Une audience très intéressante

7ème jour de la 7ème ennéade de Karfïas – Second mois de l’Eté – An XIX du cycle XI.
Dans la salle du trône de Kirgan – Capitale du Zagazorn.

Deux jours étaient passés. Deux jours, depuis l’entrevue tardive entre Harald et Braähm. Une entrevue qui aurait pu prendre une tournure dramatique, tant les esprits, tels des blocs d’aciers chauffés à blanc, étaient frappés par un marteau manié d’une pogne ô combien ferme : celle de l’émotion. Braähm, fier Thane du clan Main-Ferme, illustre mineur passé à la postérité pour avoir dirigé l’expédition menant à la redécouverte du Mogarium, avait l’esprit embrumé par la bière, et le cœur saigné par la colère et l’incompréhension. Une colère et une incompréhension légitime pour quiconque n’aurait point vu ni entendu ni lu tout ce que Harald avait vu, entendu et lu. Face à lui, Harald, justement, avait eu l’esprit plus qu’occupé durant les ennéades précédentes, au point de ne plus dormir que quelques heures par ennéades. C’était avec l’esprit incroyablement fatigué qu’il s’était entretenu avec le très remonté – et alcoolisé – Braähm… Et ce cocktail avait failli être explosif.

Cette nuit-là, Harald n’avait même pas pris le temps de se dévêtir. Il n’avait fait qu’enlever sa couronne et sa tunique de velours, trop épaisse et chaude pour s’endormir, lui qui adorait la fraîcheur de sa chambrée. Et il s’affala sur le littré, s’abandonnant tout entier au monde des rêves, pour la première en plus d’un jour de veille.

Mais cette nuit-là, son repos fut ô combien inhabituel. Sans doute que la discussion avec Braähm avait eu cela de rassurant qu’il avait pu exprimer colère et frustration, et se sentir, d’une certaine manière, conseillé et écouté, et ainsi donc, libéré d’une très petite partie de cet immense fardeau qui est le sien. Il était bien reposé, au lendemain de cette entrevue, et à peine avait-il rassasié son estomac avec un petit déjeuner bien copieux qu’il était retourné à son bureau, apprenant, par un des gardes en chefs, responsables du recueil des doléances et des demandes d’audiences, que la Voix de Thanor, et le thane Main-Ferme, mandaient tous les deux une audience auprès du Roi. Audience qu’il accorda dès le lendemain, bien évidemment.

Lorsque la salle du trône ouvrit ses deux larges et grandes portes, ce fut le signal de l’ouverture des doléances, plénières ou privées. Pour le savoir, il suffisait de le dire au Roi. Selon si la personne désirait que la chose soit privée ou non, les portes s’en trouveraient refermées, et les gardes, réduits à leur nombre le plus faible. L’horaire étant connu de tous, car Harald écoutait son peuple aux mêmes plages horaires, plusieurs fois par ennéades, depuis bientôt deux années.

Lorsque Braähm et Glumtol arrivèrent pour leur audience, les gardes les saluèrent. Frappant leurs plastrons avec la virilité qui était propre à des soldats d’élite – grâce aux difficiles et épuisants entraînements dirigés par Brynhild – ils étaient menés jusqu’au-devant du piédestal par un garde en chef. On était loin des protocoles des royautés Humaines : point de cor, point de trompettes, point d’annonces déclamées avec des voix fluettes. Tout se passait dans le silence, et seuls les bruits des bras d’acier frappés contre les plastrons se faisaient entendre. Ce fut la voix de Harald qui brisa le silence, une bonne fois pour toute.

« Mes amis ! » Dit-il, à pleine voix, ses bras s’entrouvrant alors qu’il se redressait sur son assise, déjà bien usée depuis le début des doléances et des audiences. « Braähm, heureux de te revoir. Glumtol, Voix de Thanor, je te sais présent à Kirgan depuis plusieurs jours. Je suis heureux de revoir aujourd’hui. » Commenta-t-il à nouveau, avant de rabaisser ses bras et de prendre une posture plus agréable pour lui et son fessier. « Vous avez mandé une audience. C’est avec bonheur, et honneur, que je vous accueille ici. Parlez, je vous écoute. Oh, et ne vous inquiétez pas, la bière arrivera bien rapidement ! »

Voir ainsi la bonhommie et la jovialité de la Voix de Thanor était un véritable enchantement pour le Grand-Roi du Zagazorn. Pourtant, il n’en avait pas toujours été ainsi. Parfois, cette candeur sincère avait de quoi éreinter la plus grande des patiences, surtout lorsqu’il s’agissait d’une candeur mêlée aux sujets difficiles du royaume. Glumtol avait en effet cette manière bien à loin de voir la coupe à moitié pleine, et de réfléchir le plus souvent avec son ventre, et avec le ventre de Braises-Vies dont il est le représentant. Cela n’était point un mal, bien au contraire, quand il s’agissait de politique interne : s’assurer que toutes et tous aient le ventre rempli ainsi que des escarcelles sonnantes de pièces clinquantes, était la mission primaire de tout dirigeant Nain.

