[Afflux] Un ardent retour (Harald)

1ère ennéade de Karfias | Second mois de l’Eté.
Année XXI | XI Cycle.

Les premières informations tombaient au compte-goutte, depuis le retour de l’expédition. Les premiers à être rentrés chez eux étaient les désormais peu nombreux mais néanmoins très courageux Almiens. Dépêchés par le nouveau Narundi, le Gardien de l’Est, ils offrirent à la cohorte militarisée l’expertise non négligeable du combat en montagne. Une expertise qui, doublée à celle de l’officier commandant, lui-même combattant montagnard puisqu’originaire du Kirgion, avait sans doute sauvé bien des vies…

Mais d’autres, néanmoins, furent perdues. Quelques Lantais, quelques Thanoriens, quelques Kirganais… Des pertes, point dues au froid ; point dues à l’environnement ; point dues aux maladies ou à quelques maladresses… Des morts, tués lors d’une attaque de Berserkers, et une attaque de sauvageons. Des blessés, aussi, mais les quelques soigneurs et l’attention particulière des civils et autres soldats, permit de recouvrer la santé à ceux qui furent blessés par les lames hostiles. Mais tout de même… Certains, déjà, avaient rejoint les Derniers Halls dans d’épiques combats pour protéger l’expédition. Par ordre royal…

Ces nouvelles, Harald les avait reçu des ragots et des rumeurs, mais aussi des familles endeuillées, lesquelles, après avoir reçu la visite de l’officier en charge de l’expédition, venaient mander l’aide du Grand-Roi pour la réalisation de stèles, et le rendu des hommages. En plus des services mandés auprès des prêtres du Fortuné, il était coutume que le clan principal – ici le clan royal – soit sollicité afin d’aider les familles endeuillées dans la réalisation du dernier hommage. Harald, très tôt, pu donc percevoir et toucher du doigt, les douleurs infligées par les pertes de celles et ceux partis trop tôt… Et si personne ne portait de grief contre le Roi, qui avait ordonné cette expédition dangereuse, Harald, lui, ressentait ce que ressentent tous les meneurs, lorsque leurs ordres menèrent certains des leurs à la mort…

Très vite, toutefois, ce fut au tour d’Ararün de se présenter aux portes du palais royal. L’heure était au rapport détaillé, et à une discussion des plus sérieuses. Sans attendre, il ordonna que l’on laisse entrer le capitaine Kirganais.

« Baruk ! Ararün ! » Lui dit-il, frappant son plastron, le gratifiant d’un accueil traditionnel. « J’ai prié les dieux que toi et ta cohorte, reveniez sains et saufs. Et je remercie le Puissant qu’il me permette de revoir un soldat de ta trempe, après une mission si périlleuse. » Dit-il, l’œil sévère mais la voix réjouie. Il se renfrogna toutefois assez rapidement, et reprenant une position confortable dans ce trône quatre fois plus grande que lui, souffla longuement… « … J’ai… Appris, pour certaines de tes pertes… Je suis certains que les bavettes et les cognards qui périrent là-haut, ont déjà trouvé leurs chemins jusqu’au Monde du Dessous. Ils festoient aujourd’hui, dans l’honneur. » Assurait-il, ayant lui-même prié de longues heures pour pouvoir convaincre Heidum de valeur des Braises-Vies qui s’offraient à lui, et qu’il leur laisse franchir le pont. « Je veux tout savoir. »

Ararün s'avança, une fois invité, dans la salle du trône. Son pas lourd trahissait une certaine précipitation quant à son obligation du moment. Après quelques foulées, il s'arrêta et toisa son ami et Grand-Roi Harald de son unique œil restant. "Baruk Harald ! Mon palpitant s’réchauffe en te voyant ! " lança alors l'officier d'une voix forte et assurée.

A l'évocation des défunts, le Kirganais ne put s'empêcher de baisser la tête. Lui aussi espérait que tous avaient rejoint le Monde du Dessous, ripaillant dans la joie et l'honneur. Gardant alors la tête inclinée un bref instant, il reprit alors. "Ceux qu'on calanchaient Harald l'ont fait avec honneur. Que tu l'saches comme j'l'ai dit à leurs familles. Le Mogankordum leur est ouvert j'en suis sûr."

Après ça, Ararün s'avança alors et déposa devant lui le paquet qu'il portait depuis son entrée. Soigneusement il délassa les lanières de cuir et découvrit à la vue de son interlocuteur une arme, une épée d'ouvrage naine sur laquelle avaient été gravées des runes. A la vue de cette arme, le Capitaine grogna quelque peu car il se remémora la douloureuse morsure des flammes qui l'avaient à jamais marqué. "Avant d'commencer… Voici l'arme de celui qui menait les berserkers." Il l'avança et la déposa auprès de son Roi en prenant soin de la laisser dans son tissu. "J'ai décidé de te la rapporter car elle porte des runes, l'tranchant devient comme d'la lave et j'voulais pas qu'elle tombe entre de mauvaises pognes."
Finalement il se détacha de son présent et fouilla dans sa besace un instant.

Le Capitaine sortit alors de son petit sac un papier qu'il tendit aussitôt à son interlocuteur. Du bout de sa main de laquelle il manquait trois doigts, eux aussi portant les marques de cautérisation comme son visage. "D'abord voilà un dessin qu'la Gratte-Plume à fait d'l'endroit." Il marqua une pause laissant le temps à Harald de visualiser le dessin et de s'imaginer l'endroit représenté.

Enfin il reprit alors pour commencer le récit de son expédition. "Nous avons donc marché jusqu'au grand Nord vers la Montagne Disparue. En chemin, nous avons reconstruit un vieux pont démoli pour nous faciliter la route. C'est à cet endroit qu'on a subi notre première embuscade…" Il grommela dans sa barbe un instant et reprit. "La faute est mienne … il était impossible d'être trop nombreux à l'emplacement et j'ai décidé de faire assurer la sécurité des bâtisseurs par quelques cognars, pas assez, et les sauvageons en ont profité. Nous autres étant à quelques foulées plus loin pour y établir le campement. Le temps d'arriver après l'appel d'urgence c'était bien assez tard… les sauvageons avaient été abattus et quelques-uns des nôtres avaient calanché…"

Il laissa alors un temps à Harald pour digérer ces quelques informations déjà bien fournies, croisant ses bras sur son torse en l’observant.

Sans attendre, le capitaine Kirganais se mit au travail. Outre les formalités de politesse qui se respectent toujours dès lors que deux Nains parlent entre eux, le cognard ne se perdit point en mots, explications et phrases détournées. Ni une, ni deux, il allait de sa réalité, de ses pensées et de ses dires, assumant son rôle jusqu’au bout, jusqu’aux derniers instants de cette mission qui lui fut confiée voilà plusieurs ennéades déjà.

En cela, Harald reconnaissait la pugnacité des officiers de montagnes. Téméraires mais courageux ; bornés mais désireux d’aller jusqu’au bout de l’honneur et de la mission, ils étaient de vrais atouts en tous temps et en tous lieux. Et ce soir, Harald avait l’impression qu’Ararün démontrait les qualités qui, jadis, animaient les armées royales, lorsqu’elles étaient aussi nombreuses – voir plus – que celles de Lante et de Thanor.

