Dire qu’il était en colère semble particulièrement faible. Il était furieux. Son sang bouillait dans ses lèvres, il pouvait sentir sa mâchoire se crisper alors qu’il sortit de l’établissement du guérisseur.
« Tedric… Flavien. Venez avec moi. » Il descendit rapidement les marches menant à la rue avant de se tourner vers le groupe de chevalier langecin, s’adressant à la masse en armure dorée.
« Son excellence m’a demandé d’enquêter, et m’a demandé d’amener certains de ces gens. Qui veut participer à l’enquête et trouver ceux qui ont attaqué la Dame de Lodiaker ainsi que Son Excellence? » Il avait failli dire quelques choses de plus, mais provoquer les chevaliers langecin en leur disant que la fille de leur marquis était la responsable ne lui semblait pas nécessairement une bonne idée. Cela prit quelques secondes avant que trois suderons ne brise les rang pour s’approcher des trois nordiens. Sans dire un mot, les trois alonnais montèrent à leurs tours sur leurs montures pour se mettre en route. L’auberge où Théodoric semblait avoir été attaqué devait être leur premier arrêt. Peut-être que le propriétaire connaissait ceux qui avaient affronté le chevalier. Aubry avait l’impression qu’il avait été volontairement ralenti et Adélina s’était retrouvée seule…
Au bout de quelques minutes, le groupe d’hommes arriva finalement à l’auberge. Aubry resta silencieux un moment, regardant les alentours, tentant d’oublier que quelques heures plus tôt il transportait sa cousine inconsciente devant l’établissement…
«Ça va, Aubry? » demanda Tedric, sortant son compagnon de sa torpeur pendant un moment. Aubry secoua la tête tentant tant bien que mal de reprendre ses esprits.
« Ouais, ça va aller… » , dit-il tout simplement. Il descendit de sa monture avant de se retourner vers les cinq autres hommes qui l’accompagnaient;
« Écoutez… Je suis conscient que les relations sont particulièrement difficiles entre nos deux régions en ce moment, mais pour nos Seigneurs respectifs, nous devons réellement faire équipe pour mener les auteurs de ces attaques contre Adélina et Théodoric devant la justice. » Les cinq hommes ne répondirent rien, se contenant d’écouter ce que le chevalier avait en tête;
« Peut-être devrions-nous rester en pair. Un langecin et un allonais, comme ça ni l’un… » dit-il en regardant le trio de langecin,
«ni l’autre… » continua-t-il en tournant son regard vers Tedric et Flavien,
« ne pourra être accusé de quelconques mensonges. Cela vous va? » Tous semblèrent approuver d’un mouvement de tête. Aubry espérait sincèrement qu’aucun espion n’était avec eux, il se disait que si Prudence était réellement aussi brillante, l’un des hommes qui l’avaient accompagné les trahirait d’une façon ou d’une autre.
«Allons – y. » Les chevaliers entrèrent rapidement dans la taverne, Aubry le premier s’arrêta net en regardant l’état des lieux. L’auberge n’avait que trois clients, tandis qu’une serveuse passait le balai, ramassant des fragments de verre qui hochait le sol. Il y avait aussi un vieillard qui replaçait tant bien que mal des tables et des chaises qui avaient l’air d’avoir passé un mauvais quart d’heure. Une flaque de sang ornait le sol, signe d’une bataille quelque peu violente. Aubry se souvenait encore de l’air de Théodoric alors qu’il sortait de l’établissement. L’air hagard, son épée ensanglantée dans les mains… Décidément la bataille avait été particulièrement violente. D’un pas déterminé, Aubry s’avança vers le vieillard, l’interpellant d’une voix forte et assurée;
« Vous êtes le propriétaire? Que s’est-il passé ici? » « Les chiens d’Anne! C’est ça qui s’est passé! » Aubry haussa un sourcil en s’arrêtant près de ce dernier. Le vieillard releva soudainement la tête, et observa le géant qui se trouvait devant lui.
« Vous n’êtes définitivement pas du coin vous! Vous avez le même accent que la petite brune qui était là plus tôt.» Aubry serra ses bras contre son torse, alors que son regard sembla s’obscurcir, ce qui ne sembla pas inquiéter le vieillard qui continua à pousser la table.
« Je me disais bien qu’elle était de haute naissance. Y’a personne ici qui commande le vin le plus cher sans même y goutter! En plus elle était bien habillée! Mieux que du jeune homme qui l’accompagnait en tout cas! » «C’est justement pour cela que je suis ici. » Le vieillard se mit à rire avant d’arrêter son mouvement.
«Je m’en doute bien. » «Vous avez un endroit où l’on peut discuter en privé? » Le diantrais leur fit signe avant de les conduire dans une pièce à l’arrière du bar. La pièce était considérablement exiguë, et remplie de provisions d’alcool. Le groupe y entra sans problème, mais disons que l’espace qu’ils avaient pour bouger était minimal.
