[Solo] Les hérauts des Premiers Âges

1ère ennéade de Karfïas
21e année du Onzième Cycle
Non loin des ruines de Faeldorën
Premières lueurs de l’aube

Ta paume se resserre sur ton focaliseur à presque en saigner, et ton  bras de garde accueille péniblement l’énorme écaille. La kératine crisse contre l’or, et faute de trouver chair à trancher, la queue de la créature serpentiforme se transforme en un gigantesque fouet. La plante de tes pieds s’ancre dans le sol, et ton sceptre te tournoyant entre les doigts, tu te laisses repousser.

- Glace !

Les aurores dansent autour de toi, et s’envolent vers ton camarade. Les lueurs arcaniques embrassent ton frère d’arme. Un souffle nouveau s’empare de lui, et d’un large appel de ses mains il conjure l’élément aqueux. L’eau lèche la peau du monstre, et les aiguilles dissimulées dans l’onde s’écrasent contre le cuir de la bête. « L’animal », si tant est qu’on puisse ainsi l’appeler, se contorsionne, et les mille lames que sont ses écailles se métamorphosent en un verre aussi limpide que le cristal qui il y a un instant à peine l’agressait.

- Lances !

Légers sur leurs appuis, vifs comme le vent, et exaltés par tes arcanes, les deux porteurs de lame dansent à travers les anneaux de la bête. Dans le crâne et dans le coeur, les pieux se fichent, arrachant à la créature un sifflement dément. Mais elle refuse de se laisser vaincre. Elle refuse de mourir, elle tente encore une fois de s’adapter. Les reflets cristallins se font métalliques. Le fer prend le pas sur le cristal.

- Flammes !

Une langue ardente s’abat sur le monstre. Le fer accueille la chaleur et la souffle au cristal. Le cristal fond et se sépare du fer. La métamorphose de la créature se trouve interrompue par les deux essences contraires. Son corps se retourne contre lui-même, ses cuirs se désolidarisent. Et les lames, solidement plantées en ses entrailles, tranchent leur chemin vers la liberté. Tête tranchée et coeur percé, le monstre s’écroule lourdement au sol.

- Et un de moins. Encore. tu souffles, répandant l’odeur métallique du sang dans ton masque À croire que c’est une infestation.

La tenue du jour:

La créature:

Un grondement sourd s’élève à l’horizon. Un nuage de poussière traverse la lande dans ce qui semble être votre direction. De concert vous vous tournez vers l’apparition, certains d’entre vous libérant leurs visages de leurs heaumes pour mieux exprimer leur soulagement. Tiré par d’immenses volatiles, arrive le chariot témoignant de vos efforts de la veille au soir.

- Vous en avez eu un second ? Déjà ? l’Ornedhel, juché sur sa monture à plume lance, entre agacement et inquiétude Jusqu’ici il avait fallu quelques jours entre deux apparitions.

- À ce rythme, si ça ne s’arrête pas bientôt on va vite se retrouvés débordés.

Dépité, le second elfe descend de son destrier pour vous aider à hisser l’énorme reptile sur le chariot, avant de vous inviter à vous-même y monter. Puis de retour à dos de Marchevent il avait lancé l’étalage en direction de ce qui – ces derniers jours – avait été votre base d’opérations.
Presque ironiquement, les « ruines » – s’il on pouvait vraiment appeler « ruines » des lieux ne portant finalement les traces que de quelques années d’abandon – de Faeldorën étaient devenues un bastion Noss. Leurs bâtisses de la Cité traitées par les elfes des bois comme autant de cavernes, dont l’entretien était volontairement laissé aux éléments seuls. Une protection particulièrement bienvenue depuis les quelques dernières ennéades ayant vu la forêt grandir en véhémence.

- Vous qui avez toujours une explication à tout, vous êtes certains de ne pas savoir d’où ils viennent ?

Dans un râle de fatigue, l’un de tes lanciers, se débarrassant de son plastron, alpague l’un des Ornedhels en présence. À cela, l’elfe des bois se contente de répondre d’un soupir, et de faire fi de la remarque. Il n’est pas le premier à qui le combattant a posé la question. Il ne sera probablement pas le dernier. Mais le pire est probablement que ce n’est pas la première fois que cet elfe en particulier le lui demande. Après tout, ici l’Astalàco était censé être celui qui a les réponses. Celui qui entend le murmure de Hwestalindë, celui qui sent tourner le vent et sait entendre venir le changement. Mais cette fois, même lui avait été pris de court.

