Une discussion importante | Magnus de Terresang.

1er jour de la 4ème ennéade de Karfïas – Second mois de l’Hiver.
Année XX | XI cycle.
Dans le bourg de Terrefière, la maison longue seigneuriale.

Depuis leur retour d’Arétria, le couple seigneurial n’avait plus rien d’un véritable couple. Mariés depuis peu, les aléas de la vie en plus des épreuves imposées par le Comte, et les affreuses choses vécues par Alicia entre les mains de Klaus Losir achevèrent ce jeune mariage qui ne parvenait point à se relever.

Il fallait avouer tout de même une chose : Marc-Aurèle n’était absolument pas doué pour ce genre de choses. Marié de force à une des sœurs de son suzerain, il s’était d’abord résigné, puis avait commencé à ressentir d’étranges choses que d’aucun nommait « sentiments ». Mais, lorsque ceux-ci naquirent, Magnus ordonna à Marc-Aurèle de diriger le Comté durant son absence, et alors, le petit seigneur sombra sous le poids des responsabilités.

Un premier attentat survint à l’encontre d’Alicia, mais celui-ci fut passé pour un accident, en premier lieu. Marc-Aurèle, voyant son épouse dépérir, eut l’aide inattendue de la très fidèle servante d’Alicia pour l’aider à agir comme un époux. Ceci sauva provisoirement le mariage, si l’on pouvait le dire comme cela. Mais les charges Comtales continuèrent d’assommer le petit seigneur qui, une fois le retour du Comte, dû ensuite faire face à l’enlèvement d’Alicia. Un enlèvement fait dans la violence, car trois des pauvres sujets de Terrefière furent assassinés durant l’attaque.

Deux jours durant, Marc-Aurèle lança la traque, sans dormir ni se reposer. Il retrouva, avec le frère Losir, la trace de Klaus et parvint à sauver Alicia… Mais ce qui devait être une fin heureuse fut en réalité le prologue d’instants plus sombres encore. Durant plusieurs jours, Marc-Aurèle traqua Klaus Losir et parvint à le capturer… Pour que Magnus décide de rendre la justice d’une manière longue, douloureuse et des plus inconfortables pour Alicia.

Ceci devait signer la fin d’un mariage balbutiant. Face à tous ces évènements, Marc-Aurèle ressentit une culpabilité incommensurable. Culpabilité qui, ensuite, était aggravée par une profonde incompréhension à l’égard de son épouse. Il était évident qu’Alicia et Marc-Aurèle étaient deux individus aux fonctionnements, traumatismes et habitudes différentes. Bien qu’il comprenne les traumatismes de son épouse, il ne parvenait point à se positionner en tant qu’époux, et encore moins à faire preuve de suffisamment d’empathie pour pouvoir offrir ce dont Alicia avait besoin…

Cette fracture acheva de détruire le couple seigneurial, et depuis leur retour, seigneur et dame font chambre à part. Apprenant que le Comte entreprenait de faire le tour de tous ses vassaux, Marc-Aurèle l’attendit et, au lendemain de son arrivée, demanda une audience privée.

Aussi se présentait-il devant Magnus, aujourd’hui. Retirant son armure de cuir réhaussée d’une épaisse fourrure, il dégaina sa grande claymore qu’il apposa à plat, aux pieds de Magnus, avant de s’agenouiller et de baisser la tête le plus bas possible.

