus gigantesque que dans ses souvenirs.

-Bonjour. fit-il, un discret sourire sur les lèvres. Ça fait longtemps.

- Prête !

- À trois. tu sors une main de l’eau pour compter sur tes doigts Un. Deux. Trois !

Vous creusant avec difficulté de la place dans le bac à eau, ta fille et toi vous étiez tous les deux immergés, attendant de voir lequel de vous deux tiendrait le plus longtemps. Les yeux d’Elorëa s’étaient fermés et plissés à lui en tendre tout le visage. Les tiens cependant, tu les avais gardés ouverts malgré la légère brûlure des huiles essentielles. Garder un œil sur une enfant trop compétitive pour son propre bien te paraissait sur le moment plus important que ton simple confort oculaire.
Une quinzaine de secondes passée, et malgré tous ses efforts, Elorëa avait cédé, et pris une grande respiration. À partir de ce moment, c’est toute bougonne qu’elle te regardait lui faire signe depuis l’autre côté de la surface, rageant intérieurement de voir le temps continuer de passer sans que tu ne remontes. Et lorsqu’enfin tu le fis, c’est une gerbe d’eau et une exclamation bien trop satisfaite qui t’accueillirent.

- Tiens !

- Ah Rhëa… tu ne veux pas jouer à ça avec moi !

- Nan, c’est moi qui fais ! elle continue de t’éclabousser joyeusement Toi t’as pas le droit !

- D’accord ! D’accord ! tu lèves les bras vers le ciel Je m’avoue vainc…

Votre attention à tous les deux est attirée par le dernier arrivé, et ta fille et toi le saluez de la main de concert. Elorëa prend ensuite instinctivement un peu de recul, te laissant quelques instants de presque tranquillité avec ton ami.

- Ça fait un bout de temps oui. tu ris doucement Content de voir que nos forts ne se sont pas écroulés pendant mon absence. tu te tournes légèrement en direction de ta fille… Tu as déjà croisé Elorëa. …puis à nouveau vers le lancier Et toi Rhëa, tu te rappelles d’Aegden ?

- Non ! elle fronce les sourcils C’est qui ?

En réalité elle sait. Ou du moins elle en a une idée. En tant qu’enfant du couple royal, elle n’a que trop bien conscience de votre entourage, et elle comprend – à sa propre mesure – le rôle d’Aegden dans votre société. Mais en tant que personne… non. En tant que personne elle ne le connaît pas.

Doucement Aegden sourit devant la réponse quelque peu attendue de la petite fille. La dernière fois qu’il l’avait vue commençait à dater, pas étonnant, donc, qu'elle ne le reconnaisse pas. Quelques mois, c’était une éternité pour une enfant si jeune.

Sans qu’il n’y puisse rien, Aegden repensa un bref instant à son propre fils, très certainement tranquillement endormit dans son landau surmonté des petites clochettes étincelantes à l’heure qu’il était. Grandirait-il aussi vite que la petite princesse ? Dans ce cas le soldat aurait-il le temps de l’observer grandir ? faire ses premiers pas ? Babiller ses premiers mots ?

Quoi qu’il en soit, il garda bien évidement ces pensées pour lui, affichant toujours le même léger sourire. Les mains dans son dos, il se remit à machinalement jouer avec le bijou à son poignet, comme si cela l’apaisait un peu.

-Ton papa et moi sommes amis depuis longtemps. Explica-t-il gentiment.

Il n’était pas ici en tant que mainyth, ni en tant que soldat, autant qu’il puisse réellement se séparer de ces rôles au beau milieu d’un fort militaire. Il était là en tant qu’ami alors c’est ainsi qu’il se présentait avant tout devant la petite fille.

-Avant même qu’il ne devienne roi. Ajouta-t-il en s’asseyant sur une assise non loin. Et toi je t’ai connu toute petite, grosse comme ça. Il mima la taille d’un nouveau-né avec ses mains. Mais je doute que tu t’en souviennes. C’était il y a un moment, tu es grande maintenant.

Elle dormait la première fois que le couple royal l’avait présenté au monde. Aegden ignorait pourquoi, mais ce détail lui revenait bizarrement en tête.

-Mais assez parlé de moi. Coupa-t-il tranquillement. Vous avez l’air en forme tous les deux. L’elfe aux cheveux roux glissa un regard vers son ami, hésitant à briser ce moment de paix par des sujets bien moins joyeux. J’en suis sincèrement heureux.

En temps qu’ami, en tant que frère d’arme, les évènements du mois dernier avaient bien entendu particulièrement inquiété Aegden. Son travail l’avait empêché de se rendre au chevet du roi autrement il l’aurait fait sans hésiter. Il était surpris après si peu de temps de le voir si vif, mais le soulagement était bien entendu la première chose qui lui venait en tête et ainsi il était sincère dans ses paroles.