Mais donc, cela pouvait être un poids. Réfléchir ainsi, lorsqu’il s’agissait d’entreprendre des décisions ou des projets couteux, provoquait de nombreux désaccord entre le ventru et le Grand-Roi… Désaccords qui ne trouvaient souvent aucune solution, puisqu’il s’agissait là de deux constructions différentes d’une même société.

Mais aujourd’hui, Harald avait… Besoin, de cette bonhommie et de cette candeur. Voir ainsi les pommettes rosées et bombées du poilu à la panse presque trop grande pour ses habits, entendre cette voix rieuse, voir et ressentir cette chaleur Naine s’échapper de ses deux bras épais aux muscles noueux confortablement maintenus au chaud sous une épaisse couche graisseuse… Avait quelque chose de léger et de tout simplement apaisant. Harald, après que Glumtol l’ai salué bras ouverts, offrit lui aussi un salut tout à fait respectueux. Et lorsque le très bon Glumtol proposa que Braähm soit le premier à prendre la parole, Harald acquiesça, offrant un signe de tête bien appuyé avec un sourire tout à fait sincère.

Son attitude changea doucement une fois son attention focalisée sur le thane Main-Ferme. Son visage, au fur et à mesure du récit, se fit plus grave. Ses mires s’amenuisèrent, ses sourcils broussailleux barrant son front comme s’ils s’apprêtaient à s’enfoncer en terre. Ils prirent presque leur envol lorsqu’il entendu la précision : un volcan ! Eteint certes, mais un volcan tout de même !

Ses sourcils s’affaissèrent à nouveau, bien-sûr, mais son visage se secoua d’acquiescements successifs, face aux informations distillées par le Maître mineur. Ainsi, 12 cognards avaient perdu la vie. Douze nains, courageux, fiers, forts, et fidèles, avaient sacrifiés leurs vies pour que cette expédition soi couronnée de succès. Un sacrifice qui ne devrait point être oublié, et qui devait aussi être mesuré.

Deux royaumes étaient sur le point de s’écharper pour la mort de deux nains… Et dix de plus avaient été tués, dans le but de trouver des gisements de métaux rares et utiles pour les efforts Nains, en plus de la construction d’un avant-poste… Douze morts, douze vies éteintes… Douze Dawis, qui donnèrent les vies sur les ordres… Du Grand-Roi.

Harald eu besoin de plusieurs secondes de silence. Au cours de sa vie, il avait vécu bien des combats. Il avait vu bien des heurts, il avait senti l’odeur du sang plus de fois qu’à son tour, il avait vu plus de morts qu’aucun autre Dawi en ce jour. Il avait tué bien plus de vies qu’aucun autre Nain en ces lieux.

« Puissent leurs Braises-Vies avoir trouvé le chemin jusqu’au Monde du Dessous… Ce soir, je prierais Heidum le Fortuné, et lui rendait hommage, afin que le passage de ces douze Braises-Vies de braves, leur soit assuré quoi qu’il en coûte… » Dit-il, d’une voix presque basse, son regard se perdant sur les tapisseries à ses pieds devant lui. Sa barbe, fournie, peignée, se secoua de quelques soubresauts à mesure que sa caboche s’agitait. Finalement, il reprit. « Ainsi donc, grâce à tous vos efforts, nous nous sommes dotés d’une place forte imprenable, inexpugnable, qu’il nous faut renforcer dès à présent. Es-tu revenu avec quelqu’un qui saurait guider ces renforts ? » Demanda-t-il, soucieux. « Ceux-ci doivent partir au plus vite. Avec des vivres, des graines et des pousses, mais aussi plus d’artisans afin de consolider cet endroit. Faut-il du bois ? Je doute que l’on manque de rocs par là-haut, mais le bois, lui, peut se montrer capricieux. » Commenta-t-il, son raisonnement, logique, lui demandant des réponses qu’il était curieux d’obtenir. « J’ordonnerais à ce que tout soit préparé dans les plus brefs délais… » Ajouta-t-il, avant de porter son regard sur le titane que Braähm et Glumtol s’échangeaient. Il y en avait peu, dans leurs épaisses pognes, mais le peu qu’il y avait scintillait de tous les faisceaux lumineux provenant des braséros. Satisfait, les souverain sourit. « C’est un métal de bien belle qualité. Je n’en avait jamais douté. Après tout, pour toi qui fut le premier à trouver et ressentir le Mogarium depuis des siècles, il doit être aisé de trouver du titane, ou n’importe quel autre métal. Nos forges doivent t’en être reconnaissant, mon ami. Moi, je t’en suis reconnaissant. Ainsi qu’à ceux qui demeurent, et à ceux qui tombèrent. C’est un grand honneur que d’être en vie à vos côtés. »