Toutefois, la fierté et le regard paternel s’estompèrent dès lors qu’Ararün déposa aux pieds du trône, une arme runée. Sitôt les explications données, Harald osa s’en saisir par le manche qu’il garda dans l’étoffe, avant de révéler une lame à l’acier effilé, comme inatteignable par le temps et les éléments extérieurs. Des runes avaient cours, sur la lame et le pommeau… Des runes gravées qui, à en juger par le témoignage de l’officier, étaient des runes insufflées de magie.

Puis vint un papier. Dessiné au fusain et à l’encre par Rubisséa elle-même, Harald pu poser ses mires sur une représentation artistique de la fameuse montagne écroulée. Il voulait voir les torrents de laves, qui s’écoulaient depuis les flancs de ce qui fut une montagne majestueuse. Il pouvait voir le cratère, détruit, et un pan de flanc de montagne ouvert offert aux affres d’un cœur chaud, tellurique et magmatique. Ça et là, des vers de laves, semblables aux Holwerns dangereux et horribles. Une peinture apocalyptique, s’il en était… Aux effluves de terres, de feu et de destruction.

« Et ces runes… Elles n’font que balancer leur sort ? » Demandait-il. « Assures-toi qu’elles ne soient ni maudites ni altérées… Alors, tu pourras la garder. Je préfère savoir une lame runée entre les pognes d’un cognard fidèle au peuple, plutôt qu’aux pognes d’une bête. » Dit-il, autorisant alors l’officier à brandir une arme scriberunée, rare dans les rangs des militaires. « C’est que les cognards, poilus et bavettes, pouvaient se défendre. Tu n’as pas à porter la responsabilité de tout cela : le rôle d’un officier est de voir large, et de penser au mieux. Tes subalternes avaient pour rôle de suivre tes ordres… Si faute il y a eu, il ne sert à rien d’en chercher l’auteur, la punition et l’expiation. Une mort honorable vaut mieux qu’une vie de misère. » Dit-il, se sentant de dédouaner les épaules de l’officier d’un poids qui ne lui incombait point en réalité. « Est-ce tout ? »

Ararün gardait les bras croisés au niveau de son poitrail tout en laissant le temps à Harald de répliquer aux premiers éléments de son compte rendu.
Quand le Grand-Roi évoqua l'épée, l'officier hocha simplement la tête avant de poser son regard sur l'arme en question. Pourrait-il manière une arme qui avait été tournée contre son propre peuple ? Les runes gravées étaient-elles fiables ou le mèneraient-elles à la folie ? Tant de question qui lui traversèrent instantanément l'esprit avant d'être ramené à lui par les propos de son interlocuteur.

Le Kirganais sortit de sa torpeur quand Harald demanda la suite du récit. Le Roi semblait impatient d'en connaître les détails et surtout d'arriver au point crucial de la raison de cette expédition: La Montagne.
Alors Ararün reprit aussitôt.

"Je vais épargner à tes esgourdes la majeure partie du trajet, Harald qui n'était que de la marche où nous nous sommes gelé les joufflu." Il ria un bref instant. "Nous avons encore une fois été attaqué non loin de notre destination… par des berserkers cette fois-ci." Il désigna l'épée alors déposée devant eux. "Leur chef Mardhum nous a tendu une embuscade et là encore nous avons eu des barbes qui sont tombées." Il fronça les sourcils à ses propos se remémorant la scène, le carré formé par les guerriers qui se resserrait peu à peu sur leurs opposants marchant au-dessus des cadavres. Son duel contre Mardhum qui manqua de peu de le faire calancher. Puis finalement il balaya le sujet de sa main blessée et poursuivit son récit.

"Enfin nous sommes arrivés sur les lieux…" Il inspira gravement. "Comme le montre le dessin d'la Gratte-Plume, la terre du grand Nord à été marquée par l'événement… des tranchées de lave forment des bassins et peu de choses ont pu survivre suite à l'explosion…" Il renifla et s'essuyer d'un revers de sa manche. "J'ai ordonné que certains d'entre nous restent sur place pour y monter un campement. Les mineurs sont persuadés qu'on peut y trouver des ressources et les terres fertiles aux abords de ce volcan pourraient être utiles si l'on souhaite reconquérir le Grand-Nord. Il faudra sûrement leur envoyer quelques renforts pour les aider à la tâche."

Finalement il plongea son regard dans celui d'Harald durcissant quelque peu ses traits l'air d'être davantage sérieux sur l'instant comme si ce qui allait suivre ne lui plaisait guère. "Dis moi Harald … Crois-tu que nous avons toujours fait les bons choix ?" La question n'avait que peu de sens sur l'instant mais il préférait entamer ce sujet épineux doucement pour ne pas brusquer son Roi et ami.

Non, ce n’était point-là, la fin du récit. Ararün, invité par le Roi à poursuivre son rapport, le fit, d’une manière directe et efficace, comme le font si bien les cognards vivant par la hache et la guerre. Encore, il raconta le récit d’une rencontre guerrière se soldant par une victoire teintée de pertes. Mais, cette fois-ci, il semblait avoir accepté le poids du fardeau de ces pertes, bien que son regard fut parfois fuyant, et ses sourcils, continuellement graves.

Introduisant là l’utilisation du dessin au fusain réalisé par Rubisséa, Harald allia les paroles du capitaine aux traits posés là par la gratte-plume mandatée par Harald lui-même. Il comprit, alors, que les observations de l’officier et les dessins de la bavette, coïncidaient en tout point et que la vallée, bien que grandement détruite, n’avait point fait de victimes, ni n’avait fait davantage de destructions aux alentours. Les vers qui étaient stylisés dans la lave, lui rappelaient les récits des Holwerns, combattus d’ailleurs ici-même, à Kirgan, dans les tréfonds des chantiers voilà des années et des années.

Non loin de cette fournaise grouillante, Ararün décida d’établir un campement provisoire, qui serait aisément ravitaillable par le pont reconstruit et consolidé durant les ennéades passées. Intelligent et clairvoyant, Harald réagissait immédiatement par plusieurs hochements de têtes, aussi bien signes d’écoutes que d’accord avec la vision et l’initiative du capitaine Kirganais.

La chose semblait entendue… Et, puisqu’Hilda ne faisait point partie du rapport de l’officier, Harald en conclut qu’elle ne s’était distinguées ni par des actions d’éclats, ni par des actions désastreuses, ce qui était un peu décevant étant donné l’origine martiale de la bavette, issue de rangs d’exceptions.

Mais vint ensuite une question ouverte et parfaitement subjective : « Avons-nous toujours fait les bons choix ? » Bien que très globale, Harald comprend bien vite que par « nous », Ararün entends « les Nains » et donc, les dirigeants, ou les illustres barbes qui prirent jadis des décisions. Quelque peu surpris, Harald quitta des yeux le vélin dessiné, le posa à ses côtés, et planta dans les mires de l’officier, un regard ardent de curiosité.

« Notre peuple est fort. Il est puissant, endurant, et inflexible. Mais, bien que notre orgueil et notre fierté soient devenus légendaires au fil des millénaires, je serais bien plus orgueilleux encore en affirmant que toujours, nos choix – les tiens, comme les miens, comme ceux qui furent jadis – ont toujours été les bons, les meilleurs, et les plus à-propos. » Confia-t-il, dans une parole sage et posée. « Je ne peux croire que cette question existentielle provient du seul choc de nos pertes accumulées là-haut… Parles, mon ami. Et puisse Heidum être témoin de l’honnêteté de tes propos. »

Le dawi opina aux propos de son Roi. L'orgueil de son peuple n'était plus à démontrer. Les siens revenaient très rarement sur leurs décisions, par excès de confiance en pensant avoir pris la bonne, mais surtout parce qu'ils étaient aussi réputés pour avoir la tête dure. Faire changer d'avis un nain n'était pas chose aisée et il fallait savoir s'y prendre et trouver les bons mots.

