Un voyage, ça te tente ?

8ème jour de la 5ème ennéade de Karfïas, second mois de l’Hiver – Année XX | XI cycle.
Dans une salle du palais royal | Kirgan, capitale du Zagazorn.

Quelques jours après le retour de Harald au cœur de la capitale et son discours donné au public, l’effervescence avait atteint un certain paroxysme. L’invitation au mariage entre Louise de Fernel, Ongrumthrong du clan Poing-de-Fer, et Renaud d’Erac, Duc de la région éponyme, avait obligé Harald à revoir sa position à l’encontre de celle qui fut, plus ou moins malgré elle, un pion des Nains et des Humains sur l’échiquier géopolitique.

L’honneur octroyé par la Voix de Thanor était arrivé bien trop vite aux goûts du souverain. Un tel honneur, ouvrant à tant de droits et de considérations de la part des Nains pour quelqu’un n’ayant pas eu l’insigne honneur de naître dans la bonne race, ne devait point être donné à la légère. Il fallait de l’honneur, de la patience, du courage, et des qualités et du respect envers la race Naine. Si Louise n’avait jamais manqué de respect, et avait, d’ailleurs, montré une appétence tout à fait sincère pour la culture et le peuple Nain, elle n’avait pas réellement fait ses preuves… Lorsque les évènements de Langehack apparurent, et que la tension manqua d’exploser en une guerre meurtrière, Louise utilisa sa place obtenue chez les Nains pour faire valoir la parole Péninsulaire, et manœuvrer pour la paix. Voir cette jeune femme, novice de bien des choses, être ainsi présente pour aider la Péninsule à sortir par le haut, était d’une cruelle déception, et provoqua la colère du souverain.

Alors, fallait-il se rendre au mariage de cette Umgi ? Et surtout, celle-ci avec ce Duc-là, qui, durant les festivités du Serment de Fidélité entre Brynhild et Harald, avait demandé audience, présentant le projet fou de réalisation d’un port au cœur même des falaises Eraçonnes, creusé par les Nains, en échange de la propriété desdites terres creusées et d’une part des taxes prélevées. Un projet qui, s’il était raisonnable en soi – comparativement à ce qui se déroulait actuellement à Naélis – était ô combien déplacé au regard du peu d’histoire commune entre le Zagazorn et la Péninsule.

Fallait-il également se rendre à ce mariage Ducal, au cœur de la capitaine Péninsulaire, alors qu’une partie du peuple Dawi ne pardonnait toujours pas la mort d’un cognard et celle d’un runiste à Langehack, et le manque de fermeté – selon eux – du souverain face à la délégation Humaine ?

La réponse n’était point évidente, mais Harald, lui, avait choisi d’accéder à cette invitation, préparant alors un voyage commun avec Glumtol Barbe-de-Fer depuis le port de Thanor. Artiön Laergül, Grand-Roi des Cités d’Anaëh, avait convenu avec Harald – et d’ailleurs, il était même à l’origine de ce projet farfelu – de l’organisation d’un conseil couronné rassemblant les couronnes du Zagazorn, des Cités d’Anaëh, et de la Péninsule. Apparaître à cette cérémonie, au cœur de Diantra, peu de temps avant le couronnement de Bohémond Phiiram – car la nouvelle était enfin parvenue au Zagazorn – apparaissait à la fois comme un acte géopolitique adéquat, et le moyen de s’assurer des ambitions de la future duchesse.

Pour cela, il fallait s’organiser. Harald avait déjà l’itinéraire, bien évidemment, mais il lui fallait organiser son entourage et sa protection, en plus des présents. Quelques gardes royaux – dont son fils – lui serviraient de garde rapprochée, en plus de plusieurs soldats – dont sa fille – qui devaient trouver un officier pour coordonner tout cela. Un nom lui fut proposé : Ararün Fiers-Marteaux.

Aussi l’avait-il convoqué dans une des salles du palais, qu’il avait fait préparer. Car un Dawi ne réfléchit ni ne discute jamais aussi bien que le ventre plein et la gorge exhalant la bière.

