Au retour de la guerre. (Glumtol)

L’estomac de la noirelfe se vidait une fois de plus par-dessus bord. Les océans et les mers s’étaient montrés rudes ces derniers jours, tant et si bien que le capitaine du navire lui-même eut souffert du mal de mer. Et pourtant l’homme se targuait d’avoir passé plus de temps sur les océans que sur terre durant sa vie !
Redressant la tête, s’essuyant la bouche d’un revers de manche, la noirelfe contemplait la gueule béante d’une immense montagne semblant vouloir avaler l’océan tout entier. Là était le port de Thanor, protégé des bourrasques, des tempêtes et des intrus. De tout Miradelphia, il n’en existait pas un autre semblable. Et bientôt le ciel s’effaça au profit de la roche, les vents froids de l’Eris s’évanouirent et les roulements des vagues laissèrent place aux échos de la ville portuaire.

Une petite demi-heure plus tard, la voilà qui mettait le pied à terre. Prenant une grande inspiration, la noirelfe se fendit d’un sourire, prise d’un sentiment depuis longtemps oublié : Celui d’être enfin chez soi. Drôle de sensation lorsque l’on se trouve être une véritable tâche dans le paysage.
Après avoir fait ses adieux à l’équipage naélisien, T’sisra traversa le quartier cosmopolite pour s’enfoncer dans les boyaux de Thanor, à la recherche du bâtiment dans lequel se réunissaient habituellement les conseillers et dirigeants de la cité.

Quand bien même la garde la garde reconnue la daedhelle, puisqu’une seule noiraude n’avait été autorisée à fouler les terres ancestrales des dawis, elle n’eut d’autre choix que de patienter dans une salle à l’écart qu’on se décide à bien vouloir la recevoir.
Un temps qu’elle mit à profit en feuilletant l’ouvrage sur lequel elle travaillait depuis désormais plus d’une année. Et ce qui au départ n’était qu’un simple dictionnaire s’étoffait toujours plus, prenant lentement mais sûrement le chemin de l’encyclopédie. Grâce à ses pérégrinations et recherches, grâces à Nakor et à ses savoirs sans âge, la noirelfe se trouvait en mesure de manier le verbe ancien avec plus de précision et de facilité qu’auparavant. Cependant le chemin à parcourir restait encore long et fastidieux.

Ses oreilles se redressèrent au son des pas lourds en provenance du couloir, T’sisra referma son livre et le rangea dans son sac avant de se dresser sur ses deux jambes, prête à accueillir son hôte comme il se devait.

Les portes du bureau de la Voix de Thanor se refermaient derrière elle tandis que son hôte brisait d’ores et déjà le silence dans un salut enjoué. T’sisra se fendit d’un sourire, portant une main à sa poitrine pour incliner légèrement le buste.

- C’est un plaisir de faire votre rencontre Glumtol Barbe-de-fer. Déclara-t-elle en venant prendre place sur la chaise vacante face au bureau du maître des lieux. Aussi je ne vous ferai pas attendre plus longuement car les affaires de la guerre sont toujours pressantes.

La noirelfe laissa le silence s’installer l’espace d’une poignée de seconde, le temps de laisser son interlocuteur lui porter toute l’attention nécessaire.

- J’apporte des nouvelles des contrées vaanies. Et plus précisément du Royaume de Naélis, une cité que vous connaissez sûrement puisque son port n'est autre que le dernier arrêt avant de pénétrer les principautés thaaries. La noiraude croisa les doigts, s’appuyant sur ses genoux pour se pencher vers l’avant. Les armées du Puy ont déferlé sur les terres naélisiennes et, aux côtés des elfes, nous avons âprement combattu les forces sombres. La cité et ses terres en portent les stigmates et, par conséquent, s’offre une opportunité. Vous n’êtes pas sans savoir que Sol’Dorn est tombée aux mains de l’Elda, ainsi tout ce qui transite par l’Oliya se fait au regard de leur consentement. Il est donc capital que les drows ne mettent pas la main sur Naélis et puisse perturber les voies maritimes en plus des voies fluviales. Je sais le Zagazorn dépendre cruellement de ses relations avec les Milles-Caves, aussi je me devais de vous en informer.

Se redressant contre le dossier de sa chaise, la noiraude hésita un instant avant finalement tenter le tout pour le tout.

- J’ai bon nombres de connaissances en ces terres lointaines, notamment Nakor, l’archimage du Royaume. Je sais sa sympathie pour le peuple dawi et notre… Notre défunt Grand-Roi. Je me demandais s’il n’y avait pas là une opportunité de consolider des relations entre Naélis et le Zagazorn, ainsi qu’avec les elfes d’Anaëh venus les épauler lors des affrontements. D’un point de vue aussi bien stratégique qu’économique la cité naélisienne est d’une importance capitale et… Je m’interrogeais sur un point, ne serait-il pas à votre avantage d’y avoir vos entrées, en aidant à la reconstruction de la cité par exemple ? Ne serait-ce que quelques ingénieurs pour diriger une partie des travaux seraient d’une aide inestimable. Bien sûr, il nous faudra l’aval du Grand-Roi, mais avant toute chose, je souhaitais vous parler de cette idée.