Il baissa son visage, lentement, frappant ensuite son plastron en signe de respect et de salutation, avant de relever son visage, et d’offrir… Un sourire.

Les échanges entre Glumtol et Braähm ressemblaient à ces sports à bases de raquettes et de balles que l’on s’échanges. L’un des deux joueurs était fougueux, vif, et ô combien plein et entier. Glumtol, avec sa voix vive, sa jovialité, et sa candeur, pouvait faire sourire Harald… Ce que le souverain fit, à plusieurs reprises d’ailleurs.

Face à lui, un joueur plus mesuré. Dans le contrôle de ses mouvements, de ses tactiques, anticipant ce que l’autre pouvait faire afin de s’assurer, sinon la victoire, au moins la domination du terrain. Braähm, apportait après chaque argumentaire de Glumtol, une vision bien plus grave, plus posée aussi, et d’une certaine manière… Plus pérenne.

Ces différences entre Glumtol et Braähm pouvait faire sourire. En son for intérieur, Harald fut comme soudainement transit d’une vive interrogation, qui survint lorsque, après toutes ces discussions ô combien importantes, la Voix de Thanor voulut nommer Harald « Gardien des Ripailleurs » au sein d’une guilde dont il officialisait la création, et qui avait pour simple but… La Ripaille. Bien que tout le royaume Nain connût l’appétence de la Voix de Thanor pour la bonne mangeaille, la bonne boustifaille, la bonne beuverie, pour les arts et les offrandes de Girdon, le fait qu’il y soit si attaché dans des circonstances à la gravité exceptionnelle pouvait faire peur. Après tout, Glumtol était un dirigeant, aussi devait-il souvent moins écouter ses entrailles et son cœur, et bien plus son esprit, et penser davantage au bien commun qu’à ses propres espérances.

Mais Harald chassa bien rapidement cette pensée. Il connaissait Glumtol, il connaissait Braähm, mais cette dissonance entre cette création légère de Glumtol, et les arguments profonds, sérieux, et parfaitement agencés de Braähm, pouvait prêter à confusion.

« Glumtol, mon ami, je suis très heureux et honoré, de ce que tu m’offres au sein de ta guilde. Les arts du Ripailleur devront être offerts au plus grand nombre, car les temps prochains s’annoncent difficiles, et ô combien importants. Offrir aux nôtres l’opportunité de vivre, et de Ripailler, cela me semble des plus importants. J’accepte ta demande, mon ami. Et j’en suis honoré. » Dit-il, offrant un très large sourire de ses pommettes poilues au très ventru Glumtol Barbe-de-Fer. Au petit coup de coude de celui-ci, Harald répondit par une accolade sincère et franche, avant de se renfoncer dans son assise, pour prendre un peu de distance. « Toutefois, Braähm à raison. Thanor à besoin de sa Voix. Aussi, Gorin Barbedrue semble le plus disposé à relever tel défi, car, effectivement, qui de mieux qu’un maître éleveur pour exploiter le plein potentiel d’une terre si propice à un microclimat, et une micro-adaptation. Ce sera donc à lui de s’y rendre. Lante enverra les graines, le bétail, les pousses, et les outils, tandis que Thanor fournira l’ingénierie, l’architecture et les artisans nécessaires. Les deux cités, toutefois, fourniront à nouveau un petit contingent militaire afin de renforcer les positions. Puis, nous devrons prier toutes les divinités afin qu’elles protègent et bénissent ces lieux, et les nôtres… Je manderais la présence d’un prêtre d’Ikthor, pour la protection de ces lieux. L’endroit sera presque inaccessible dès les premières neiges, et jusqu’aux premières fontes… Ils seront prisonniers durant 4 mois. Il faut donc préparer leur confort. Braähm, peux-tu charger les chevaucheurs d’estimer le nombre de soldats nécessaires ? S’il le faut, un de mes fils formera l’équipée. »

Ainsi donc, l’avenir s’écrivait là-haut, et se décidait ici-bas…