Par chance Ararün connaissait bien les siens et était lui même vu comme un sacré borné par ses pairs. Tenter de faire comprendre le fond de ses pensées à Harald ne serait pas simple, mais il aurait au moins le mérite de parler avec franchise comme tout bon dawi se devait de le faire.

Alors, l'officier passa une main dans sa barbe l'air de réfléchir à ses paroles un instant avant de revenir à son interlocuteur. "Harald, j'vais pas jacter pour rien et ce que j'vais te dire, mon ami, ne risque pas de t'plaire. Alors pose bien ton joufflu dans ton trône et garde tes pognes loin de ton arme." Il ria pour détendre l'atmosphère.

Ce qu'il allait annoncer à Harald pourrait le mettre dans une mauvaise posture. Mogar à été banni par le peuple du Zagazorn - pour des raisons qui sont justes - après la Longue-Nuit et ceux qui continuaient de croire en lui etaient bien souvent mal considérés parmi leurs confrères. Ararün ne se considérait pas comme un mogarite réellement mais, au fond de lui, il n'avait jamais réellement pu lui tourner totalement le dos et même s'il l'avait hait du plus profond de sa Braise-Vie.

"Ce que mes mires ont vu dans l'Grand Nord Harald … c'était l'œuvre du Père. Je t'apprend rien pour ce coup là, mais…" Il grimaça un instant et inspira comme pour se donner un courage pour annoncer la suite. "J'pense que l'Pere à voulu nous faire passer un message. Pas n'importe lequel, pour moi c'était un avertissement." Pour le Kirganais, comme il en avait discuté avec Braahm quelques jours auparavant, cette œuvre était celle du Père qu'il ne fallait pas prendre à la légère.

"Un avertissement, Harald… un peu comme une bavette vexée qu'on lui ai tourné l'dos. L'Père est venu nous rappeler à l'ordre et pour ça… il n'a fait aucun mal, aucun dégât et j'pense pas qu'ses fils l'aient empêché de progresser davantage car nous n'avons vu aucune trace de combat. Non ! l'Père est d'retour Harald…"

Il s'arrêta un instant laissant alors le temps à Harald de prendre cette nouvelle, mais visiblement l'officier n'avait pas fini son récit, sa voix s'emportant légèrement sur la fin de son monologue.

Les premiers mots prononcés par l’officier Kirganais, nommé alors par Harald à un poste important parmi ceux de la hiérarchie militaire Naine -puisqu’il s’agissait du plus haut gradé durant toute l’expédition – eurent l’effet d’un stupeur pour les muscles et les tendons du Roi. Se crispant, sa caboche fulminait de mille-et-unes choses, anticipant presque tous les scénarios qui pourraient dorénavant survenir aujourd’hui.

Mais, en son cœur – et en son esprit – il avait déjà compris. Il avait déjà compris, parce qu’il avait fait de cette expédition un but aussi bien militaire et artisanal, que religieux et ésotérique. Il avait acclamé Ikthor, qui avait ordonné le sacrifice de son fils sur cette terre, le Gormisson, pour protéger tous les Nains de la menace du dragon noir. Il avait dit, lors d’un grand discours, que cette unique et solitaire montagne détruite dans le lointain Nord, était le témoignage d’une interposition divine et magistrale, entre le premier Fils… et le Père tout Puissant. Il savait, donc, que les conclusions livrées risquaient d’être grandement encourageantes… ou incroyablement décevantes, sur le plan religieux. Et s’il avait vu les évènements sous le mauvais prisme ?

Les premiers résonnèrent alors comme les coups d’un tambour, porté dans le lointain. Puis vinrent alors les échos des sabots des Béliers de guerre, et ceux des cognards en piétaille, engoncés dans des armures ô combien lourdes, ô combien impénétrables. Telle une armée en campagne, telle la roue pesant des tonnes qui venait moudre son grain, les nouvelles avançaient dans un pas de charge qui ferait défaillir le plus ardent des cœurs.

Et, au final… Il prononça les mots. Les mots que Harald n’avait pas envie d’entendre. Les mots qui, pour un ancien Mogarite convaincu, ayant suivi avec assiduité les préceptes et la manière de combattre, et qui dû alors tout réapprendre par la suite… Etaient trop durs à entendre. Le Père était de retour… Et avec lui, son flot de destruction… Sa colère sourde aux suppliques… La propension à tout solutionner par la guerre implacable…

« Hum… » Gronda-t-il, comme gronde la montagne, pensive et solide, travaillée par la force des vents et la patience de l’érosion des eaux. « … De retour, hein… »

Ararün prit le temp de considérer sa réponse, voyant l’état dans lequel était Harald. Bien que le Roi ne montrât rien en apparence, l’officier pu le sentir monter en tension vivement. Après une vive réflexion, il poursuivit. « Oui, Harald… De retour. »

Il lissa sa barbe un bref instant et poursuivit alors. « La Montagne a explosée, la terre s’est ouverte… Je n’vois que des signes du Père, qui d’autres ? » Il pencha la tête en fixant son interlocuteur de son unique œil valide. « Y’avait aucun signe de combat, montrant qu’un d’ses fils aurait tenté d’l’empêcher de progresser, non rien… J’crois bien qu’le Père a juste voulu nous faire signe. » Il renifla alors avant de poser son regard sur le reste de la pièce.

« J’me doute que ce que je t’annonce te plais pas et qu’c’est pas à ébruiter dans toutes les esgourdes… Mais Harald, j’pense qu’il faut pas ignorer son avertissement. Qui sait c’qu’il fera ? Si on l’ignore, peut-être bien qu’il reviendra s’venger plus tard ? Personne saurait l’dire. » Il replongea son regard dans celui d’Harald et poursuivit le fond de sa pensée. « Si on l’ignore, on s’exposera peut-être à pire qu’une simple montagne qui explose… Même si on n’sait pas ce qu’il pourrait nous faire si on prend en compte son avertissement… »

L’officier fit quelques pas de long en large, plaçant ses mains dans son dos l’air de réfléchir. « J’me doute que c’est pas une décision à prend’ à la légère, surtout pas après tout c’qui s’est passé, mais si tu veux mon avis, l’fond de ma pensée, Harald… L’retour du Père serait à considérer pour le Zagazorn… » Il s’arrêta là, sans en dire plus, attendant qu’Harald l’invite à poursuivre le fond de sa pensée s’il en jugeait nécessaire.

Ararün sentit au fond de son cœur que ces quelques mots pourraient lui être défavorable, mais ils lui brûlaient la langue depuis qu’il avait posé ses yeux sur la vallée meurtrie et il ne pouvait davantage le garder pour lui.

Les quelques mots et bribes de grondements qui furent dis ou grondés par Harald, appelèrent plus de phrases aux sens douteux et aux informations… Désagréables.

