La ruée à travers l'or

1ère ennéade de Favriüs
21e année du Onzième Cycle
Sur la route d’or, au départ d’Ydril

- Et où est le reste de la compagnie exactement ?

- Je suis la compagnie.

- Vous voulez me dire que vous comptez assurer notre sécurité à vous seul ?

- Si vous préférez payer dix hommes plutôt qu’un homme qui en vaut dix pour le prix de deux, c’est à vous de voir. Mais vous perdriez au change.

L’homme tire sur les manches de sa bure bleue dans un élan de frustration, puis soupire. Son regard cherche du soutien auprès de ses pairs, plus timorés, qui préfèrent baisser les yeux plutôt que de le suivre au conflit. Voilà qui lui apprendrait à faire confiance à quelqu’un qui se réclame d’Othar, et qui n’améliorerait pas l’image qu’il se fait des ouailles du Coléreux. Mais au moins lui fallait-il reconnaître que les fervents du Flamboyant n’étaient pas Souffle faciles à rendre aux flots. Au moins en cette insolente opposition trouverait-il un peu de réconfort.

- Trop tard pour faire autrement de toute façon. Donc ce n’est pas comme si on avait le choix.

Croisant les bras sur ton plastron, tu te contentes d’offrir au prêtre de Tyra un sourire narquois. « Le choix ». Que des gens qui se faisaient porte parole de la Mère de l’inévitable parlent de « choix » t’était tout bonnement risible. Aussi nécessaire que soit leur office, en réalité, beaucoup des valeurs défendues par leur culte – lorsque décorrélées des quelques rares occasions où elles faisaient sens – t’étaient risibles. Risibles, paradoxales et contradictoires. Les fervents de la Dernière Gardienne te semblent bien effrayés à l’idée de rejoindre son étreinte.

- Au pire, vous pouvez espérer que la garde des di Alcacio donne un coup de main. tu laisses échapper un gloussement Mais je doute fort qu’ils se préoccupent de grand-chose d’autre que leur blondinet favori.

Le prêtre peste, de ce ton bien propre aux nouvellement ordonnés, tentant tant bien que mal de tempérer la personne qu’ils furent avant d’offrir leurs vie au service de leur culte. Puis il rejoint les siens dans leurs préparatifs, ceux dont ils ne voulaient surtout pas que tu t’approches.


Le temps avance. Les hommes se rassemblent. Le convoi termine de prendre forme. L’ennui s’installe. Tu observes, impatient, le cortège d’hommes d’armes s’affairant autour de la voiture ducale. En réalité, ta plaisanterie n’en était qu’à moitié une. Si les prêtres tenaient tant à partir aujourd’hui, c’était exactement pour profiter du voyage des di Alcacio. Car même si les miliciens le protégeant lui ne faisaient rien pour eux, avec le nombre venait la sécurité, et avec le renom de la famille ducale venait une barrière. Avec le renom de la famille ducale venait des tentations aussi. Adriano, sa fiancée et sa fille étaient des otages de choix, dont des bandits talentueux pourraient tirer grande rançon… mais c’étaient aussi le genre de victime qui risquait de vous attirer le courroux de tout un duché. Encore une fois, une forme de sécurité.

- C’est qu’il prend son temps le blondinet dis-donc ! On part aujourd’hui ou on part demain ?

Tu lances, à pleins poumons, en direction de sa garde. À quelques uns tu arraches un pouffement de courte durée, à d’autres une démonstration d’agacement, et les derniers t’ignorent tout bonnement.

- À ce rythme-là, Tyra va lui prendre sa troisième femme avant même qu’il ait pu l’épouser.

Un pouffement à nouveau, chez un cortège de gens différents, dont le nouveau prêtre. Et en attendant, le temps qui s’allonge.

L’ennéade passée à Ydril avait été des plus agréables pour Adriano. Accueillit comme le serait évidemment un Pair du Royaume, il avait pu jouir de tous les privilèges inhérents à sa position, profitant de la nourriture, des boissons, des vins et des mets raffinés, en plus des arts locaux et de l’admiration de tous. Ou presque. Du moins l’exprimaient-ils de manière politiquement correcte.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin, non ? Peut-être pas tant que ça, au final, car si Adriano devait évidemment revenir chez lui – ce qui n’était point une tare ou une chose indésirable – c’était pour préparer un évènement d’une importance capitale : un mariage. Son propre mariage. Et, l’espérait-il… Le dernier.