- Plutôt que de poser des questions inutiles, dépêche-toi d’aller te baigner. l’elfe des bois finit par céder Quitte à ce que tu continues de m’agresser les oreilles, épargnes au moins mes narines.

Le guerrier sourit et cherche ton regard, puis celui de son autre frère d’arme. Et alors qu’il termine de se débarrasser du dernier morceau de métal accroché à lui, il laisse échapper, volontairement assez fort pour que l’Ornedhel ne puisse pas faire mine de ne pas avoir entendu.

- Je crois qu’il m’aime bien !

Des rires sont retenus. De la part de l’Astalàco y compris.

Les coudes reposant contre le bord du bassin, tu laisses échapper un long soupir. À l’ombre du toit de pierre, la fraîcheur de l’eau de ce qui avait été les bains de Faeldorën était d’un immense soulagement en ces dures journées d’été. Après avoir farouchement livré bataille, et avec la promesse de prochains combats, rien de tel que la caresse de l’eau froide pour trouver un peu de soulagement.

- Artiön ! un tapotement sur l'épaule attire ton attention Eh, Artiön !

Tu te retournes, une expression confuse au visage, comme arraché à un rêve. Tes deux camarades te regardent avec amusement et échangent un rire avant que le plus proche de toi reprenne.

- Tu m'excuseras l'indiscrétion mais comment vous faites ton épouse et toi pour gérer tout ça ?

- Ah ? tu leurs offre un léger sourire Kaëlistravaë et moi on est habitués à avoir beaucoup de responsabilités. C'est sûr que le Trône c'est une autre paire de manches mais...

Tu t'interromps brusquement, ou du moins tu es brusquement interrompu pour un éclat de rire conjoint de tes camarades.

- Mais non imbécile. Ce que je te demande c'est comment vous avez fait pour gérer il fait un geste circulaire de la main dans ta direction générale tout ça, si tu vois ce que je veux dire.

- Désolé l'expression amusée et le ton léger eux n'avaient pas l'air désolé le moins du monde Dren' et moi on n'a pas pu s'empêcher de se demander comment t'as bien pu convaincre qui que ce soit de te faire trois enfants avec un morceau pareil.

Tes sourcils se lèvent et ton front se plisse. L'espace d'un moment tu es perdu. Et puis un court instant tu baisses le regard, et l'évidence te frappe.

- Ah ! tu ris à ton tour Honnêtement on s'est pas tant posé de questions. J'ai été son premier et elle a été ma première donc au final c'est juste notre normal.

- "Normal" ouais. il rit Si en plus t'as été son premier, soit vos têtes étaient totalement ailleurs, soit elle est très courageuse.

- Écoute. On est partis du principe que si un gamin pouvait sortir alors c'est que je pouvais rentrer.

Vous riez à nouveau. Puis quand l'éclat passe, le regard de Dreniön s'éteint légèrement. Il te pose une main sur l'épaule et souffle, mi-rigolard mi-las.

- T'as bien de la chance. il vient chercher le soutien du regard d'Yllgir Avec mon épouse, ça va faire deux décennies qu'on veut un petiot. il souffle Le souci c'est qu'elle a du mal à vouloir de moi. Du coup ça fait un siècle qu'on veut un gamin, mais en vingt ans on s'en est pas beaucoup donné les moyens.

- Je... tu baisses les yeux, ne sachant vraiment quoi lui dire ...J'avoue que je ne saurais pas quoi te conseiller. Dans mon cas c'était généralement Kaëlis qui faisait le premier pas. tu poses une main contre le crâne du bonhomme Il n'y a pas de problème entre vous, si ?

- Non. il hausse les épaules Pas que je sache. Et elle-même ne sait pas trop pourquoi elle réagit comme ça. Au départ elle pensait que ça passerait tout seul, mais non.

- Si ça peut te rassurer ces mots, ce n'était pas la première fois qu'Yllgir les prononçait chaque fois qu'elle revient voir la famille et qu'elle nous parle de toi, ses yeux brillent toujours autant. Eleyra est au moins aussi amoureuse qu'au premier jour.