« Votre Honneur, moi, Marc-Aurèle de Terrefière, chevalier d’Arétria et fidèle vassal de Votre Honneur, m’en remet à vous, votre clairvoyance, et votre pitié. » Dit-il, s’abaissant plus encore jusqu’à-ce que son front touche presque la lame froide de son immense claymore. « Je m’en remet à vous, car j’ai failli. » Expliqua-t-il, avant de reprendre sa diatribe. « J’ai failli, non point en pensée, mais en acte. Je n’ai pas été à la hauteur pour régir le Comté en votre absence ; je n’ai pas été digne de mon rôle de Premier-Conseiller ; mais, plus important encore… » Il pause, prenant une grande inspiration. « … J’ai failli en tant qu’époux de votre illustre sœur, Dame Alicia. Je n’ai pas su la protéger, et je n’ai pas non plus su lui apporter l’épaule d’un époux, l’amour d’un mari et, par conséquent, ai failli à mon serment noué sous le regarde de La Mère. Dit-il, laissant une courte pause après avoir listé ses échecs, et ses fautes. « Pour toutes ces fautes… Je vous implore de me délier de mon serment. Alicia est jeune, et peut encore trouver un meilleur parti que moi. Prenez mes terres, mes titres, mais, par pitié, que rien ne soi fait à mes sœurs. Elles, ont toujours été dignes de leurs titres, et de véritables Arétanes. » Demandait-il, avant de relever légèrement la tête sans pour autant montrer son visage. « Je remet ma vie entre vos mains, et suis prêt à assumer les conséquences de mes erreurs. »

Là, en cet instant, le seigneur de Terrefière, fidèle vassal des Terresang et, depuis toujours, vavassal du Comté d’Arétria, se savait pieds et poings liés. Pour la toute première fois de sa vie, Marc-Aurèle était… Une déception. Une déception en l’esprit de son suzerain, et plus encore en ses mots. Une déception en l’esprit, le cœur et les mots de son épouse, Alicia de Terrefière. Là où les deux nobles étaient d’accords, c’était sur le mérite qu’avait la jeune femme d’obtenir l’amour qu’elle recherchait… Mais Marc-Aurèle était convaincu que celui qui pourrait rendre Alicia heureuse n’était pas lui…

Se relevant face à l’ordre de son suzerain, Marc-Aurèle ne prit point le soin de relever son épée. Rien, dans le protocole nobiliaire Péninsulaire, ne stipulait quoi que ce soit à propos d’une arme allongée au pied d’un suzerain… Bien que l’on aurait pu trouver une signification aujourd’hui.

Lisant la missive, Marc-Aurèle ne pu réprimer un profond soupir. Plus de la déception qu’autre chose, l’idée de devoir à nouveau quitter ses terres pour jouer le diplomate était insupportable. Mais la menace de voir sa sœur mariée avec Thorne, le fit soudainement lever le visage.

« Est-ce une menace, Votre Honneur ? » Demanda-t-il, sa mâchoire se crispant soudainement sous l’assaut d’une colère qu’il contenait encore facilement. Thorne était connu comme étant un être mauvais, colérique et capable de méchancetés… Frida, esprit libre et contradictoire, serait entre de bien mauvaises mains. « Je ne puis consentir à ce que Frida épouse Thorne, d’aucune manière que ce soit. Vous savez comme moi qu’une femme aussi forte de caractère que Frida serait malheureuse auprès de Thorne ! » Reprit-il, le pensant sincèrement. « Vous cherchez à me punir, et cela, je le comprends. Mais punissez-moi, et non mes sœurs. » Demandait-il, posant sur Magnus un regard emprunt à la fois de pitié et de colère. « Votre Honneur… Je… Je ne souhaite pas perdre mes terres, ni mon honneur… Mais je ne puis assez répéter mon incompétence en tant qu’homme marié. Votre sœur mérite mieux, réellement mieux… Je ne puis remplir telle mission, tout comme je ne puis être votre émissaire… Odélian est loin de nos terres, et mes gens sont encore secoués par la mort de trois des leurs, assassinés par Klaus et ses sbires… Je me dois d’être là pour eux… Alicia peut s’y rendre sans moi… Cela lui ferait sans doute beaucoup de bien. »

Sur l'ordre de Magnus, je l'ai rejoint alors que je le savais en grande discussion avec mon époux. Entrant dans la pièce, sous escorte, je découvre la sœur aînée de Marc-Aurèle qui est arrivée avant moi et je regarde successivement mon frère et mon mari sans comprendre. J'écoute la dictée de la lettre et je suis à ce point stupéfaite que je n'arrive pas à parler avant qu'il ait terminé.