Renfrogné, enfoncé dans son siège, les pognes d’Harald reposaient chacune sur leurs accoudoirs, sans mouvements perceptibles. Sa respiration se faisait lente et profonde. Son poitrail se soulevait avec régularité, ses expirations venant parfois râcler sa gorge dans des grondements ursidés d’apparence lointaine. Il écoutait, avec attention. Il écoutait, et pourtant, en son esprit, les choses commençaient à bouillonner. Celui qui, jadis, vénérait le Père bien plus que le commun des mortels et qui rendait hommage au moindre combat, par sa sauvagerie, sa cruauté, et son sens du spectacle, l’avait totalement renié depuis quelques années. Pourtant, on l’appelait toujours « Barbe-Sanglante »… Mais cela faisait bien des années qu’il n’avait point éventré un adversaire pour y plonger sa barbe, dans un cérémonial macabre de violence aveugle.

Depuis toutes ces années, celui qui devait être le plus violent de tous les soldats Lantais, s’était ouvert aux Elfes, au commerce avec les Humains, avait participé à relancer l’économie qui remplissait déjà les caisses du Royaume du Zagazorn, s’était lié de nouveau… Mais pas que.

Il avait rendu aux Almiens bannis jadis, leur liberté d’aller et venir, et assuré leur retour jusqu’à Almis, la Belle de l’Est. Il avait tranché la pogne d’arme d’un prêtre défroqué qui, bien que prêt à reprendre le combat pour le Zagazorn, et offrir un semblant de fidélité au Roi, refusait de reconnaître la déchéance du Père et d’abjurer ses propos.

Et le voilà, aujourd’hui. Face à un de ses capitaines, promis à un brillant avenir de général… Qui lui parlait du retour du Père. Ce dernier, bien-sûr, n’était jamais parti ; il n’était point mort ; il n’avait point déserté le Monde du Dessous. Par retour, les Nains entendent bien-sûr, le retour de sa présence sinon physique, au moins tangible… D’après les signes. Et avec cela, l’ombre de sa menace, de sa folie…

Alors, lorsqu’Ararün eut terminé son énième tirade, Harald fit un léger signe de son index. Un garde quitta son emplacement et se précipita à ses côtés, frappant son plastron.

« Trouvez Braähm Main-Ferme, et amenez-le ici. Et le plus rapidement possible, par Ikthor ! »

Puis, son regard se retourna vers Ararün, et il expira longuement, bruyamment. Ses mires se plongèrent à nouveau dans l’œil unique de l’officier Kirganais. Il n’y avait ni colère, ni fureur… Mais plutôt cette gravité qui sied tant aux dirigeants de ce monde. Une gravité, cernée par des poches sous les yeux et des sourcils broussailleux qui, s’ils le pouvaient, se ficheraient à la verticale si ses muscles peauciers continuaient à les froncer autant. Ses iris étaient petites, centrées, et jamais il ne clignait des yeux. D’aucun regarderait ainsi Harald, le trouverait d’autant plus dangereux et menaçant que durant une violente colère bien visible.

« Et donc, Ararün, du clan Fiers-Marteaux, fils de Kurad… » Commença-t-il. « … Tu sembles si sûr de toi… Il n’y avait pourtant point de prêtres du Maudit, au sein de ta cohorte… Qu’attends-tu de tout cela ? Que veux-tu ? Que nous redonnions au Père toute sa place qui fut sienne avant qu’il ne nous massacre, par pure folie ? Que nous disions à nos anciens qui gisent encore sous nos pieds, dans la gangue du volcan que nous creusons depuis 14 ans, que leur mort est déjà oubliée ? Que nous reconstruisions les temples maudits ? Qu’un Grand Prêtre soi nommé, et qu’il puisse conseiller le Grand-Roi ? » Listait-il, la colère grondant dans sa voix. « Allons, Ararün ! Que doit-il se passer, maintenant ?! »

Dire que l’officier était en toute confiance face à Harald serait mentir. Bien que les dawis font preuve de courage, ils ne sont pourtant pas insensibles sous cette carapace de rocaille qu’est leur corps robuste.
En entendant Harald grogner de la sorte, l’officier ne put qu’enfoncer sa tête dans ses épaules, bien que le mouvement pourrait être imperceptible, il se tassait sur lui-même à mesure que le Roi grondait sur son trône.
« Barbe-Sanglante » n’était pas qu’un surnom, mais bel et bien une réalité. Lui qui autrefois plongeait tête la première dans les tripes de ses ennemis avait bien mérité son lot de légendes à faire frissonner les cognards les plus endurcis. Faire face à « Barbe-Sanglante » était intimidant pour l’officier bien qu’au fond de lui, c’était quelque chose qu’il désirait depuis un certain temps.

Harald avait fait du bon travail pour ouvrir le peuple nain aux autres nations, mais depuis quelques temps l’officier se demandait si en voulant cela il n’avait pas perdu de sa hargne. Les enjeux politiques et diplomatiques lui étaient méconnus certes, mais voir son Roi se faire insulter, puis partir lâchement lors de la rencontre des couronnes ne lui avait pas plu pour autant. Justement, c’était-là aussi une des raisons, pour lui, que les siens se devaient de ne pas tourner le dos au Père ; La fougue et l’ardeur de leurs Braise-Vie qui faisaient d’eux un peuple sur lequel on ne pouvait se permettre n’importe quel impair. Il fallait cependant savoir jauger, ne pas retomber dans la barbarie d’antan pour autant, mais cogner des pognes sur la table n’a jamais fait de mal.

Ainsi, Ararün, baissa les yeux quand il entendit son Roi et attendit qu’il soit invité à son tour à répondre. L’officier parlait encore avec franchise et s’efforça de garder sa voix forte pour faire face à Harald. « J’n’ai pas dit qu’il fallait le vénérait de nouveau. J’dis simplement qu’ignorer son avertissement pourrait être bien plus grave pour nous autres. » Il releva le regard et le plongea dans celui d’Harald dans une sorte de baroud d’honneur nanesque. « Je crains moi aussi l’Père comme nous tous et j’aurai souhaité ne pas te dire ça, Harald, mais… Qu’importe le choix, nous prendrons des risques. Soit celui de vexer le Père et qu’il désire se venger… Soit de lui permettre de revenir et subir une nouvelle fois sa folie. »

Le Kirganais fronça les sourcils aux reproches lancés par Harald concernant les défunts et souffla à son tour comme un broutard mécontent. « J’ai pas oublié nos morts, Harald. Mais serais-tu prêt, en tant qu’Roi à défier le Père ? En croyant Ikthor capable de contenir sa fureur ? Fureur qui… » Il s’arrêta net et expira sèchement en sentant s’emporter à son tour et marqua un silence avant de reprendre. « Je n’suis pas pour le vénérer de nouveau, mais… Le Père manque au Zagazorn Harald. » Il souffla de nouveau devant cet aveu se résignant probablement à sa déchéance prochaine. « Sa fougue et sa rage manquent au Zagazorn et à nos barbes ! Personne n’aurait osé t’insulter comme tu l’as été lors de la rencontre des couronnes à l’époque ou nous étions sous sa surveillance. Personne ! »

Il leva son index en direction d’Harald, semblant avoir reprit le dessus sur ses craintes. « Tu es Barbe-Sanglante et jamais tu aurais courbé l’échine devant les Umgis à l’époque, j’ai tort ? Alors j’veux bien croire que les connerie d’politique et autres sont pas à ma portée, mais nous ne somme plus que l’ombre de ce qu’on était autrefois pourquoi ? Quelques comptoirs en péninsule ? Qui te sont agités devant les mires comme on fait pour faire avancer un broutard ? Que les Umgis menacent de te retirer à chaque instant si tu agis comme eux ne le souhaitent pas ? »

L’Officier gronda à son tour en gardant son regard plongé dans celui du Roi. La Folie de Mogar avait peut-être déjà commencé son œuvre ?