La salle préparée était plutôt sobre, mais ô combien chaleureuse pour un Dawi. Une épaisse table de bois aux cicatrices de couteaux bien prononcées, témoignant de bombances passées, invitant aux bombances futures ; des écuelles pleines de viandes fumées, saignantes, accompagnées de frongols succulents et de cucurbitacées savoureuses ; de la sauce présente en quantité ; des tonnelets de bières brunes, blondes et sombres. Il y’avait là de quoi discutailler durant des heures sans jamais avoir le gosier sec, ni l’estomac vide.

Harald appréciait la vue d’une telle table. Oh, ils ne seraient que deux, mais qu’importe la quantité : pourvu que l’entente fût cordiale et les conversations passionnantes, la rencontre serait des plus intéressantes pour Harald. Le nom d’Ararün Fiers-Marteaux était parvenu jusqu’aux oreilles de Harald à plusieurs reprises, pour des faits tous centrés sur les armes et le clan dont il était le thane.

Lorsqu’un garde vint l’avertir de la présence dudit thane dans un des couloirs du palais, Harald fit signe de faire venir l’invité. Lorsque ce dernier entra à son tour dans la petite salle de réception, Harald se leva et se déplaça, le rejoignant alors à l’entrée de la carrée.

« Baruk dawi ! Dit-il, gratifiant Ararün d’un accolade virile, témoignage courant chez les Nains d’une confiance présente et d’une entente naissante. « Bienvenue mon ami ! Viens, pose un joufflu à ma table ! Nous avons à discuter, mais, avant toute chose, il ne sert à rien de jacter le glissoir sec ! Prend donc une bière ! Tu m’en diras des nouvelles, elle vient tout droit du Brissalion ! » Dit-il, marquant avec fierté un gage de qualité car, bien que toutes les bières du Zagazorn soient d’une qualité surpassant toutes les autres de ce monde, celles du Brissalion étaient d’une autre classe encore. Il fallait dire que les principales céréales nécessaires à la réalisation des bières provenaient du Brissalion, prioritairement. « Comment vas-tu ? Comment se porte ton clan ? »

Ararün patientait dans cette grande salle d’où les préparations dignes d’un banquet s’y trouvaient. Il ne put pas se retenir de lorgner sur les mets présentés et de renifler les agréables effluves qui s’échappaient de la table, il se surprit même à laisser échapper un grognement en provenance de son estomac en signe d’appétit. «Harald sait recevoir, pour sûr ! J’espère bien qu’j’aurai à participer à cette tablée-là moi aussi ! Ahah»

Pendant qu’il échappait ses pensées à voix haute, le garde fit son retour et annonça l’arrivée imminente du Grand-Roi, le Thane Fiers-Marteaux reprit contenance et pivota en direction de la grande porte de laquelle s’extirpa enfin Harald Barbe-Sanglante, Grand-Roi du Zagazorn. Lorsqu’Harald lui offrit une accolade digne des salutations amicales naines, Ararün sourit et répondit. « Baruk Harald » joignant lui aussi le geste à la parole en gratifiant le Grand-Roi de la même accolade amicale et sincère avant de le suivre à la table pour s’y installer.

Une fois assit, Ararün se saisit d’une choppe de bière du Brissalion, comme lui avait conseillé Harald, et la leva en sa direction pour le remercier de l’invitation, buvant alors plusieurs gorgées franches avant de s’essuyer la mousse de sa barbe et de prendre la parole. « Eh bien, j’n’ai pas encore calanché c’est déjà une bonne chose ! » Dit-il en riant. « Les miens se portent bien, les travaux de reconstruction de la Grande-Loge n’avancent pas aussi vite que j’le souhaiterai, mais nous avons de quoi y vivre. Mes jeunes poilus s’entrainent correctement et seront bientôt des cognars opérationnels au service de Kirgan et du Zagazorn. » Il reprit alors une dernière gorgée avant de fixer le Grand-Roi, la pinte reposée sur la table et accoudé. « Et toi alors, Harald ? Tout va pour le mieux ? »

Harald ne l’avouerait sans doute jamais, ou peut-être seulement à moitié, mais ce petit banquet – par le nombre de goinfre et non par la quantité de nourriture disponible – lui faisait un bien fou. Brynhidl faisait pourtant son maximum pour remonter le moral du souverain, se montrant douce, attentionnée et présente à tous les instants. L’autre jour, elle vint même jusqu’à ramener le petit-déjeuner au lit du souverain ! C’est dire !