« Longtemps »

C’est pour vous, immortels, un concept bien plus difficile à appréhender que l’on ne pourrait le penser. Parce que de ton point de vue, Aegden et toi n’étiez pas amis depuis « longtemps ». Du point de vue de ta fille cependant, la presque décennie durant laquelle le lancier et toi vous étiez côtoyés paraîtrait certainement une éternité. Quant à Aegden lui-même… Aegden n’avait finalement qu’un peu plus de la moitié de ton âge, et peut-être durant ces années, n’avait-il jamais réellement formé de lien semblable à celui que vous aviez tissé. Alors pour lui ces quelques années paraîtraient « longtemps ». Et tu comprends pourquoi. Parce que si ton amitié avec lui ne te semble pas longuement vécue, elle est antérieure à ton règne. Et ton règne, lui, te paraît déjà durer depuis « longtemps ». Mais trêve de réflexions, à ainsi le regarder avec de grands yeux, tu finirais probablement par faire penser à Aegden que tu n’as pas totalement récupéré.

- Oui. tu lui souris Et avec une petite comme la mienne, j’ai intérêt !

Elorëa t’offre un sourire timide et vient se blottir contre toi. Oh, elle ne le comprends pas vraiment, mais elle sait. Elle le sent. Les non-dits. La danse autour de fâcheux événements et histoires. Elorëa fait encore son deuil de ta presque mort. Elle est encore fragile, et tu veux la préserver. Seulement les enfants ne sont pas si aisément dupés.
Tu soupires, pose une bise sur le haut du crâne de l’enfant, et elle t’étreint un peu plus fort. Ta main vient caresser son dos alors que tu la sens se tendre légèrement. Elle réfléchit. Elle essaie de trier, de continuer le processus de deuil, de ranger les bonnes informations au bon endroit, et de choisir celles auxquelles elle veut s’attacher. Mais elle est une enfant. Juste une enfant. Penser en silence lui est difficile.

- Même que papa et bah il va devenir un dragon !

Un de tes sourcils se soulève, et tu diriges un visage interloqué vers une petite fille déjà trop loin lancée dans son fantasme et plongée dans son histoire pour être arrêtée. Alors pour l’heure, tu te contentes de la soutenir, ton visage – front légèrement plissé et oreilles hautes – imitant le sien. Qu’elle sente que son père est de son côté.

- Il va devenir un dragon et comme ça il pourra tous nous protéger !

Elle te regarde avec un grand sourire, et tu la prends tout contre toi. Tu lui rends un sourire à ton tour, mais dans un soupir tu lui laisses entendre que les choses ne sont pas si simples.

- Je reviens d’une retraite sur l’Île du Sanctuaire. ton regard se tourne à nouveau vers celui d’Aegden Et là-bas j’ai eu l’occasion de confronter le Dragon d’Or. tu jettes un œil vers ta propre main C’est grâce à lui que j’ai pu terminer ma rémission aussi vite. Ça et il m’a offert d’être plus fort... tu clignes lentement des yeux …pour pouvoir faire pour Anaëh ce que lui fait pour le Nid. tu chiffonnes les cheveux de ta fille C’est pour ça que la petite dit que je deviens un dragon.

- Même qu’il m’a ramené une écaille mais je lui ai rendue !

- Et qu’est-ce que tu m’as dit quand tu me l’as rendue ?

- C’est mieux si c’est toi qui l'as parce que je vais rien faire avec.

La petite bombe le torse et se tient droite, toute fière. Et toi, père impressionné par sa propre enfant, tu lui masses le crâne, la regardant avec plus de fierté encore.

- Déjà plus sage que son papa. tu ris doucement La Mère soit louée pour mon épouse.

La naïveté toute enfantine de la petite fille était belle à voir. Son assurance et sa confiance en son monde, et surtout son père, étaient précieuses. Kÿria permette de les lui faire conserver le plus longtemps possible. Seulement les deux adultes savaient tous deux à quel point les choses n'étaient pas si simples.  Si seulement elles l'étaient une seule seconde…

Aegden n'avait pas tardé à se relever en écoutant les explications de l'Aran puis, d'une oreille plus distraite, l'échange entre la petite princesse et l’immense roi à propos d'une écaille de la bête.

Ce n’était pas que le lancier fut soudain animé d'un quelconque ressentiment le poussant à se relever. Aegden n'était simplement pas elfe à rester en place bien longtemps. Les dernières ennéades avaient sans doute accentué cette légère manie et sans doute ne tiendrait-il pas cinq minutes avant de recommencer à faire les cents pas dans la petite pièce... Quoi qu’il en était, pensif, il observa un l'instant le paysage à travers une des minces fenêtres de la salle d'eau, le bout de ses oreilles toujours oscillant de temps à autre vers un bruit qui n'existait pourtant pas.