Les oreilles de la noirelfe s’affaissèrent l’espace d’une seconde, tandis qu’elle arquait un sourcil. La voilà qui mettaient les pieds dans les méandres de la politique et cela n’avait rien d’agréable.

- Pas exactement. Thanor est le cœur économique du Zagazorn, or vos partenaires commerciaux, ou tout du moins les routes qui y mènent, sont aujourd’hui en péril. C’est de cela que je viens vous parler. Quant à ce qu’il faut faire, je me refuse à me lancer dans quoi que ce soit de manière officieuse. Naélis n’est pas qu’un simple port sur la route maritime menant à Thaar, c’est un objectif stratégique important aussi bien pour le Zagazorn que la Péninsule, l’Anaêh, Thaar et le Puy d’Elda réunis. Le monde entier lorgne dessus, et à raison.

T’sisra se pencha un peu plus sur sa chaise, posant les mains à plat sur le bureau de Glumtol.

- Soutenir Naélis s’est s’engager dans un jeu politique complexe et capital. Personnellement, je ne pense pas qu’il faille envoyer des clans entiers là-bas, ce serait contraire aux traditions et à la politique actuelle menée au Zagazorn. Seulement, quelques ingénieux bâtisseurs pourraient faire la différence, ne serait-ce que pour les aider à reconstruire, de quoi permettre de nouer les liens entre ce Royaume et le Zagazorn qui profiterait d’une porte sur l’Ithri’Vaan pouvant se révéler bien moins couteuse qu’une entrée dans le port de Thaar au vu des taxes mises en place. Si l'Anaëh et le Zagazorn viennent en aide à Naélis, le royaume gagnera un poids politique sans précédent, ce qui lui permettra de tenir bon face aux intentions malveillantes. Mais sachez que je suis biaisée, j’ai combattu les puysards à Naélis et j’y ai des amis. S’empressa-t-elle de souligner en levant un index. Aussi, s’il faut prendre la décision de les aider, il nous faut d’abord passer par le Grand-Roi, il n’est pas question de faire quoi que ce soit d’officieux, loin de là.

La daedhelle laissa son dos aller contre le dossier de sa chaise et croisa les bras, ses yeux s’étaient rivés dans ceux de la Voix de Thanor, tandis que ses doigts tapotaient en rythme le cuir lui recouvrant le bras.

- Je suis sur le chemin de Kirgan, je comptais informer le Grand-Roi des événements secouant l’Ithri’Vaan, ainsi que de la situation de Naélis. Mais je souhaitais vous prévenir, vous aussi, qui dépendez du commerce extérieur.

Un fin sourire se dessina sur le visage de la noiraude aux dires de Glumtol concernant la cité de Molgrunn. Cependant le voilà qui semblait demander une garantie presque impossible, T’sisra croisa les bras un instant, plissant le front sous la réflexion.

- Tout dépend du nombre de nains qui y seront envoyés. Protéger une personne n’est pas la même chose que garantir la sécurité d’une cinquantaine d’individus. D’autant que la mort peut vous faucher pour toutes sortes de raisons, un accident, une chute, la maladie…

La noirelfe posa les mains à plat sur le bureau de la Voix de Thanor, se penchant vers légèrement vers l’avant, comme pour mesure le poids de ses propos.

- Il me faudra retourner à Naélis d’ici peu, alors, si le Grand-Roi le décide et que des bâtisseurs nains doivent être envoyés sur place durant quelques temps, je mettrai sans hésitation ma lame à leur service si l’envahisseur se décidait à revenir. Affirma la drow en pesant chacun de ses mots avant de se redresser sur sa chaise. Sachez cependant qu’au vu des pertes qu’ils ont subies, nous ne les reverrons pas si tôt. Et si le Grand-Roi se décide à nouer des liens plus étroits avec Naélis et que nombre de dawis y sont envoyés, à part défendre la cité et le temps d’évacuer nos ressortissants, je ne vois pas ce que je pourrais faire de plus. Tout ce que je peux vous promettre c’est de mettre ma vie en jeu ainsi que toutes mes forces dans la protection de nos ressortissants si je le peux, ça oui.

La daedhelle avait déjà combattu pour Naélis, elle le referait. D'autant plus s'il fallait évacuer des dawis en catastrophe, bien qu'elle doutait fortement de revoir l'Elda aux portes du Royaume dans l'immédiat.