Mais l’activité du règne, ces derniers jours, n’était point des plus agréables, et tous les efforts de sa liée ne parvenaient point à ramener l’esprit de Harald jusque dans les tréfonds de Kirgan. Souvent, ces derniers temps, le Grand-Roi du Zagazorn était encore dans la crypte clanique, veillant le corps de son fils… Fredonnant quelques prières afin de le bénir.

Ici, en cet instant, ce banquet était une sorte de libération. Ararün était un guerrier auprès duquel Harald avait déjà combattu par le passé. Rustre, rude, bourru, apprécier la boustifaille en cette compagnie était un peu comme une parenthèse dans la vie bousculée et politique du souverain de tous les Nains. Et cela, quand bien même malgré le caractère justement politique de cette entrevue.

Apprendre les nouvelles de ce clan guerrier était aussi relativement rassurant. Les travaux dans les différentes Grandes Loges étaient, malheureusement, le lot de toutes celles et tous ceux qui décidèrent de vivre – ou de revivre – au cœur de la cité martyrisée. Quelques chanceux seulement purent établir leurs loges dans les premiers niveaux excavés, disposant alors de toute la place et la disponibilité de lieux redécouverts, recreusés… Ou complètement nouveaux.

« Bénis soient-ils ! » Dit alors Harald, levant sa chope à la santé des jeunes du clan Fiers-Marteaux qui, s’entraînant encore et encore, s’apprêtaient à devenir de véritables cognards forts et fiers. « Le Zagazorn à besoin de bras forts et fiers… Et des cognards, descendant des grands de Kirgan, sont toujours les bienvenus ! Et une véritable bénédiction d’Ikthor lui-même ! » Ajouta-t-il, un sourire en coin, reprenant ensuite de grandes goulées de bières afin de s’humecter la gorge. Son visage, soudainement, ce fit un peu plus grave, et ses sourcils broussailleux se firent froncés. « Eh bien… J’ai perdu mon fils ainé, Thorald, dans les combats dans la Nérania. Nous l’avons enterrés dans le Brissalion voilà quelques ennéades seulement… » Partagea-t-il, bien que la nouvelle n’était point un secret, évidemment. « D’autres combats sont à venir. Mais avant cela, je vais devoir me rendre en Péninsule. Et pour cela, je dois organiser le voyage, et mon entourage. J’aurais bien besoin d’un officier chevronné, par Ikthor ! »

La phrase, dite avec un ton curieux, avait pour but d’attiser la curiosité du fameux officier présent devant lui…

Le dawi profitait de l’instant présent, lui aussi, et bien qu’il ne laissait guère paraître ses sentiments en temps normal, il dégageait une impression de plaisir à peine dissimulé. Ararün en avait lui aussi grand besoin, non pas qu’il avait le cœur lourd à quoi que ce soit, mais bel et bien parce que ses responsabilités ne lui permettaient que trop peu de pareils évènements reposants.

Il faut dire qu’il n’avait guère cesser de travailler ces dernières énéades, sa fonction de capitaine de Kirgan l’envoyait bien souvent aux alentours de Kirgan afin de patrouiller et sécuriser les lieux si besoin, et tous les dawis savent à quel point le Septentrion peut être difficile, bien que la montagne donne aux nains, elle peut aisément reprendre ce qu’elle désire quand elle le souhaite. Quant à son clan et les derniers travaux, le Thane n’avait pas l’impression d’avancer dans la bonne direction, se sentant par moment démuni face à cette étrange sensation.

Les siens l’avaient pourtant jugé digne de ce rôle, mais l’était-il vraiment ? N’était-il pas meilleur un tranchoir à la main en première ligne, plutôt qu’a diriger tout un clan ? Il ne saurait répondre à ça et s’efforçait quand bien même d’être à la hauteur des attentes. Il avait ordonné la reprise des entraînements des plus jeunes et les poussait à se familiariser avec les alentours montagneux, mais aussi, fort de son expérience à Lante, à apprendre à se battre sur des terrains plus plats. Il avait aussi demandé que les travaux de la Grande-Loge reprennent au plus vite, afin de déblayer les pièces principales pour que les nains puissent y vivre. Tout cela le rongeait au plus profond de lui-même et cet instant, aux côté d’Harald était une véritable bulle de repos.

