[Afflux] Althinkalan : une décision dévolue aux thanes

[Afflux] Althinkalan : une décision dévolue aux thanes

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6ème jour de la 7ème ennéade de Karfïas, Second mois de l’Eté.
Kirgan – Salle du trône.

La salle du trône était emplie d’éclats de voix, de discussions plus ou moins houleuses, plus ou moins présentes, plus ou moins fortes. Les voix de centaines de thanes du Zagazorn s’élevaient ensemble, dans un brouhaha indescriptible. Depuis des jours et des jours, les thanes des clans du Zagazorn répondaient à l’appel de l’Althinkalan commandé par la missive royale sous l’impulsion de Braähm Main-Ferme. Aujourd’hui, la tension était à son comble…

Pourtant, quelque chose tranchait presque drastiquement avec l’ambiance des thanes, et l’ambiance de la capitale depuis le retour de l’expédition vers la montagne solitaire détruire, que d’aucun nomme aujourd’hui l’Afflux. Les tablées, dressées en « U » sur plusieurs rangées permettant d’offrir une assise à tous les Dawis, possédaient des pichets de vins en verre, des tonnelets de bières déjà en perce, et des bouteilles d’élixirs et de liqueurs, suffisamment pour qu’un Nain puisse boire tout son saoul pour pouvoir éteindre la flamme de la rancœur ou de la peur, et laisser seulement éclater le courage d’une race forte et fière.

Des repas, furent également préparés. Rien de très extravagant pour une telle assemblée qui, même chez les Nains, demanderait bien trop de préparations. On pourrait se demander : « pourquoi tant de choses pour un Althinkalan extraordinaire et une question si importante ? »

Parce que Harald, à l’instar du souverain qu’il était et de l’ouaille qui avait été boire à l’eau d’une source claire, avait pu mettre de côté la rancœur, la colère, et la crainte. Il ne désirait qu’une chose : l’unité d’un peuple, qu’importe l’orientation spirituelle de ceux qui viendraient aujourd’hui… Aussi, alors que l’on aurait pu ne s’attendre à aucune forme de festivité, les cuisiniers s’étaient activés des heures et des heures durant pour offrir, sinon du réconfort, au moins une sensation de satiété commune typique des festins des Nains.

Trois coups de cor résonnèrent soudainement, invitant au silence et marquant le début de l’assemblée extraordinaire des thanes. Harald entra alors, presque tout de suite après le dernier coup de cor, se plaçant devant son trône. Il ne portait pas sa traditionnelle armure de plate couleur noir de jais ; ni son casque lourd de l’infanterie Lantaise ; ni son massif marteau de guerre qui fit trépasser nombre d’adversaires par le passé. Il portait sa tenue de lin, de velours et de fourrure, sa couronne légendaire… Mais aucun signe apparent de martialité.

« Thanes du Zagazorn ! Je vous remercie de votre présence aujourd’hui, malgré la distance que certains durent traverser pour pouvoir revenir à la capitale. Malgré les dangers, vous êtes toutes et tous ici pour siéger à cet Althinkalan exceptionnel. » Dit-il, introduisant donc le but de cette journée bien que celui-ci était connu de longue date dorénavant. « Je laisse la parole à celui qui commanda cette réunion : Braähm Main-Ferme. En tant qu’initiateur, il est de son devoir d’introduire son propos, et de vous faire face dans l’honneur. Vous pourrez ensuite chacun votre tour, prendre la parole si vous le jugez nécessaire. L’histoire s’écrit ici, avec vous, et cette saga, comme toutes les autres, sera gravée dans le roc de notre peuple. »

Puis, s’asseyant, Harald tendit la main vers Braähm qui avait été placé en contre-bas des trois marches menant au trône. Par cela, il indiqua alors que la place à la gauche du trône, dédiée à ceux ayant la parole, lui était maintenant dévolue.

Bienvenue à l’Althinkalan.

Braähm sera le premier à prendre la parole pour décrire sa situation, ses messages, et expliquer à tous les thanes le pourquoi de cette assemblée. Tous les thanes sont invités à répondre suite à cela : les thanes PJ, évidemment, mais aussi les PJ n’étant point thanes et qui pourraient/voudraient jouer leur thane PNJ, ou qui seraient le représentant dudit thane.

En fonction de l’évolution des débats et du RP, une intervention d’entité pourra avoir lieu pour exprimer les avis globaux des thanes PNJ, représentant ainsi « l’avis global de la société Naine à l’heure actuelle ».

Bon jeu !

Les Thanes de tout le Zagazorn étaient réunis en ce lieu aujourd'hui afin de débattre et de voter la décision, et au vu de la gravité de la situation, Hjolgrim était venu représenter l'avis du clan Brokkgog ainsi que d'une partie de Thanor, quand bien même il ne pouvait parler au nom de la cité elle-même, n'étant nullement à sa tête.

Sa posture est moins superbe qu'a l'habituelle, sous ses yeux se sont dessinées des cernes et sa fatigue est visible par n'importe qui présent. Débattre de ces sujets n'avait pas été sa seule occupation, car il avait aussi dû gérer les conflits internes, trainer plus que de raison dans les tavernes et les lieux de rassemblement afin d'y laisser une oreille afin de prendre la température. Comme si cela ne suffisait pas, il avait d'autres responsabilités en cours, certaines importantes d'autres moins bien que sa présence ici témoigne du fait que ce rassemblement est prioritaire sur tout le reste.

La position qu'il  prendrait ce soir allait décider en partie du sort de son Roi, mais il serait naïf de s'imaginer que cela s'arrêterait là, car les sages entendaient silencieusement l'intervention de chacun, ce qui était une mise à nu au niveau de l'échiquier politique. Le temps des timorés était fini au niveau de la caste responsable naine, car il allait falloir jouer carte sur table et prendre position.

Devant lui, le chef de clan possède divers documents sur lesquels on peut deviner quelques runes issues de divers patois, signant ainsi que plusieurs personnes avaient participé à ce discours quand bien même la décision appartenait à Hjolgrim. Une organisation rare au sein du Zagazorn, car d'habitude les plus sages étaient écoutés  et lui était loin d'être le plus sage, sans doute dirait-on d'ailleurs qu'il était le moins raisonnable de Thanor de par sa nette détestation des règles établies et par sa liberté d'action, qu'il allait sans doute prouver une fois encore lors de ce rassemblement hautement officiel.

Il se leva, se racla la gorge un bon coup puis prit la parole.

- J'suis Hjolgrim Brokkgog, Thane du clan Brokkgog et en charge de la future exploitation des gisements des septentrionales. J'parlerai ici en engageant ma responsabilité, celle de mon clan et celle d'ceux qui m'ont demandé en privé que leur voix soit portée au sein d'ce conseil.

Le Thane prit une courte pause, le temps pour lui de relire ses notes afin de savoir par ou commencer. Il les dépose ensuite après quelques secondes et se lança, sa voix portait désormais beaucoup plus.

- Si j'suis monté dans cette montagne, c'est pour trouver des gisements pis pour ramener le corps de nos frères de Thanor et de Kirgan qui ont été laissés dans la glace éternelle quand tout s'est effondré. Nous y étions, dans les montagnes le jour ou le destin s'est abattu sur not' peuple pis que les températures ont commencé à déchirer la neige. Nous n'sommes battus, nous avons perdus des frères pis nous avons monté l'dernier tronçon avec nos dernières forces pis la montagne de feu s'est dévoilée.

Un raclement de voix se fit entendre, puis une hésitation avant qu'il ne reprenne.

- Et pis là j'ai vu une grosse feuille de salade dans l'feu d'la montagne, avec un elfe qui dansait sur un ver de lave en contrebas. Et donc j'en arrive à la conclusion que nous aut' ben on devrait rejoindre les grandes oreilles et bouffer de l'herbe en lapant d'la flotte, pis donc j'voulais aussi convoquer nos confrères pour destituer l'Roi parce qu'j'trouve qu'la bière a mauvais goût.

Une tirade absolument sans aucun sens visible qui aurait fait rire toute une taverne, c'était tout simplement une démonstration par l'absurde bien mal ficelée qui correspondait tout à fait au Thane du clan Brokkgog. Afin de couper court a toute indignation, il tapa du poing sur la table à la fin de sa phrase, lui permettant ainsi de souligner la haine qu'il avait en ayant prononcé une pareille calomnie et soulignant ainsi une ironie manifeste avant de reprendre.