- Peut-être qu'un de ces jours, ça vaudrait le coup que vous fassiez le pélerinage vers Holimion ensemble. tu lui souris Beaucoup d'entre nous ont été plus touchés par le Voile qu'on ne le réalise. Peut-être qu'Eleyra et toi en faites partie.

- Peut-être. il sourit, et lève la tête vers le ciel J'espère qu'on arrivera à arranger les choses elle et moi. il laisse échapper un gloussement étouffé Le futur pour lequel on se bat, j'aimerais avoir quelqu'un à qui l'offrir, si vous voyez ce que je veux dire.

- Parfaitement Dren'. Yllgir et toi vous affalez dans un soupir commun de lassitude On te comprend parfaitement.

Et les quelques dizaines de minutes qu'il vous restait, vous en aviez profité dans le silence. Car en ces temps troublés, la tranquillité était précieuse.

Terminant d’enfiler leurs pantalons dans le cas d’Yllgir et Dreniön, et de lacer tes collants dans le tien, c’est le buste encore légèrement humide que vous vous hâtiez en direction de la Grand-Place. Une fois de plus, vous y retrouviez les soldats Taledhels, pour une part ceux de Quatrième Saison, pour l’autre ceux de l’armée royale, et vos hôtes Ornedhels, assis sur le cercle d’immenses racines entourant le centre du square.

Ci-gisaient vos dernières prises. Étalées face à tous pour être observées. Étudiées. Puis dépecées. Comme à leur habitude, après que l’Astalàco ait ouvert la cérémonie, les Ornedhels appelèrent les chasseurs ayant pourfendu la créature à s’avancer auprès de leur proie. Pour cette fois, devant les deux énormes cadavres seuls vous quatre : Dreniön, Yllgir, l’élémentaliste Drauchanar et toi-même.

- Vous en avez tombés deux de plus. le guide se positionne face à vous Avez-vous appris quelque chose de nouveau ?

Tu cherches le regard de Drauchanar, Drauchanar celui d’Yllgir, Yllgir celui de Dreniön, et Dreniön le tien. Un geste d’approbation silencieux traverse votre petit groupe, et finalement, c’est toi qui t’avances d’un pas et prends la parole.

- Malheureusement non. Nous ne savons toujours pas d’où ils viennent, ni pourquoi. Mais les premières hypothèses semblent se confirmer. ton regard balaie l’assistance Chaque fois qu’ils apparaissent, la Sylve est animée d’une vague de fureur. tu te retournes vers les cadavres D’ailleurs, ils semblent animés par la même fureur plus que par un quelconque instinct de survie.

- Le second qu’on a tombé, plutôt que de l’engager immédiatement, on a décidé de le pister aussi longtemps qu’on pourrait. Il ne s’est jamais arrêté ni pour boire, ni pour manger, mais toutes les créatures vivantes qu’il a croisé, il les a prises en chasse. Nous nous sommes résolus à lancer les hostilités en nous rendant compte qu’il n’avait consommé aucun des animaux n’ayant pas réussi à le fuir.

- Au vu de leur comportement, et des réactions de la Sylve, nous nous sommes demandé s’ils ne pouvaient pas être une forme de matérialisation de la fureur de la forêt. Mais en même temps nous nous sommes aussi souvent retrouvés dans des pans de territoire qui étaient parfaitement calmes avant d’être traversés par l’un d’eux. Ce qui voudrait dire qu’ils seraient au contraire à l’origine de la-dite fureur.

L’oeuf ou l’oiseau, l’oiseau ou l’oeuf, vous n’en aviez toujours aucune idée. Mais l’Astalàco écoutait avec attention. Parfosi son visage se renfrognait, parfois il hochait de la tête, construisant probablement ses propres hypothèses, nourries par ses propres affrontements avec ces créatures, et par son expérience toute personnelle des Chants.

- Bien. Quelque chose de nouveau apparu au cours de vos affrontements ?

- Non. tu hoches lentement le menton Leur manière d’agir est toujours la même. Ils s’attaquent à la première cible attirant leur attention, et continuent de livrer bataille jusqu’à ce que mort s’ensuive, soit pour eux, soit pour elle. Ils semblent sensibles à la douleur, mais elle ne les arrête pas longtemps. Et puis…

Tu te tournes vers Drauchanar, et l’élémentaliste opine du chef. Lui enfile ses gants, toi tu arraches ton sceptre à ta ceinture, et ensemble vous faites appel à vos Arts respectifs.

