On est loin de chez nous... [Alicia]

Oglicos, Veme ennéade de Favriüs, An XX, Cycle XI
Les soieries, Thaar, Ithri’Vaan

Maralina jeta un coup d'œil à la jeune fille qui respirait difficilement. Son buste remontait difficilement avant de s'affaisser alors qu’elle laissait s’échapper un sifflement. Ses yeux, même fermés, maintenant bleutés et gonflés, semblaient avoir une larme qui perlait sans arrêt, preuve que la jeune fille d’à peine vingt ans souffrait atrocement. Son visage était maintenant difforme, alors que son corps, couverts d’innombrables plaies ne laissaient guère place à l’imagination quant aux traitements qu’elle avait eu. Et apparemment, cela n’était guère la première fois qu’un tel accident se produisait. Mais ses miliciens ne réussissaient jamais à mettre la main au collet du coupable, un certain pirate que l’on surnommait le Rohvenka. Du moins, jusqu’à maintenant.



Les mires bleutés de la Princesse Marchande fixaient la fille de joie qui gémissa de nouveau. Son visage était peut-être de marbre, mais ses yeux semblaient brûlés d’une colère sourde, presque meurtrière. Silencieuse, elle l’observa pendant quelques secondes avant de finalement adresser la parole au gérant des lieux ; « Cela fait combien de temps qu’elle est ainsi ? » Le gérant, un homme bedonnant dans la quarantaine, habillé d’un pourpoint doré et d'innombrables bijoux dorés. Il s’avança d’un pas, osant se mettre à la même hauteur que sa patronne avant de se racler la gorge, prenant la parole avec une voix qui trahissait sa nervosité ; « Deux jours, Votre Majesté. » Le regard de la princesse marchande devint acéré alors que ses mires se posèrent sur le gérant de son établissement, portant finalement son attention sur l’homme. « Deux jours… » Répéta-t-elle alors que son ton devint de plus en plus glacial. « Oui, de….Deux jours. On lui a donné les meilleurs traitements que l’on pouvait. Mais ça ne marche pas, il faut croire… » Bulbitina-t-il avant d’avoir un rire nerveux. Il avala difficilement sa salive, avant d’enlever son ridicule turban orné d’une plume de Qeslac. Puis il reprit la parole ; « Il va nous falloir une nouvelle fille…»



Soudainement, la main finement manucurée de la Princesse s’empara du col du pourpoint de l’homme, le forçant à avancer son visage à un souffle du sien. « Imbécile… » Siffla-t-elle, alors que son regard colérique s’accrochait au sien. « C’est à se demander pourquoi tu prends soin de mes affaires. » Elle le relâcha finalement avant qu’un des miliciens n’attrape le gérant par le bras, l’entraînant vers la porte. Maralina se retourna vers l’une des prostituées qui se tenaient près de celle qui respirait difficilement. « Va au temple de Néera. Trouve-moi un mage. Dépêche-toi ! » Sans attendre, la fille de joie hocha la tête avant de se précipiter vers la sortie. La princesse se tourna vers Khaled, « Trouve moi un nouveau gérant. Qui comprend comment l’on fait des affaires. Sans nos filles, nous ne sommes rien et si on laisse quelques déchets s’en prendre à elle sans aucune sécurité, aucune ne viendra travailler pour nous. » L’elfe hocha rapidement de la tête, approuvant les dires de la princesse. « Et laisse son corps dans la rue. Que les gens sachent ce qu’il arrive lorsque l’on menace les affaires de Maralina Irohivrah… Personne ne s’attaque à mes filles sans être puni… Peu importe qui ils soient… » Khaled resta silencieux un moment, hésitant à poser la question qui lui brûlait les lèvres.