Marié par deux fois, veuf par deux fois, père d’enfants assassinés… Sa vie sentimentale n’était absolument pas tranquille, et ses souffrances, nombreuses, ne s’étaient jamais réellement taries. Oh, l’homme était un être machiavélique, aux ambitions intarissables et aux capacités hors normes… Donner la mort n’était point chose difficile pour lui, tout comme mener bataille, fomenter complots, mentir et manipuler. Il n’était pas un homme bon, non… Du moins, point dans la définition la plus commune de ce mot-ci. Il vivait selon son propre code, toutefois, et ce code l’empêchait de devenir un véritable monstre sans pitié ni forme humaine… Mais il avait connu l’amour, le véritable ; il avait connu le mariage politique… Il allait maintenant connaître le mariage sentimental, aux fragrances politisées. Un doux mélange de deux situations, en somme.

Il lui fallait donc retourner à Soltariel. Il avait fait préparer la caravane, rassembler et approvisionner l’équipée et les gardes armés, qui attendaient plus ou moins sagement que se présente enfin le Duc. Rendant les derniers respects à Norbert, nouveau Comte d’Ydril, et après l’avoir réinvité lui et sa famille au mariage Ducal, Adriano se montra enfin, descendant les marches en armure d’or et d’argent, laissant sa cape rouge trainer derrière lui.

Aussitôt, la Guardia Soltaari se mit au garde-à-vous. Adriano s’arrêta sur l’avant-avant-dernière marche de l’escalier du château Ydrilote, et regarda l’ensemble de la caravane. Il reconnut évidemment ses gardes, mais aussi les prêtres de Tyra, quelques mercenaires par-ci, par-là… Et un autre combattant. Un grand gaillard, presque Nordien dans l’archétype… Adriano ne le reconnaissait pas. Aussi, il l’invectiva, de loin.

« Qui êtes-vous ? » Demanda-t-il, l’interpellant à haute voix. « Je reconnais les visages de chacun de mes gardes, et ceux des prêtres de la Gardienne également. Mais le vôtre m’est parfaitement inconnu… » Ce qui n’était pas bon signe, mais il se garda de le dire. « Qui êtes-vous ? Et que faites-vous ici ? Approchez-vous, je vous pris. »

Lorsqu’enfin le maître de ces gens daigne se montrer, il te faut rassembler toutes tes forces pour ne pas lentement l’applaudir. À la place, tu poses les mains sur les hanches, et le fixes du regard, espérant que l’attention le pousse à accélérer le pas. Mais il n’en fut rien. Au contraire, à la place il préféra s’arrêter et contempler la petite foule qui l’attendait.

Il observe, et l’impatience commence à te serrer les viscères. Tes bras se croisent sur ton plastron, et tu inspires lourdement pour mieux soupirer, ton pied commençant à battre la mesure. Tout ça pour qu’au lieu de se dépêcher, le Duc se trouve interloqué par ta présence, et, sans bouger d’un pouce, se décide à t’interpeler. Encore un qui ne te reconnaît pas. Et si le gamin du port avait l’excuse d’être justement cela : un gamin, et Adélina celle d’être une Nordienne dont le fief est loin d’Erac… Adriano est Soltarii.

- Qui je suis, votre Altesse devrait le savoir.

Des années que tu as passé, toi « Celui-Qui-Traversât-Les-Ténèbres », toi le plus jeune des Héraults d’Othar de cette Ère, toi le géant Soltarii, à abattre le feu divin sur les menaces pesant sur ta terre d’origine. Des années que tu as passé à voyager de bourg en bourg, à briser de ton poing les cultistes apportant malédiction sur vos terres, à pourfendre les bêtes menaçant ports comme moulins, à mettre à feu et à sang les cliques d’écorcheurs qu’aucun homme seul ne saurait entièrement démanteler. Des années que tu collectionnes les cicatrices à affronter les fléaux de ce petit monde, ceux qui en rongent discrètement la fondation, nourris par les incessantes querelles de ceux qui se disent « puissants ».

- Je suis là pour assurer la protection des hommes de Tyra.

Tu refuses de t’avancer. Tu refuses de t’avancer pour te présenter à un homme incapable de reconnaître les héros de son propre peuple. Et tu sais que cela ne lui plaira pas le moins du monde. Tu vois sa patience s’étioler chaque seconde que tu ne passes pas à obéir à son ordre. Il en est ainsi de grands nobles. Tous autant de petites teignes capricieuses, rageant dès lors que l’on ne flatte pas leur pouvoir. Tous aussi rageurs quand forcés de constater que leur pouvoir a ses limites.