-Mon frère, que fais-tu ?...

Pas de réponse. Juste un regard suivi d'un soupir puis d'un silence. Un silence qui ne sera interrompu que par l'arrivée d'un prêtre. J'écoute la suite de plus en plus abasourdie. Je ne comprends toujours pas ce qu'il se passe jusqu'à ce que le religieux déclare que Marc-Aurèle et moi sommes séparés. Mes yeux se tournent soudain vers Magnus, puis vers mon... ex... époux. Et là, je comprends tout... Il en a fait la demande. Et la confiscation de ses terres est sa sanction. Sanction qui pèse aussi sur sa sœur qui, je le sais, rêvait de pouvoir se marier et qui s'en voit interdit.
Les yeux dans le vague, accusant tout ceci, je perçois la voix de mon frère qui donne ses dernières instructions. Il m'envoie en mission diplomatique. Moi, une jeune femme sans expérience, meurtrie par la tentative d'assassinat dont elle a fait l'objet, tout juste abandonnée par son époux. C'est... totalement illogique. Mais je suis tellement abattue que je n'ai même plus la force de m'opposer alors que tout ce que je voudrais, là maintenant, c'est qu'on me laisse en paix...

Quelques secondes après que Magnus ait terminé, je me remets en mouvement. Je marche vers la porte, aussi péniblement qu'un escargot traînant un château fort en guise de carapace. Au bout de quelques pas seulement, je vacille et le prêtre à côté de qui je me trouvais me rattrape aussitôt. Je reprends mon équilibre, je me force à relever le menton alors que mes yeux se troublent. Mais j'avance de nouveau. On m'ouvre la porte, je ne sais même pas qui s'en charge car je distingue seulement les formes qui m'entourent... Et je sors.
C'est choquée que Magdeleine me trouve tandis qu'elle attendait dans le couloir de savoir ce qu'il était en train de se passer. Elle se précipite vers moi, me demande si je vais bien alors qu'elle connaît parfaitement la réponse. Et tout ce que je parviens à lui dire c'est... "Mes valises, Magdeleine."

Les mots de Magnus eurent l’effet de poignards aux fils aiguisés se plantant encore et encore dans le cœur du seigneur de Terrefière. Déjà, entendre que le Comte menaçait de marier Frida, la jeune impétueuse, rebelle et revêche petite sœur, était une abomination… L’entendre ensuite dire que le roc de Terrefière venait de s’effriter et de choir, heurta grandement son égo et son orgueil, lui qui se targuait d’être le plus fidèle des vassaux et le plus honorifique des nobles d’Arétria. La sentence, elle, acheva de lui arracher le cœur…

Marc-Aurèle eu alors un moment d’absence. Sa tête s’abaissa lentement, jusqu’à-ce que son menton touche presque sa toilette revêtue pour l’occasion. Un profond soupir lui fit manquer un battement, alors qu’il sentait le poids d’un millier de chevaux s’abattre sur sa cage thoracique. Il n’était donc plus un seigneur… Il ne dirigeait plus les terres détenues depuis des siècles par les De Terrefière. De ce hameau, il ne portait plus que le nom…

Il avait vu l’entrée d’Alicia et celle d’Allia, mais n’eut de regard ni pour l’un ni pour l’autre. Lorsque le prêtre entra, le désormais noble chevalier déchu de ses titres écouta… Et un nouveau soupir s’échappa lorsque les mots décrivant l’annulation du mariage furent prononcés. Mais, cette fois-ci, ce fut un soupir de satisfaction. De ses demandes, il semblait qu’une, au moins, avait été entendue et satisfaite… Alicia serait dorénavant libre, éloignée de Terrefière et de l’inaptitude honteuse de Marc-Aurèle.

Lorsqu’enfin, Magnus donna ses derniers ordres, l’appellation « chevalier », solitaire, non suivie des autres titres usuels, acheva de faire souffrir le poitrail de l’homme aussi fort qu’un chêne.