Ararün n’était pas connu pour être le plus civilisé et délicat des nains de Kirgan, mais c’était monnaie courante au sein du Zagazorn, sa barbe était pleine de mousse qu’il essuyait de temps en temps entre deux bouchées de volaille. Il écoutait cependant Harald avec grande attention, paré à répondre à chacune de ses questions. Quand vint le sujet du décès du fils d’Harald, Ararün répondit sur un ton respectueux. « Ton chagrin me peine, Harald, perdre son ainé est un moment douloureux… » Puis il leva sa choppe. « Mais ton fils, qu’les Dieux l’accueillent, était un grand cognar et digne de ses ancêtres. Qu’la Montagne le chérisse en son cœur. »

Il bu par la suite le restant de sa choppe et fut soudainement interpellé par les propos suivants d’Harald, sa tête se pencha brièvement sur le côté et ses sourcils se haussèrent. Il prit aussitôt la parole. « En Péninsule ? Allons Harald qu’as-tu à faire là-bas ? Hum ? » Il se pencha davantage vers l’avant, visiblement attirer par la curiosité. « Tu t’décides enfin à aller chercher la tête que l’on attend tous ? Si c’est l’cas, sache que j’suis ton poilu et si ces umgis t’ont mentit, je l’arracherai moi-même des épaules de ce chien pour te l'apporter. »

Son visage s’assombrit brusquement, le capitaine était connu pour sa nature belliqueuse et il semblait à cet instant bouillir d’une envie bagarreuse.

La sollicitude de l’officier Kirganais toucha le cœur du souverain qui, alors qu’il l’écoutait déclamer sa peine, et assurer de la bénédiction offerte par les dieux à l’ainé de la fratrie ayant d’ores-et-déjà rejoint la crypte clanique. En son for intérieur, Harald avait besoin de ce genre de réassurance…

Car sa situation était des plus dichotomiques. Le guerrier qu’il était, et qu’il avait toujours été, avait cru toute sa vie en Mogar, le Père de Tout. Plus que d’y croire, il suivait les enseignements d’une guerre brutale, totale et impitoyable, rejoignant les troupes d’élite de l’infanterie lourde Lantaise comme le restant de ses aïeux depuis des siècles et des siècles. La venue du Voile fut un tel bouleversement, que le capitaine d’infanterie lourde qu’il était se retrouva dans un véritable désarroi ésotérique, craignant le Père et vouant une colère vivace à son encontre pour toutes les souffrances imposées par ce Voile aux conséquences terribles. Mais, fort heureusement, les divinités envoyèrent Thorgrel Poing-de-Fer, lequel fut choisi par Ikthor lui-même pour devenir son fils sur ce continent. Ses enseignements et sa foi permirent à Harald de sortir de ce marasme, et l’officier qui, quelques dizaines d’années auparavant, massacrait les Wandrais sans distinction aucune d’âge, de sexe et de critère de menace, se mit à se battre avec honneur, faisant quartier à l’ennemi défait… Et retrouvant une figure tutélaire capable de le guider dans la guerre comme dans la vie. Le récent sacrifice du Fils du Puissant, le Gormisson, face au Grand Vers Noir du Nord, fut l’ultime acte de l’avatar sur cette terre, et un signe du Demi-Dieu lui-même.