- ...leur corps semble capable de se métamorphoser pour imiter et s’adapter à tout et n’importe quoi.

L’élémentaliste conjure un cristal de glace, qu’il pose contre l’un des cadavres, puis une fleur de pierre, qu’il pose contre l’autre. En quelques tours de sceptre, tu t’empares des corps endormis, et les forces à imiter, même dans la non-vie, ce qu’ils faisaient vivant. Ainsi les écailles de l’un des serpents se font glace, tandis que celles de l’autre se font pierre.

- Mais ils ont besoin  d’un peu de temps pour s’ajuster, et en réfléchissant à ce vers quoi on les force, on peut abuser de ces périodes de flux pour les vaincre.

Autant de choses ayant déjà été théorisées, mais qui méritaient d’être répétées. Chaque fois qu’elles étaient répétées était une confirmation de plus que la stratégie fonctionnait. Chaque fois qu’elles étaient répétées était un espoir que les choses – au moins – se contentent de ne pas empirer, et que cette menace devienne plus aisément gérable.

- Bien. le maître de cérémonie conclut Comme convenu, puisque c’est vous qui les avez tués, vous déciderez des parts de la carcasse que vous voulez conserver. Et comme d’habitude, la viande sera distribuée pour nourrir le camp. il se tourne vers toi Aran.

- Astalàco.

Il était venue l’heure de dépecer las bêtes, et en tant que représentants et responsables des vôtres, c’était à vous que revenait cet honneur. Lentement le cercle se défit. Et alors que chef Ornedhel et chef Taledhel s’affairaient autour des carcasses, le reste du camp reprenait vie.

La tenue du moment:

- J’aimerais pouvoir conserver le cuir et les écailles de ceux-là si possible.

- Comme tu veux Artiön, c’est votre prise après tout.

Écorcher des bêtes de cette taille était long et fastidieux, mais l’Astalàco tenait à ce que ce ne soit jamais le travail de plus de deux elfes. Les raisons en étaient simples. Il est bien plus aisé de discuter face à face que de trouver le rythme au sein d’un groupe. Ainsi le guide Ornedhel avait chaque fois que l’un de ces monstres tombait l’occasion de longuement échanger avec l’un des chasseurs l’ayant vaincu.

- ...donc vous avez reçu un message du Protecteur de Quatrième-Saison ?

- C’est ça. tu tranches à travers un bout de chair particulièrement nerveuse Il y a trois ennéades environ. C’était la première fois qu’ils croisaient une créature pareille. Par chance les moines de Calimenthar sont intervenu à temps et ils n’ont eu à déplorer aucun mort, mais ça aura été au prix des récoltes d’un champs entier. Ce qui de notre point de vue était assez catastrophique, vu que tu roules des yeux le Protectorat d’Ardamir dépend de ces récoltes.

- Mais riche comme est la forêt Ardamirie, perdre les récoltes est vraiment si grave ?

- Malheureusement oui. tu soupires Mais si on pouvait parler d’autre chose que du sens des priorités des Ardamiris…

- Serait-cent le son de griefs que j’entends là ? il sourit

- Disons qu’en tant qu’Aran, avoir à gérer les Ardamiris est parfois compliqué.

Pendant quelques instants vous laissez peser le silence pour mieux imaginer. Toi tu essaies de te mettre à sa place, de comprendre le rôle de l’Astalàco, le guide qui murmure au vent. Lui, s’amuse à dessiner un portrait de la Couronne elfique, et des responsabilités du Maître des Pierres. Et il peine à le faire, en réalité, parce que voir le Maître des Pierres juste à côté de lui va contre tout ce qu’il s’imagine.

- Pourquoi t’être déplacé jusqu’ici ? de la même manière que Dreniön, il posait une même pour la énième fois Ce qui se passe ici devrait être la responsabilité du Seigneur de Quatrième-Saison non ?

- C’est justement à sa demande que nous nous sommes déplacés.