« Qu’est-ce que vous voulez savoir? » « Racontez-moi ce qui s’est passé. » « Bah c’est simple, le couple discutait de quelques choses, ils ont décidé de partir, mais avant que la jeune fille ne puisse sortir les chiens d’Anne l’ont arrêté. De mémoire, ils l’ont un peu nargué… Et le jeune homme là, il n’a pas trouvé cela drôle et une bagarre a éclaté. » « Où est partie la dame? » Le vieillard hausse les épaules;
« Je sais pas moi, elle est sortie avant que la bataille éclate, mais le jeune homme lui, a pas lésiné sur l’affaire. Il les a littéralement démolis! Pas mal pour un garçon comme lui! » Aubry se mordilla l’intérieur de la joue avant de rétorquer;
« Qui est cette Anne? » Le diantrais sembla reprendre du sérieux pendant un moment, avant de toussoter;
« Disons que ce n’est pas nécessairement quelqu’un de recommandable dans le coin. » Il n’eut pas besoin d’en dire plus, le nordien avait très bien compris.
« Vous pourrez nous conduire à elle? » Soudainement le tavernier devint nerveux, alors qu’une violente quinte de toux vint s’emparer de ses poumons.
« C’est-à-dire… que… Je ne crois pas…enfin. » D’un geste, Aubry sortit quelques souverains avant de les tendre au tavernier, ce qui eut au moins l’effet de le calmer.
« Oui bien sûr… Je suis certain que Gilberte peut s’occuper de la taverne toute seule pendant une heure… » Le groupe sortit rapidement de l’auberge suivant le vieillard dans les ruelles de Diantra. Ils marchèrent un long moment, suivant silencieusement ce dernier pendant de longues minutes. Après une trentaine de minutes, ils arrivèrent finalement au quartier des passiflores. Aubry le reconnaissait déjà, ayant passé un peu de temps au travers de ces rues avec Adélina il y a quelques jours. Puis soudainement, le tavernier se redressa avant de se retourner vers le groupe de chevalier;
« C’est eux! » dit le vieillard, faisant un signe de tête vers deux hommes à l’air amoché. Sans attendre, Tedric lança un souverain de plus à l’homme avant de suivre Aubry et les deux soldats langecin pendant que le tenancier tournait les talons pour retourner dans son auberge, considérant qu’à défaut de ne pas les avoir conduits à Anne, il avait au moins fait une partie du travail. Le groupe rembarqua rapidement sur leur monture et s’avança vers la charrette qui avançait doucement dans les rues de Diantra. Mettant sa monture au galop, Aubry rejoignit rapidement le duo d’homme. L’un sauta rapidement de la charrette pour s’engouffrer dans les ruelles de Diantra, tandis que l’un – celui qui tentait de contrôler la mule, n’eut même pas le temps de faire quoi que ce soit avant que le pommeau de l’épée du langecin vînt le frapper directement sur le nez. On put entendre un craquement, alors que l’homme se mit à geindre. Sans attendre, le chevalier attrapa l’homme par le collet de sa chemise pour le lancer au sol. Son corps s’écrase bruyamment sur le sol, alors que d’un pas vif le nordien descendit de sa monture avant de mettre son pied sur le torse de la vermine.
L’air grave, Aubry tentait tant bien que mal de réprimande l’envie qui lui tiraillait de lui donner la raclée de sa vie. Il l’observa un moment, alors que la pointe de son épée venait trouver le coup de son adversaire, lui rappelant qu’il était mieux pour lui de rester tranquille avant de prendre quelques secondes pour l’observer. Son arcade sourcilière était fendue, tandis que le bleu qui ornait son œil ne laissait rien au hasard, ce dernier avait pris quelques coups de la part d’un certain chevalier langecin.
« On dirait que tu as passé un mauvais moment… » Commença-t-il en plantant son regard dans le sien.
« Malheureusement, ce n’est pas terminé. Au nom de Sa Seigneurie, Adélina de Lourbier, Dame de Lodiaker, vous êtes en état d’arrestation pour tentative d’assassinat. » Sans attendre plus longtemps, il lança un nouveau coup au visage du bandit, le mettant rapidement hors d’état de nuire, avant de le retourner pour lui lier les mains. Lorsqu’il eut terminé, il fit signe à Flavien d’approcher, avant de répliquer;
« Rapportez-le au manoir, on l’interrogera plus tard. » Le nordien fit signe a l’un des chevaliers langecin et ils attrapèrent rapidement l’homme pour se mettre en route, tandis que Aubry et son acolyte s’engouffraient dans la ruelle pour rejoindre Tedric et son homologue suderon, espérant qu’ils aient réussi à attraper le fuyard.