-C’est quoi exactement ''faire pour Anaëh ce que lui fait pour le Nid" ? Demanda-t-il au bout de quelques secondes en retrouvant le regard de son interlocuteur.

La protéger ? Certainement. Mais il y avait sans doute un sens que le mainyth ne saisissait pas avec le peu d’explication de son ami. Et qu'est-ce que ça voulait dire, devenir plus fort, de la part du roi guerrier dépassant déjà de loin les standards elfiques ? Aegden était aussi curieux à propos du dragon lui-même. Comment ne pas s'imaginer tout et n'importe quoi à propos de ces créatures légendaires ?

- Lui offrir une chance de connaître la Paix.

Ta fille te pousse légèrement, te forçant à rouler des épaules pour te faire à nouveau un peu de place. Elle s’agite, et tu comprends à son regard qu’elle en a assez de l’eau. À raison. Après tout, si Aegden et toi vous lanciez sur ce sujet, le bain risquerait de durer plus longtemps que prévu. Alors tu te lèves, et quitte la baignoire de fortune pour aller vous chercher des serviettes. Tu passes machinalement la première autour de ta taille, pour ensuite revenir auprès de ton enfant, et l’inviter à quitter l’eau pour être enveloppée dans la seconde.

- Les dragons sont puissants. Mais surtout, tu sèches machinalement Elorëa en même temps que tu parles les dragons sont reconnus comme étant puissants. C’est en grande partie ce qui leur a gagné leur tranquillité.

Tes yeux oscillent entre ton interlocuteur et ton enfant, séparée du reste du monde par la serviette que tu tiens en rideau autour d’elle pendant qu’elle se change.

- De la même manière, le peuple elfe est puissant. tu souris, voyant comme la petite fille était fière d’avoir réussi à enfiler sa tunique seule Seulement, ça fait trop longtemps maintenant que les Eldéens sont paradoxalement les seuls à s’en souvenir. tu félicites ta fille d’une main sur sa tête avant de t’asseoir sur le bord du bac d’eau On a été trop discrets trop longtemps, et maintenant le reste du monde ne nous respecte plus. Et vu qu’ils ne nous respectent plus, ils se permettent de s’introduire sur nos territoires, de les mettre à mal, et – durant les rares occasions où l’on peut échanger – de remettre en cause nos valeurs.

Ton attention retourne rapidement à ta fille, à qui tu fais quelques signes, auxquels elle te répond d’un sourire, avant de s’enfuir en courant en direction de vos appartements, étrangement enthousiaste.

- Et malheureusement, dans ces conditions, c’est difficile pour nous de nous protéger autrement qu’en versant du sang. Que ce soit le nôtre, ou celui de nos adversaires. tu soupires Findaràto s’est fait symbole d’Art de Science. Glorfindel de Spiritualité. Telrunya d’Espoir. Dyarque de Fermeté. Ils ont chacun incarné ce dont notre peuple a eu besoin durant leur règne. tu fronces les sourcils Maintenant c’est mon tour. Et j’ai choisi d’être symbole de Puissance et de Fierté. tu serres les poings Et si je fais bien mon travail, alors peut-être que nos prochaines batailles, on les gagneras sans avoir à combattre.

La paix sans avoir à combattre.

Cela eut le mérite de tirer un rictus amer au soldat. C’était un doux rêve. Doux et utopique.

-Et te voilà à encore courir droit vers l’impossible.

Le lancier fit d’une voix légèrement lasse. Ô il comprenait le rêve de son roi. Quel soldat ne rêvait pas de poser les armes pour de bon ? Quel protecteur ne rêvait pas de voir sa population à l’abris de tout danger ? Aucun. Cette conversation-là, ils l’avaient déjà eu.

Pourtant sa remarque n’avait rien de moqueur, ni même d’ironique. Aegden aurait voulu croire à une telle possibilité. Mais on n’arrêtait pas un conflit en rappelant qu’on était une menace. Bien sûr qu’il voulait voir son peuple aussi fort que fier. Mais jamais cela n’arrêterais ni la folie des daeldhels, ni l’avarice vaanie. Pas même cela ne pallierais à la courte mémoire Arin. Ils ne feraient qu’exciter leurs jalousies. Comme ils l’avaient fait à Thaar en montrant par leur simple présence un bref aperçu de ce qu’était un monde tel que la Mère l’avait voulu.

-En tout cas, je t’accorde un point : le reste du monde doit apprendre à nous respecter à nouveau.