« Le pirate ou le gérant ? »
« Le gérant, idiot ! Je m’occuperais du pirate moi-même. »



L’elfe hocha rapidement la tête, avant de faire quelques pas vers l’arrière, se disant que valait mieux ne pas chercher trop la colère de la Princesse de la Chair. Depuis le meurtre de son mari, cette dernière avait souvent des réactions explosives, qui s’avéraient dangereuses…


Cela prit de longues minutes avant qu’une jeune fille et un prêtre ne fit finalement son entrée dans la pièce. Ce fut Khaleb qui prit la parole, les accueillants en oliyan;
« Merci d’être arrivé aussi vite. Pourriez-vous vous occuper rapidement de notre employée ? Je crois que cette dernière ne soit restée trop longtemps sans soin… »


Si au départ le temps que les deux individus avaient prit pour arriver l’avait ennuyée, la jeune femme attira particulièrement son attention. Elle avait un air familier, et juste par sa façon d’être, la reine de la chair savait qu’elle n’était pas vaanie. Maralina se mit à marcher, se mettant de l’autre côté du lit pour faire face aux deux individus qui s’occupaient de son employée, son regard semblant presque sans émotion, fixée sur la jeune femme. « On est loin de chez nous… » Lui dit-elle en péninsulaire…

J'en suis encore à me demander si je n'ai rien oublié lorsque nous arrivons sur place. Discrètement, par l'accès arrière. Cela tranche drastiquement avec les rues que nous venons de quitter. Si l'endroit est propre, la décoration ici est bien plus sommaire que celle des allées soigneusement pavés pour aller et venir entre des maisons toutes plus grandes et somptueuses les unes que les autres. J'en avais du mal à détacher mon regard de tout ce faste qui faisait presque trop en comparaison de la beauté minimaliste du Temple dans lequel nous logeons depuis notre arrivée. J'ai beau faire partie de la proche famille d'un Comte, je n'ai encore jamais vu autant de soie et d'or sur les personne que je croise et du marbre à même les façades des bâtiments.
Ici, l'ambiance est très différente. Il n'y a pratiquement que des femmes et elles nous toisent tantôt avec un air de méfiance, tantôt avec un regard curieux, et parfois avec une supplique dans les yeux. Certaines sont vêtues richement mais sont si peu couvertes que je m'en vois rougir. Pourtant, elles franchissent une porte qui semble déboucher sur un endroit plus animer que ce qui ressemble à une sorte de coulisses. Où sommes-nous ?

Troublée, je ne pose cependant pas la question et je suis le Père Natael, visiblement insensible à ce qui nous entoure. Il a ce même regard lorsqu'il est concentré sur les soins qu'il doit réaliser. Il m'a prévenu de ne rien demander jusqu'à ce que nous soyons rentrés. Mais il tenait à ce que ce soit moi qui l'accompagne, et ce malgré le fait que je sois flanquée d'une canne à chaque main.
Notre guide nous ouvre finalement une porte et nous semblons être arrivé. Il règne dans la pièce une odeur que je sais reconnaître désormais. Natael se précipite vers la jeune femme alitée dans un mot, prenant d'entrée de jeu la main suppliante qu'elle tend vers lui. Un genou à terre, il ferme les yeux et plonge sa main libre sous le col de son haut pour en extraire le pendentif en forme de calice d'or ailé que j'ai déjà vu pendre à son cou. Je crois qu'il s'en sert pour mieux appeler la DameDieu.
De mon côté, j'ai voulu en faire autant mais mes pas se sont soudainement arrêtés en voyant la pauvre fille. Je suis sous le choc, incapable de bouger ou de me ressaisir. Il me faut quelques instants avant de réaliser qu'une voix s'adresse à moi. L'air hagard, je me retourne finalement vers une dame à l'allure fière et froide.

-Pardon ? Je réponds par réflexe, sans même réalisé qu'elle m'a parlée dans ma langue.
-Alicia, concentre-toi. Tone le religieux, déjà pleinement à sa tâche.
-Oui, mon Père.

J'achève de le rejoindre, me postant de l'autre côté du lit. Je pose le sac que je porte en bandoulière sur la couche avant de m'y installer à mon tour, laissant mes cannes couchées à même le sol. Il me sera nettement moins pratique de faire mon ouvrage ici qu'au Temple où la table de soins est à ma hauteur mais je devrais faire avec.