- Les autres d’accord, mais toi ? En tant qu’Aran, tu ne devrais pas…

- Avant d’être Aran, je suis…

- ...Un guerrier. C’est ce que j’avais compris.

- Pourquoi me faire la remarque alors ?

- Je voulais l’entendre de ta bouche. Pour être sûr. C’est tout.

- Techniquement, tu l’as dit avant de l’entendre de ma bouche.

- Mais tu étais prêt à le dire, c’est le plus important.

Vous riez de bon coeur là où d’autres auraient probablement été attristés. Tu es un guerrier avant d’être Aran. Voilà une revendication qui arracherait sans nul doute un frisson de dégoût aux Hauts-Responsables de l’Académie. Seulement ce n’était là qu’une simple vérité. Impossible pour toi de ne pas être guerrier avant d’être Roi, de la même manière que Caranthir fut d’abord mage, Findàrato d’abord philosophe, et Glorfindel d’abord théologien.

- Et qu’est-ce qui m’a trahi du coup ?

- Difficile de faire plus « guerrier Daranovan » qu’un elfe taillé comme un de leurs chevaux de guerre ! il rit Mais même sans ça, tu es trahi par tes tatouages. l’Astalàco s’arrête un instant dans votre affaire pour détailler du bout du doigt les pigments d’or remontant de ton bras à ton front. Il est plus d’elfes à travers la forêt capables de lire les marques des Lirfelû que tu ne l’imagines. Tu portes littéralement ton être et ton histoire à fleur de peau. il se saisit à nouveau de sa lame. C’est ce qui m’a poussé à accepter votre aide, au départ. Et... son regard détaille les deux énormes cadavres ...jusque-là, vous faites honneur à mes attentes. Donc j’ai bon espoir. On arrivera au bout de cette affaire grandis. C’est ce que me murmure Hwestalindë.

1ère ennéade de Karfïas
Le lendemain
Camp Faeldorën

- Treize… Quatorze… Quinze… Sei..

Tu souffles. Tu arrives à bout. Alors tu laisses lentement ta poitrine se rapprocher du sol, tes poings repoussant vainement la terre, luttant de toute leur force pour que cette dernière descente dure aussi longtemps que possible. Tu finis finalement allongé, la joue dans la glaise, reprenant ton souffle avant la prochaine série de pompes.
Tu ne sais pas si c’est le fait d’être entouré des murs – même abandonnés – d’une Cité, mais ici tu te sens étrangement à l’aise. Hier encore vous affrontiez d’énormes créatures dont vous ne savez que trop peu, et pourtant, vous étiez là, à tous agir comme si la chose était… normale ? Le butin avait été partagé, vous aviez bu, vous aviez copieusement mangé, vous aviez ri, et puis vous aviez dormi. Le danger rôdait dehors, mais puisqu’il était là, inévitable, vous ne voyiez plus de raison de vous en inquiéter plus que de raison. Finalement, tu retrouvais ici une ambiance proche de celle des camps militaires lors des battues montagnardes de ta jeunesse. Celles d’avant l’assaut d’Alëandir. Celles où vous n’aviez finalement que la forêt pour véritable adversaire.

- Onze… Douze… Treize… Quator… tor… torze…

Tu t’exerçais comme tu l’aurais fait si tu avais été en ville. En ville ou en expédition. Mais pas en campagne. Être en campagne était l’une des rares conditions qui interrompaient ton régime d’exercice, simplement parce qu’en campagne, tu n’avais pas de temps à y accorder. En campagne, le temps disponible pour l’entraînement était mieux utilisé à répéter les gestes qui pourraient vous sauver la vie. Et tu avais naturellement repris l’entraînement depuis ton arrivée au camp. C’est donc que tu ne te sentais pas en campagne. Une bonne nouvelle donc.

- Onze… Douze… Tr…

- Hey Tûneryth !* la voix de Dreniön t’arrache à ta tranquillité alors que tu luttes contre la dernière pompe d’une série Dépêche-toi de terminer et d’aller te débarbouiller, ça va bientôt être l’heure de passer en ville.
*Tûneryth : traduit littéralement par "muscles géants", à comprendre comme un sobriquet de l'acabit de "musclor"


Complètement à bout cette fois, tu t’assieds, et te débarrasses avec soulagement du sac de pierres que tu avais sur le dos. Tu roules un peu des épaules, te réhabituant à l’absence de poids, et enfin tu prends la peine de répondre.