« A vos ordres, Votre Honneur. » Dit-il finalement, inclinant le buste dans une révérence protocolaire.

Quelques instants plus tard, dans une salle à part.

La séance était à peine terminée et déjà, tous les acteurs quittèrent la pièce seigneuriale. Tous, y compris les De Terrefière. Se retrouvant dans une autre annexe, Marc-Aurèle ressentit soudainement une défaillance inattendue, à la fois mentale et viscérale. La nausée l’envahit, suivie très rapidement par cette violente crampe d’estomac qui l’obligerait presque à s’allonger là, maintenant, en chien-de-fusil et en pleurnichant sur son sort…

Mais la porte qui s’entrouvre à nouveau l’oblige à garder contenance. Au lieu de s’effondrer, Marc-Aurèle s’assoit en tirant rapidement la chaise à ses côtés, et pose sa tête dans ses mains, ses longs et épais cheveux tombant devant lui à en masquer son visage. Reconnaissant le pas boitillant d’Auguste Hapfer, la démarche légère d’Allia et celle très énergétique de Frida, Marc-Aurèle relève rapidement la tête et offre un visage… Déconfit.

Le premier à briser le silence fut le vieux régent. Son faciès dur, buriné par la vie, montrait de petits yeux fatigués, lesquels dardaient un regard emprunt de pitié et de colère, à l’encontre du fils ainé de la lignée De Terrefière. Restant debout face à lui, prenant appuis sur sa fidèle canne, le vieillard laissa s’échapper un profond soupir…

« Monsei… » Commença-t-il, se censurant lui-même dans une grimace de douleur sincère, comme si s’empêcher de dire ces titres nobiliaire lui provoquait sincèrement une douleur atroce. « Sire… » Reprit-il, finalement, usant d’un qualificatif nobiliaire qui sied autant au chevalier sans terre, qu’au petit noble de basse lignée. « Qu’avez-vous fait… » Reprit-il, serrant sa mâchoire avec force sous la colère renouvelée et la déception grandissante. « Vous marier était-il si difficile ? Exécuter l’ordre de votre souverain était si intenable ? Faire ce que l’on attendait de vous… Était-ce trop vous demander ?! » Demandait-il, les sourcils froncés et l’air accusateur. « Si feu vos parents étaient encore de ce monde… Que diraient-ils… ? »

Allia s’avança alors. Droite, ses mains gracieusement posées sur sa le bas de son ventre dans une posture gracile, digne d’une noble, elle fit un pas en avant, posant une main douce sur l’épaule ankylosée de vieil Hapfer. Ce dernier sursauta légèrement, ne s’attendant pas à ce que qui que ce soit n’ose le priver d’un tel instant.

« Auguste… » Dit-il, d’une voix résolument douce et posée, contrastant sérieusement avec l’attitude, la voix et les mots utilisés par le régent. « Cessez, je vous prie. Ne croyez vous point que les choses sont suffisamment difficiles, pour que vous rajoutiez feu nos parents face à une telle situation ? » Expliqua-t-elle, ôtant doucement sa main de l’épaule d’Auguste en lui offrant un sourire, alors que ce dernier accepta de céder sa place et, se voûtant, prit place face à Marc-Aurèle, légèrement sur la gauche de ce dernier. « Mon frère… » Reprit-elle, s’installant à son tour. « Mon frère… Je n’ose imaginer ce qui a dû te pousser à faire une telle demande… Sans doute que personne d’autre que toi ne peut le comprendre… Mais, aujourd’hui, tes actes ont rejailli sur nous tous… Et te voilà déshonoré… » Dit-elle, la voix calme et posée, ses yeux pétillant d’une bienveillance presque maternelle. « Pourquoi ne nous as-tu rien dit ? »

Frida arqua un sourcil lorsque sa sœur ainée indiqua que toute la famille avait été éclaboussée par les conséquences des choix et décisions prises par l’ainé de la famille. N’ayant point assisté à la discussion entre Marc-Aurèle et Magnus, puis à la séance tenue en huit-clos, elle ne savait point quel funeste destin fut décidé pour elle par le Comte Magnus de Terresang. Cogitant à une vitesse fulgurante, Frida s’agita soudainement et coupa la parole à sa sœur sitôt sa dernière question posée à Marc-Aurèle.