Les dévots de la Gardienne savent qui tu es. Ils ne t’auraient jamais accepté comme seul protecteur autrement. Les Soltarii de la garde du Duc savent qui tu es, car des guerriers du duché ayant jamais demandé les faveurs de l’Aveugle, il y en a bien peu dont ton histoire n’aurait pas caressé les oreilles. Le respect qu’impose ton nom, il ne t’a pas été gagné par le sang de tes aïeux, tu te l’es arrogé à la sueur de ton front, et tu ne laissera aucun marquis ni aucun duc le piétiner.

Adriano regardait l’immensité musculaire qui se trouvait toujours à la même place depuis qu’il l’avait interpelé. Son nom, il lui était inconnu. Son rôle, il ne pouvait que le deviner. Outre le fait qu’il s’agissait sans aucun doute d’un mercenaire ou d’un guerrier capable de vendre sa lame et sa vie, rien n’indiquait quoi que ce soit d’autre à propos de celui qui, selon lui-même, devrait être connu du Duc lui-même.

« Je devrais le savoir ? » Répétait-il, légèrement courroucé, mais surtout, amusé par la situation. Outre le fait de vouloir être respecté, comme tous les plus grands nobles de ce monde, son esprit était entré en ébullition. Peu d’hommes, dans ce coin du monde, oserait répondre ainsi à l’un des nobles les plus puissants du royaume. « Connaître tous les sujets vivant sur les terres du Soltaar, serait sans doute mon plus grand rêve. Quel souverain ne souhaiterait pas connaître les visages et y associer les noms de ceux qui vivent sous sa protection ? » Demandait-il alors, dans une question rhétorique. « Mais il me faudrait me confesser aussitôt auprès de La Mère, car ce serait trop d’immodestie pour un seul homme. Tyra elle-même se moquerait bien d’un tel comportement ! Et pourtant, je suis un marin ! » Habitué à la défier sur les flots depuis des années, depuis sa naissance même. « Mais pour oser parler ainsi à celui qui règne au nom du Roy sur ces terres baignées de soleil, et pour oser humilier ainsi les hommes de Tyra… Vous ne pouvez être qu’un envoyé d’Othar. N’est-ce pas ? »

Une question, mais pas si rhétorique que cela cette fois. Car Adriano, en effet, cherchait à confirmer l’identité de l’homme face à lui. Après tout… S’il se qualifiait lui-même d’être quelqu’un de suffisamment connu pour qu’Adriano lui-même puisse immédiatement remettre un nom sur son visage, pourquoi ne s’était-il pas révélé avant ? Pourquoi seulement maintenant ? Que faisait-il lorsqu’Adriano avait mandé l’aide de tous les clergés dans sa guerre sainte contre les cultistes ?

Mais quelque chose attirait encore plus la curiosité d’Adriano. Outre l’évidente différence de gabarit, le Duc semblait discerner quelque chose qu’il pourrait utiliser de cet homme… Quelque chose de grand ? Quelque chose de fort ? L’avenir le dirait… Oui, l’avenir le dirait.

« Vous avez donc votre monture, j’imagine. Vous voyagerez à mes côtés. » Il fit signe à un écuyer de détacher son cheval personnel à la robe d’un blanc immaculé réhaussée d’une selle de velours et d’or, mené par des rênes en cuir brun. Montant dessus sans grandes difficulté – aidé qu’il était par ledit écuyer. « Vous me direz tout de vous. »

Les secondes s’allongent et l’air s’embrase. Ton regard et celui d’Adriano restent accrochés l’un à l’autre. Tu le jauges. Il te jauge en retour. Et au lieu d’être vomie, la bile qui lui remontait de l’estomac devient un sourire. Tu le lui rends bon gré, levant légèrement le menton, et le Duc, s’amusant de ton impertinence, finit par engager la discussion. Peut-être finalement l’admiration que lui voue Adélina n’est-elle pas si mal placée. Adriano après avoir quitté la marine ne semble pas encore s’être empâté.

- Mávros ! tu siffles l’animal, puis reporte ton attention sur le Duc Comme vous voudrez.

L’eraçon noir se présente au petit trot, et d’un bond, tu montes en selle. Adriano est fin prêt. Le convoi est prêt. L’heure est enfin arrivée de sonner le départ. Les rennes de la première voiture claquent sourdement, accompagnées des cris du cocher et des hennissements des chevaux. Tu commençais ton voyage sur la Route d’Or auprès d’une inattendue compagnie.