Dichotomie donc, car, face à toute cette vie de guerres, de combats intérieurs et d’affrontements physiques, d’épreuves ésotériques, de démonstrations d’honneur et de ces choses, comportements et actes qui composent la personnalité ancrée, raciale, de tous les Dawi, d’aucun assurerait qu’Harald possède d’ores-et-déjà sa place dans le Monde du Dessous, le Mogankordum. Or, les derniers évènements eurent la cruauté de lui faire croire au contraire…

Les reproches de Bräahm Main-Ferme, d’abord, commencèrent à éroder la carapace de confiance du souverain. L’ancien Mogarite Lantais aurait, à une autre époque, reçu l’incident géopolitique de Langehack comme une insulte telle, qu’elle aurait nécessité une guerre totale, impitoyable, et l’anéantissement pur et simple d’une race toute entière. Et pourtant, Harald fut un des artisans – forcé mais il n’aurait pas pu faire d’autres choix – d’une paix maintenue et de compromis réalisés… Une première dans l’histoire Naine. Et aujourd’hui, une partie de la population du Zagazorn – infime certes mais présente quand même – en voulait à son souverain pour cette gestion qui, selon eux, avait manqué de tact.

Les propos du Mogarite banni Nimir le Rouge ensuite, achevèrent de détruire un pan de cette muraille de confiance que possédait Harald fut un temps. Si la décision de bannir ce prêtre Mogarite déchu ne faisait pas l’ombre d’un doute au vu de la situation ésotérique et politique du Zagazorn, les propos de ce dernier retentirent dans la caboche du souverain durant de trop nombreuses ennéades. Que dirait-il lorsque viendra le jour de rejoindre le Mogankordum ? Que ferait-il une fois à la table des divinités, toujours présidée par le Père de Tout ?

Alors, penser à l’idée que son fils avait bel et bien été accueilli auprès des ancêtres, des aïeux et des divinités dans le Mogankordum, était… Rassurant. Car alors, les doutes qui assaillent le cœur et l’esprit du Groman-Rik n’ont en rien influencé le sort de son ainé. Un réconfort en soi.

« Tes paroles me vont droit au cœur, mon ami. » Dit-il, levant à nouveau sa chopine pour descendre d’un trait la moitié de breuvage qui lui restait. Après quoi, il vint à se resservir, agrippant également une belle tranche de saucisson par l’estoc de son tranchoir. « Les dieux savent à quel point il peut être difficile d’être le Groman-Rik de notre peuple… Savoir mon fils béni par les dieux et les ancêtres, cela me rassure. Merci, mon ami. »

Se jetant avec avidité sur une tranche de pain épaisse débordant de terrine et de rillettes tout en lorgnant sur la prochaine purée de pomme-de-terre aux frongols qui se trouvait non loin, le souverain ne pu contenir un rire qui aurait presque pu lui faire sortir la bière par le tarin.

« Je sais cette tête tranchée. Je n’ai pas tué ce mal-fait moi-même contrairement à nos accords avec ces êtres mortels, mais je compte bien obtenir justice un jour ou l’autre. » Dit-il, pensant, en effet, que sa demande n’avait pas été honorée alors qu’Athanase de Cley était parfaitement au courant de cette demande. « Non, ce n’est pas pour cela. J’ai plusieurs choses à faire en Péninsule. Connais-tu Louise de Fernel ? » Demandait-il, conscient qu’en tant que Kirganais, Ararün avait sans aucun doute entendu parler d’elle pour l’avoir vu lors des festivités du Serment de Fidélité, en plus de l’avoir vu arriver lors de la mission diplomatique. « Elle et le Duc d’Erac vont se jurer fidélité tantôt. Glumtol et moi-même nous y rendons, car je dois m’entretenir avec celle qui fut l’outil de cette paix… Mais aussi un outil utilisé par les Humains. Et, après cela… Un sommet nous attend. » Dit-il, avant de poursuivre. « Un sommet des couronnes. Le Grand-Roi des Elfes, le Roy Péninsulaire et moi-même allons nous rencontrer sur l’Oliya afin de mettre les choses au clair. J’aurais besoin de toi afin de diriger ma garde et les effectifs Nains durant ce périple. »

Une mission honorifique en soi, mais difficile pour un Nain aussi autarcique et chauvin qu’Ararün.

Ararün ne put imaginer la peine qu’endurait Harald, lui qui n’avait pas d’enfant, mais il sembla la ressentir, même si ce n’était qu’une infime partie et son cœur se serra un bref instant lorsqu’il s’imagina être à la place du paternel enterrant son aîné. Voir son Grand-Roi ainsi bouleversé ne semblait guère lui plaire et savoir que certains autres dawis pouvaient en ce moment- même le remettre en cause par ses décisions, certes discutables, l’enrageait, lui qui malgré son opposition aux négociations restait fidèle à la couronne du Zagazorn.