- Oui y'avait bien une montagne de feu terrible, et c'lui qui dit qui n'a pas craint la violence de la chaleur n'a pas vécu après l'effondrement des mines, pendant la longue nuit s'rait un menteur. Mais moi j'y ai pas vu d'signe si ce n'est un indice de c'qui s'passe, de c'qui s'est passé jadis pis de ce qui risque de s'reproduire encore. J'ai bien mon avis sur la question, mais c'est pas à moi d'décider si c'est l'père, ou l'fils qui empêche la montagne d'exploser, ou si encore Lirgan n'a pas fait tomber son four. Notre frère et responsable de la garde, à la tête du clan Fiers-Marteaux a lui même avoué qu'personne de ceux ayant vu n'est en mesure d'dire avec précision quel est ce nouveau signe ni c'qui s'passe entre le père et ses fils, alors de fait cela rend à mes yeux caduque la raison de la convocation de cette assemblée.

Ce n'était vraisemblablement pas un discours pro ou anti-mogarite mais un discours d'humilité qui allait dans le sens de son cri en haut de la montagne. Qu'ils soient tous maudits. Ne pas prendre de position religieuse à cause d'un manque de compréhension exacte des enjeux religieux n'était pas chose rare par ces temps, mais une chose était sûre il ne pardonnerait pas au père d'avoir frappé quoi qu'il lui en coûte, quand bien même il regrettait le temps ou leur peuple vivait en relative harmonie sous sa main bienfaitrice ; cela n'arrivera plus, car il a frappé.

- Mais j'prend quand même note que tout c'charabia mélangé en arrive au fait qu'il faille remettre en cause notre Groman-Rik. Alors vu que je n'suis pas qualifié pour parler de religion sans avoir eu l'avis de l'institution religieuse, contrairement à beaucoup d'entre vous d'ailleurs, j'vais rendre mon avis sur le Groman-Rik.

Hjolgrim tira une drôle de moue, qui annonçait déjà qu'il était bien peu convaincu que des arguments disparates qui n'étaient ni prouvés ni prouvables sans un avis éclairé des chefs religieux en arrivait à la destitution d'un Roi.

- Quand tout a disparu, quand nous avons tout perdu, quand moi j'savais pas quoi faire dans la nuit éternelle, que mes frères sont d'venus des abominations, ben j'ai pensé à tout arrêter, j'pensais qu'on était perdu et j'ai presque perdu la raison moi aussi. Pis y'a quelque chose qui m'a fait reprendre la tête de mon clan pis d'me battre, c'est qu'le Roi a décidé qu'on devait pas s'laisser faire pis qu'on d'vait reconstruire, avancer, il nous a montré que y'avait encore quelque chose à faire pis qu'on était des fiers dawis du Zagazorn, que nous ne nous coucherons devant personne quand bien même nous défierons celui qui a frappé en nous t'nant fièrement d'vant lui.

Il prit une courte pause.

- Hier nous étions un peuple déchiré qui a vécu beaucoup d'tristesses, des batailles sanglantes, des massacres au nom d'la religion, une nuit incessante pis des sauvageons partout qui tuaient frères et sœurs. Sans un Roi digne, nous ne nous serions p'tet jamais relevés de ça. Aujourd'hui dans nos plaines un calme relatif est r'venu, Thanor a protégé ses enfants et s'est relevée dignement, les fours se rallument et même si tout n'bat pas son plein comme avant, nous construisons chaque jour des nouveaux avant-postes. Demain, nous aurons une force de projection dans les septentrionales pis nous débuterons l'exploitation des gisements d'la montagne, et le Clan Brokkgog a des projets concernant les technologies à employer pis nous nous portons garants et responsables des résultats. Après-demain, nous retrouverons notre grandeur d'antan, et pis p'tet même que nous arriverons à contenir ce feu de d'la terre qui menace avec l'aide de toute la société Dawi, grâce à nos religieux pis grâce à nos sachants.

Enfin, il prit une dernière grande inspiration qui s'avèrera être la dernière, comme pour mettre en place une conclusion, il se tapa sur le ventre.

- Le Clan Brokkgog n'saurait répondre à cette basse manigance, et renouvelle sa fidélité et sa confiance en l'Ancien Capitaine du premier régiment d'infanterie de Lante, Ancien Ongaraz de Lantes, Ancien Gazanundi de Lante, Thane du Clan Brise-Os et notre Groman-Rik Harald Barbe-Sanglante, ce soutiens vient et se perpétuera avec les conditions que nous devons tirer au clair c'qui s'passe avec cette montagne, protéger notre peuple en construisant des renforts dans les mines pour éviter qu'elles ne s'effondrent, que nos murs soient prêts à nous défendre et qu'on s'prépare en attendant d'avoir l'fin mot de cette histoire, et que la direction que nous empruntons actuellement soit suivie afin d'continuer à chercher un remède pour sauver ceux qui peuvent encore l'être, et surtout récupérer notre montagne.

Certains nains n'apprenaient jamais, et une chose était sûre il faisait parti de ceux là. Pour lui, tant qu'il minait et que ses projets voyaient le jour, il n'avait aucune raison de changer quoi que ce soit. Il était neutre, ne voyant que ses intérêts directs mais aussi l'intérêt de ses frères. Sans preuve, il ne bougerait pas.

- Pis pour conclure, je tenais à notifier sur mon honneur devant l'assemblée qu'en cas de destitution du Roi par un tel fiasco, notre clan prendra son indépendance vis à vis de Kirgan, se projetant au sein du futur avant-poste de septentrionales. Mes bien chers frères, j'espère que votre écoute et votre indulgence préservera mon honneur, notre honneur à tous et nous guidera sur la bonne voie.

Le nain se rassit aussi abruptement qu'il s'était levé, regardant sa feuille. Il semblait satisfait des points abordés, même si il savait d'avance qu'il allait payer cher son ironie concernant les présages. Ce discours n'avait nullement différé de ce qu'il avait annoncé à Braähm en privé, même si aujourd'hui il avait veillé à y mettre particulièrement les formes avec l'aide d'autres dawis de son clan. Il n'y avait là aucune surprise ou retournement de situation.

Lors de leur dernière rencontre, Harald avait expliqué la situation à Brynhild. Elle n'avait pas prit part aux expéditions vers la montagne, peut être aurait-elle dû, mais elle avait été grièvement blessé avant et elle s'était focalisée sur sa tâche, la capture d'une engeance. Elle avait cependant lu avec attention tout les rapports qui lui arrivaient à Lantes, mais aussi la ferveur de Braähm à prôner le retour de Mogar et d'instaurer une politique en sa direction.
Après toute ses années de souffrances au Zagazorn, une reconstruction ardu, une population en difficulté à se reproduire, il voulait retomber dans un obscurantisme religieux. La guerrière ne fût donc guère surprise à la lecture de l'émissive la sommant de venir à Kirgan pour un Althinkalan, certainement pas le premier, ni le dernier. Malgré sa grossesse et la fatigue qui l'accompagnait, la thane avait fait le voyage jusqu'à Kirgan, tâchant de réfléchir aux différentes possibilités qui allaient être exposé.

La liée du Groman-Rik s'était levée au aurore afin de s'assurer que tout serait prêt dans les temps, des victuailles, de la bière, que chacun puisse s'asseoir à son aise et être accueillit comme il se doit. Les tables avaient été placé en U afin que chacun puissent se voir et s'exprimer avec facilité. La salle du du trône arborait une aura solennelle, comme si elle savait par avance l'issue de la réunion.
Les thanes arrivèrent par vague dans la Loge, seul, à plusieurs, certains à la mine inquiète ou perplexe, d'autres plus confiants. Elle en avait salué quelques uns qui s'étaient approché d'elle. Il fallait avoué qu'en ces temps, il valait mieux ne montrer aucune prise de partie, Brynhild en était une de part sa position de liée du roi. Elle espérait cependant qu'ils la considèrent en ce jour comme la thane qu'elle était, sa position de guerrière et son statut à Lantes. Des postes et des confiances qu'elle avait gagné par la force de sa pogne et de son esprit.
L'heure sonna, tout du moins le cor le fit, trois fois, pour annoncer l'entrée d'Harald dans la salle du trône où l'attendait tout les thanes qui avaient fait le chemin. Chacun prit sa place autour de la table, attendant le discours d'un roi et de celui qui les convoquaient.

Quelques dawis prirent la porte, exprimant leurs opinions, leurs pensées, leurs craintes avant que ce ne fût son tour. Elle avait écouté attentivement chacune de leurs paroles afin de s'enrichir dans sa propre réflexion.
Elle se leva avec un peu de difficulté de son fauteuil et se lança.

- Mes amis, oui car vous l'êtes malgré nos divergences d'opinions, je suis heureuse de vous voir bien que ce soit en une période aussi troubler. Je suis Brynhild Odomar, Thane du clan Odomar de Lantes, je pense que tous ici me connaissent. Sans doute certains me reprochent de ne pas être allé voir ce qu'il se passait là bas, veuillez m'en excuser d'autres projets m'incombaient. Mais j'ai moi même connu d'autres enfers au Zagazorn. J'ai mené des combats, fait couler le sang, perdu des miens pour nos terres, ces terres que je chérie au plus profonds de moi. J'étais là lorsque Mogar a déchainé sa colère lors de la longue nuit, et vous tous aussi, nous avons tous perdu quelque chose, un foyer, un proche, une vie que l'on appréciait...