La pointes des oreilles du lancier ses plaqua contre son crâne en même temps qu’il fronça les sourcils. Il avait des exemples plus que parlants à mettre sur la table, malgré le pincement d’égo que cela provoquait.

-Encore l’ennéade dernière, des vaanis ont pris la peine de s’approcher de notre territoire. Ils ont éventré et pillée la terre avant de tenter de brûler ce qu’ils pouvaient dans leur fuite. Son regard s’assombrit. Ils ont étés chassés mais j’y ait perdu un homme… en plus d’être blessé comme un idiot. Il ajouta fermement : Ce sont des choses qui ne doivent plus se reproduire.

Il marqua un nouveau silence d’un regard vers l’extérieur avant de retrouver le regard bien trop haut perché de son camarade.

-Je reste persuadé que tu n’obtiendras jamais le respect des autres peuples, aussi fort, géant…draconnique puisse tu être, mon ami. Du moins, assez de respect pour calmer leurs ardeurs définitivement. Viendra un jour où l’autre où on devra encore se battre. Le poing du soldat se ferma, comme déjà prêt à retrouver sa lance et son épée. Mais j’imagine que tu as d’autres idées derrière la tête pour être aussi sûr de toi. Qu’est-ce que tu proposes exactement ?

Quelque part, le soldat était prêt à suivre les entreprises de son Roi si cela avait une chance d’aboutir malgré ses profonds doutes, mais encore fallait-il savoir ce qui se tramait dans l’esprit du grand elfe blond…

- Je me doute bien que les combats ne s’arrêteront pas du jour en lendemain tes oreilles redescendent, et un air grave te glisse sur le visage mais en dehors d’Elda, calmer les autres peuples pourrait être plus simple qu’on ne l’imagine.

Après tout, à travers les temps, des périodes de calme, vous en aviez connu. Des périodes de calme, vous aviez travaillé pour, et ce que tu avais entrepris avec les nains ne faisait que te confirmer dans tes idées. De même pour ce qu’il s’était passé en Naëlis. Obtenir le respect des autres peuples n’avait pas à être quelque chose que vous vous refusiez à faire, n’avait pas à être quelque chose que vous considériez impossible. Obtenir le respect des autres peuples pourrait même être plus aisé que vous ne le croyiez, parce qu’au final, votre virée à Thaar l’avait prouvé, l’une des grandes sources de conflits entre le reste du monde et vous était simplement la jalousie qu’ils avaient construite autour de vos légendes.

- Pense un instant à ce qu’il se passe avec le Zagazorn. tes pupilles se dirigent vers la montagne Pour toute la méfiance qu’ils ont à notre égard – et qu’on a au leur – les Nains savent notre culture riche, mais surtout, ils savent avoir quelque chose à gagner à ce que notre culture prospère. tu entrecroises tes doigts Et dans ces conditions, tant que le contact est correctement maintenu, le risque de fracture violente est faible.

Tu te lèves et te saisis d’un vieux pantalon visiblement rapiécé que tu enfiles rapidement, t’autorisant à enfin de te débarrasser de la serviette autour de ta taille, avant de te rasseoir au même endroit… malgré l’humidité.

- Le fait est que si notre histoire avec les Péninsulaires et les Vaanis est aussi rocailleuse, c’est parce qu’ils nous jalousent. tes doigts se croisent à nouveau et un de tes sourcils se lève Ils ne connaissent pas notre culture, mais ils savent l’Œuvre être riche. À leurs yeux, nous ne sommes qu’un mur de mystérieux étrangers assis sur quelque chose de précieux. Notre peuple est ce qui les sépare de la richesse et rien d’autre… et c’est tout ce sur quoi ils se sont construit leurs légendes de ce qu’est notre culture. tu souris et croises les bras, les pointes de tes oreilles se levant haut Ils nous perçoivent comme arrogants parce qu’ils nous voient comme les immortels gardiens de quelque chose qu’ils désirent, et sur lequel on ne leur laisse aucune prétention.

Tu te lèves finalement, et vient poser une main sur l’épaule d’Aegden, l’arrêtant dans sa marche. Tu lui offres un regard complice, se voulant rassurant.

- S’il on veut la Paix, il faut qu’on leur permette d’apprendre à nous connaître, qu’on leur fasse comprendre que comme les Nains, ils ont quelque chose à gagner à ce que l’on prospère. tes sourcils se froncent Mais ce faisant, il faut aussi qu’on rappelle à ceux qui l’ont oublié que notre force ne se résume pas à quelques flèches perdues à l’orée de la forêt. Un allié puissant se respecte. Un allié faible se fait dévorer.