- Il vaut mieux que vous y alliez sans moi. tu soupires en te relevant Tu sais très bien que je suis trop lourd pour les chevaux, je vais juste vous ralentir.

- Et qui à dit que tu devrais monter à cheval ? la voix rocailleuse de l’Astàlaco coupe votre échange Artiön, voici Hatolwenn le chef de clan tend le bras en direction d’un immense Marchevent aux plumes sombres, sellé selon les conventions de son clan C’est lui qui va  te porter.

Face à l’impressionnante bête, ton front se plisse et tu es pris d’appréhension. La créature semble rapidement s’en rendre compte, et après s’être rapprochée de toi d’un pas, s’ébroue et frappe le sol des pattes dans ce qui se veut être un geste d’intimidation.

- Tu es certain que c’est une bonne idée ? tu lances un regard gêné en direction de l’Ornedhel Je n’ai jamais monté un Marchevent, et celui-là ne m’a pas l’air particulièrement commode.

- Et il ne l’est pas ! À ton avis pourquoi est-ce qu’on l’aurait appelé Brise-Branche sinon ? il rit Mais ne t’inquiètes pas. Ça va faire un moment que je me dis que vous feriez certainement une excellente paire, et le temps qu’on a passé ensemble hier a juste terminé de me le confirmer. il descend de sa propre monture pour s’approcher du Marchevent noir qui semble bien peu disposé à le laisser faire Hatolwenn est encore jeune et capricieux, seulement c’est aussi déjà la plus massive de nos bêtes. Jusque-là, aucun des chevaucheurs du clan n’a réussi à le mater, et j’ai bien peur que ça n’aille pas en s’améliorant. Mais je me disais que toi par contre l’Astalàco se rapproche de toi pour donner un coup de point amical dans tes pectoraux encore congestionnés tu aurais probablement ce qu’il faut pour le tenir en respect sans avoir à lui faire mal.

Chevaucher un Marchevent… l’Astalàco avait profité du temps qu’il t’avait fallu pour faire une rapide toilette, rassembler de quoi voyager et enfiler ton armure pour t’expliquer de quoi il en retournait. Les Marchevents étaient des bêtes bien moins commodes que les chevaux, ou même les caengals. Si gagner leur confiance pouvait se faire rapidement, c’est parce que gagner leur confiance ne se faisait pas par la douceur et l’habituation, mais par l’affrontement. Pour que l’animal soit rassuré, il fallait paradoxalement montrer que l’on était capable de le dominer. Simplement car dans la hiérarchie de leurs groupes, guider et protéger le groupe étaient le rôle du dominant. Réussir à rapidement prendre cette position de dominant était particulièrement critique avec les grands mâles comme Hatolwenn, car ceux-ci avaient généralement un tempérament de solitaires, et ne restaient – heureusement pour les autres mâles – que rarement plus longtemps au sein d’un groupe que le temps voir éclore les œufs des nichées qu’ils ont engendré.

- Alors ? Autant que tu tentes ta chance. il tourne la tête vers Dreniön Surtout que de nôtre côté, ce serait certainement plus simple d’avoir l’Aran avec nous pour entrer en Quatrième Saison.

La tenue du jour:

Tu prends une grande inspiration, et acceptes de volontairement t’approcher de l’oiseau. L’animal semble de toiser, ébouriffant légèrement ses plumes pour paraître encore plus énorme qu’il ne l’était déjà. Tu l’observes un instant, notant la drastique différence avec le tempérament de Sû. Le dolwen rainadion avait lui aussi été méfiant au départ, mais jamais agressif. Avec Sû, le plus important avait été de réussir à être accepté par lui comme n’étant pas dangereux, voire au contraire, comme prêt à l’aider. Pour celui-ci, si les dires de l’Astalàco étaient vrais… les choses ne pourraient pas être plus diamétralement opposées.

- Et maintenant ? bien que ton regard soit sur l’animal, tu t’adresses à l’Ornedhel Qu’est-ce que je suis censé faire ?

- Attrapes sa bride et essaie de le monter.

