À l'insu des puissants

La taverne était miteuse. Elle puait le stupre, l’alcool et la lie de thaar qui s’y vautrait et grouillait comme autant de ponges malsaines. On n’y servait rien de plus qu’un alcool aussi putride que le bouge dans lequel il macérait. Quant à la ''nourriture'', une bouchée suffisait à se demander s’il ne s’agissait pas en réalité d’un morceau du plancher de bois sale. Ce qui en soit aurait pu expliquer les nombreux trous laissant apparaitre une boue gluante noirâtre dans le sol...

Partout on grognait, on gueulait, on crachait et on buvait. Dans ce déferlement d’immondice, il y avait  pourtant une silhouette qui ne braillait pas, qui ne bâfrait pas, ne collait pas ses pattes ignobles sur le derrière de la première pauvre âme féminine passant à sa portée, qui ne faisait en fait…pas grand-chose.

Encapuchonné, on ne distinguait ni le visage de l’inconnu ni sa race, même pas son sexe. L’étrange silhouette attendait tranquillement sur sa chaise, une pièce de cuivre tournant entre ses doigts et une pipe difforme et crachotant une fumée acre entre les dents.

Cela n'avait en soit rien de bien surprenant dans un tel endroit où les pires canailles s'adonnaient aux machinations les plus tordues que leur esprit malades pouvaient enfanter et personne ne cherchait à déranger l'inconnu.

Les seuls signe distinctifs, dont son attendu interlocuteur avait été soigneusement mis au courant à l'écrit se trouvaient être une bougie éteinte trônait sur la table vide ainsi qu’une lettre de vélin rougit, semblable à celle qu’une compagnie de mercenaire drossien avait dû recevoir il y avait maintenant quelques ennéades promettant un joli montant s’ils venaient à accepter un juteux contrat dont les termes seraient discutés ici même.

Viendraient-ils ou le sombre commanditaire devrait compter sur d'autre canailles tout aussi peu recommandables?

Entre deux éclats de voix rustaudes, la porte grinça quand une nouvelle âme vint se perdre en ces lieux. Une chevelure filasse et enflammée, l'air aussi sympathique qu'un coup de lame entre les côtes, l'inconnue balaya les têtes de son regard noir, avant de s'avancer entre les tables, les lames à ses hanches servant d'avertissement à toute main baladeuse. Raflant une pinte qui passait, la donzelle posa une fesse sur une table dont elle salua, narquoise, les occupants occupés à échanger des rumeurs. Quelques mots furent échangés, l'un grogna, un autre rit, et sur un sourire elle repartit, non sans se revigorer d'une rasade mousseuse.

A la vue de l'encapuchonné, elle ouvrit les bras largement...

"Aye, le voilà !"

Et s'attabla sans gêne près de l'inconnu, ajoutant la pinte à l'étrange décoration qui habillait la place.

"Je te trouve enfin, cousin. Ah, toujours aussi léger sur la boisson ? Aye, n'ai crainte, je ne dirais rien à notre bonne mère. D'un geste, elle commanda une boisson pour son ami. Bois, bois ! Ne te prive donc plus. Sitôt le breuvage arrivé, et une pièce disparue dans la paume du garçon d'auberge, elle fit sonner les choppes ensemble. Et pendant que tu y es, parle-moi donc de l'affaire, celle qui t'a tant occupé : mon frère est intéressé."

Le tavernier veillait sur ses ouailles d'un regard blasé. L'on vit une damoiselle surgir et piailler après son homme, au grand plaisir moqueur de ses camarades de boisson. Dans ce fatras habité par les pensées hagardes de ses occupants, la gaillarde elle venait avec des intentions clairement annoncées par le velin rougi qu'elle tira un instant de son corsage, avant de l'y refouler.

-En quoi ton frère est-il le plus fort au juste ?

La voix, bel et bien masculine, ne sembla pas plus surprise que ça de l’attitude de sa camarade. Bien au contraire il sembla s’en accommoder. Posant tranquillement ses talons un à un sur la table, l’inconnu se mit bientôt à se balancer sur sa chaise, révélant un menton à la peau brun foncée et un sourire un peu moqueur. En revanche, l'immonde breuvage il n'en avala pas la moindre goute. Il fallait être fou, ou bien doté de goût plus que discutable pour boire cette mixture.

-Voit-tu, j’ai un besoin bien précis en tête. Un besoin qui doit être exécuté avec la plus grande finesse pour en être pleinement satisfait. Finesse et discrétion. Je ne suis pas le genre d’homme à me confier au premier inconnu armé d’un coupe papier. J’ai besoin d’avoir confiance tu vois ? Une amitié ça se construit.

Sans jamais se démonter sa main vint chercher un objet au pied de sa chaise et le lança à ses pieds. La bourse de cuir rondelette s’y écrasa avec un bruit lourd. Un petit coup du talon l’ouvrit aux yeux de sa destinatrice. Un coupe jarret digne de ce nom ne pouvait pas s’y tromper : Il s’agissait d’une très coquette somme de pierres précieuses et de bijoux facilement refourguable à qui n’était pas trop regardant sur la provenance.

-ça c’est juste pour m’assurer que tu ne m’as jamais vu ni entendu. Et que ton frère n'a même pas idée de ce que tu fiche dans ce petit paradis. On est d’accord, ‘’cousine’’ ?

Comme elle acquiesça, il tira à nouveau sur sa pipe de fortune, laissa passer quelque secondes accompagnées par un ou deux rond de fumée avant de se redresser.