Le silence pesait dans l'assemblée. Son regard croisa celui de plusieurs Thanes.

- Je ne vais pas reprendre ce qui à déjà été dit par ceux qui se sont exprimer avant moi. Mais les questions restent les mêmes. Qu'avons nous fait pour mériter ainsi de souffrir? Quel est la raison de sa colère? Nous n'avons fait que lutter pour notre survit depuis la longue nuit et cela mettrait Mogar en colère de nouveau? Elle tapa de la pogne sur la table avant de reprendre. Moi je suis fière de nous, fière des nôtres, ceux qui ont donnés leur vie pour le Zagazorn, pour protéger les leurs, ceux qu'ils aimaient, ce qui leur était cher. Et la seule colère acceptable est celle que l'on a envers lui de nous avoir abandonner quand nous avions besoin de lui.

La naine fit une pause, regardant son ventre et posa sa main dessus.

- Je sens une vie grandir en moi, je lui espère les plus belles choses de la vie, mais surtout je lui souhaite de ne jamais vivre le voile. Je refuse que l'on se plie aux exigences d'un Père colérique qui fait payer ses enfants sans aucune raisons. J'estime que pour pouvoir l'accueillir dans nos vie de nouveau, il doit prouver ses attentions envers nous, comme tout un chacun. C'est une valeur que j'ai reçu de mon père, un dawis respecté de tous, ami de feux le roi. Traite les autres comme tu aimerais être traité. Je transmettrais cette valeur à mon enfant à naitre.

Elle ferma les yeux pour souffler un coup.

- Nous nous sommes battus pour survivre, pour nous reconstruire, céder au retour de Mogar et se plier à sa volonté serait insultés nos morts dans cet effort de reconstruction. J'ignore s'il s'agit d'un bon choix et seul l'avenir nous le dira, mais je préfère la stabilité à l'incertitude de l'avenir, pour mon enfant, pour mon clan, pour le Zagazorn.

La thane regarda son lié.

- Je comprends que cette politique d'ouverture que mène Harald ne soit pas au goût de tous, nous sommes un peuple fier et nous n'aimons nous ouvrir au monde. Mais j'ose croire que s'allier aux longues oreilles peut nous apporter de grandes choses pour la grandeur de notre peuple qui se reconstruit et se relève d'autant plus fort. J'espère que votre méfiance s'estompera avec le temps en constatant les bienfaits de cette politique.

La guerrière se rassit dans bien que mal dans son fauteuil attendant qu'un autre dawis prenne la parole.

Cet Althinkalan avait commencé fort. Très fort. Les premiers échanges, s’ils avaient imposé le sérieux dans la salle, tirait malgré tout quelques sourires sur les visages des plus vénérables, vieux briscards de la politique qu’ils étaient encore aujourd’hui. Cette assemblée ici réunie s’était vue devoir prendre la responsabilité de statuer sur le règne de l’actuel Groman-Rik.
Les premiers esprits n'en tardèrent pas s’échauffer, car déjà une voix avait fait trembler les murs de salle. Et pas avec n’importe quel nom. Celui qui fut le Père, qu’on appelait aussi le Traître depuis la Malenuit et les ravages titanesques engendrés par sa folie destructrice. Sans compter toutes les conséquences qui s’en étaient suivies. Le sang des nains répandus par des nains. De cuisants souvenirs, parfois gravés dans les chairs en plus des mémoires, faisant grimacer l’assemblée, qu’ils fussent de l’Ouest comme de l’Est, du Sud comme du Nord. Le ressentiment envers celui qui les avait abandonnés et massacrés n’avait pas tardé à naître sur les lèvres.
D’autant que bien vite, d’autres sujets furent évoqués, il était question d’umgi et d’elgi. Le genre du sujet qui divisait, car le Zagazorn n’ouvrait pas ses portes à n’importe qui. Jamais. De tout temps, le peuple du Nord avait choisi avec discernement et précaution ses invités, quand bien même certaines périodes furent plus ouvertes que d’autres, les étrangers autorisés à fouler le sol du Zagazorn n’étaient que peu nombreux et on ne les laissait pas faire selon leurs bons désirs, loin de là.

- Moi, Drofun du clan Pied-Sûr, aimerait savoir de quoi il est question dans cet Althinkalan. Précisément. Insiste-t-il en marquant une pause. J'entends. J’entends parler d’un avertissement du Traître qui ne fait pas l’unanimité. J’entends ! J’entends parler des umgis et du conflit qui nous a opposé aux longues-jambes. J’entends déblatérer des elgis, des discussions sur les engeances que nous avons avec eux, ainsi que de forge, sans doute. J’entends bien des choses, mais pas assez. Parce que nous sommes dispersés. Tiraillés entre la politique et nos souffrances du passé ! Alors, je vais me permettre d’apporter mon coup de pioche au filon et tenter de mettre un point final à ce sujet. Je dis bien tenter, car je suis prêt à parier ma barbe qu’on va en entendre reparler d'ici à une poignée de minutes ! Un rire gras lui échappe. Le Traître. Et je rejoindrais l’avis du Narundi d’Almis, mais seulement sur un point. Je ne veux pas voir notre peuple vivre dans la peur du divin. De nourrir une crainte à l’ombre du Traître. Hors ! De ! Question !

Le thane Pied-Sûr descend les marches et vient se poster au centre de l’assemblée. Il écarte les bras et invite tout à chacun à l’écouter.

- Je m’étonne, mes frères et mes sœurs, je m’étonne ! Je m’étonne ne pas avoir encore entendu son nom ! Il parcourt l’assemblée du regard. L’ancien Roi-Guerrier de Lante. Le Wyrmdrengi ! Le Guzandrakka !! Il prend une inspiration, longue et profonde. Sa voix résonne dans toute la salle, il s’époumone comme pour faire disparaître les échos du nom du Traître. Gormisson !! L’élu d’Ikthor ! Un tueur de dragon, de rejetons de celui-là même qui nous a tourmenté ! Il est allé jusqu’à lui becter ses œufs ! Ah ! Rendez-vous compte ! Et depuis que le bougre est parti dans le Grand Froid, a-t-on revu ce satané Grand Ver ? Non ! Et je vous le dis, mes amis, le jour où nous entendrons parler à nouveau de Thorgrel Poing-de-Fer, c’est parce qu’il siégera aux côtés d’Ikthor, à sa table ! Et nous lui rendrons honneur pour les générations à venir ! Demandez-moi donc si je tremble face aux accès de colère du Traître ? Ah ! Ikthor est avec moi, alors ça ne me frise même pas un poil de barbe. Il est avec vous ! Il désigne l’assemblée de la main. Avec nous ! Le Gormisson nous l’a prouvé, maintes et maintes fois ! Aujourd’hui, Ikthor est dans nos prières à tous. Et comme tous les thanes finissent par laisser place à une nouvelle génération, je ne crains pas l’avenir avec celui-là !

La colère laisse place à quelques vifs applaudissements. Oui, le nom de Poing-de-Fer n’avait jusqu'alors pas été prononcé. Et pourtant, il le méritait plus que raison. Quelques-uns se sont même mis à scander le nom d’Ikthor dans le fond. Et Drofun Pied-Sûr conclut sa tirade par un sourire, contenté de voir les siens retrouver leur calme et bomber le torse, même si la crainte se lit encore sur quelques visages. Le nain lève la main pour saluer et remercier son auditoire avant de s’en retourner à son siège.