« Pardon ? » Dit-elle presque en s’exclamant. « Allia ?! Qu’entends-tu par « sur nous tous » ? » Demanda-t-elle ensuite. « Que s’est-il passé ? » Demanda-t-elle à nouveau, l’énervement emportant très rapidement ses réactions, ses rictus et son attitude. « Pourquoi n’ai-je pas pu entrer dans la salle, si toute nous avons tous été cités ? Que s’est-il passé ? De quelle décision parle-t-on ? » Martela-t-elle, s’énervant plus avant. « Par la bonté de La Mère et la colère d’Othar, est-ce que quelqu’un peut m’expliquer ce qu’il se passe dans ce foutu village ?! »

L’esprit de Frida était littéralement en ébullition. Effrayée, inquiète, dans l’incompréhension, la plus jeune de la fratrie De Terrefière semblait sur le point de défaillir de colère, ou d’exploser d’incompréhension et d’injustice.


Cette demande, formulée sans tact, obligea Allia à sévir en détournant un regard dur et sévère à l’intention de sa petite sœur. Elle somma cette dernière de s’asseoir et de garder son calme. Finalement, la parole fut laissée à Marc-Aurèle, qui demeurait l’ainé de la famille.

« J’ai… J’ai mandé une audience à Magnus, notre suzerain… Afin qu’il annule le mariage entre Alicia et moi. » Dit enfin Marc-Aurèle, laissant la phrase faire son effet en l’esprit et le cœur de Frida dont la mâchoire manqua de choir au sol. Auguste, lui, secoua négativement sa tête, tandis qu’Allia, elle, ferma longuement ses yeux tout en mordillant sa lèvre inférieur. « Ce mariage n’a jamais été une bonne idée, et il n’aurait jamais dû avoir lieu… J’ai tenté de m’y résoudre, et j’ai sincèrement éprouvé des sentiments pour la pauvre Alicia… Mais… » Il s’interrompt, raclant lourdement sa gorge, passant une main sur son visage. « La régence du Comté… Les tentatives d’assassinats… La traque, la justice contre Klaus… Tout ceci aura détruit notre frêle relation… Et cela me demandait trop. Trop pour reconstruire, trop pour apprécier ce mariage… Je ne suis pas homme à être marier, et sans doute point homme à promouvoir une lignée… Je ne désire que suivre mon souverain, cultiver la terre, assurer la paix et la sécurité de mon… Du peuple… » Dit-il, libérant finalement sa parole et son cœur pour la première fois depuis trop longtemps. « Alicia à besoin d’amour, d’un mari proche d’elle et capable de comprendre ses difficultés, ses douleurs, de lui montrer amour, amitié, force et tendresse, d’offrir une épaule aussi forte que ses oreilles seraient attentives… Et cela, je ne le puis. Aussi ai-je demandé à Magnus d’annuler ce mariage… Et la chose fut entendue… »

Le silence s’abattit sur la pièce, alors qu’Auguste comprenait un peu mieux le cheminement de pensée de son protégé, tandis qu’Allia, elle, luttait pour qu’aucune larme ne perle de ses paupières embuées. Frida, elle, écoutait avec une attention presque religieuse les mots distillés par son frère… Elle comprenait que les actes de son frère venaient sans doute de condamner toute la lignée, d’une manière ou d’une autre.

« Et… Et donc ? Qu’à dit Magnus ?! Que… Que va-t-il se passer, par La Mère ?! » Demandait-elle, de plus en plus inquiète.

Marc-Aurèle se racla la gorge. Auguste baissa à nouveau la tête, cette dernière s’agitant de quelques soubresauts trahissant la puissance de son désaccord avec tout ceci. Allia, elle, joignit ses mains, telle une prière, et posa ses coudes sur la table et plongea son nez dans ses mains, attendant presque la réponse – qu’elle connaissait déjà – comme le condamné attendant la décision d’un juge.