-J'apaise ses maux tout en l'examinant. Je m'occupe des lésions internes. Commence à nettoyer et désinfecter ses plaies. Puis tu t'occuperas des hématomes.

Il est froid et factuel mais je sais que c'est à cause de sa concentration. La répartition des tâches est très logiques et j'ai besoin d'une ligne conductrice pour savoir ce que j'ai à faire dans une telle situation. La pauvre a véritablement l'air de souffrir. Même ses respirations semblent douloureuses.
Déjà, je fouille dans mon sac en me demandant si j'ai pris assez de linges propres et de compresses... Sans doute pas. Ou pas pour les deux étapes que nécessitent les plaies. Alors, après une hésitation, je reporte mon regard sur la femme de tout à l'heure. Et je m'adresse à elle avec ma douceur et ma délicatesse naturelle.

-Il me faudrait des linges propres et de l'eau claire. En quantité...

Il y a tellement de sang partout... Séché pour la majeure partie. Il me faudra plus qu'une bassine pour tout enlever correctement.

Elle ne perdait jamais. Soit elle gagnait, soit elle apprenait. Ce qui expliquait peut-être pourquoi elle avait atteint le sommet de Thaar. Aucune autre créature ne semblait autant respectée, autant crainte que la Reine de la chair. Et le fait qu’une vermine vienne essayer d’affecter son succès la dérangeait autant. Ses filles avaient toujours été bien traitées, presque comme de la royauté à vrai dire. Elles vivaient toutes dans le luxe, avaient accès au meilleur docteur, à un sentiment de sécurité. Mais avec ce seul événement, la princesse avait failli, et cela ne se reproduirait pas de nouveau. La Vaanie s'accota contre l’un des murs, laissant assez de place aux deux guérisseurs alors qu’elle observait avec attention ce qu’ils faisaient. Il fallait qu’elle vive. Il n’y avait pas d’autres possibilités, pas d’autres fins qui seraient acceptables. Au moins, le prêtre semblait l’avoir compris assez rapidement, car à peine arrivé, il s’était précipité sur la pauvre fille ensanglantée. La Princesse ne manqua rien de l’échange se mettant même à marcher de long en large, non sans observer avec intensité les deux humains qui tentaient tant bien que mal de sauver la jeune fille. Puis, la Vaanie s’arrêta net alors que l’humaine lui adressait finalement la parole. Maralina haussa un sourcil alors qu’un sourire amusé vint se poser sur ses lèvres. Elle demandait à elle de lui amener le nécessaire ? C’est qu’elle avait du culot la mignonne. La Princesse pencha sa tête sur le côté, observant la péninsulaire pendant quelques secondes. Ce fut Khaled qui prit la parole ;


« Tu oses donner un ordre à la Princesse d’Uldal’Rhiz? » Son péninsulaire fit crisser les dents de la jeune femme. Il était brisé, presque incompréhensible. « On devrait te… »


« Tais-toi ! » Siffle la Princesse Marchande en oliyan. Voyant l’air ennuyée de la Vaanie, l’elfe sembla vouloir se décomposer, comme s'il avait fait quelque chose d’horrible. Maralina sembla reprendre son calme, avant de s’adosser à nouveau contre l’un des murs, les bras croisés. Elle observa la jeune femme pendant quelques seconde avant de faire signe à une des courtisanes qui attendaient nerveusement dans l’un des coins de la pièce. « Va chercher une nouvelle bassine d’eau clair et des linges en quantités. Tu devras la changer aussitôt qu’elle te le demandera. » La courtisane inclina rapidement la tête devant la princesse de la chair, avant de jeter un dernier regard à sa consœur, l’air inquiète. « Je me dépêcherais si j’étais toi… » Elle n’eut guère besoin d’en dire plus. La courtisane tourna rapidement les talons avant de sortir de la pièce.