- Alors, si le sujet est clos, j’interviendrai pour parler de politique. On me connaît dans les plaines du Brissalion, moi et mon clan. Findok, je parle au nom du clan Couve-Mémoire. Le nain qui vient de prendre la parole est bien jeune et manque d’assurance, mais il ne manque pas cran pour oser s’imposer ainsi après les paroles de son frère. Nous autres sommes versés dans l’alchimie. Nous conservons les mémoires, les savoirs. Et l’Histoire. Et autant que je n’apprécie guère la vermine que peuvent parfois être les longues-jambes tant ils sont changeants et même par moment retors, j’avoue sans crainte que j’ai un profond respect pour les elgis, qui eux ont le goût du temps long et de la mémoire. Il marque un temps d’arrêt, prend le temps de mettre les mots dans l’ordre et reprend sur un ton des plus calmes. Si nous avons connu le conflit avec les elgis ? Oui. Bien des cycles auparavant. Et quand bien même nous nous opposâmes, jamais nous ne nous manquâmes de respect. Cependant, l’Histoire ne retient pas que cela. Car les conflits ont aussi permis un rapprochement, et pas des moindres. Nous leur avons appris certaines des plus renommées de nos techniques de forge et ils nous ont enseigné parmi les plus précieux des secrets de leur alchimie. Mon clan se targue de pouvoir travailler à nouveau avec les elgis, car nous pensons pouvoir soigner les engeances peuplant la Nerania. Nous y croyons, nous ne lâcherons rien. Pas lorsqu’il est question de la vie de barbes et de tresses. Il nous est impossible d’abandonner alors qu’il y a à peine une poignée d’années, tant des nôtres ont brutalement disparu. Alors, l’aide des elgis, je l’accueille. Et plutôt deux fois qu’une. Parce que je les sais aussi fiers que moi, que nous, je les sais connaître la valeur du respect, autant que nous la connaissons. Et quand je vois comment nous nous rencontrons et dans quelles conditions, je peux vous assurer que personne ne se balade librement dans nos contrées. Alors qu’on ne vienne pas m’expliquer que le Zagazorn à toutes ses portes ouvertes aux quatre vents. Il se rassoit, soulagé et heureux, son voisin, bien plus vieux, lui donne une tape dans l’épaule et lui adresse un signe de tête amical.

- Et puisqu’on parle de nos voisins… J’en profite pour saluer la politique étrangère. Que vous devriez tous apprécier, si vous voulez l’avis de Bolrin Fend-la-Houle ! C’est que moi et mes gars, on est d'Thanor, il s’arrête et salue Glumtol d’un signe de tête, et à Thanor, on trime nuits et jours sans repos pour importer et envoyer à travers tout le Zagazorn ce qu’il manque à vous autres dans vos montagnes, vos vallées et vos plaines. Nuits et jours ! Insiste-t-il en dressant un index abîmé par les années. Et je peux vous l’assurer, le commerce ne s’est jamais aussi bien porté que depuis la politique actuelle. Alors d’accord, on a eu un sacré merdier sur les bras. Et peut-être que vous trouvez que la situation a pas été arrangée au mieux, mais moi, pour y avoir été à quelques occasions chez ces foies jaunes, je peux vous dire que la tête du longue-jambes là, ils la lui pas raccourcie pour rien. Et le bonhomme c’était pas n’importe qui non plus. La gratin du gratin, un décideur parmi les décideurs, le genre de gars qu’on lâche pas, voyez ? Et bien pour pas avoir tergiversé longtemps, j’peux vous dire qu’ils savaient bien que peu s’en fallait pour provoquer not’ colère ce jour-là. Et ils avaient pas envie de la connaître, j’vous l'dit. Et d’ailleurs, moi non plus j’en veux pas de guerre. Moi j’veux reconstruire ce pays. Pas voir encore des miens mourir. Il baisse les yeux et secoue la tête, il en a perdu des gens lui aussi. Trop perdu. J’veux rebâtir ces cités, ces chantiers perdus et oubliés. Moi j’sais sur quoi vous bossez ! Combien de tonneaux de matériel on a envoyé à Kirgan ? Hein ? Des dizaines de dizaines ! Et j’peux vous dire qu’ils minaient fort les barbes qui progressaient vers l’ancienne Grand Salle des runistes, parce que chaque ennéade on nous en redemandait plus ! Et heureusement que le Groman-Rik a poussé les runistes à aller à Molgrunn, parce que j’vous l’dit, nous on aurait jamais tenu le rythme sinon. Parce qu’en plus de ça, fallait approvisionner les chantiers des Grandes-Voies, et pas qu’à moitié ! Sans oublier tous les besoins mensuels de la moitié des clans de ces terres ! Elle nous fait trimer sec la politique du Groman-Rik, alors que je bosse les pieds dans la flotte la moitié de l’année ! Et je m’en plains pas, au contraire ! Tant que je pourrais mettre un pied devant l’autre et hisser une voile, je m’arrêterai pas ! Son index fuse en direction d’Harald. Envoies-y les commandes, qu’on rigole un peu ! Il frappe dans ses pognes et se laisse retomber sur sa chaise sous les rires de ses camarades.

Quelques voix supplémentaires se sont élevées. Un peu plus calmes que les premières. Mais cet Althinkalan n’est pas encore terminé. Pas encore. Et le calme n’est jamais acquis dans les discussions entre nains.

Ainsi, sans plus de paroles et sans plus de cérémonie, Harald lança l’ouverture de l’Althinkalan. Il ne désirait pas faire de plus amples explications. Il ne souhaitait pas non plus jouir de sa position en introduisant ses propres propos, ou en agissant le premier dans une attaque peu ou proue camouflée, qui pourrait rendre à Braähm toute l’importance qu’il cherchait à avoir aujourd’hui…

Et puis, il y avait aussi le conseil donné par le Haut-Prêtre d’Ikthor, à Lante, voilà seulement quelques ennéades. Un conseil qui, au départ, n’avait pas réellement plut à Harald… Car il prônait l’entente, la conciliation, et l’entraide. Il prônait l’unité, et non la scission ; le pardon, et non la rancœur. Des conseils, et des témoignages que d’aucun pourrait trouver étonnant venu du prêtre représentant le culte du Puissant, guerrier parmi les guerriers. Et Harald, lui, pendant un temps, souhaitait la vengeance. La vengeance, face à un thane qui, depuis trois années déjà, agissait dans l’ombre et le dos de Harald dès lors que ses décisions ne lui plaisaient pas. Les rumeurs le concernant allaient bon train, et celui qui fut un des maîtres d’œuvres de la reconquête du Mogarium, et de bien de défis, devenaient de plus en plus un rebelle en recherche de contrepouvoir… Harald lui en voulait, car par deux fois, une décision qui n’allait pas dans son sens le poussait à agir contre Harald, dans son dos… Et aujourd’hui face à lui.

Mais toute cette rancœur fut doucement mais sûrement atténuée puis évincée par les paroles du prêtre, et par les ambitions du souverain. Si, déjà par le passé, il ne désirait ni guerres ni affrontement contre les Humains ou les Elfes, il désirait encore moins voir d’affrontement au cœur du peuple Nain… Non, point une autre scission, ni une autre guerre civile. Si pardonner à Braähm était le défi à faire pour pouvoir garder le Zagazorn sur de bons rails, et poursuivre sa reconstruction… Alors soit.

Mais voilà, d’autres témoignages d’autres thanes laissaient transparaître d’autres ambitions, d’autres envies, d’autres demandes faites directement ou indirectement à Harald. Des demandes liées à la présence des Elfes et leurs bien faits ; le commerce avec les Humains et la gestion de l’incident diplomatique Langecins ; l’attitude attendue d’un souverain, à la fois ferme, forte et fiable, mais aussi attentive, inspirée et anticipatrice. Des demandes qui, parfois, pouvaient s’annuler entre elles, mais ainsi allaient les choses : la fierté des Nains et leur capacité à agir comme un seul être dans les moments nécessaires, ne leur ôtaient point leurs ambitions claniques ou leurs intérêts personnels. Tous ne recherchaient point la même chose derrière un Grand-Roi… Et Harald, qui l’avait d’ores-et-déjà compris depuis les années, devait le leur prouver à nouveau aujourd’hui.

Lorsqu’enfin, la salle fut de nouveau silencieuse – ou presque, car on servait en continue bières et liqueurs, viandes grillées et ragouts mijotés et donc ce furent autant de bruits de pas et de coups de couteaux s’entrechoquant qui animaient l’ambiance de la salle lorsque s’arrêtèrent les dernières prises de paroles – Harald se leva, quittant son trône, et rejoignit la zone dédiée aux porteurs de parole, au-devant du fameux « U » et en contrebas des petits escaliers. En cet instant, Harald n’était plus le soixante-huitième Grand-Roi du Zagazorn… Il était un thane, face à d’autres thanes.