- Michail. tu commences, ton regard déjà partagé entre tes protégés et ton interlocuteur Pas exactement un envoyé d’Othar. tes nasaux se dilatent, trahissant l’irritation que tu essaies désespérément de cacher chaque fois que tu mentionnes tes origines Mes parents m’ont offert au temple d’Othar de Soltariel peu après ma naissance. C’est là que j’ai été élevé. Mais je n’ai jamais officiellement rejoint les ordres. ton visage s’illumine cependant, à la mention de ce qui est ta plus grande fierté Je n’ai jamais officiellement rejoint les ordres du Coléreux, mais j’ai été reconnu l’un de ses Héraults par le Haut-Prêtre, en même temps que mon grand-frère, après qu’on ait rejoint Erac seuls sous la Malenuit.

Il est peu de gens à qui tu t’es réellement attaché, et parmi ces gens, une bonne part sont simplement morts de vieillesse. Alessandro, lui, aurait pu être là aujourd’hui, et t’offrir un semblant de famille. Chaque fois que tu y penses, tu ne peux t’empêcher d’être attristé. Seulement la vie va son cours, et Tyra se saisit des Souffles. Il n’y a rien que tu puisses faire pour lui si ce n’est porter haut la lance qui aurait dû être sienne.

- Dès que j’ai été assez costaud pour les porter, j’ai reçu mes armes de la part du Champion…

Un mensonge, bien qu’il ne soit pas entier. Tu n’as reçu que le bouclier. La lance, c’était celle d’Alessandro. Mais lorsqu’au retour de Chrystabel, et après sa mort, tu as demandé à la conserver en l’honneur du défunt, tu reçut pleine et entière bénédiction. Peut-on alors considérer, puisque les Dieux ont ainsi fait les choses, qu’il eut toujours été dit que Zenith devait être tienne ?

- ...avec pour mission de leur rendre leur gloire d’antan. tu jettes un rapide coup d’œil aux véritables œuvres d’art que sont les armes à ton dos Alors depuis je me bats.tu ris douvement Donc entre le culte qui fait voyager mon nom pour me soutenir dans ma mission et les dix ans que j’ai passé à battre l’ivraie dans la région… je suis toujours étonné de croiser quelqu’un à qui je ne reviendrais pas. Ce n’est pas comme si j’étais discret.

Et aurais-tu même été moins grand, moins large et privé de tes deux reliques, que les traits de ton visage étaient aisément distinguables du commun des Soltarii. L’ethnie de ton père marque tes traits, et ils sont rares les étrangers en ces terres qui portent l’armure au lieu de simplement vendre le produit de leurs contrées.

L’homme obtempère. Hélant sa monture et se montrant prompt à y grimper dessus, il obtempère et fait montre d’une attitude nouvelle. Il se présente… Et Adriano sourit. Une petite victoire pour lui ! Petite, car, il n’est pas de réel combat entre un homme et un Duc sur ces terres qui ne se solderait pas par la victoire du Duc… Sauf, peut-être, un combat inégal contre les cultistes, allez-savoir…

Mais Adriano avait vaincu. Face à lui, Michail avait rendu les armes, grimpant sur son destrier et se soumettant aux demandes du Soltaari. Toutefois, la suite allait être encore plus intéressante, bien que légèrement désarçonnant. L’homme n’était donc pas réellement un prêtre, ou un disciple d’Othar… Mais un enfant offert au temple du Coléreux. Une enfance difficile, sans doute ; une enfance peu joyeuse… Mais qui lui offrit des choix, de toute évidence ! Car, autrement, nul doute qu’il n’aurait jamais eu d’autres choix que d’entrer dans les ordres, comme il le dit lui-même.

Il était, en revanche, un des Héraults du Coléreux ! Reconnu par le Haut-Prêtre lui-même, et cela, en reconnaissance d’une mission périlleuse et de faits presque impossibles à réaliser pour un seul homme – et même pour deux d’ailleurs – durant la Malenuit. Sans s’en rendre compte, Adriano avait tourné vers Michail un visage interrogateur et deux billes rondes aux pupilles dilatées, signe d’un intérêt ô combien renouvelé par ce qu’il venait d’entendre… Ainsi donc, face à lui, ce n’était pas un simple guerrier : Michail était un combattant d’exception affublé d’une reconnaissance et d’une bénédiction que les Arétans jalouseraient sans aucun doute ! Peut-être même que leur fou, ce Terresang cul-terreux, déclareraient la guerre au Sud juste pour récupérer tel don de la nature ! Et du divin !