En se servant une autre pinte de bière, Ararün rassura Harald sur certains propos. « J’suis conscient que c’est pas chose facile que d’être le porteur de la couronne, mais si certains dawis te remettent en question tu peux être sûr qu’la majorité des autres poilus t’es loyale. On a pas forcément tous apprécié les résultats d’cette histoire avec les mal faits, mais quand l’Grand-Roi parle, nous autres on doit écouter et suivre, c’est comme ça qu’marche le Zagazorn et qu’il marchera toujours, rassures-toi. Et j’doute pas qu’t’auras la justice qu’on mérite tous ici, car la montagne gronde et t’sais à quel point elle peut rapidement éclater.»

Il reprit alors une longue gorgée de bière et s’essuya la barbe du peu de mousse accrochée à sa barbe avant, lui aussi, de piocher dans les mets présents, attrapant un morceau de viande séchée qui lui faisait envie.

« Pour sur que j’la connais, pas personnellement, mais j’ai entendu parler d’cette umgi qui peut venir sur nos terres. T’es invité à son serment de fidélité ? Mmh… » Il grimaça légèrement à cette idée et reprit aussitôt. « T’es sûr qu’c’est pas encore une d’leur foutue manigances pour t’causer du tort ? T'as confiance en ces gens-là ? » Ararün ne pouvait réprimer sa méfiance envers les autres peuples, mais il savait que certaines subtilités, qui appartiennent à la diplomatie, pouvaient lui échapper.

« Ecoute, c’est un honneur que tu m’fais de me demander ça et t’peux compter sur moi pour ce voyage, mais à la moindre embrouilleries d’la part d’un de ces gens et si j’sens que t’risques d’y calancher, j’ferai pas de manière. Roi des Elfes ou tout autre pignouf qu’ça peut-être, j’lui décroche la caboche à grand coup d’tranchoir. » Il fixa alors Harald sur un ton entendu comme une promesse faite en silence.

Enfin, il s’apaisa aussitôt et se remit à boire et manger avant de laisser échapper un rire gras qui trancha avec son sérieux de quelques instants avant.

« En revanche, par mes ancêtres, m’demande pas d’leur faire des courbettes ou tout autre courtoisie, déjà que j’vais rien comprendre à leurs palabres inutiles, si en plus j’dois faire comme leur lèches-bottes plutôt m’couper la barbe ! »

Le soutien d’Ararün était en effet plus que bien venu, quand bien même il n’était qu’un soutien de plus parmi une longue liste. Mais, quand bien même la liste était longue… Peu avaient eu à la fois l’éloquence et la franchise directe et sans fioriture de l’officier montagnard. Et, d’ailleurs, ses propos étaient dignes des nains les plus fiers et les plus rustres.

Fier Dawi, Ararün incarnait là toutes les qualités du peuple des montagnes. Un honneur poussé à son paroxysme, une fidélité sans faille, et cette capacité à faire montre d’une unité indéfectible, unique et totale. En ces quelques phrases, Ararün avait été plus qu’exemplaire.

« Merci, mon ami. Je suis fort heureux d’entendre tes mots. Et en ce petit festin, je ne pouvais pas mieux rêver ! Fort heureusement, ils sont peu nombreux ceux qui seraient capable d’intenter quoi que ce soit contre ma décision. Mais ils existent tout de même… Peut-être les divinités me montreront bientôt que j’avais raison… »

D’ailleurs, pour continuer dans le cliché du Dawi chauvin, fort et fier, rustre et direct, sans détours ni fioritures, Ararün continue en réagissant sur les propos de Harald quant au mariage de Louise et Renaud… Et à la rencontre des couronnes. Cela arracha un sourire et un rire au souverain, qui leva sa chopine, buvant au fait que lui non plus ne pourrait faire de courbettes ni avoir totalement confiance.