Ça n’avait pas manqué, le soldat avait recommencé son inévitable manège, jusqu’à ce que la main d’Artion sur son épaule ne finisse par l’en empêcher, alors il avait croisé le regard du gigantesque elfe et l’avait écouté patiemment avant de renchérir.
 
-Nous sommes les gardiens de ce qu'ils désirent. Là était tout le problème. Du moins d’une partie de ce qu’ils désirent, que ça ne soit qu'un fantasme ou non. Unvan n’était qu’un parmi les autres. Offre-leur ne serait-ce qu’un aperçu de notre réalité, et ils en voudront toujours plus. Encore et encore, et à leur avoir offert le doigt ils viendront à la fin essayer de t’arracher le bras jusqu’à l’épaule. Un nouveau rictus plissa les coins de sa bouche. Tu te rappelles aussi bien que moi de Thaar et de la façon dont la représentation a failli finir. Il n’y a que la force et la peur qui les pousseront à s’arrêter. Parce que nous n’avons pas le choix de ne leur laisser aucune prétention sur Anaëh. C’est notre rôle depuis toujours : protéger la Prime Oeuvre.
 
A l'image de leur mère, les humains n'étaient que des enfants capricieux, exigeant et arrachant ce qu’ils désiraient à leurs frères comme à leurs voisins. Et après tout, comment ne pas y trouver une explication ? Comment ne pas désirer un monde juste dans lequel leurs enfants ne mourraient pas de faim, de soif, ne baigneraient pas dans leur crasse à attendre que l’un d’entre eux se décide à les achever... Quitte à l'arracher, ce monde?
 
-Mais j’en conviens, le jeu en vaut la chandelle. A un certain point... Il croisa les bras contre son torse. Et si ça ne fonctionne pas, il nous restera toujours la force de nous défendre. Qu’est-ce tu comptes leur faire miroiter exactement ?
 
Leurs guerres ne les concernaient pas. Le maintyh se refusait d'envisager ne faire couler qu'une seule goutte de sang anedhelle de plus pour les royaumes mortels. Quant à leurs connaissances… Peu importait les leçons inculquées à leurs représentants. Il faudrait tout recommencer à peine quelques décennies plus tard. Que pouvaient-ils se permettre d’offrir en échange d’un peu de paix ?

Cette réaction, tu t’y attendais. À vrai dire, avant ton couronnement, tu aurais probablement eu exactement la même. Mais à régner on est forcé de considérer les choses autrement, et de toucher aux problèmes autrement. Oui, vous étiez les gardiens d’Anaëh. Oui, protéger l’Œuvre était votre devoir. Bien sûr, vous ne pouviez pas laissez les Arïn s’adonner à leurs fantasmes destructeurs. Mais gardiens n’était pas tout ce que vous étiez, de la même manière que l’existence des enfants d’Elenwë allait au-delà de leurs fantasmes. Hommes et Elfes étaient reliés par le Souffle. Hommes et Elfes étaient reliés par le Cœur. Et si celui des Hommes n’était pas tempéré par le Temps, il n’en restait pas moins un lien que vous devriez pouvoir exploiter. Pour le bien de tous.

- Thaar est le pire des exemples que tu aurais pu prendre. tu lâches son épaule et prends un pas de recul Personne là-bas n’avait la moindre idée de ce qu’est vraiment notre réalité. tu croises les bras sous ta poitrine Et c’est justement parce que l’on était rien de plus que des étrangers auxquels ils pouvaient coller toutes leurs idées préconçues qu’ils ont réagi de cette façon.

Tu soupires. En réalité, tu n’as pas vraiment peur de la manière dont les autres peuples pourraient réagir à cette tentative. Ce qui t’effraie le plus, ce sont les réactions de tes propres Frères. Parce qu’au final, face aux étrangers, les tiens ne sont pas plus sages que les étrangers eux-mêmes. Les Elfes nourrissent des idées préconçues depuis des Cycles eux aussi, et force de s’y enterrer, le moindre contact avec d’autres n’est plus qu’occasion de renforcer de tristes stéréotypes.

- Je n’ai aucune intention de faire « miroiter » quoi que ce soit à qui que ce soit. Je pense juste – et je le dis depuis longtemps – qu’il est temps que l’on recommence à exister aux yeux des autres peuples. tu lèves les yeux vers le plafond et parcoures la masure du regard Celimë était un bon début, mais maintenant, il est peut-être temps d’être un peu plus agressif, et d’inviter le reste du monde à voir comment nous vivons en Anaëh. tes yeux se plissent La courte vie des Hommes les a vite rendus avares, mais leurs désirs ne sont finalement pas bien éloigné des nôtres. Ils veulent vivre, connaître le bonheur, connaître l’amour et s’épanouir avant de fâner. Qu’ils aient l’occasion de voir notre monde pour ce qu’il est, et de désirer ce que notre culture a de bon, plutôt que les richesses matérielles qu’elle défend.