« Je… J’ai perdu mes titres. » Dit enfin Marc-Aurèle, alors que le visage de Frida se décomposa en une fraction de seconde. « Je ne suis plus le seigneur de Terrefière… J’ai perdu mes terres, et toutes autre possession terrestre. Tout revient à Allia… » Rajoutait-il, alors que le visage d’Allia se figea dans une grimace de souffrance, une larme s’échappant de sa paupière gauche alors que ses yeux se plissèrent sous la douleur. « Allia a également l’interdiction de se marier, tant que la sanction prendra effet… Donc, à durée indéterminée… Moi, je ne suis plus qu’un chevalier intégré dans l’escorte de Magnus… Pour l’instant. » Expliqua encore Marc-Aurèle, qui ne quittait point Frida des yeux.
« Et… Et pour moi ? Pourquoi vous ne me dites pas tout ?! » Demandait-elle, la peur saisissant sincèrement son cœur.
« Toi… Magnus souhaite te marier à son ignoble frère, Thorne. » Dit enfin Marc-Aurèle, s’apprêtant à recevoir la violence, la colère, les condamnations et réprobations de sa petite sœur.

Le cœur de Frida manqua un battement, et son corps sembla soudainement se figer. Bouche entrouverte, son visage se mit à pâlir et ses yeux semblèrent rentrer dans leurs orbites. Ses yeux se plongèrent tour à tour dans ceux de Marc-Aurèle, les larmes montant rapidement alors qu’elle se releva bien difficilement et qu’elle manqua de choir. Reprenant son équilibre, elle ressentit le besoin de poser ses mains sur ses genoux et de se courber en deux… Avant de se redresser rapidement et de porter ses mains à ses cheveux.

« Non… Non… Non ! » Répétait-elle, d’abord à voix basse avant d’hausser celle-ci à mesure qu’elle mesurait ce qui allait lui être imposer. « Non ! Non, non, non, non ! NON ! » Répétait-elle encore, hurlant finalement dans la petite dépendance, se fichant bien d’être entendue au dehors. « NON ! Il n’a pas le droit ! Non ! Jamais ! JA-MAIS ! Jamais je n’épouserais ce monstre ! Tout le monde connaît sa cruauté ! Mon frère, je te préviens… » Commençait-elle, pointant un doigt menaçant vers son frère qui s’inquiétait de plus en plus pour sa petite sœur… « … Si jamais on me force à me marier avec cet être infâme, je m’enfuirais ! Tu m’entends ?! Je prendrais mes affaires, et je m’enfuirais et… Et j’irais m’enrôler sur un navire pirate, ou… De corsaire ! Je fuirais la Péninsule, notre famille, ces terres maudites ! Je préfère mourir en mer plutôt que de me retrouver dans la même couche que ce fieffé connard ! »

Un peu plus tard encore, ce jour-là.

Les discussions s’envenimèrent plus encore, à mesure que la tristesse, le désespoir et la colère, s’emparèrent des cœurs et des esprits des De Terrefière. Frida, bien que rassurée par son frère qui lui fit la promesse de ne point l’abandonner, quitta la dépendance avec violence, claquant la porte avec force alors qu’elle marchait en direction de la demeure seigneuriale afin de s’enfermer dans sa propre chambre. Allia, et Auguste, eux, apportèrent encore un peu de soutien à Marc-Aurèle, quand bien même les larmes coulèrent sur les joues de celle qui, dorénavant, était la seule Dame de Terrefière.

Finalement, Marc-Aurèle fit ses affaires et prépara ce qu’il lui fallait pour suivre Magnus jusqu’à Erac. Auprès de son destrier, le désormais chevalier sans autres titres et sans possession terrestre, attendait l’ordre de départ, engoncé dans son armure de cuir réhaussée de plaques d’acier.