A nouveau, l’officier ouvrit le claquoir. Et à nouveau, il y alla de ses pensées, impressions, sentiments, ressentis… L’honnêteté et le courage du Kirganais n’étaient point à éprouver aujourd’hui, car, alors que l’on se tient devant le Grand-Roi pour faire un rapport et y aller de ses observations et de ses pensées, il faut plus que du courage : il faut de l’honneur. Une notion certes subjective, car d’aucun pourrait voir aujourd’hui non point de l’honneur, mais le début d’une folie pointant le bout de son vil tarin, parmi les propos du Fiers-Marteaux. Mais, pour Harald, il n’y avait là que des qualités qu’il demandait à tous ses officiers. Ceux qui devaient commander des troupes durant les durs combats qui animaient parfois le Zagazorn, ne pouvait faire marche arrière face à l’ennemi… Et encore moins face au leur propre Roi.

Toutefois, le témoignage et le ressenti de l’officier concernant les évènements diplomatiques de l’année passée, tiquèrent l’orgueil mais également l’égo du Roi. En effet, Ararün ne connaissait rien de la politique, et rien non plus des enjeux économiques et politiques internationaux. Il ne pouvait que réagir, et réfléchir selon son prisme… Mais, là encore, Harald ne pouvait lui en vouloir réellement.

« Courber l’échine ? C’est ainsi que tu le vois ? » Dit-il, se redressant sur son assise, comme gagné par une fougue active. « Les comptoirs ne sont pas un jouet qu’ils agitent à ma trogne. C’est moi, qui le leur agite. Les comptoirs sont la seule offre décente qu’ils purent faire pour éviter une guerre contre nous, et pour les construire, le propre Roi de Péninsule à dû baisser son froc devant les siens. Beaucoup de rapports montrent que l’Sud de la Péninsule ne peut pas nous piffrer… Et pourtant, nos grands comptoirs ont été construits par leur propre or. Pourquoi ? Pour ne pas nous voir débarquer sur leurs côtes. » Dit-il, expliquant alors le pourquoi de ces constructions. « Ce vieillard nobliaux de dernier ordre ne m’a pas insulté moi… Mais notre race. D’ordinaire, je n’aurais pas écouté les sottises d’un type qui s’est fait ramasser la trogne par son propre Roi quelques heures avant… Mais peu de temps avant que nous ne rencontrions les couronnes, une nouvelle m’est venu en provenance de la contrée maudite de Langehack. Tous les coupables de l’incident, n’ont pas encore été châtiés. Griffon le Maudit n’était que la façade… D’autres agissaient derrière, dans l’ombre. Sachant cela, l’insulte de ce vieux noble de pacotille a provoqué ma colère… Mais tu n’irais pas en guerre contre un clochard saoulard imbibé d’alcool, n’est-ce pas ? » Demandait-il. « Alors je n’ai pas voulu aller en guerre contre ce pisse lait de bousin ! » Conclut-il, expliquant alors le pourquoi de cette situation. « Ararün… J’ai tranché la pogne d’un prête défroqué voilà à peine deux ans, parce qu’il refusait d’abjurer sa foi… Aujourd’hui, tu m’annonces qu’il faudra laisser revenir le Père ? » Demandait-il, expliquant à la fois le caractère éphémère des choses et la dichotomie de ce reversement de situation. « Sa rage et sa fougue nous aidait, lorsque nous étions des centaines de milliers, et que nos armées pouvaient se garnir d’autant de soldats ! Aujourd’hui, plus de la moitié de notre population est enterrée… Nous ne pouvons pas réagir avec la fougue, la hargne, la rage, la colère et l’extrémisme du Père… Nous devons réfléchir, voir plus grand et plus loin. C’est cela qu’il te faut comprendre… Et c’est également cela que bien des nôtres ont compris… »

Le torse bombé devant sa dernière prise de parole, Ararün continuait de toiser le Grand-Roi. Aucun défi irrespectueux n’était perceptible, mais uniquement la volonté de maintenir sa position et ses idées. Quand Harald reprit parole, l’officier le laissa parler en prenant grand soin d’écouter et d’essayer de comprendre chacune de ses explications.

Les enjeux politiques lui ont toujours été incompréhensibles et encore plus quand Harald s’efforçait de lui faire comprendre que les comptoirs n’étaient pas un os à ronger offert la couronne péninsulaire. Pour Ararün ces constructions, certes payés de la poche des Umgis, étaient une manière d’apaiser les tensions entre les deux peuples, mais aussi un moyen de faire levier sur le Zagazorn sous couvert d’un cadeau empoisonné. Qui sait ce dont seraient capables ces individus qui, sans scrupules se permettaient déjà d’insulter un Roi lors d’une rencontre, quand de pauvres barbes fouleraient leurs territoires ? De plus, que seraient les prochaines discussions politiques quand, pour faire plier le Grand-Roi, ces mêmes cadeaux seront agités devant les mires en guise de poids dans la balance ? Tout ceci lui paraissait peut-être incompréhensibles, mais il en avait pourtant une idée claire. Une idée qui n’était visiblement pas partagée par son décisionnaire.

Enfin, quand Harald évoqua le noble qui n’était pas digne de sa colère en prétextant ne pas devoir en rentrer en guerre pour « si peu » Ararün ne peut réprimer une expiration franche semblable à un bélier de guerre. Qu’un Roi se fasse insulter, même par un moins que rien, méritait amplement une bonne paire de torgnoles, d’autant plus qu’en ce dernier est un représentant d’un autre peuple et devant toutes les couronnes de Miradelphia. Mais là, Harald disait qu’il avait insulté le Zagazorn tout entier, c’était là encore pire aux yeux d’Ararün car quand Barbe-Sanglante avait refait surface on avait chassé les barbes de cette rencontre comme si c’étaient eux qui avaient été irrespectueux ou menaçants envers la rencontre. Qu’était le message donnait à tous les présents ? Que l’on pouvait insulter le Zagazorn sans répercussions ? A cela Ararün ne démordait pas et, une fois la tirade de son Grand-Roi terminée, reprit sur un ton un peu plus en dessous qu’auparavant.

« Donc comme ils payent, ils peuvent nous insulter ET nous faire passer pour ceux qui auraient menacés la rencontre en nous faisant quitter les lieux comme des chiens ? Non Harald… Que l’on soit moins nombreux qu’auparavant n’est pas une excuse à donner notre joufflu à toutes les couronnes de ces terres. Chacun de nos cognards qui étaient présents à cette rencontre valait dix, même plus, de leurs hommes et nous aurions du leur faire payer cette insulte aux nôtres, au lieu de repartir comme si nous étions en tort. » Il secoua la tête en signe de mécontentement. « Ta politique ne m’enchante pas, Harald et tu l’sais. Tu souhaites t’ouvrir aux autres peuples pour le bien des nôtres et je te suis dans tes décisions, mais tant que cela ne coûte pas mon honneur ou celui d’un de mes frères ou une de mes sœurs. J’n’ai pas confiance aux Umgis, ni aux Elgis, mais ça encore… Et je crains que ces comptoirs ne soient que davantage de soucis pour nous autres et ceux qui fouleront ces terres par la suite. Si un de leurs… représentants, se permet d’insulter un Grand-Roi, que se passera-t-il pour nos marchands ? Nos artisans ? Penses-tu que leur couronne, pourra-t-elle contenir ceux qu’elle aurait soi-disant déçus en nous offrant ces comptoirs ? » Derrière ces propos se dévoila alors une crainte pour les siens, qu’Ararün ne put réprimer autrement que par une énième expiration semblable à une lassitude. « C’est pour ça, Harald que nous avons besoin du Père … Non pas en lui redonnant sa gloire d’antan, mais pour que tous ceux qui désireraient s’en prendre à nous puissent craindre sa fureur, NOTRE fureur. Je ne dis pas que nous devons redevenir ceux que nous étions… Bien que notre isolationnisme n’ait jamais été un souci pour moi et les miens, mais qu’on fasse craindre aux autres peuple leur imprudence… »

Il le toisa une nouvelle fois, avant de marquer la fin de son propre monologue.