« Fiers thanes, barbes et bavettes du Zagazorn. Fiers frères, fières sœurs. A mon tour, je demande le droit de parole. » Ce faisant, et après avoir obtenu ce droit par le silence maintenu, Harald leva un poing droit qu’il frappa sur son poitrail. « Je suis Harald Thormundsson, thane du clan Brise-Os, dit « Barbe-Sanglante. » Dit-il, se présentant face à ceux qui, pourtant, le connaissaient parfaitement. « Comme vous le savez, je suis un guerrier. Un guerrier qui, par le passé, vénérait plus que quiconque le Père, maudit soit-il. Chaque combat, depuis mon Kumenouth jusqu’au Voile, ne fut mené que dans deux buts : défendre le Zagazorn, et prier le Père. » Dit-il, introduisant son propos. « Chaque tintement de lame s’entrechoquant, était un chant au Père ; chaque coup de marteau contre un bouclier de guerre, était une ode au Père des Batailles… « Barbe-Sanglante » a-t-on commencé à m’appeler, car ma barbe ruisselait du sang et des tripes de mes adversaires. Parce que je la trempais dans les entrailles de mes victimes… Parce que j’étais implacable, impitoyable, sanglant et brutal. » Dit-il, expliquant alors l’histoire derrière ce surnom que d’aucun souhaitait lui retirer… Et d’ailleurs, lui-même ne se sentait plus « Barbe-Sanglante » aujourd’hui. « L’Ire du Maudit, je l’ai vécu comme la pire des trahisons. Moi, qui n’avait fait que me battre selon ses préceptes, avait été trahit par Lui, comme il vous a trahit vous, comme il vous à fait souffert. Je l’ai rejeté, bannis, honnis… Et alors commençait une période d’errance religieuse qui m’ôta toute conviction… Jusqu’à-ce que Thorgrel Poing-de-Fer ne me ramène sur le chemin du combat. » Dit-il, ouvrant alors ses bras, accentuant sur ses cordes vocales pour pouvoir se faire entendre dans son réquisitoire…. Ou plutôt, témoignage. « Le combat pour un Zagazorn réunifié ! Alors, à ses côtés, je menais mes troupes jusqu’au cœur du Khaton d’Almis, manquant de mourir aux côtés d’Alaric Œil-Tempête lorsqu’une lance Grobi transperça mon flanc ! » Commença-t-il, martelant alors ce qu’il introduisit comme une promesse faite à tout un peuple. Une promesse par l’exemple… Par DES exemples. « Le combat pour un peuple en sécurité ! Alors, grâce à son impulsion et celle du DurAcier, j’organisais et aidait à la construction du Grand Mur du Sud : l’Hunzrung-Langk ! Le combat pour la nourriture ! Alors, dès lors qu’il fut béni par le Puissant en devenant son Fils, je devins le Gardien des Plaines, et ce faisant, manda aux Elfes leur aide en agriculture et herboristerie, afin que toutes et tous, aujourd’hui, et pour les générations à venir, nous puissions nous nourrir, boire, festoyer sans avoir peur d’assécher nos fleuves, d’appauvrir nos terres. » Rabaissant ses bras, Harald frappa à nouveau son poitrail, parlant d’une voix si forte qu’il s’en érailla presque la gorge. « Le combat d’un peuple et d’un royaume ! Alors, lorsque Hardrek Poing-de-Fer rejoignit les Derniers Halls, c’est devant vous que je me tins, et devant vous que je m’engageais à combattre pour le restant de mes jours, pour l’intérêt de tout un Royaume ! » Il baissa à nouveau la voix, et rouvrit légèrement ses bras. « Jamais je n’aurais pu être le Roi de la reconstruction, en demeurant « Barbe-Sanglante ». Jamais je n’aurais réalisé tous ces défis, en ne jurant que par la violence aveugle, impitoyable et indestructible. » Il regarda alors Braähm, puis Wyrgar, puis Ararün. « Oui, aujourd’hui, je vis par les préceptes des Sept Fils. Car jamais, ô grand jamais, la folie du Père n’aurait pu permettre telle reconstruction, ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. »

Il ferma ses bras, les ramenant alors derrière son dos. Baissant la tête, il râcla alors sa gorge, tiraillée qu’elle était par cette puissante prise de parole dans laquelle l’émotion fut autant partie prenante que le besoin de s’expliquer, la nécessité de grandiloquence, l’envie d’en découdre. Voyant cela, Hilda, sa fille, lui tendit une chopine d’une bière fraîche qu’il engloutit tout de go. Alors, il s’essuya la barbe d’un revers de sa manche, redressant sa trogne, dardant un regard éclairé sur une assemblée en attente d’une suite. Partout où ses mires se posaient, il voyait des trognes vieillies par les années en quête de réassurance ; des jeunes thanes, sûrs d’eux mais encore en recherche d’une voie à suivre ; des bavettes dans la force de l’âge, le ventre arrondis comme celui de Brynhild, portant la vie et l’avenir d’un peuple ; des cognards, érudits, ingénieurs et autres têtes pensantes, qui attendaient, haletant, la suite du discours de Harald.

« Je n’ai pas vu ces terres enflammées de mes propres yeux. Je n’ai pu que voir ces flammes, cette lave, et les créatures des profondeurs remontées à la surface, qu’au travers d’un vélin habilement dessiné grâce aux talents de Rubisséa Barbe-de-Fer. Mais même au travers du graphite, j’ai pu déceler la trace d’une force destructrice. Serait-ce le Père ? Serait-ce simplement le terre expulsant le trop plein de magma ? Ou l’expression d’une autre divinité souhaitant se manifester ? Je n’en sais rien, je ne puis en être sûr. Aucun de nous ne le peut. Nous ne pouvons qu’interpréter cela, selon nos affinités avec les dieux, nos craintes pour eux, notre adoration pour eux. Si, moi aussi, comme le font certains d’entre vous, je marche aux côtés d’Ikthor et de son Fils rappelé à lui, sans craintes et sans peurs, je ne peux toutefois m’empêcher de penser que le Père, dans sa tout puissance et folie destructrice, se cache toujours là, quelque part. » Dit-il, d’une voix calme et posée cette fois, sans parti pris, sans condamnation, sans once d’envies guerrières. « Qui suis-je, pour prétendre parler au nom d’un dieu ? Quand bien même aurais-je lu tous les livres, assisté à toutes les prêches, ma voie n’est pas celle de la religion. Je ne puis prêter de dessins ni d’intentions à une divinité, car ce n’est pas à travers moi qu’elle s’exprime. Mes rêves ne sont point baignés par leurs propos ; mes songes ne sont pas les leurs. Je serais fou d’oser dire que moi seul détient la vérité sur ce qu’il s’est passé là-haut. » Martelait-il, rappelant alors à tous qu’il était impossible de connaître les dessins et les projets des dieux. « La question religieuse, ne doit trouver de solutions qu’aux travers des écrits et des témoignages de ceux qui en sont les représentants et les gardiens. Pas aux travers de craintes, d’inquiétudes, ou d’ambitions. »

A nouveau, il marqua une pause. A nouveau, il regarda tous ceux qui se trouvaient autour de lui, puis, autant qu’il le pu, il porta son regard vers le fond de la salle. Un profond souffle quitta alors ses lèvres, avant qu’une grande inspiration ne suive. Ses poumons se gonflant grâce à l’air ambiant, lui bombèrent le torse et le poitrail, alors qu’il rouvrit ses bras, paumes vers le sol, en signe d’apaisement.

« Je ne vois dans vos yeux que l’envie de revoir un Royaume uni, libéré, reconstruit. Je ne vois que la fierté d’un peuple. Je ne vois que des Braises-Vies qui éclairent les ténèbres rien que par leur présence aujourd’hui, en ce jour. Je ne vois qu’un peuple… Un seul peuple. » Dit-il d’une voix calme, un léger sourire sous sa barbe. A nouveau, on lui tendit une bière, qu’il accepta, bu, et reposa alors dans un mouvement si fluide qu’on l’aurait cru maîtrisé depuis des lustres. « Les craintes et la peur ne peuvent venir troubler tout cela. Je refuse qu’une montagne nous divise… Mais, plus que cela, je refuse également qu’aujourd’hui, des amitiés se meurent dans l’émergence de rivalités dangereuses. Car cela serait mauvais signe pour cette assemblée ; mauvais signe pour notre peuple ; mauvais signe pour nos projets. Mauvais signe, tout simplement… » Dit-il, sa voix mourant presque à la fin de sa tirade, symbolise audible de propos assumés. « Aujourd’hui, nous devons sortir plus unis que jamais de cette assemblée exceptionnelle. Ce n’est pas uniquement mon destin en tant que Grand-Roi qui repose entre vos mains… C’est celui de notre peuple uni, sachant pardonner nos erreurs, plaçant sa confiance en lui-même, s’enivrant uniquement d’ambitions brillantes pour un avenir radieux… Et uniquement de cela. »

A nouveau, il se tu. Mais cette fois, il ne fit pas que regarder l’assemblée des thanes, boire une bière, s’échauffer le glissoir pour pouvoir à nouveau parler longuement. Non. Cette fois, il fit demi-tour, gravit l’une des trois marches qui menaient à la petite estrade sur laquelle se trouvait le trône, et fit volte-face. Il n’était pas tout en haut, sur son trône. Il n’était pas tout en bas, au-devant des thanes. Il prit juste ce qu’il fallait de hauteur, afin de proposer ce qui allait suivre, comme il l’aurait fait d’une promesse, d’un pacte, d’un serment.

