je suis venu dès que j'ai su (Glumtol et Harald)

La salle du trône était sans cesse occupée depuis l’annonce de Althinkalan. Si la missive de Harald s’était voulue la plus neutre possible, tout en demeurant suffisamment explicite pour que tous les thanes puissent se rendre compte de l’étendue du chantier à venir, le signal d’alarme avait été tiré… Et avec lui, nombreux furent les Dawis qui vinrent battre le rappel : certains mandaient nombres d’entrevues avec Harald qui, depuis le début de son règne, avait toujours mis un point d’honneur à recevoir toutes les Braises-Vies du Zagazorn.

Tous étaient effrayés… Toutes et tous, sans exceptions, étaient effrayés par les décisions à prendre. Pour les moins férus d’histoire, la peur tenait surtout dans le fait de devoir revoir un jugement de haine contre le Père, si peu de temps après le Voile. 20 années… Trop court pour un Nain, que d’oublier une telle catastrophe qui, peu ou prou, s’était déroulée hier pour eux. 20 années… Sinon un battement de cil, à peine quelques-uns de plus dans une vie de Nain… Et ranger une colère si profonde et une rancœur si énorme, dans un tiroir d’une vie brisée… Est chose difficile pour un Dawi.

Mais pour ceux qui connaissent l’histoire, la peur tenait en une autre chose : déjà, il y a 7000 ans, Mogar avait détruit Ankorong, la célèbre première capitale des Nains. Au final, sans que l’on ne sache quand ni comment, les Nains pardonnèrent, ou du moins, dépassèrent la chose, retournant dans le giron de Mogar pour les sept prochains cycles… L’Ire de Mogar lors du Voile, n’était que la redondance d’un évènement déjà vécu… Alors, pour ces férus d’histoire, nul doute que les Nains finiraient par retourner dans le giron du Père… Mais quand ?

Harald, lui, craignait un schisme… Un schisme religieux, ou politique, ou sociétal. Ou peut-être tout cela à la fois ?

En tous les cas, lorsque Glumtol, claudiquant mais toujours aussi balourd, entra dans la salle du trône en criant quelques mots réconfortants, Harald descendit du trône et vint à sa rencontre, lui offrant une accolade virile et sincère. Le Roi était heureux de revoir la Voix de Thanor… Sans doute un des Nains avec la meilleure bonhomie de tout le Zagazorn… Un peu de légèreté, et, vraisemblablement, de soutien, serait appréciable aujourd’hui.

« Glumtol ! Je suis heureux de te voir aujourd’hui, mon ami ! » Dit-il, après l’accolade. « Mon ami… Tu as manqué bien des choses, ces dernières ennéades, et ces derniers mois… » Lui dit-il, ouvrant la pogne vers une des tablées non loin, invitant le blessé à s’asseoir. « Braähm ne cherche pas à m’évincer du trône… Il est convaincu que la destruction de la montagne du Nord est l’œuvre du Père et du Père seul. Si je n’ai que peu de doute à ce propos, j’y voyais, moi, un signe potentiel de l’aide d’Ikthor face à la folie du Père… Mais tout ceci ne sont, au final, que des présomptions. Qui sommes-nous pour nous targuer de comprendre les Dieux ? Peut-être que, au final, cette explosion n’est dû qu’à une poche de souffre, alimentée par une saignée de lave ? La chaleur et l’explosivité ainsi réunies auraient pu provoquer bien des destructions… Peut-être. » Résumait-il, se souvenant des mots du Haut-Prêtre d’Ikthor. « Braähm dit détester le Père… Mais lui, et Ararün, un des capitaines de Kirgan, font des présomptions sur tout cela et m’ont demandé de prendre une décision sur le retour du Père dans les vies des Nains. Réautoriser le culte du Père… Sans lui rendre la même importance que par le passé. » Conclut-il, introduisant la globalité du propos de Braähm. « J’ai refusé. J’ai refusé d’insulter nos morts et nos pestes, et de trahir l’essence de toutes mes actions depuis que j’ai renié Mogar, en refusant le retour du Père… Et Braähm convoque alors l’Althinkalan… Car il refuse ma décision, convaincu que je met en danger le royaume tout entier… Voilà, tu sais tout. »

« Non, mon ami… Non. » Répondit-il, posant une pogne amicale et bienveillante sur l’épaule du chef des Ventres-de-Fer, encore haletant de sa course claudicante précédente. « Nous n’useront pas de ces machinations. Nous ne sommes pas comme les Mal-Faits de Péninsule… Ces étrons de porcs maîtrisent l’art de la machination et de dénigrement obscur, car telle est leur race impure issue des débris de forge. Nous, nous ne sommes point comme cela. »

Harald agrippa alors une chope qui se trouvait non loin, et qui était la sienne depuis peu. Avalant plusieurs goulées dans des bruits de gorge trahissant les énormes quantités de bières qu’il tentait d’avaler sans s’étouffer, Harald lâcha alors un vent venu du fond de son glissoir, avant d’offrir un rire gras.

« L’Althinkalan arrivera dans une ennéade. Je ne doute point que Braähm soit en train de chercher des soutiens, ou du moins, d’alerter les thanes qu’il pourra recevoir dans la loge que je lui aie offerte. Mais cela n’est ni déshonorant, ni malveillant. A sa place, sans doute aurais-je fait pareil… Toutefois, nous ne devons point céder à la peur en nous rabaissant à des pratiques douteuses, mon ami. Je suis peut-être Roi, mais je ne suis en rien un dieu, ou le représentant d’un dieu. Il est de mon rôle de prendre des décisions pour notre peuple, mais, lorsque ces décisions sont si profondes et si clivantes, et qu’un thane commande alors l’avis des autres thanes… Il est de notre honneur de nous exprimer sans faux semblants et sans manipulation. » Dit-il, finalement, finissant d’une traite le fond de sa chope. « Ta présence, mon ami, est d’une importance capitale… Et, comme nous tous, se sera à l’aide de nos voix que nous pourront faire maintenir le bateau à flot. »