De leurs pèlerins aux rares émissaires ayant foulé votre sol, rares étaient les Hommes ayant vu vos Cités sans avoir été pris de fascination. Rares étaient les Hommes dont les yeux n’avaient pas été remplis d’étoiles à voir vos artisans offrir sans remords ce qui chez eux aurait été considéré comme une grande pièce d’art. Rares étaient les Hommes – même chez les plus endurcis d’entre eux – qui avaient réussi à continuer de nourrir de la haine à votre égard, pour peu que vous ne leur en ayez pas rendu durant leur séjour. Que cette fascination soit donnée d’être vécue à des Hommes d’influence, que les sombres légendes et les récits de guerre soient remplacés – par la bouche des Hommes eux-mêmes – par des questions et des rêves… et alors vous auriez gagné.

- Les Arïn sont friands d’histoires. Alors donnons-leurs en une poignée à raconter qui nous peignent sous nos véritables couleurs. Au lieu d’être juste des « Gardiens », soyons des Personnes.

-Je vois.

Aegden vint se réappuyer contre la petite fenêtre, son regard s’échappant à nouveau tandis qu’il encaissait les paroles de l’Aran. C’était beaucoup de changements à venir. Pour un peuple qui dix ans plus tôt se relevait encore de terribles guerres sans aucune volonté de s’ouvrir au monde, c’était beaucoup.

-J’imagine que les prochains mois verront donc défiler nombres de diplomates et pèlerins sur nos terres…  Il lança un nouveau regard vers son camarade, acquiesçant à ses paroles d’un léger sourire confiant. Si c’est le cas alors profitons-en. Soyons les dignes fils de la Mère et peuplons les contes et légendes des hommes de la grandeur et de la beauté du monde anedhel.

Après tout, avaient-il quelque chose à perdre à grandir pour grandir dans les yeux de leurs voisins ?
Le temps passant et la conversation tirant à sa fin, le gigantesque elfe fit mine de vouloir s’en aller. Il allait partir quand une nouvelle vague dans l’océan de presque silence retrouva l’attention et les pensées du Mainyth.

-En parlant de Fils de la Mère. L’arrêtât-il alors. Il y a autre chose dont j’aimerais te parler Artiön, si ta petite peut t’attendre quelques minutes de plus. Fit-il en se rapprochant. Mais pas ici, je commence à étouffer dans cette salle.

Alors il fit signe au géant de le suivre et un peu machinalement, repris le chemin des remparts sur lequel il était perché quelques instants plus tôt. Pourquoi cet endroit précisément ? Il n’en avait strictement aucune idée mais en tout cas l’extérieur lui allait bien mieux. Il avait l’air un peu moins agité.

-En parlant de fils de la Mère. Reprit-il. J’ai eu l’occasion de pas mal côtoyer les ornedhels de la région cette dernière ennéade. Sans conflit pour une fois. Ajouta-t-il avec une pointe d’ironie. En plus de me mettre le nez dans ce que je refusais d’admettre, l’un d’entre eux m’a fait un cadeau immense.

Son attitude entière se porta une nouvelle fois vers les alentours du fort, comme s’il cherchait à y distinguer une silhouette amicale parmi les arbres minuscules vus d’ici.

-J’ai encore du mal à m’y habituer mais je perçois les chants de Liltalaima à présent. Un tel don pour un citadin dans le souffle...Je ne crois pas que ce soit un hasard, quel que soit la volonté des dieux et des Eälas derrière ça. J'ai envie d'y voir un nouveau signe d'espoir pour les anedhels.

- Elle est débrouillarde, ça devrait aller. Et puis elle est en sécurité ici.

C’est avec un peu de réluctance tout de même que tu suivis le Mainyth, impatient que tu étais de croiser un soldat à qui tu pourrais demander de prévenir ta fille, qu’elle ne s’inquiète pas de te voir tarder. Heureusement, Celimë n’était pas bien grand, et il ne fallut pas faire beaucoup de chemin avant que tu n’aies l’occasion de te rassurer. C’est avec un peu plus de tranquillité donc que tu finis par te retrouver sur les remparts en compagnie du lancier.
À ce moment tu pus t’autoriser à porter un peu plus d’attention à son attitude et à ce qu’il te disait. Et pour le coup, tu t’en trouvais intrigué. Comment les Ornedhels avaient-ils réussi à s’approcher du farouche Aegden sans être chassés à coups de lance ? Comment avaient-ils réussi à réveiller son Ouïe ? Comment vivait-il le fait d’avoir renoué avec les Chants ? C’est ce que tu t’étais demandé jusqu’à ce qu’une dernière remarque n’attire ton attention.