« Nous devrions retourner là-haut, dans la montagne. Avec ceux qui accepteront de voir de leurs propres yeux, mais pas seulement. » Dit-il, introduisant la suite dans une légère langueur qui ne souffrirait point d’une plus longue attente. « J’irais, là-haut. J’irais, et je me rendrais compte. Nous découvrirons, si les divinités le souhaitent, la vérité derrière tout cela. Et j’inviterais tous les Hauts-Prêtres à me suivre, car je sais qu’ils le feront. Si une réponse religieuse doit être donnée, elle ne m’appartient pas, mais appartient à ceux qui ont dédié leurs vies aux divinités. Nous retournerons là-haut… Et comme un seul peuple, une seule Braise, un seul être… Nous comprendrons, et nous en ressortirons grandis. Car le temps n’est ni à la guerre, ni à la discorde, mes frères et sœurs… Il est à la reconstruction, au bonheur et à l’amour. L’amour de vies à naître… » Il regarda alors sa liée, et les quelques bavettes porteuses de vies. « Le bonheur de vies retrouvées, développées, appréciées… » Il regarda ensuite ceux qui furent les plus apeurés, ceux qui doutent et ceux qui attendent… « … La reconstruction de foyers, des cœurs et des esprits, du plus hauts sommets du Nord jusqu’aux derniers bosquets du Sud. »

Cette dernière phrase, cette dernière promesse, il l’avait faite en regardant d’abord Ararün, puis Braähm. Il n’avait ni étincelle malicieuse dans les mires, ni air revanchard sur le visage. Il n’avait ni attitude dédaigneuse, ni démarche inquisitrice. Lorsqu’il remonta les deux marches restantes pour reprendre sa place sur le trône, il le fut l’esprit en paix, la mine calme et le regard clair. Et, une fois assis, alors qu’il apparaissait très clairement que nombreux étaient les voix qui désiraient à nouveau s’élever sous les voutes de Kirgan, il tendit sa main ouverte, indiquant alors à qui le souhaitait parler qu’il fallait reprendre place au-devant des thanes du Zagazorn tout entier.

La réaction d'Hjolgrim ne se fit pas attendre, et face à l'injonction du demandeur face au Groman-Rik, celui-ci se leva afin de protester, et sans doute n'était-il pas le seul à en faire de même. Il tapa sur la table du poing tout en clamant son indignation, qui finit malgré tout par se calmer afin que le silence ne règne de nouveau. Il s'agita de nouveau dès lors qu'il fût pris à parti par la réponse de Braähm mais cette-fois ne se fit pas remarquer, sans doute car encaisser et préparer sa réponse était la seule chose digne qu'il pouvait faire en ce moment.

Lentement, il se leva de son assise et déposa le cuissot qu'il était en train de boulotter. Il fallait dire que face à son agitation précédente, l'os était cassé en deux et la viande pendouillait comme pendouillait l'appareil défectueux d'un bélier du Zag après une bataille, ce qui ne manqua pas de faire sourire discrètement ses voisins directs. Contrairement à la fois précédente, il se prêta à l'exercice et descendit se présenter au centre de la pièce, sans se contenter d'interpeller depuis sa place comme il était parfois coutume de faire dans les assemblées. Ce faisant, il signait le fait qu'il allait intervenir directement en face des concernés, témoignant sans doute de son irritation notoire.

- Mes frères et soeurs, dit-il alors sans cette fois-ci oublier la gente féminine présente chez les thanes, je crois voyez-vous que la chaleur du Volcan pis cette vision horrifique a ramolli la caboche de ce bon vieux Braähm Main-Ferme.

Le registre employé est excessivement poli, même pour le commun des nains du Zagazorn, même si le ton se prête à la réponse qui fût faites.

- Si vous voulez bien m'accorder un petit moment, je me demandais voyez-vous de quel droit...

Hjolgrim prit une longue inspiration qui laissait redouter le pire, et il ne fallut pas bien longtemps avant que cela n'arrive et qu'il ne beugle a plein poumons, faisant porter sa voix bien plus loin que nécessaire.

- CELUI QUI DEMANDE EXPRESSEMENT A PARLER DEVANT LA TOTALITE DES THANES DU ZAGAZORN ORDONNE T-IL LE SILENCE A LA PLACE DU GROMAN-RIK.

Sa colère semble cette fois-ci inextinguible, et ainsi ses mains crispées et sa mine bien peu sympathique témoignaient du fait que cette rancune nouvellement créée n'était guère prête de s'effacer de sitôt. Sa voix se fait cependant plus calme afin de nuancer avec son coup de gueule, mais reste tout de même forte et assurée.

- Et de quel droit m'ordonnes-tu sur le sujet d'quoi j'dois parler ?

Il s'emmela cette fois-ci les pinceaux, il n'était clairement pas habitué a employer un registre aussi poli, mais l'intention y était tout de même.

- Au cas ou notre système politique t'aies échappé, moi j'suis Thane du Clan Brokkgog, pis on est dans une société clanique, pis la voix de mon clan compte autant que la voix du clan de tous les autres Thanes s'étant rassemblés ici. De quoi souhaites-tu qu'un mineur puisse te parler, Main-Ferme ? Devrais-je donner mon avis sur la r'ligion ? Devrais-je te chanter les louanges du passé, des combats, des faits-d'armes d'un autre clan ? Pendant un moment est-ce que je t'ai semblé être un masseur de boulard ? Dois-je donner mon avis sur la venue d'une délégation d'bouffeur de verte pis de je sais pas qui, et connaître les enjeux qui en découlent ? Moi j'sais rester à ma place, pis je parle de ce que je sais que je sais.

Hjolgrim émit un rire de ventre bien gras, un rire dawi que l'on entendait que dans le fond des tavernes de Thanor dans les soirées bastons les plus animées, avant qu'il ne lève ses pognes au ciel, tournant sur lui même comme prenant à témoins tous les Thanes du Zagazorn.

- Je m'excuse au nom d'cette assemblée, car il semblerait que je n'sois pas assez instruit ni sachant pour prendre part à ces débats, c'est Main-Ferme qui décide qui doit parler, et de quoi on doit parler dorénavant.

Il rabaissa ses bras avant de les relever à l'identique cette fois-ci de façon plus véhémente.

- Y manipule c'qui veut comme bon lui semble, j'ai dit que j'ai pas vu d'signe, pis lui il dit qu'on est tous d'accord qu'on croit qu'c'est le signe de Mogar.

Il se fit un peu plus grave et sa voix se fit plus basse, sans doute afin de forcer l'assemblée à tendre l'oreille, car il ne doutait guère qu'ils brulaient d'impatience de connaitre le point final cette joute verbale, de ce pamphlet des montagnes. Un conteur de tavernes à n'en guère douter, comme l'étaient d'ailleurs plus ou moins bon nombre de Thanes.

- T'sais quoi Main-ferme, j'représente les intérêts d'mon clan, et le travail du Groman-Rik sur ceux-ci, pis les autres Thanes voient aussi leurs intérêts et l'intérêt de leurs frères, quand bien même soient-ils pas d'accord avec moi pis opposés à moi, pis la totalité d'entre eux que tu vois rassemblés ici mis les uns avec les autres, ben ils représentent la quasi-totalité du fier peuple du Zagazorn, alors ils ont bien l'droit d'parler de ce qu'ils ont envie d'parler, pis de dire si ils sont pour ou contre, pis parler de leurs projets pis de ce que sera fait demain, pis aussi tu leur doit l'respect parce que t'es pas encore Groman-Rik, tu seras ptet Groman mais jamais Rik pis si t'es Rik t'es plus Ric-rac que crac, pis ton petit ton autoritaire tu t'le gardera bien à l'avenir.

Il haussa les épaules et fit demi tour, semblant déjà avoir fini son discours qui n'en était pas vraiment. Il n'avait pas jugé nécessaire d'argumenter ou de donner son avis, son angle d'attaque avait changé car selon lui, il n'avait strictement rien a perdre à se défendre de front.

- Pis tu vas voir c'qu'il en coûte d'insulter le peuple de Thanor au travers d'son représentant. Moi j'prends plus part à ce débat, j'suivrai pas cet ingrat, ma décision est prise et mes conditions posées pis ca changera pas. Maintenant je vais bouffer en paix si ça dérange personne.

Sa phrase à peine achevée qu'il était déjà sur son siège, ayant continué de parler, son séant s'est posé dès lors que sa phrase fût cloturée, comme s'il n'en avait plus rien a secouer de ce qui pouvait bien se passer ; Le clan Brokkgog était braqué et il ne fallait sans doute plus compter sur lui sauf en cas d'injonction du Groman-Rik a prendre la parole, ou encore lors du vote final, car il devait aussi le respect à l'assemblée et aux Thanes. Quoi qu'il en soit, il reprend son repas sans trop se soucier des cris, qu'ils soient d'indignation ou d'encouragement.