-Bien bien. Je ne vais pas y aller pas quatre chemins.

]Il plaqua un dessin chiffonné à coté de sa chope intouchée. C'était un plan rapidement griffonné mais étonnement précis d'une gigantesque demeure, un palais à n'en point douter. A un endroit précis,il y avait un point rouge.

-Il y a un objet que désire particulièrement mais malheureusement il est à Baaz'hima possédé par une toute autre personne qui n'a cure de l'argent que je peux lui offrir. Une personne  trop riche, et trop influente pour son propre bien. Un prince qui se pavane jour et nuit grâce à l'alcool qu'il vend, alors qu'il ne vaut pas plus que nous autre sans sa couronne. Alors voilà mon argent, je le donne à ceux qui le méritent. Le sourire sardonique s'étira un peu. Bref, dans cette pièce, il y a une arbalète. Vous la reconnaitrez quand vous la verrez. Je la veux. Intacte. Et je veux que l'alerte ne soit pas donnée avant le levé du jours. Faite ce que vous voulez des esclaves et des serviteurs, mais évitez la garde. Lorsque le jour se lèvera, il y aura ceci à la place. Il agita une enveloppe qui, elle se trouvait scellée. Si vous ouvrez cette lettre je le saurait, je vous l'assure, alors ne jouez pas à ce jeu.

L'enveloppe disparut comme elle était apparu et le commanditaire se relâcha un peu.

-Prenez ça comme un premier test. Si vous parvenez à remplir cette simple tâche, vous serez payé et j'aurais votre confiance pour ...disons quelque chose d'un peu plus amusant.

A la froideur calculatrice du bonhomme s'opposaient les manières détendues de la donzelle... Du moins jusqu'à ce qu'un oeil curieux se perdent dans ses mires noires, derrière lesquels moult rouages s'engrainaient au fil des informations donnés. Le scintillement des pierres en mit en branle plus d'un, notamment celui qui l'amena à faire disparaître le 'petit' cadeau. Un tel étalement en un tel lieu, quelle idée !

"Toujours les mots qu'il faut pour se faire comprendre, cousin. susurra la rouquine, la tête pleine d'anticipation après la promesse de tels gains. Et dur en affaire, aye !"

C'était un gros poisson qui était ferré, mais un poisson pas des plus faciles à engloutir, cela était sûr. Mais pour quel profit... Bien qu'elle tâcha de n'en rien laisser paraître, son regard avait un peu trop briller en découvrant les pierres. Tant de risques, tant de gains, ha ! La prudence se disputait à l'appât du gain, mais la demande avait aussi ce je-ne-sais-quoi d'exaltant : elle paraissait affreusement risquée pour quelques frasques personnelles... Mais celles de Thaar, s'il était possible d'y chier, amuseraient au plus haut point des malandrins.
La rouquine sentait son sang vif s'agiter, quand bien même la bière ne valait pas plus que de la pisse.

Une main songeuse vint caresser une poignée d'épée, l'autre tenant la pinte comme un éventail devant le visage délicat d'une courtisane, guettant le moindre morceau de visage sous la capuche.

"Une affaire qui s'manque pas que tu m'présentes lô. J'vais donc t'rassurer sur les bras qu'tu d'mandes : mon frère et ses amis en ont vu d'autres, savent faire dans la dentelle comme l'tricot, avec d'l'oreille pointu pour l'un comme l'autre... Et d'l'humain passe-partout pour combler l'tout."

Qui allait devoir descendre de la Dross, mais pour un si joli pactole, le trajet en vaudrait la chandelle.

"Pour un cousin, une telle bagatelle, il t'rendra c'service 'vec plaisir ! Les enquiquineurs ils leur diront comment qu'ça marche, et s'ra fait. Qu'est-ce qu'y t'faut d'plus ? La pinte s'écarta du visage, révélant un sourire de serpent. Dit-nous c'qu'y faut, y s'occup'ront du reste."

Si l’enthousiasme de la rouquine semblait plaire à l’inconnu, sa froideur semblait tout de même être à toute épreuve ce soir-là. Peut-être y avait-il cependant une pointe d’amusement dans sa voix. L’appât du gain aurait pu faire chanter n’importe qui dans cette foutue ville.

-Amène les hommes qu’il te faut, peut m’importe qui et quoi ils sont tant qu’ils se font oublier.

Une nouvelle bouffée de tabac coupa encore la conversation avant qu’il n’ajoute ses dernières exigences. Au vus de la somme qu’il offrait et offrirait, il pouvait largement se permettre d’être exigeant quant à la qualité du service qu’il achetait…

-Quand vous aurez ce que je vous demande de récupérer, vous le rapporterez ici à la même heure qu’aujourd’hui. J’insiste sur le parfait état dans lequel la marchandise devra être livrée. Si vous la perdez, si vous la brisez, si vous l’égratigniez, notre contrat sera caduc. Si vous ouvrez ce que je viens de vous montrer, notre contrat sera caduc. Si vous êtres pris…Eh bien j’imagine que si vous êtes là cette éventualité n’existe pas.

Un sourire fendit l’ombre du visage camouflé et une main vint pousser la carte sous le nez de la femme. En plus d’indiquer les vastes salles de la trop grande demeure du prince, çà et là étaient aussi renseignée ce qui semblaient être les rondes des gardes. Peu nombreuse, toutes proportions gardées il s’agissait probablement de celles des nuits.

-Garde la carte, disons que c’est un cadeau. D’autres questions "cousine ", ou en a-t-on terminé ?