- Tu es un peu en retard dis-donc ! tu ris aux éclats Ça va bientôt faire vingt ans qu’on est beaucoup à se dire la même chose ! tu te contiens et racles la gorge avant de reprendre, un peu plus calme, lançant un regard taquin au soldat Par contre… je serais curieux de savoir ce que tu entends par « ce que je refusais d’admettre ».

-C’est différent d’il y a vingt ans. Répondit-il calmement aux éclats de rires de son ami. Il y a vingt ans on essayait vaguement de se relever de la guerre et tout ce qui s’en est ensuivit. On avait besoin d’espoir pour se relever et reprendre nos vies. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Aujourd’hui on marche. Aujourd’hui on a besoin de garder la foi et le courage d’avancer. Tu parlais de fierté, tout à l’heure. De grandeur. Aegden sourit légèrement. Tu parles d’aller de l’avant, moi je retrouve mes racines dans une région aussi neuve et sujette au changement. Ce n’est sans doute pas aussi simple et il faudra du temps pour en saisir tout le sens, si c’est vraiment possible. Mais je crois fermement qu’il faut y voir un nouveau signe.
 
Le regard du Mainyth vogua du grand elfe, au paysage, avant de se poser à nouveau sur l’elfe, rivant son regard au siens.
 
-Il n’y a eu ni Voile, ni Estel cette fois-ci. Rien que des elfes et la Prime œuvre. Il pencha la tête sur le côté. Ça aurait eu toute les chances d’échouer mais à bien y réfléchir, je crois que Melien me montrait déjà la voie en amont. C'était maintenant ou jamais. Un peu avant le rituel, j’ai vu une muse, qui m’a fait trottiner un bon moment avant de s’arrêter près d’un ravin traversé de cours d’eau. Une version naturelle des Teluïme en quelques sorte. Ajouta-il avec amusement avant de fixer la paume ouverte de sa main. J’ai passé un long moment à simplement l’observer danser au-dessus de ma main avant qu’elle ne disparaisse. Là aussi j’en convient tu trouveras ça peut être anodin. Mais les sentiments à simplement l’observer… Cette sérénité, cette sensation de perfection... Il secoua la tête et releva à nouveau le regard. Ils n’étaient pas si différents de ceux que j’ai ressenti en entendant la symphonie à son paroxysme.

Que l’Aran en fut convaincu ou non, Aegden était certain de ce qu’il lui expliquait. Croyant peu au hasard, il y avait pour lui trop de coïncidences ces jours-ci.

-Tout ça pour dire. Il ne s'agit pas d'être en retard, bien au contraire. D'un manière comme d'une autre, on est dans une nouvelle période décisive de notre histoire et c'est un autre moyen de le constater.

Ce sont ces moments finalement, qui te rappelles qu’aussi adulte soit-il, Aegden reste jeune. Jeune et donc sans la même vision de votre passé que toi. Tu t’appuies nonchalamment contre un mur, et tu l’écoutes dans sa diatribe, offrant à son excitation un regard compatissant. Non, rien n’est un hasard. Oui, les dieux vous guident. Oui, ce qu’il a vécu est différent de ce que toi tu as pu vivre, ou de ce que les elfes ayant entendu à nouveau pendant le Voile ont pu vivre, ou même de ce que les elfes n’ayant vécu qu’avant ce dernier Voile ont pu vivre. Mais la réalité était que…

- Chaque instant est « une période décisive de notre histoire » Aegden. tu laisses échapper un soupir amusé Ce qui t’arrive à toi n’est pas bien différent de ce qu’il a pu arriver à d’autres il y a quelques jours comme quelques siècles, et tu ne seras probablement pas le dernier à vivre ce genre de choses. tes oreilles se baissent, et ton regard se dirige vers le ciel Maintenant, à toi de faire correctement usage de ce qu’il t’a été donné à toi de vivre. Que L’Amant puisse se réjouir de ce que ton chemin t’ait ramené vers La Mère. Mais de là à y voir un signe sur lequel parier l’avenir de tout notre peuple… tu ris à nouveau Ni toi ni moi ne sommes importants à ce point.

Après tout, vous aviez été choisis par des Frères, pas par La Mère. Vos offices étaient sous le signe d’Arcamenel plutôt que de Kÿria, et en tant que tels, ils étaient plus volatiles. À la fois plus libres et plus lourds, parce que contrairement à ceux des hérauts de la Prime Déesse, vos offices étaient presque entièrement livrés à vos sentiments.
Peut-être était-ce pour cette raison qu’Aegden cherchait des signes. Pour cette raison qu’il voulait croire à un nouveau tournant pour votre peuple. Que La Très Sage – celle qui jamais ne se trompe – soit aux commandes, et alors, rien ne pouvait échouer. Vous au contraire, vous étiez faillibles, et aucun de vous ne veut échouer. Aucun de vous ne veux trahir la confiance qui fut placée en vous par votre peuple. Seulement ainsi va la vie. Vous ne pourriez jamais que faire de votre mieux. Douce malédiction de porteurs du Souffle.