Le Thane des Fiers-Marteaux avait écouté les uns et les autres en silence, ruminant par instant dans sa barbe. Chacun y allait de son avis, de ses envies et projets, certains même, s’éloignaient du sujet initial.
Braähm reprit alors la parole et chacun des présents prirent une soufflante par Main-Ferme. Ararün fronça les sourcils en l’entendant. A cet instant, le vieux dawi paraissait tel un broutard prit de folie, chargeant quiconque dans son champ de vision. Une brève pensée traversa l’esprit de l’officier, qui se demanda si la folie du Père ne s’était pas emparée de lui, le rendant peu à peu semblable aux berserkers du nord.
Après la longue tirade d’Hjolgrim, bien que creuse de sens, mais suffisante pour détendre un peu la salle, Ararün se releva à son tour pour prendre la parole.

Cette fois-ci il ne descendit pas les marches et resta à sa place, désignant Braähm de son index ganté.
« Main-Ferme, tu t’trompes d’manière de mener ton combat. Tu t’égosille à grand coup d’gueulard contre tous l’thanes ici présents, y comprit ceux qui sont du même avis qu’toi. Tu fais preuve d’la même folie qu’les autres redoutent du Père à cet instant, Braähm. » Il expira sèchement par le nez en fixant la barbe en question et reprit. « J’t’ai déjà dit avant même qu’tu ne convoques l’Althinkalan que je ne comptais pas changer d’Groman-Rik, je t’apprend rien ni t’prend par surprise. Mon avis reste inchangé à ce sujet d’autant que… » Il pivota sur lui-même scrutant les thanes présents longuement, comme s’il tentait d’y déceler quelque chose. « D’autant qu’aucune barbe ici présente ne sera en mesure d’prendre pareil rôle. J’n’en vois aucun qui satisferait l’assemblée ou qui serait en mesure de maintenir le Zagazorn pour lui redonner sa gloire… Aucun. »

Finalement, il revint à Braähm et reprit aussitôt. « Alors, comme l’a dit Sognir… Que proposes-tu concrètement ? Parle certains d’entre nous t’écoutent attentivement. »

Finalement, il se rassit en lissant encore sa barbe. Son dernier œil valide alla se loger en direction d’Harald. Le discours de ce dernier ne l’avait pas interpellé, c’était là encore des paroles et l’officier, lui, n’attendait que des actes sur les sujets évoqués.

La naine était quelques peu amusé de la scène qui se passait devant elle. Et comment aurait-elle pu ne pas l'être? Elle avait assister à de nombreux débats, que ce soit au sein de son clan, de réunion militaire, de conseil de ville, ou de thane. Tous avait une opinion et il était bon de garder en tête qu'une opinion n'a de valeur qu'avec le nombre de personne qui l'a partage et cela ne l'a rendra pas plus légitime pour autant. Elle respectait le calme et la distance que certaine prenaient et jugeait ceux qui s'emportaient car leur idée n'était pas celle de tous. Souvent elle les voyait comme des enfants en plein caprice, et c'est ce qui se déroulait sous ses yeux.

Braâhm agissait de manière irrespectueuse, insultant ceux n'étant pas de son bord, ni même ceux qui l'était, prônant la folie ou la bêtise. Un enfant ne supportant pas que l'opinion publique ne soit pas nécessairement ou entièrement de son côté.

Cependant le plus croustillant était à venir, ses paroles embrasèrent l'assemblée. Il avait suscité la colère de plusieurs Thanes et a juste titre quand on les insultes.

La guerrière écouta attentivement les paroles de chacun avant de prendre la parole à son tour.

- Eh bien! Je me sens flattée de ne pas avoir été la victime de tes insultes car dans tes paroles, je dois être celle envers qui tu as été le plus respectueux, Mais vois-tu, nous traités d'orgueilleux, de faux, d'imbéciles et j'en passe, n'aidera pas ta cause à mes yeux.
Tu ose nous convoquer et tu te prends déjà pour le groman-rik en nous demandant de faire silence? Qui es-tu pour te permettre de tel propos en cette pièce?
Tu clame ne pas avoir d'ambition à devenir le roi et je te crois là dessus, mais nous réunir ici aujourd'hui laisse entendre que tu es prêt à assumer cette fonction si tu le dois, mais rappelle toi notre passé. Tu incarne en cet instant précisément la folie que l'on a perçu chez Dun Eyr et qui a mener à sa mort. Rappelle toi la folie qu'à traverser notre peuple et le mal que nous avons eut à nous relever.

La naine prit une pause de quelques secondes avant de reprendre.

- J'entends tes propos, j'entends ton opinion de la chose et je ne partage ton avis, est-ce que cela mérite ton irrespect et ta condescendance? Élever la voix pour parler plus fort que les autres ne changera rien durant ce conseil car nous sommes tous égaux et cela le demeura jusqu'à mon dernier souffle.

La liée du Groman-Rik se leva de son fauteuil sur lequel elle était resté assise, et posant ses deux mains sur la table, poussant son corps vers l'avant en directe de Braâhm. Le regard de la guerrière était devenue noir.

- Et bien que ce soit flatteur, ne m'appelle plus jamais Reine, je suis dans cette assemblée à la même position que tous et ne me considère aucunement au dessus de qui que ce soit. Suis-je claire?

Si certains tirent des trognes de six pieds de long à la tirade vitriolée du dawi, Drofun quant lui, laisse échapper un gloussement. Il se penche vers son voisin avec qui il échange quelques paroles à voix basses tandis que d’autres répondent à l’instigateur de cet Althinkalan. Dans la salle du trône, la tension monte et les esprits s’échauffent quelque peu, mais, malgré tout, les choses restent relativement apaisées. Une opportunité pour le nain de se dresser à nouveau et descendre jusqu’au centre de l’assemblée des thanes.

- Camarades ! Camarades ! Scande-t-il dans une gestuelle appelant au calme. Je gage que certains d’entre nous souhaitent discutailler de la chose politique, de véracité et autre. Autant que je sais d’autres avoir la moutarde qui leur monte au nez et que ce spectacle commence à ennuyer. Il marque un temps d’arrêt, tourne lentement sur lui-même en toisant les barbes et les bavettes en présences. Nous avons été réunis pour prendre une décision. Devons-nous, oui ou non, renouveler notre confiance à Harald Barbe-Sanglante ? Là est la question qui a convoqué cette assemblée et non de débattre d’une marche à suivre sur je ne sais quel sujet sans que rien n’ait encore été mis sur la table, mis à part quelques invectives bien senties. Alors, mes amis, votons. Votons ! Votons et, que ceux qui y tiennent, restent ici pour discutailler du Traître, de nos héros qui ont abattu des Grands Vers, puisque visiblement, il y en aurait eu d’autres…  Il glisse un regard perplexe en direction du Thane Main-Ferme en gloussant. Que ceux qui veulent voir Barbe-Sanglante descendre du trône restent assis. Les autres, levez-vous ! Dressez-vous sur vos guiboles !

Le silence qui s’abat sur la salle n’est dérangé que par une vague de chuchotements et marmonnements glissant sur les lèvres des uns et autres. Et finalement, l’un d’entre eux se lève. Son voisin fait de même. On répond de l’autre côté de la salle. Bientôt, le bruit des bottes sur la pierre joue sa symphonie. Car c’est une large majorité de dawi qui se dresse en ce jour. Qu’ils soient de vigoureux soutiens ou des mécontents loyaux, la confiance n’est pas brisée. Pas encore. Pas maintenant.

- Les thanes ont parlé. Tonne Drofun et faisant face au Groman-Rik.

Quelques voix s’élèvent, des rires sporadiques et, déjà, quelques barbes descendent de leurs assises pour quitter la salle. Ne resteront que les plus intéressés par Main-Ferme et sa plaidoirie, les plus curieux ou ceux qui n’attendent que de se repaître du spectacle.

Une chose était certaine : ce jour était des plus difficiles pour le Zagazorn et ses thanes. Il l’était encore plus pour Harald, qui devait aujourd’hui se placer sous la bénédiction des thanes pour la seconde fois de sa vie et de son règne, en seulement quatre années. Si l’exercice était désagréable, car cela montrait qu’un seul Nain grincheux pouvait déstabiliser le pouvoir en une seule décision, en commandant l’Althinkalan.