Cette pensée le fit sourire très largement, alors qu’il menait le cortège qui, enfin, s’en retournait vers la capitale ducale. Finalement plus bavard que ce qu’Adriano aurait cru, le Duc écoutait avec avidité, avant de répondre à son tour.

« Ah ! Un Hérault du Coléreux ! » Dit-il, appuyant sur le surnom de la divinité comme pour pouvoir se faire entendre. En dire vrai, Adriano était comme… Soudainement enhardi par une telle discussion. « Ne prenez pas ombrage de ma méconnaissance. Je ne suis Duc que depuis deux années, et, avant cela, je voguais sur les flots plus souvent qu’à mon tour. La terre n’est au final que ma seconde demeure… » Indiquait-il, explicitant donc le pourquoi du comment concernant l’identité inconnue de celui qui, disait-il, était connu de tout le Sud. « Je n’ai point reçu semblable bénédiction du culte de Tyra… Toutefois, comme beaucoup de marins, je m’en réfère à elle autant qu’à La Mère. Car rares sont les envoyés du Coléreux sur nos terres… Mais vous voici, face à moi aujourd’hui. Et, pardonnez-moi mon éventuel manque d’humilité, mais je sens que votre présence aujourd’hui est une bénédiction pour notre futur à tous les deux. »

Tu l’intéresses. Il n’a pas besoin de le dire pour que paraisse sa soudaine curiosité pour ta personne, maintenant qu’il sait que tu n’es pas n’importe qui. Pourquoi l’intéresses-tu ? Là aussi, la chose est plutôt évidente. Tu es une arme humaine comme on en croise rarement. Une précieuse ressource que nombre de chefs de guerre lui jalouseraient… si seulement tu étais sien.
En digne fervent du Coléreux, tu refuses de reconnaître d’autres Maître que les Cinq eux-mêmes. Mais en digne fervent du Coléreux, à défaut de maîtres, tu choisissais soigneusement tes alliés. Adriano quant à lui – faisant honneur à son passif d’homme de guerre – ne cracherait probablement pas sur la perspective de devenir l’un de ces alliés.

- Marcher dans les pas du Constant est un labeur de tous les jours… ton regard se porte vers l’océan s’étirant vers l’horizon ...mais Tyra est la plus cruelle des maîtresses. Considérez-vous déjà béni de ne jamais vous être attiré son ire.

Tu masques ta méfiance derrière un sourire. Passées de premières minutes tendues, la compagnie de Son Altesse te serait presque agréable, et tu ne peux t’empêcher de trouver cela étrange. Le nom des Cortès di Alcacio, d’entre tous, n’a jamais été de ceux qui ont marqué l’histoire de leur bienveillance. Bien au contraire, c’est par leur verve d’airain et leur main de faire qu’ils se sont distingués, et c’est – à ton souvenir – par le sang qu’ils se sont élevés.
Pour ce qu’en percevait ton regard, entre Félipé Cortès di Alcacio et Franco di Celini la différence était bien maigre. Le premier n’était jamais qu’un monstre d’ambition venu en remplacer un autre. Certes, admirable est l’ardeur avec laquelle il les avait poursuivies, mais est-ce vraiment là ce qui fait un grand seigneur ? Peut-on vraiment appeler grand celui qui fait des petits confiés à sa protection les pions d’un égoïste jeu ?

- J’ai eu la chance de croiser votre fiancée aux portes du temple de la DameDieu il y a quelques jours. tu lèves un sourcil en direction du Duc Et puisque j’étais sur le point d’en enterrer quelques-uns, elle m’a rappelé que vous aviez un passif avec les adorateurs des dragons. tu lèves le menton Maintenant ma question est de savoir si après ces deux premières années, vous considériez toujours seyant de régner selon les préceptes de la Gardienne.

L’attitude du Hérault était détestable sur bien des points… Son air suffisant ; ses mimiques arrogantes ; sa manière de parler… Il était sûr de lui, que cela soit du point de vue de la force physique que de la présence psychologique. Sa force de conviction était également impressionnante, faisant de lui un homme aux appuis assurés et à l’équilibre certain.

Adriano comprit donc bien rapidement que le dénommé Michail était un être aussi libre que l’était la mer ; et aussi régulier que la marée qui va et vient deux fois par jour. Indomptable, Michail serait son propre maître, son propre décideur, et Adriano, au mieux, ne pourrait être qu’un nobliau aux qualités religieuse discutables que Michail accepterait de croiser de temps à autres. Déçu mais point abattu, Adriano afficha un sourire de circonstance et tourna vers Michail un visage parfaitement maîtrisé.