- Tout de suite ? tu lances, surpris, te retournant vers le Noss Il ne faudrait pas que je lui laisse le temps de s’habituer à m…

Un choc contre ton abdomen te coupe brusquement le souffle. Tu tombes sur ton postérieur, et l’oiseau qui venait de te donner un coup de pied te regarde, reprenant sa parade. Maintenant tu le suis du regard, et tu écoutes attentivement sa pulse. Une fois oui. Pas deux.

- Tu ne seras pas le premier à avoir essayé. Il est habitué au processus. l’elfe glousse Les patalàco qui accompagnent notre clan sont familiers des elfes. Ce sont des bêtes intelligentes. Ils savent qu’un jour ça pourra être leur tour de trouver un oiselier. il jette un coup d’oeil au marchevent qui te tourne autour Et honnêtement, je pense que ça les amuse.

- Soit.

Tu te relèves d’un bond, et secoues rapidement la tête pour reprendre contenance. Aux dernières nouvelles, tu arrivais à t’en sortir en duel face au Mainyth de l’armée royale, alors ce ne serait pas un satané volatile qui t’intimiderait. Juste que pour cette fois, face à un adversaire de ce gabarit , il te faudrait prendre la position d’Aegden dans l’affrontement. Tu prends une inspiration. Tu penses à ton camarade. Tu revois ses gestes. Et tu t’élances vers l’animal.
Hatolwenn lance une jambe en ta direction, et de peu, d’un léger mouvement du buste, tu l’évites. Arrivé dans « son » espace, tu tends le bras, et te saisis de la bride. L’animal peste et s’ébroue, mais tu refuses de lâcher prise, alors il commence à reculer, te forçant à lui emboîter le pas. Bientôt tu avances à grandes enjambées en parallèles de l’animal , évitant les occasionnels coups de bec en attente du bon moment. Et finalement, tu bondis, et tu lances une jambe en avant… mais Hatolwenn donne un violent à-coup et brisant ainsi ton élan, t’envoie t’écraser au sol.

Les minutes s’égrennent lentement. Vous approchez une heure de cette danse. Tu es déjà tombé plusieurs fois. Mais tu as aussi réussi à le monter plusieurs fois. Certes, tu t’es fait désarçonner chaque fois, mais l’endurance de l’animal commençait à flancher, et son assurance à faiblir.
Tu attrapes la bride une fois de plus, mais quand Hatolwenn essaie de t’emporter, au lieu de le suivre, tu plantes tes jambes dans le sol, et tu le provoques à un duel de force. Le Marchevent  tire comme un forcené, et l’animal a définitivement plus de force que toi, seulement tu es tout sauf facile à déplacer. Lentement, tu glisses, tes pieds creusant la glaise sur leur passage, et lentement tu ronges les forces de l’oiseau coureur. Tu attends un signe, tu attends le moindre aveu de faiblesse, et lorsqu’il finit par venir, tu le tires à toi à ton tour.

Il résiste,comme tu t’y étais attendu, et t’offre le parfait levier pour te lancer à nouveau à l’assaut de sa selle. Tu lances une jambe, tu prends place, et tu t’accroches. Quand il commence à courir en rond, et à faire des sauts erratiques, tu t’accroches. Quand il menace de se laisser tomber tu restes agrippé. Malgré les sifflements de l’animal tu restes fermement cramponné… et voyant que ses efforts sont vains, Hatolwenn finit par se calmer.
Avec douceur, tu lâches sa bride d’une main pour lui caresser le flanc. Tu essaies de le rassurer comme tu avais pu le faire pour Sû les premières fois, et il semble l’accepter. Tu as gagné, pour cette fois.

- On dirait bien que j’avais raison. l’Astalàco sourit Par contre, maintenant je pense que vous méritez bien de vous reposer un peu tous les deux. il descend de sa propre monture On partira après le repas. Maintenant que tout le monde a sa monture, arriver à Quatrième Saison à temps ne devrait de toute façon plus être un problème.

Du moins, si tout se passait comme prévu.

- J’ai besoin de plus de temps !

Les lanciers dansent autour de la créature, qui se contorsionne rageusement, cherchant à fouetter de sa queue armée deux elfes qui en réalité se refusent à lui porter l’assaut. Toi ton sceptre tourne contre l’heure, tirant à l’opposé des forces de l’écaille qui y est accroché. Tu pestes intérieurement. Rageant silencieusement contre l’artefact qui t’aura autrement été d’une si grande aide. Blesser ce qui vit t’est maintenant difficile, mais là, sans autre mage au sein de votre groupe, tu n’as pas d’autre choix que de prendre ce rôle.