Il apparût évident en l’esprit de Harald, qu’Ararün était un excellent combattant, un tacticien doué… Mais point un bon conseiller. Il pourrait l’envoyer à la guerre, et ne jamais craindre ni ses positions, ni ses décisions, ni ses tactiques guerrières… Mais il ne pourrait point le prendre comme conseiller, point en matière politique en tous les cas. Ararün, comme beaucoup de Nains, était axé sur ses positions, sur son orgueil, et sur sa vision grégaire des choses.

Et Harald ne pouvait point lui en vouloir. Après tout, « Barbe-Sanglante » avait changé par la force des choses. Parce que, d’un rôle de capitaine de régiment d’infanterie lourde, il devint ensuite le Gardien des Plaines… Puis le Groman-Rik d’un Zagazorn endeuillé, détruit… Peut-être même apathique, parfois.

Alors, face à ce qui se déroulait devant lui, Harald s’affala encore un peu plus dans son trône. Il n’était pas déçu, non… Ou peut-être un petit peu… Beaucoup de Nains comprenaient sa politique, son utilité, et le pourquoi de ses décisions. Mais beaucoup d’autres n’y comprenaient rien, ne voulais pas voir… Ne s’y attendaient pas. Ararün était de ceux-là, et, honnêtement… Harald aurait espéré que ce ne soit point le cas.

« Et qu’est-ce que le Père aurait amené à cela, hein ? » Demandait-il, dans une question rhétorique. « Qu’aurait-il commandé ? Qu’aurait-il apporté ? Une guerre ? Pour une insulte ? Tu déclarerais la guerre à une fourmis, toi ?! » Redemandait-il, un brin de colère et de dégout dans la voix. « Personne d’autre que nous, ne reconnaît nos Dieux… Reconnaître Mogar à nouveau n’apporterait rien, car personne ne le connaît par-delà nos frontières. Et je refuse de lancer une guerre sainte par orgueil… Ce temps-là, est terminé. » Dit-il, assommant cela comme une décision. « Et les risques pour nos commerçants au sein des comptoirs, nous les connaissons. Ils les connaissent. Comme vous connaissiez les vôtres en traversant la moitié du territoire, livré aux Berserkers, Engeances et autres bestioles maudites des profondeurs. » Dit-il, martelant la chose. « Si la colère guide tes pensées, rien de constructif n’en sortira. Pas aujourd’hui. »

Finalement, Ararün hocha la tête en signe, accompagnant le geste d’un signe de la main en gage de résignation envers le Grand-Roi. Toutes les explications tentées par Harald ne semblaient pas trouver leurs places dans les esgourdes du dawi qui en réalité n’arrivait pas à les comprendre, malgré ses quelques efforts. Il faut dire que le Fiers-Marteaux n’était pas réputé pour sa diplomatie et encore moins son ouverture d’esprit. Lui qui préférait mettre en avant le Zagazorn avant le reste n’arrivait pas à concevoir que l’on puisse ainsi se laisser faire sous couvert de la sainte diplomatie. Pour lui, encore, elle se résumait à frapper de son marteau quiconque insultait ou s’en prenait aux siens et parlementer ensuite, avec le reste. Une sorte de politique par la crainte et c’est probablement ce qu’il aurait préféré de « Barbe-Sanglante ».

« J’appelle pas à la guerre, Harald… Bien qu’écraser quelques trognes d’Umgis m’aurait pas dérangé ! Mais crois-tu qu’ils se seraient permis de jacter d’la sorte si tu étais encore Barbe-Sanglante ? Si leurs grattes-plumes les auraient avertis que le Grand-Roi du Zagazorn trempait sa barbe dans les tripes de ses ennemis ? Penses-tu qu’ils auraient osé t’insulter ou insulter le Zagazorn au risque de se voir écrasés ? J’pense pas, non ! Et c’est là toute ma pensée… J’veux bien essayer de cogiter à la diplomatie et autre, mais… Si on est que d’simples courtes-jambes à leurs yeux on gagnera pas grand-chose d’la sorte. Voilà tout ! Puis d’la diplomatie à coup d’pogne et d’marteaux ça peut s’faire aussi, Harald ! » Il marqua un instant comme s’il avait tenté un trait d’humour et reprit aussitôt, repensant aux propos des risques connus des dawis. « T’parles d’risques… Mais t’penses que les Umgis prendraient aussi l’risques de s’en prendre à nos marchands et artisans s’ils savaient que la Montagne descendrait sur eux à la moindre incartade d’leur part ? J’pense pas encore une fois ! Puis… » Il inspira de nouveau comme s’il retenait quelques vifs propos. « T’oses comparer l’risques entres ceux qu’ont mené l’expédition et ceux qu’on va jeter en pâture aux Umgis, Harald… J’préfère encore les berserkers et autres Engeances qu’aux péninsulaires. Et j’penses que bon nombre des nôtres aussi ! On parle de reconquérir c’qui nous appartient, nos terres, celle d’nos ancêtres et pas juste s’faire calancher dans une ruelle sombre par quelques Umgis qu’auraient trop bu d’notre bière et pour qui l’comptoir sont une erreur d’leur Roi ! Mets-toi à la place d’nos frères et sœurs qui seront sur leurs terres à d’voir surveiller leurs joufflus à chaque instant. Non Harald c’est pas comparable. » Il s’arrêta de nouveau et ponctua alors par un grognement. « Ca n’mène à rien, tu refuses d’prendre en compte l’avertissement du Père, soit, mais tu es prévenu Harald et s’Il décide de nous le faire payer, tu en seras l’unique responsable pour l’avoir ignoré. »

Harald savait que la résignation d’Ararün s’expliquait davantage par la position de supériorité du Roi, que par un quelconque autre argument. Pourtant, Harald avait essayé de lui faire comprendre toute l’étendue et la complexité des choses… En lui donnant moults informations, en lui indiquant les faits, les gestes, les pensées et les réflexions… En lui donnant un peu de ces informations difficiles à comprendre à et connaître pour le commun des Nains, car cela leur demandait de regarder au-delà des frontières… Et les Nains n’avaient jamais été doués pour cela, malheureusement.

« Crois-tu réellement que les Umgis feraient une chose pareille ? » Lui demanda-t-il, dans une question tout à fait rhétorique. « Ils sont sans honneur, mais ils ont peur. Peur, parce que leur Roy a peur. Que les comptoirs ne leur plaisent pas est une chose, mais ils ne pourront jamais y faire quoi que ce soit, car ils ont obtenu la paix grâce à ces comptoirs. Sans eux, la guerre aurait bel et bien eu lieu. Oui, elle aurait eu lieu. Alors ne leur prête pas de pensées qu’ils n’ont pas : ils se moquent bien du Père, de ma Barbe Sanglante, de nous. Ils voient juste le fait d’avoir dû brader leurs terres pour nos comptoirs, afin qu’ils n’aient pas la guerre. Et nos commerçants le savent, et utilisent ces peurs pour faire leur beurre. Sache-le.