Mais au moins vous pouviez vous rassurer à vous dire que si vous veniez à échouer, alors un autre réussirait. Car si La Mère chérit votre liberté, La Dame Sauvage est trop jalouse pour de votre existence pour vous autoriser à la laisser se dissiper.

-Je ne suis pas assez imbu de moi-même pour me penser plus important que le reste des anedhels, Répondit-il gentiment.

Il laissa un petit silence filer, les coudes appuyés contre les remparts avant de reprendre la parole, ses doigts revenant inévitablement jouer avec le bijou à son poignet.

-Quand à ce que j’entends par  ''ce que je refusais d’admettre’’… Il soupira mais lança un regard presque amusé à son ami. Oh je t’entends déjà me lancer des ''je te l’avais bien dit’’, Artiön. Et le pire c'est que tu as raison... J’ai été forcé de vivre parmi les ornedhels. Expliqua-t-il alors. Comme je te l’ai dit tout à l’heure, j’ai laissé passer une erreur stupide contre l’un des vaanis et je l’ai payée. Ses oreilles se couchèrent en arrière à la pensée de son camarade mort d’un carreau. Il ne l’avait en comparaison pas bien cher payé son erreur… Le temps de tenir debout, ce sont eux qui m’ont soigné. Pendant ce temps, et… Eh bien, disons-le franchement, je me suis rendu compte à quel point la peur m’avait aveuglé ces dernières années. Je les ai observés vivre, manger, boire, dormir, chasser un bref instant. Pendant une courte énnéade, j’ai pu comprendre leurs coutumes qu’on juge trop vite arriérés. Cette vie qu’est la leur. Il secoua la tête. Parmi eux, c’était moi le sauvage. C’était moi l’elfe qu’il fallait éduquer. Même ce clan composés de guerriers, possédaient une sagesse que nous n’aurons sans doute jamais. Qu’ils soient têtus et impulsif ? Un bref sourire amère vint créer une fossette sur la joue du soldat. Je doute pouvoir le leur reprocher. Il laissa passer un nouveau silence, son regard fixant la pierre sous ses poignets. Je regrette simplement d’avoir dû aller si loin pour me rappeler qu’ils sont aussi mes frères.

Tu n’avais pas pu te retenir : un sourire satisfait s’était emparé de ton visage. Pas tant finalement parce que tu avais raison, mais parce que ne serait-ce qu’un elfe de plus s’étant décidé à marcher avec toi sur la corde raide, à chercher un véritable compromis entre les valeurs portées par les modes de vie Taledhel et Ornedhel était quelque chose d’extrêmement précieux. D’autant plus lorsqu’il s’agissait du militaire aux commandes de l’intégralité de vos armées.

- Maintenant ton prochain défi si tu l’acceptes, ce sera de ne pas être déçu quand tu te rendras compte que comprendre ceux-là ne veut pas dire que tu es capable de comprendre leurs voisins. tu souffles des nasaux Et je parle en connaissance de cause.

C’était à la fois ce qu’il y avait de beau et de terriblement agaçant avec les Ornedhels. Si les Cités étaient culturellement fractionnées, leurs frontières n’étaient rien devant les fossés qui séparaient les philosophies des différents clans. Fossés qui devenaient rapidement fort ennuyeux à naviguer lorsqu’il fallait s’engager en pourparlers avec différents clans.

- Mais avant de désespérer, dis-toi que c'est toujours mieux que rien.

Tu soupires, et lèves à nouveau les yeux vers le ciel. Tu laisses s’installer le silence et profites du passage du temps durant quelques instants. Votre monde avance pas à pas, et vous y marchez tous ensembles. Tu n’es pas le seul – et heureusement – à porter de lourdes responsabilités. Que La Très Sage vous guide.

- Plus sérieusement. ton visage se referme légèrement Le fait que tu aies eu l’occasion de côtoyer les Noss de la région pourrait être précieux pour la suite. On risque d’avoir beaucoup de travail à faire ici en Annon. tu te lèves et t’étires longuement Sois prêt dès demain à la première heure. On part d’abord vers Yutar, puis ensuite, direction les camps frontaliers. tu penches la tête vers la droite et prends un pas de recul Mais pour l’instant, je pense qu’il est temps que j’aille rejoindre ma fille. Avant qu’elle ne commence à s’inquiéter ou pire… à s’ennuyer.