Un silence s’imposa dans la chambrette alors que la Princesse Marchande portait son regard sur la jeune femme blessée. Ses bras se croisèrent sur sa taille, alors qu’elle observait les blessures, les sourcils froncés. Définitivement, le pirate n’y était pas allé de main morte. Puis sans jeter un regard au religieux, la vaanie s’adressa finalement à ce dernier ; « Pourrez-vous la remettre rapidement sur pied ? » Les prunelles bleutés se posèrent de nouveau sur l’homme à genou près de la blessée, le dévorant presque du regard. Il fallait que la jeune femme survive. Maralina ne laisserait jamais une de ses filles mourir ainsi et si l’homme ne pouvait pas lui venir en aide, elle trouverait quelqu’un d’autres qui le pourrait.

-Je...

Aucun autre mot ne parvient  sortir de ma bouche. Je suis simplement stupéfaite. Qu'est-il en train de se passer ? Je n'ai pas donné d'ordres... J'ai simplement exprimé mon besoin. Je n'ai pas manqué de courtoisie. Et puis, j'ai parlé à la seule personne qui m'ait adressé la parole ici. Je ne suis pas habituée à m'adresser aux serviteurs, si ce n'est aux miens... Qui que soit cette dame, je n'ai pas pensé au fait que son rang soit trop élevé pour que je n'ai pas le droit de lui parler. D'autant qu'elle a tenté d'engager la conversation tout à l'heure. Mais je passe sans doute pour une simple apprentie sans titre ni rang... Je ne porte pas mes toilettes habituelles, ni de bijoux et mes cheveux sont attachés par un simple morceau de tissu qui ceint ma tête en guise de bandeau. Evidemment que je n'avais pas le droit de m'adresser à celle qui est la plus richement habillée de la pièce. Cependant, je ne réalise tout cela qu'après de longues secondes durant lesquelles je regarde l'homme d'un air béa, de même que l'échange qui s'en suit.

Est-ce vraiment une Princesse ?!

Lorsqu'une servante de la Dame sort d'un pas pressé, je me détourne enfin de la scène qui se jouait devant moi pour reporter mon attention sur la pauvre jeune femme qui gît sur son lit. Je ne peux que compatir... Je sais ce que c'est que de souffrir au point de croire que cela ne s'arrêtera jamais... Prenant appui sur le lit, je m'assois sur le matelas. Je prends sa main que je serre doucement puis, d'un doigt délicat, je viens écarter les mèches de cheveux que la sueur et le sang ont collé sur son visage. Malgré les bleus, les bosses et les plaies, je devine qu'elle est très jolie. Qui a bien pu lui faire cela ?

La question de la Princesse tonne dans l'air mais le Père Natael ne semble pas impressionné le moins du monde. Il lève un regard entre interrogation et désapprobation vers la maîtresse des lieux puis retourne à sa tâche.

-La question est surtout de savoir si nous arriverons à la sauver. Elle est restée dans cet état trop longtemps... Dit-il tout en continuant à apposer les mains sur elle, passant de son ventre à ses côtes. Il y a plusieurs fractures... Des organes endommagés... Un trauma crânien... Je vais soigner le plus urgent mais pas forcément ce qui est le plus douloureux pour elle. Et ça ne se fera pas en un jour.

Tandis qu'il explique tout cela, on m'apporte une bassine d'eau claire et une pile de linges que l'on pose sur la petite table basse près de la tête de lit. Dans un olyian un peu précaire accompagné de gestes, je parviens faire comprendre à ce que je suppose être une servante que j'aurais besoin qu'elle rapproche le meuble de moi, chose que je ne peux faire moi-même... Ceci fait, je m'arme aussitôt d'un bout de tissu que je trempe dans l'eau avant de l'essorer grossièrement et de commencer à laver la patiente. C'est la première fois que je suis confrontée à cette situation... La première fois que je sens Tyra penchée sur moi, regardant par dessus mon épaule. Je suis mal à l'aise... Mais j'essaie de me concentrer sur ce que j'ai à faire pour tenter -vainement- d'oublier cette sensation étrange qui pèse sur moi.