Il abandonna, toutefois, l’idée de convaincre Ararün et de l’éduquer à ces choses-là. Alors, lorsqu’Ararün leva la pogne et fit signe qu’il abandonnait – et qu’il l’avouait lui-même en disant que cela ne mènerait à rien – Harald leva lui aussi sa pogne. Il avait une question toute simple…

« Tu crois que ma reconnaissance du retour du Père, changerait quoi que ce soit à ses colères futures, ou ses pensées à venir… Tu me prêtes trop de pouvoirs, ami. Ce n’est pas à moi de reconnaître Mogar… Mais aux Nains. » Dit-il, avant de poser sa fameuse question. « Que ferais-tu, toi ? »

Ararün semblait être quelque peu redescendu, probablement pour ne pas que cette discussion ne s’envenime davantage, car malgré l’apparente dureté des propos, qui était le propres du peuple du Nord, l’officier tenait son Roi en grande estime et ne voulait pas lui être déloyal.

Néanmoins, il sembla prit de court par la demande du Grand-Roi. Il ne s’attendait pas à ce qu’on lui demande ce que lui ferait, à dire vrai, il ne semblait pas le savoir lui-même ou du moins n’y avait pas réfléchis. Le Kirganais prit alors un temps pour songer à la réponse, silencieux, la main dans sa barbe et le regard porté vers le bas.

« … Mmh… Ce que j’ferai ? C’est une bien bonne question Harald. » Il grommela devant son manque de réponse, bien coincé par son interlocuteur. « J’prendrai pas l’risque d’énerver davantage l’Père, peut-être bien qu’un cureton pourrait tenter d’lui parler ? D’voir c’qu’il désire ? » Il releva le regard. « Mais quoi qu’il en soit… J’ferai en sorte qu’le Zagazorn lui tourne pas totalement l’dos, non… Sans l’remettre au cœur de tout. » Puis finalement il rebondit sur un tout autre sujet. « Toi qui parlais d’reconquérir l’Zagazorn, si on venait à retourner auprès du Père, en ne lui donnant pas toute l’importance comme avant, on pourrait ramener auprès de nous bon nombres de dawis qui se sont écartés suite au Voile… Tous ne sont pas devenus fous comme les Berserkers et leur savoirs des hautes-terres pourraient nous servir grandement à retrouver ce qui nous appartient. Peut-être… Peut-être est-ce là aussi un signe du Père ? »

Il haussa alors les épaules comme si sa propre idée ne lui déplaisait pas pour autant. Il faut dire que la reconquête promise par Harald, qui était une des priorités aussi du peuple tenait tout autant à cœur pour l’officier et possiblement regonfler les rangs de nombreuses barbes pouvait être une bonne chose pour y parvenir.

« Les Berserkers sont perdus… Leur folie les a d’ores-et-déjà emporté. Et les Engeances, ceux qui furent jadis des Nains et qui se transformèrent en bêtes ignobles, nous ne savons pas ce qu’il en est d’eux… D’où notre étude. Mais je pense que tu visais plutôt les sauvageons… » Dit Harald, semblant cerner les pensées de son officier et vis-à-vis. « Eux, ont toutes leurs caboches… Mais ils refusent de rejoindre le giron de la couronne. Point uniquement à cause du rejet du Père… Il existerait presque autant de raisons que de clans de sauvageons : certains pensent que le Voile est une punition, et que ceux qui survécurent sont dorénavant maudits par le Père… Il existerait bien peu de sauvageons capables de nous rejoindre, et leur vision presque extrême de Mogar n’en ferait sans doute qu’un vivier à futures révoltes… »

Il avait répondu à Ararün, et allait sans doute lui dire autre chose étant donné le fait qu’il s’était presque éteint face à lui, dès lors qu’Harald lui avait demandé ce qu’il ferait lui face à pareille situation. La manœuvre était habile : venir faire un rapport était une chose, insinuer le retour du Père et le marteler ainsi en était une chose… Et demander à Ararün ce que lui ferait s’il était à la place du Grand-Roi, avait au moins eu le mérite de calmer ses ardeurs. Finalement, ceux qui conseillent ne sont jamais ceux qui paient en définitive…

Mais voilà que les gardes revinrent, avec Braähm correctement entouré. Il entra, salua, mais quelque chose semblait changer en lui. Il semblait non point apeuré mais soucieux… Sans doute que le faire escorter à travers la cité n’était point une bonne idée, du moins, pour la réputation et l’orgueil du vieux mineur. Mais cela passerait… Oui, cela passerait.

« Baruk, Braähm. » Lui dit-il, frappant doucement son plastron depuis son trône. « On me rapporte des informations bien étranges, aujourd’hui… Des informations cruciales, également. Mais je n’aurais que deux questions à te poser aujourd’hui. Réponds-y avec toute l’honnêteté que je te prête, mon ami. » Dit-il, introduisant son propos. « Qu’as-tu vu là-haut, sur la montagne disparue ? Qu’as-tu dit, aux Nains qui t’ont accompagné ? »

Il l’écoutait, opinant quand Harald pensa correctement aux sauvageons en réponse. Les sauvageons étaient certes en marge de la société et désiraient y rester, mais à l’inverse des Berserkers ou des Engeances ils n’avaient pas perdu la tête. Même si les motivations de chaque clan et même chaque individu étaient bien différentes certains pouvaient probablement être raisonné et ramené dans le giron du Zagazorn. L’absence d’intérêt d’Harald quant aux Sauvageons, presque comme un aveu d’abandon extirpa de l’officier un sec son guttural.

« Il faudra peut-être songer à eux, si tu souhaites reconquérir le Zagazorn dans son intégralité. Comme tu l’as dit toi-même, ils ne sont pas fous et pourraient être ramené à la raison. Mais c’est un tout autre sujet… Peut-être que leur ferveur envers le Père serait un danger, c’est vrai, mais tout ce qui le concerne relève d’une prise de risque et c’est là toute la réflexion que je te demande de prendre. Accepterais-tu le risque, toi, Harald, à titre personnel de défier et d’ignorer le Père ? » Il le toisa une nouvelle fois avant de tourner la tête lorsque d’autres dawis firent leur entrée.

Ararün pivota sur lui-même et reconnu Main-Ferme, escorté par quelques gardes. Peut-être qu’une telle démonstration n’avait pas été nécessaire et ferait sûrement jacter, mais c’était fait et il ne put que s’en désoler. Il tapa à son tour son plastron, hochant dans la direction de son aîné. « Barük Braähm » fit-il finalement avant de se décaler pour lui laisser de la place.

Il n’eut pas le temps de reprendre sa discussion qu’Harald interrogea le nouveau venu. L’officier jeta un coup d’œil au concerné, cherchant probablement à lui faire comprendre que le sujet épineux avait été abordé et qu’il pouvait parler franchement.

