Allons tout droit dans les emmerdes !

En plein après-midi, un marin au pas hâtif traversait le port bondé de la cité pirate en observant tout autour de lui. Il semblait figé dans une expression d’appréhension, tout en étant à la recherche de quelqu’un ou de quelque chose. Sans regarder devant lui, il continuait d’avancer jusqu’au moment ou il fut subitement arrêté dans son élan en percutant le dos massif d’un marin qui travaillait. Le colosse se retourna lentement, le regard noir, car il avait laissé tomber une caisse dans le choc. Quand le marin finit de faire son demi-tour l’homme qui l’avait percuté recula et s’excusa en baissant le regard et en levant les mains en signe d’apaisement, terrifié à l’idée d’être secoué par les lourdes mains. Alors qu’il garda la tête baissée, tout en priant pour le salut de son âme, Holden entendit une voix qui lui paru familière. Le marchand releva la tête et reconnu alors l’homme à l’imposante stature comme étant Rocaille.

Reprenant aussi subitement qu’un clignement de paupière sa contenance, le commerçant se redressa et salua le marin. Il connaissait bien Rocaille, l’ayant vu à de nombreuses reprises en compagnie d’Adélina, dit la Rose. Et c’était un joyeux coup du sort que de rencontrer pareil individu en ce lieu vivant, car il voulait rencontrer le Rokvenha.

« Rocaille, c’est un réel plaisir que d’te revoir, héhé… Comment tu vas mon p’tit ? J’espère qu’tu t’portes à merveilles, qu’les affaires vont bon train et puis qu’tu… – Fermes là, Holden. – Oui oui ! Héhé… Dis-moi Rocaille, j’aurai un p’tit service à t’demander, t’sais pas par l’plus grand des hasards où j’pourrai voir l’Rokvenha ? J’ai un p’tit quelque chose pour lui et j’pense qu’il sera bien content d’le recevoir. » Rocaille toisa alors le marin des pieds à la tête, avant de désigner un boutre amarré qui semblait flambant neuf. « Là-bas. – Aaaah j’te remercie mon grand ! » Fit le commerçant avant de s’éloigner pour ne pas risquer d’énerver l’homme de main du capitaine.

A mesure qu’Holden approchait du navire, il observa les marins qui allaient et venaient en préparant l’embarcation. Les nouvelles allaient vite dans cette petite cité et le Rokvenha, allié de la Médée, reprendrait bientôt la mer sous la bénédiction de cette dernière. Son équipage était enfin au complet, son navire fraîchement payé ne manquait que d’être nommé. Peut-être aurait-il quelques modifications à faire sur ce boutre pour le rendre plus performant mais tout ceci pourrait attendre.

Holden se présenta devant la rampe et héla un marin. « Hé toi ! Dis à ton Cap’taine qu’Holden veut l’voir et qu’il a un message pour lui » Le marin n’eut pas le temps de répondre que le Rokvenha fit son apparition par-dessus le bastingage, se penchant vers l’avant. « J’t’entend à d’loin l’gueulard… T’m’veux quoi ? » Le marchand déglutit alors en le voyant apparaître et prit le temps de marquer une pause pour bien peser ses mots. Holden connaissait un peu l’homme qui lui faisait face et ses nombreux éclats de colère et frasques, de plus, comme il avait jeté son dévolu sur la jeune baronne, appartenant pourtant au capitaine, il ne voulait pas le contrarier davantage. « Un message… Que j’peux pas dire ici… Ça concerne… Eh bien… Héhé… Ça concerne heu… La Rose. » Les yeux du capitaine s’écarquillèrent et d’un geste vif il se redressa et invita l’homme d’un signe du bras à monter à bord et à le suivre. Holden grimpa alors et arriva sur le pont du boutre, suivant aussitôt Caleb dans sa cabine.

Le Capitaine referma derrière Holden qui sursauta au claquement de la porte. Il essaye de ne rien montrer mais de se retrouver alors seul et enfermé ainsi avec le Rokvenha ne le rassura pas. Qui sait- s’il ressortirait vivant de cette entrevue. Il offrit au capitaine un sourire avenant, attendant alors d’avoir la permission de parler. Caleb, quant à lui fit le tour du marchand pour aller se poser sur ce qui s’apparentait à un bureau, il croisa les bras et planta son regard sur son interlocuteur.

« J’t’écoute Holden, t’dis ‘voir un message d’Ma Rose, j’espère p’toi qu’tu t’fous pas d’ma gueule. – Non non l’Rok’ promis ! C’est elle-même qu’est v’nue me voir à Ydril en pleine nuit elle a chanté l’chant d’la sirène et … - L’chant d’la S’rène ? T’crois qu’elle a eu l’temps d’pprend’ à chanter et à savoir c’que veut dire c’chant ? » Caleb fronça les sourcils un instant et Holden reprit aussitôt. « J’te jure ! Elle a chanté l’chant et est sortie d’nulle part, en pleine nuit ! – Holden, j’te donne un d’nier ‘vertissement… T’crois qu’Ma Rose irait sur l’port… en ‘dril, d’pleine nuit pour chanter l’chant d’la S’rène ‘lors qu’elle va s’marier au Duc ? » Il claqua sa langue contre son palais, sa voix devenant menaçante. Holden, n’ayant pas d’autre solution, tira de sa poche la bague qu’Adélina lui avait donné en guise de preuve et la tendit alors au capitaine. Caleb attrapa la bague et l’observa méticuleusement. C’était bien un des bijoux de la baronne et de le reconnaitre le détendit aussitôt. Sans relever son regard de la pierre, il invita le marchand à poursuivre. « L’Rose est venue m’voir pour avoir d’tes nouvelles. J’lui ai dit qu’t’étais encore en vie et que j’t’avais vu devant l’Wagyl ça l’a choqué mais elle m’a surtout d’mandé de te faire passer un message comme quoi elle avait besoin d’aide, d’ton aide. – Elle a b’soin d’aide ? – J’en sais pas plus l’Rok, j’te jure, elle m’a dit qu’ça et m’a dit qu’elle s’ra encore en Ydril l’mois prochain. »

Caleb renifla et déposa la bague sur le bois derrière lui. Il se redressa et s’approcha d’Holden en gardant son silence. Comme un chat jouant avec une pauvre souris apeurée, le capitaine tourna autour du marchand qui pâlit quelque peu. « Si t’dois r’tourner l’voir, dis lui qu’mon aide à un prix… Dis lui d’se rappeler qu’mon offre t’nait que pour Méca et pas sa terre. Elle t’nait tant à y r’tourner, s’marier à son Duc pour maint’nant m’appeler à l’aide ? J’vais pas m’jeter en P’ninsule au risque d’y perd’ la tête et … - En plus l’Duc te r’cherche encore activ’ment, ils ont des portraits d’toi et tous ceux qui sont Pirates ou proches s’font exécuter sur l’champ. - … M’coupe plus quand j’parle… Mais t’fais bien d’le dire. »

Caleb retourna à son bureau et jeta un coup d’œil à une carte qu’il déplia à la hâte. « Si elle veut m’voir… Dis lui qu’on s’retourv’ra à Siriac quelques ‘nnéades ‘près qu’tu lui ai apporté l’message. J’ai pas mal à faire et j’veux pas perde plus d’mon temps sur terre. » Holden hocha la tête et il ne bougea pas pour autant, semblant attendre quelque chose en retour de cette conversation. Caleb releva la tête et haussa le sourcil. Le marchand s’inclina alors et sorti rapidement en voyant la réaction de Caleb, ne cherchant pas à pousser sa bonne fortune plus loin qu’elle ne devait l’être.