La tension était plus que palpable dans la petite chambrette. Il fallait dire que l’heure était relativement grave, et le temps n’était pas de leur côté pour sauver la jeune courtisane. Ce qui agaça particulièrement la Princesse d’Uldal’Rhiz. S’attaquer ainsi à une de ses filles… C’était une attaque directement contre elle, surtout que cet établissement était le sien. Laissez quelqu’un perpétrer un coup aussi horrible sur une jeune femme n’attirerait pas la clientèle ou de nouvelle prostituée. C’était un établissement renommé, forcément que de tels événement s’ébruiteraient et jouerait sur l’influence qu’avait la Princesse d’Uldal’Rhiz, et cela, elle ne pouvait le permettre. Le prêtre de Néera la sortit finalement de ses pensées avant de lui répondre d’un air sec. La princesse émit un claquement de langue qui sembla résonner dans la pièce. Cachant assez mal sa colère. « Peut-être devriez-vous me dire quelque chose dont je n’étais pas au courant… » Si la réplique du prêtre l’avait agacé, ce n'était rien à comparé de ce que son second lui dit…


« Ne vous inquiétez pas… Tout se passera bien. » Le regard colérique de la Princesse Marchande se retourna vers son second. On aurait dit que ce dernier tentait réellement de la sortir hors de ses gonds aujourd’hui. « Fais en sorte que celui qui a commis ses actes soit prêt pour ma visite. » Khaled acquiesça, mais sans bouger, se demandant s’il devait y aller maintenant ou attendre. Puis voyant le regard rageur de la Vaanie, ce dernier sortit rapidement de la pièce, évitant volontairement le regard de sa patronne. La courtisane revint finalement avec les linges qu’avait demandés la péninsulaire. Elle s’approcha d’un pas discret avant de déposer le plateau à côté de la jeune femme, lui demandant par la même occasion si elle avait besoin de quoique se soit d’autres. Une fois que cela fut fait, elle retourna rapidement aux côtés de la Princesse Marchande, attendant patiemment que le guérisseur ait fini la première étape.

Le Père Natael est trop concentré pour réagir à la remarque de la Princesse. Elle lui a demandé s'il pourrait la soigner rapidement, il voulait lui faire comprendre qu'elle lui demandait l'impossible et, qu'avant toute chose, il devait essayer de faire en sorte qu'elle survive. Au lieu de répondre à la maîtresse de maison, il porte la main jusqu'au front de la jeune femme et pose son pouce entre ses sourcils.

-Dors...

Lentement, elle s'arrête de trembler et de gémir. Son corps s'immobilise et se détend puis ses yeux se ferment... Un peu surprise par la manifestation physique de cette manœuvre, je me suis arrêtée pour regarder la patiente sombrer peu à peu dans le sommeil. Je crois comprendre pourquoi il a fait cela... Elle a tellement de blessures que les soulager serait difficile... Sans compter que la priorité doit aller aux dommages les plus graves. L'endormir lui demandera moins d'énergie, une énergie qu'il peut consacrer à autre chose.

Le temps s'écoule pendant lequel nous travaillons tous deux. Moi à laver les plaies, lui à sonder son corps et à réparer ce qu'il est urgent de réparer. Je ne sais plus combien de fois j'ai fait changer l'eau... Au début, c'était seulement parce que, même en me contentent d'enlever le plus gros, j'avais l'impression d'étaler le sang plus qu'autre chose... Mais à la fin, c'était pour m'assurer de la rendre aussi propre que possible avant de poser les bandages.
Son visage est l'étape la plus délicate... Les blessures y sont multiples. J'ai tout nettoyé et appliqué un cataplasme sur les plaies et un onguent sur les bosses. J'ai bandé ce que j'ai pu, surtout avec ses longs cheveux encore mouillés par la toilette que je viens de lui faire.