Le fait qu’Ararün n’ait point été capable de donner un quelconque conseil que ce soit, puis qu’il demande à Harald de prendre toute la réflexion sur le sujet évoqué, y compris sur l’attitude à avoir envers les Sauvageons, irrita légèrement Harald. Invoquer ainsi le plus grand fléau de la race Naine depuis la destruction d’Ankorong voilà 7000 ans, et le laisser ensuite entre les pognes du Roi en espérant qu’une seule caboche puisse trouver toutes les solutions à ce problème, avait quelque chose de rageant. Crier au loup et attendre la garde n’avait jamais été une solution… Lorsqu’un danger s’annonce, prendre les armes autant qu’un temps de réflexion semble obligatoire… Mais point pour Ararün, apparemment.

Mais l’arrivée de Braähm oblige Harald à penser à la suite de cette entrevue. Aussi se concentra-t-il sur lui, et non plus uniquement sur les propos parfois bancales d’Ararün. Et, malheureusement, ce que Harald avait présumé en cherchant à convoquer Braähm, se confirma rapidement : lui aussi y allait de ses visions et prédictions, et, sans surprise… Imputait tout cela au Père, Maudit soit-il.

Le Père aurait donc averti les Nains de son retour, de sa colère… Dépourvue toutefois de folie. L’esprit du Roi fut alors légèrement troublé… Comment pourrait-il savoir tout cela ? Se douter de tout cela ? Imaginer tout cela ? Etait-il… Habité, par les paroles du Père ? Braähm devenait-il de plus en plus le représentant du Père sur terre, et moins le Thane d’un clan de mineur ? Qu’était-il en train de se produire ici-bas…

« Hum… » Grondait-il, renfrogné, les mires mi-closes par de broussailleux sourcils qui ne pourraient sans doute plus jamais se détendre. « Vous deux… » Commençait-il, se redressant de son trône pour finalement le quitter et rejoindre ses deux vis-à-vis, en bas des marches. « Vous semblez un peu trop bien savoir ce que le Père aurait voulu dire, faire, ou penser. Ce ne serait pas la première fois qu’une montagne disparaît dans une éruption volcanique… Et pourtant, par le passé, le Père n’était pas incriminé. Alors pourquoi ? » Demandait-il. « Pourquoi voulez-vous tant revoir le Père et ses temples ? »

Quand Braähm fit à son tour son récit, l’officier resta silencieux alternant son regard entre la vieille barbe et son Groman-Rik, cherchant à y déceler les réactions. Soudain, quand Harald prit finalement la parole – et se joignit à eux – Ararün vissa son œil sur lui.

Les paroles d’Harald semblèrent teintées de menaces ou de préjugés à cet instant. Il est vrai que les deux y étaient allés de leurs visions personnelles et de leurs franchises, peut-être même un peu trop. Les deux barbes avaient laissé parler leurs Braise-Vie à l’égard du Père qui ne les avait visiblement jamais quitté totalement. Ainsi, ils se retrouvaient là, face à leur Grand-Roi, lui-même ancien fervent de Mogar, à défendre ce qui était désormais punissable parmi les leurs.

« Harald, à qui était incriminé les éruptions dont tu parles? Ikthor ? Mmh ? » Il pencha la tête l’air de chercher une vraie réponse auprès de lui. Qui d’autre que Mogar pourrait être incriminé de tels évènements parmi leur panthéon. Aucun des Fils ne pouvait l’être pour Ararün. « Aucun de ses fils n’exprime autant de Colère et de Fureur que le Père pour détruire les Montagnes, Harald… Aucun d’eux n’ouvre la terre comme il le fait, alors qui ? » Enfin, l’officier détourna son œil vers Main-Ferme un court instant et revint aussitôt à Harald. « Je t’ai dit ce que j’en pensais déjà Groman-Rik. Je ne souhaite pas que le Père retrouve sa place d’avant, non, mais que nous prenons en considération cet avertissement au risque d’en payer un coût qu’on ne pourrait se permettre et puis… » Il expira de nouveau, se pinçant l’arête du nez. « Je pense que nous avons aussi besoin de lui comme je te l’ai aussi dit. »

Enfin il redevint silencieux laissant alors ce silence en guise de de fin de parole.

« Le fait qu’une montagne s’effondre et se transforme en feu, flammes et torrents de laves, n’est en rien étonnant vis-à-vis du Père. Tout cela porte, en effet, sa signature divine. » Dit Harald, au milieu des deux Nains qui y allaient toujours de leurs pensées, Braähm gratifiant même le Grand-Roi d’une pogne amicale sur son épaule. « Les intentions que vous lui prêtez, toutefois, relèvent de votre propre interprétation. Et de la même manière que je ne suis ni le Fils du Père incarné en ce monde, ni un vaisseau de sa communication comme le serait un Haut Prêtre, je ne peux prendre de décisions basées sur vos pensées et émotions. »

Harald entrait alors dans une posture propre à celle d’un dirigeant de royaume. Puisque ses deux ouailles voulaient lui faire part de leurs observations, pensées, craintes et doutes, Harald les avait reçus, écoutés, et offert une oreille attentive. Mais, puisqu’ensuite ils désiraient mettre sur les épaules royales, une décision relevant davantage de l’ésotérisme qu’autre chose… Alors, il était temps pour le Grand-Roi du Zagazorn de remettre les choses dans leur contexte.

« Sous nos pieds, gisent les corps pétrifiés de centaines de milliers de Dawis. Certains d’entre eux figuraient parmi les plus éminents savants, les plus vieux runistes, les ancêtres de dizaines de clans différents. La plupart d’entre eux constituait les forces vives d’un Zagazorn surpuissant, capable d’abattre tous ses adversaires quels qu’ils soient. Ces morts, ces pertes, ces savoirs détruits et ces entités perdues, ont autant affaiblis nos forces vives survivantes, que nos capacités diverses et variées. Aucun des runistes d’aujourd’hui, n’acceptera le retour d’un Père Maudit, honnis, détesté ; aucun soldat n’acceptera de se battre sous l’égide de celui qui aura réduit notre armée à peau de chagrin ; aucun prêtre n’acceptera de revêtir l’habit sombre, car le spectre de la guerre civile nous hante encore. Vos craintes, mes amis… Insultent des milliers de mémoires qui festoient aujourd’hui dans le Monde du Dessous… Mais surtout, elles insultent ceux qui survécurent, et qui durent retrouver une figure tutélaire au-delà du Père. »

Ses mots étaient durs, ses paroles franches, son message on-ne-pouvait-plus clair. Deux individus, aussi doués et connus étaient-ils, ne pourrait faire pencher la balance en faveur d’un retour du Père, aussi diminué pouvait-il être.

« Je dois me rendre à Lante. Là-bas, j’irais questionner le Haut-Prêtre d’Ikthor. S’il me dit que le Puissant n’est pour rien dans tout cela, alors, je devrais considérer le retour du Père. Si, au contraire, le Père fut stoppé dans sa nouvelle Ire par la puissance d’Ikthor… » Il regarda alors Braähm, puis Ararün. Ses mires étaient sévères, son regard… Emplit d’une signification plus profonde encore que ce que ses mots pourraient dire maintenant. « Vous devrez demander pardon au Puissant pour avoir été prêt à insulter vos morts, à cause de votre peur. » Il se retourna alors, monta les quelques marches qui le menaient à son assise, reprenant enfin sa position sur le trône. « Je vous remercie pour le courage dont vous avez fait preuve là-haut, dans les Monts. Offrez aux morts une cérémonie adéquat. Eux, au moins, festoient dorénavant dans le Monde du Dessous et possèdent aujourd’hui toutes les réponses à nos questions. »