« L’fait d’être invité par Louise, est purement politique. Et le fait que je m’y rende, l’est tout autant. Ce qu’il s’est passé a faillit déclencher une guerre entre nos deux royaumes et, les dieux m’en soient témoins, elle aurait été trop couteuse en vies naines… Nous n’aurions tout simplement pas pu faire face. Les Umgis sont moins bons, moins bien armés, moins formés que nous… Mais ils poussent comme des champignons, et un seul de leur guerrier ne demande qu’une dizaine d’année de formation… Un cognard, lui, demande près d’un demi-siècle pour être formé… Et tu sais très bien que notre peuple n’est pas connu pour sa fertilité. » Dit Harald, assénant bien des informations à son vis-à-vis qui, bien que guerrier, n’était point des plus impliqués politiquement parlant. « Non, mon ami, il n’est ni question de courbettes, ni de provoquer un nouvel incident diplomatique. Malheureusement, aucun autre peuple que le nôtre n’a eu à pleurer plus de la moitié de sa population lors du Voile… Aussi, nous devons nous montrer diligent. » Des propos que Harald n’aurait jamais tenu par le passé… Encore moins lorsqu’il ne jurait que par la violence, et le père de tout. « Et si je n’ai aucune confiance en les Umgis, je sais qu’ils ne veulent pas de guerre non plus… Ils marcheront sur des œufs. Puis-je compte sur toi ? »

La politique était pour Ararün, semblable aux terres gelées du Septentrion, nébuleuse et mystérieuse, mais aussi dangereuse et impitoyable, c’était tout ce qu’il comprenait de cet exercice et ne souhaitait pas pour autant s’y frottait, à la différence des grandes montagnes du Nord. Harald quant à lui avait décidé de s’y risquer par son statut de Grand-Roi et il dégageait une sensation de lassitude ou d’anxiété par instant lorsqu’il discutait avec le Fiers-Marteaux.

Fallait-il vraiment faire autant d’efforts auprès de Louise et de la Péninsule ? Si Ararün devait répondre, pour lui ce serait un non catégorique, mais Harald pensait autrement et sa décision était finale et indiscutable, ainsi le dawi ne reviendrait pas sur ce choix-là.
Ce qui cependant le dérangeait un peu plus était au sujet de la guerre, il la savait couteuse et comprenait une part des arguments avancés par son Grand-Roi, néanmoins il prit le temps d’une courte réflexion comme pour s’assurer d’avoir bien assimilés les propos d’Harald et rétorqua.

« Ça veut dire quoi ça Harald ? Hum ? Tu sous-entends qu’les autres peuples peuvent nous insulter d’la sorte et que jamais nous leur ferons payer ? J’comprends bien qu’c’est cher la guerre et qu’les Umgis pullulent comme d’la vermine, mais j’pense pas que s’laisser marcher sur les panards d’la sorte soit toujours la solution, parce que si on laisse faire encore et encore… ça sera la porte ouverte à toute autre insulte d’leur part et même des autres peuples. » Ses propos pouvaient être virulent, mais c’était la une franchise tout à fait ordinaire pour les dawis, ainsi il continua. « J’te suis loyal, pour sûr, mes cognards le sont tout autant, mais rassure moi qu’tu manques pas d’couilleries à ce sujet là et qu’la prochaine insulte qui sera faite au Zagazorn sera durement payée. » Il fixa alors Harald, semblant chercher à être rassuré à son tour.

Quand vint le sujet du Voile, le visage d’Ararün s’assombrit quelque peu et les souvenirs de ces évènements semblèrent planer de nouveau sur sa tête. Il hocha gravement la tête et ne rétorqua pas davantage comme pour ne pas s’éterniser sur ce sujet.