Malgré le temps que tout cela m'a pris, je termine avant Natael. Je le regarde faire un petit moment et je le sens fatigué. Il a retiré sa veste quelques gouttes de sueur perlent sur son front. Il prend parfois un linge pour s'essuyer avant de reprendre. Je le trouve vaillant... Et réellement dévoué à sa cause.
Je le laisse néanmoins, reprenant mes cannes pour quitter la pièce. Dans le couloir, j'attire quelques regards avec ma robe tachetée de sang par endroit mais je les ignore. Je trouve plutôt de quoi m'asseoir et m'y laisse tomber. Je pose mes orthèses puis... plonge mon visage dans mes mains. J'ai fait de mon mieux jusque là mais ce qu'il se passe dans cette chambre est très éprouvant. Cette femme a été violentée avec force et acharnement. Elle a tellement souffert jusque là, comment quelqu'un a-t-il pu lui faire une telle chose ? J'en suis choquée... Devrais-je l'être pourtant, après tout ce que j'ai traversé moi-même ? Peut-être pas... Mais qu'y puis-je ?

Le guérisseur ne sembla guère chamboulé par la réplique de la Princesse Marchande. Au contraire, ce dernier endormit la jeune femme, l’aidant à passer au travers de ce supplice. La colère de la Princesse Marchande quant à elle, grondait. Non pas contre le guérisseur, mais contre celui qui avait osé perpétré de telle atrocité et surtout sur l’incompétent de gérant qui avait laissé la pauvre jeune femme dans un tel état. « Reste ici et assure toi que tout se passe bien. » Lança-t-elle à son second avant de sortir de la pièce, se dirigeant rapidement vers le bureau de celui qui aurait dû prendre soin de cet établissement. Étonnamment, plusieurs filles attendaient près de ce dernier, inquiète sur la tournure des événements. Maralina les rassura tant bien que mal, leur assurant qu’elle ne perdrait pas leur emploi - mais surtout qu’elle serait réellement en sécurité. Ceci sembla rassurer les courtisanes, qui retournèrent dans leurs chambres, Maralina ayant fermé l’établissement pour la soirée. La princesse rejoignit le bureau - ou du moins le fouillis qui aurait dû être un bureau et se mit à la recherche de quelconques documents compromettants.



Elle n’eut aucune idée de combien de temps elle était resté dans cet immonde pièce, tentant de trouver ce qu’elle voulait dans le fouillis. En réalité, il semblait que le gérant n’avait pas tenté de l’entourlouper, il avait simplement “omis” d’appeler un guérisseur pour la jeune femme. Maralina se demanda combien de fois cela avait arriver avant qu’elle ne s’en rendent compte. Dans un éclat de rage, la princesse prit un livre avant de le lancer contre le mur. Ce n’était guère suffisant pour la contenir, mais au moins, c’était un début. Elle s’assit dans le confortable fauteuil avant de prendre une grande inspiration… Puis une autre… Ce ne fut qu’au bout de quelques minutes qu’elle sortit du bureau de son ancien gérant, mais elle s’arrêta net, surprise, en voyant la jeune guérisseuse assise par terre devant elle. Cette dernière semblait particulièrement chamboulée par sa rencontre avec la pauvre courtisane. Maralina referma la porte doucement derrière elle, avant de prendre la parole. « Les dieux nous testent de plusieurs façons… » Commença dans un péninsulaire parfait. Il fallait dire que toutes ces années, à converser avec son mari avait particulièrement aidé. Le regard de la Princesse Marchande se porta sur les deux cannes aux côtés de cette dernière, avant qu’elle ne continue ; « Mais je crois que tu le savais déjà. » Après tout, pas besoin d’être sot pour se rendre compte qu’une péninsulaire handicapée se trouvant à Thaar devait en avoir vu des vertes et des pas mûres. La Princesse plantant son regard dans le sien, observant silencieusement cette dernière.



La princesse de la chair brisa finalement le silence de nouveau; « Qu'est qu'une péninsulaire comme toi fait à Thaar? » Le ton de la Princesse n’était ni curieuse, ni amusé, au contraire, son visage était neutre, camouflant tout sentiment qui bouillonnait à l’intérieur de son esprit. Maralina n’était pas dupe, et savait pertinemment repérer les opportunités. Après tout, elle était une des plus grandes figures de Thaar… Cela en disait long sur son flair et ses capacités et la jeune femme devant elle, était assurément noble ou venant d’une famille particulièrement aisée pour lui offrir ce genre de canne. Sa façon de se tenir, de répondre… Tout était trop pur.