Un seul Nain. Peut-être pas n’importe lequel, peut-être, mais qu’un seul tout de même. Prendre des décisions difficiles, partiales ou non, provoque toujours une réaction opposée à celle de la décision. Faut-il trancher entre deux éleveurs qui se disputent une partie d’un roc aux pentes salées, prisées par les boucs du Septentrion et autres moutons et chèvres ? L’un sera heureux, l’autre, définitivement moins. Faut-il trancher entre deux commerçants se chamaillant sur les termes d’un contrat, ou la réalisation d’une commande défectueuse ? L’un sera heureux, l’autre, encore une fois, nettement moins.

Toutefois, depuis quatre ans, nombreuses furent les décisions, petites et grandes, qui durent être prises. Les accords avec les Elfes, ceux avec les Péninsulaires, ceux avec Naélis… Sans oublier les immenses chantiers, l’étude des Engeances, la politique intérieure, le développement des armées, des artisans, du commerce… Toutes eurent leurs lots de louanges. Toutes, également, eurent leurs lots de détracteurs. Revoir les Elfes déambuler dans le Lörn, plus ou moins librement ? Inadmissible, pour certains. L’or des Péninsulaires ? Honteux, pour certains. Mais, heureusement, une majorité de Nains appréciait ces changements : l’apport de l’expérience et des savoirs des herboristes, horticulteurs, bûcherons, cueilleurs et agriculteurs Elfes, avait été une bénédiction pour les Nains du Lörn et du Brissalion. Face à un frêle début de renouveau de la population Naine, mais surtout, face aux défis et aux chantiers, la population Naine devait se nourrir, manger, grandir, et cela ne pouvait point se faire sans une nourriture adéquate. Et en quantité… Car les Nains mangent comme quatre !

Quid de l’or Péninsulaire alors ? Rappelez-vous ! Harald avait ordonné un mois d’économie de guerre, dans le but de reprendre les territoires perdus. Pour pouvoir préparer l’armée et toute la cohorte inhérente à de telles opérations, il fallait des armes, des armures, des chariots, des chars de combats, bref… Enormément de choses. Et que s’était-il passé ? Les plaintes. Nombreux furent les artisans et commerçants à souffrir d’une telle économie réduisant énormément le commerce extérieur. Tant et tant, qu’Harald dû faire marche arrière, et renoncer. Aujourd’hui, toutefois, l’or dépensé par les Péninsulaires dans les comptoirs Nains, permet à chaque commerçant d’agrandir sa fortune personnelle, lesquelles se retrouvent tantôt dans les dépenses adjointes, les taxes et autres impositions obligatoires… Tous en semblent heureux, au final.

Et cela se vit, alors que, telle une forêt robuste, les Nains se levèrent et s’élevèrent face à Harald, et surtout, face à Braähm, qui avait été l’instigateur de tout cela. La confiance n’était pas brisée… Pas encore… Pas maintenant. Une forêt dressée, par à l’apôtre de l’apocalypse et du chaos.

« Ainsi soit-il. » Dit-il, depuis son trône. Il se leva ensuite. « Aujourd’hui, Ikthor m’en soit témoin, je vous remercie pour votre confiance. Votre loyauté au Zagazorn vous honore, vous, et vos ancêtres. Et l’honneur que vous me faites, est le plus grand de notre monde. » Il resta debout, alors qu’une partie de la salle se vidait de ses occupants. Ils étaient nombreux à n’être venus que pour répondre à l’Althinkalan, car l’honneur le leur demandait. Pour ce qui était du reste… Au final, Braähm n’avait pas autant de soutiens. Ou alors, des soutiens plus curieux qu’autre chose. « Braähm. C’est à toi. »

Le verdict venait de tomber, implacable. Une majorité de thane s'étaient levées et Hjolgrim en avait fait de même, silencieusement. Silencieusement car au moment de passer au vote, sa bouche était occupée à mastiquer une cuisse d'un animal qu'il n'identifiait pas vraiment, mais qui était fort comestible. Ci et là, des Thanes se décidèrent à partir, car sans doute étaient-ils occupés à d'autres affaires, ils avaient d'autres projets, d'autres priorités. Ils étaient venus, répondant à l'appel de leur devoir, mais ne comptaient visiblement pas s'attarder sur l'aspect social qui s'ensuivait généralement.

Désormais de nouveau assis, Hjolgrim ricane dans sa barbe alors qu'il prend maladroitement divers plats laissés ci et là par ses voisins directs. Les légumes étaient une abbération, mais cette sauce quant à elle était divine. Les cuisiniers avaient bien travaillé, ils avaient préparé une quantité énorme de mets afin de sustenter les différents partis, et sans doute trouvait-il cela malpoli de laisser pareille quantité de nourriture. Biensûr, il ne pourrait guère tout engloutir loin de là, mais maintenant qu'il était venu, autant profiter avant que tout ceci ne finisse par être gâté et jeté dans l'indifférence générale.

De son côté de la pièce, l'on entendait plus que lui, achevant de dévorer cette merveilleuse cuisse laquée couverte d'une sauce épaisse aux herbes. Aux côtés de son assiette, une choppe de bière patientait pour l'instant ou il devrait se rincer le gosier afin de faire descendre la dernière bouchée.

A ses côtés, un Thane qu'il ne connaissait que de vue assistait à la fin de l'échange, jetant parfois des regards inquiets, accusateurs ou les deux en direction de Hjolgrim. Le dawi le salua d'un geste de l'os de la cuisse de son plat, lui faisant au passage de grands yeux pour l'enjoindre à apprécier les mets qui étaient à la hauteur de l'évènement. Silencieusement, il lui leva d'ailleurs sa bière, sans qu'aucune réponse nette ne soit apportée de la part de son interlocuteur du moment ; un seul hochement de tête gêné, lèvres serrées vint accueillir ce salut, sous un ricanement de la part d'Hjolgrim toujours en proie à sa gloutonerie.

- Par les forges de Thanor, si les galettes de voyages pouvaient être aussi bonnes... lâcha t-il pour lui même.

Dans les mines ou pendant les expéditions, de tels festins étaient impossibles. L'on mangeant frugalement - pour un nain - et l'on buvait avec modération. Loins étaient les tavernes lors d'excavations profondes, et là ou certains Thanes profitaient de ce privilège régulièrement, lui allait devoir s'en priver pendant un long moment après cet Althinkalan.

Le contenu de la choppe fût vidée à grandes gorgées.

- Huehue, fameuse, lâcha t-il pour lui même avant qu'un bruit d'os brisé ne vienne couvrir sa voix.

Il venait de taper dans l'assiette d'un voisin absent une pièce de viande issue d'une partie du corps d'une bête lui étant tout aussi inconnue. Cela sentait le gibier, peut être était-ce là un petit animal sauvage ayant fini dans une assiette après une partie de chasse, ou bien était-il issu d'un élevage local ; dans les deux cas il finissait dans un plat, ce qui était à ses yeux un cycle de vie tout à fait respectable qu'il devait honorer. Les absents ont toujours tort, qu'ils soient absents du début ou partis trop tôt.

Alors que Harald entama son discours final au départ des autres, il leva sa choppe désormais vide en sa direction sans un mot. Il la reposa d'ailleurs sans un bruit par respect pour l'échange final qui allait avoir lieu ici, et par respect pour les intervenants, incluant Braähm qui allait sans doute parler lui aussi. Aujourd'hui, il y avait eu de profonds désaccords entre eux, mais cela ne voulait guère dire pour autant qu'il allait lui faire une guerre éternelle et aveugle, les égos étaient mal placés chez le peuple des nains, mais tout de même pas au point d'en faire tout un flan pendant les deux centenaires à venir ; le respect était dû à tous, même si un profond désaccord reignait.

Hjolgrim pencha vers lui sa choppe qu'il constata vide, et, dérangé d'avoir levé une choppe vide à la santé du Roi, s'empara de celle du voisin qui était en face de l'assiette contenant précédemment la pièce de viande qu'il avait récupérée. Celle ci était également vide et ainsi, il se leva et se tourna, montant sur un rebord derrière lui afin de vérifier la contenance des autres pièces de bois taillées qui étaient également absente de contenu. Il remarqua un broc non loin duquel il s'empara, il restait assez de breuvage pour trinquer à la bonne santé du Groman-Rik. Il s'exécuta immédiatement d'ailleurs en ingurgitant le liquide directement à même l'imposante cruche tout en se rasseyant.

Il restait un demi-litre de bonne bière dans ce pichet, qu'il souleva respectueusement en direction d'un des Thanes quelques sièges plus loin sur sa gauche afin de lui proposer la rasade, ce dernier refusa d'un geste de la tête et d'un regard à la fois étonné et fasciné par ce spectacle silencieux.

L'air béat et satisfait, Hjolgrim s'imaginait déjà raconter comment il avait fait bombance lors de cette réunion, ce qui ne manquerait pas d'enrager ceux qui étaient restées hors de l'Althikalan et qui patientaient sagement à la taverne.