« Pour sûr qu’tu peux compter sur moi Harald ! » il tapa sa lourde destre à plat sur la table comme pour marquer ses propos, laissant voir ainsi la chevalière qu’ornait sa main aux symboles de son clan. « J’ferai jamais faux bond à un appel du Grand-Roi et du Zagazorn, j’préfèrerai calancher qu’faire ça ! » Il se saisit alors de sa bière et la termina d’une traite. « Dis moi juste d’quoi t’as besoin et comment t’envisages les choses, car moi, j’connais rien d’rien sur où on se rend, par la suite, moi, j’envisagerai avec les cognards qui nous accompagneront et tous fileront au pas, t’auras rien à craindre d’un incident venant d’notre part, sur mon honneur. »

Les propos de l’officier Kirganais étaient rudes, mais néanmoins dotés d’une sincérité exemplaire des Dawis. Au cœur du Grand Nord, rien n’était plus important que la sincérité, l’honnêteté, et, parfois, la cruelle et brutale vérité. Mentir n’était jamais bien vu, ici. Et Ararün, aujourd’hui, rendait hommage à ses ancêtres en parlant à cœur ouvert et en indiquant à Harald la profondeur de ses pensées, et l’étendue de ses craintes.

Entendre d’ailleurs ces mots, que sont la faiblesse, le fait de ne pas pouvoir ni vouloir défendre le Zagazorn, firent presque s’étrangler le souverain sur sa bière. Au lieu de cela, Harald la bu cul sec, d’un trait, avant de frapper le culot de sa pinte sur la pierre de sa tablée dans un bruit cristallin qui manqua de faire croire à la casse du contenant. Il gronda tel un Beärog mal léché, et reprit une épaisse tranche d’une charcuterie ô combien délicieuse.

« Neh, neh ! » Eructait-il. « Il est hors de question que qui que ce soit se sente pousser des ailes, et tente quoi que ce soit contre nous ! Neh, tu m’entends ?! » Assommait-il, frappant cette fois son poing sur la table comme pour prouver son argument. « Il n’est pas question de coût, mais de vies. Si nous avions nos armées d’antan, si nous avions toujours 200 000 cognards, nous aurions roulé sur ces foutus Umgis, jusqu’au beau milieu de Langehack ! Mais voilà, nous n’avons plus 200 000 cognards, par Ikthor ! » Dit-il dans une grimace déformant son visage sous la colère. « Mais, par Ikthor, mes ancêtres et tous les dieux… Le prochain qui tente quoi que ce soit contre mon peuple, je le tuerais moi-même ! »

Sitôt, il place sa pinte sous le tonnelet mit en perce plus tôt, et rempli tout le récipient d’une traite avant de le porter à sa barbe, embibant ses poils de mousse et déglutissant de grandes gorgées de ce doux breuvage.

« Je m’occupe d’organiser ce voyage, mais toi, je te charge de prendre cent de nos meilleurs guerriers parmi ceux de Kirgan et de Lante. Dix gardes royaux, dont mes enfants, nous accompagneront Glumtol et moi. Tu es le capitaine que j’ai choisi pour la sécurité de ces rencontres. »

Ararün sentit la colère monter dans le cœur d’Harald, ses propos l’avaient assurément piqué au vif, mais il n’était pas question de l’insulter mais de s’assurer que son ami et dirigeant ne s’était pas perdu dans des enjeux politiques qui l’avaient changé. Après tout, il était le Grand-Roi et le dirigeant du Zagazorn, ce n’était pas simple, mais il se devait d’être conscient qu’il était le meneur d’un peuple dont la fierté et l’honneur étaient les piliers de leur société.

Lorsqu’Harald frappa sur la table et exprima sa colère, Ararün baissa la tête, non pas en signe de peur, mais davantage comme une soumission respectueuse devant l’impétuosité de son chef. Il avait entendu ce qu’il voulait de la bouche d’Harald et ça lui était suffisant, il ne voyait pas la peine de remettre en doute cette parole là -et ça serait d’ailleurs insulter son roi que de le faire – et hocha simplement la tête en guise de réponse.

Lui aussi prit un morceau de charcuterie lorsqu’Harald lui expliqua les conditions de ce voyage et rétorqua aussitôt. « Ça sera fait comme tu l’entends Harald, compte sur moi. J’connais de bon cognards qui feront l’affaire et ça sera aussi l’moyen de les récompenser d’leur loyauté et d’leur courage. T’en fait pas, avec ceux qui t’accompagneront, toute la péninsule pourra vouloir nous voir calancher qu’on les repoussera sans difficulté dans les jupons d’leur maternelle ! »

Il leva ensuite sa bière à la santé d’Harald et la claqua à son tour sur la table en signe de plaisir.