- Attirez-le vers moi !

Enfin, tu arrives au bout d’une incantation qui aurait dû depuis longtemps avoir été complétée. Des volutes rougeâtres réchappent à ton focaliseur, fleurissent autour de toi, et accompagnent l’étrange luciole au coeur de violine volant en direction de la créature. Cramponné au dos d’Hatolwenn, imitant les gestes de l’Atalàco, tu pousses le marchevent en direction du monstre. L’oiseau de l’Ornedhel saute, le tien l’imite, et ouvrant leurs ailes, les deux animaux font honneur à leur nom.
Tu sautes du dos de ton destrier, trouves le sol, face au reptile monstrueux. Griffes et becs s’attaquent à la carapace de la créature, qui répond rapidement à leurs assauts. Les écailles se peignent de la même kératine que celle de vos bêtes. Et alors que vos bêtes fuient, impuissantes et ignorées par le Wyrm, tu souris derrière ton masque. Ton bâton tranche l’air dans le vide, avant de retrouver son fourreau dans ton dos.

Faiblesse

Tu t’abaisses sur tes appuis, te prépares à accueillir la bête, et lorsqu’elle est près de toi, que sa gueule se prépare à s’ouvrir tu te penches vers elle, toutes phalanges en avant, et de ton poing tu accueilles son crâne.

Un lourd craquement retentit. Le corps entier de la créature semble soudainement se raidir. Son cuir fait os, elle t’a offert exactement ce que tu voulais. Un moyen de faire de lui une gigantesque charpente friable. Tu souffles, la plaine entière semble souffler, et alors que tu te redresses, la créature s’effondre sur elle-même. Morte, emportant avec elle la folie de la Sylve.

- Les gars, je vais avoir besoin de vous pour m’aider à le monter sur le chariot avec le reste.

Hisser l’énorme Wyrm avec le reste de votre butin aura été l’occasion d’observer la bête une fois de plus… et de réaliser que celle-ci…

- ...Je crois qu’il a eu le temps de faire une victime avant votre arrivée. l’Atalàco tire une amulette d’os ouvragée à l’effigie d’un serpent de la gueule de la bête Ou du moins… il regarde l’objet de plus près ...il l’aura au moins forcé à fuir. Le collier n’a pas l’air d’avoir la moindre trace de sang.

La situation était tout sauf plaisante aux yeux d’Anorndellon, mais au moins aviez-vous agi assez vite pour éviter qu’elle ne dégénère. Pour l’instant. Une part de votre butin était partie entre les mains des Hommes de science de la Cité, de même pour tout ce que vous aviez appris jusque-là. Quant aux détails de votre installation en Faëldolen, c’est au Seigneur-Protecteur directement que tu les as remontés. Dépendre des Ornedhels n’était pas non plus bien agréable à Anorndellon, mais au moins valait-il mieux cela que de voir se répéter un Tad’Serêg…

Puis de fil en aiguille, une fois les considérations les plus urgentes abordées, tes conversations avec le Protecteur de la Cité des Lueurs avaient dévié vers des considérations plus mystiques, touchant à l’Art que vous partagiez, aux moments difficiles passés dans les mouroirs, aux méthodes que vous vous étiez inventés pour faire votre travail au mieux et à la manière même dont vous conceviez et travailliez le futur de votre pratique.

Et tu aurais aimé rester plus longtemps, profiter de l’expertise d’Anorndellon un peu plus longtemps, seulement ni lui ni toi n’aviez le temps. Lui, il lui faudrait retourner à cette étrange affaire, de peur qu’elle ne vienne un peu plus les déstabiliser encore. Toi… tu n’aurais même pas l’occasion de revoir le camp de Faeldorën une dernière fois avant de partir. Si vous retourniez régulièrement en ville, c’est parce que tant que tu étais dans ces territoires, les missives destinées à Alëandir te suivaient, et la dernière arrivée était de la plus haute importance.

Ton voyage au Zagazorn portait ses fruits. Harald et les siens seraient bientôt là, et il te faudrait être présent pour les accueillir.