« La maîtresse des flots est une maîtresse cruelle, oui. Tous les marins vous rejoindront sur ce point de vue… Mais c’est son caractère impétueux qui la rend si irrésistible. » Dit-il, ses mires se voilant alors que d’intenses souvenirs revenaient à lui. L’époque où, des ennéades durant, il partait en mer par vents et par monts, s’en remettant tout entier entre les mains de la Gardienne. « Je ne vous apprendrais rien, je pense, en vous disant que les Suderons sont davantage proches de la mer que de la terre… Mais, comme tout bon Pentien, je vénère les Cinq et m’en remet autant à La Mère qu’à la Gardienne. » Répondit-il, avant de reprendre la suite de sa diatribe. « Ah… Les cultistes… » Dit-il, soupirant profondément, ses mains se refermant avec force sur les rennes de sa monture, la colère l’envahissant soudainement. « Un passif… Je suis en guerre contre eux. Une guerre que j’ai su défendre face au Roy lui-même, qui m’aura alors accordé sa bénédiction. Le Sud est en guerre sainte contre les cultistes, quels qu’ils soient. » Répondit-il, avant de retourner son visage vers le Hérault bien bâti, pour lui répondre sur sa question à lui… « Evidemment. Diriger un peuple impétueux n’est point chose aisée, et, pour ce faire, il me faut impérativement l’aide de la Gardienne plus que toute autre chose, à l’heure actuelle. Mais l’influence des Cinq m’est également importante. J’imagine que si vous me demandez cela, c’est parce que vous vouliez prêcher le Coléreux ? »

- Non. tu déclares sèchement, comme la plus grande des évidences La Fureur de l’Aveugle est une précieuse alliée, mais une piètre conseillère. tes paupières se plissent légèrement De la même manière que l’Astuce de la Gardienne n’est vertu que lorsque séparée de la Vengeance, son domaine. tu souris derrière ta barbe Présider sur les Hommes est le ministère de la DameDieu seule. tu marques une courte pause Souvenez-vous en. Le monarque dont le Souffle est embrasé par Othar manquera d’empathie, et celui dont le coeur est refroidi par Tyra manquera de bienveillance.

Ton regard se porte à nouveau vers l’horizon, comme jaugeant la route qu’il vous reste à parcourir jusqu’à votre prochain arrêt. Tu repenses à la brume, à la mer, à ce qu’il pourrait s’y dissimuler. Tu repenses aux missives disséminées par le Seigneur de Beaurivage, et à la flamme qui s’est embrasée en toi en les lisant. Tu as hâte. Tu as hâte de te soumettre à l’épreuve. Mais en même temps, tu penses à ceux que tu laisses derrière toi.
La guerre que livre Adriano est juste, mais tant que tu seras au large, tu ne pourras plus l’aider dans ses batailles. Ton départ, c’est l’abaissement d’un des murs qui leur offrait protection. Seulement tu ne peux rester auprès d’eux indéfiniment. Tu es appelé à autre chose. Tu es appelé à plus grand. À chaque Homme comme à chaque Dieu son mandat… et le tien est miroir de ton Patron. Toi qui ârs te mesurer à la nature et repousser la mort, tu n’as d’autre choix que de les confier à celui que la Loi fait leur protecteur.

- Vous avez les vies de milliers entre les mains.

Tu enfiles ton heaume et rabats la capuche de ton manteau. Ainsi tu termines de revêtir l’habit qui te définit en ce monde. Mercenaire de légende. Guerrier sans visage. Arme brandie par le Coléreux en tant qu’exemple de ferveur. À toi il t’est donné de dire je, car ton ministère est solitaire. À toi il t’est donné de dire je, car inspirer l’Homme est ton devoir.

Lui, son père l’a condamné à dire « nous ». Son père l’a condamné à honorer le sang versé durant leur quête de pouvoir. Le pouvoir, ils l’ont, maintenant. Reste à espérer qu’ils en usent avec sagesse. Néera l’a prouvé il y a peu. Aujourd’hui plus que jamais les Cinq veillent.

- Il est là, votre combat aujourd’hui.

Les propos de l’homme face à lui étaient empreint d’un fanatisme religieux à la fois correctement mesuré et incroyablement développé. Nul doute, pour Adriano, que vivre aux crochets puis grâce à la bénédiction d’un culte aussi dur et violent que celui du Coléreux, forge un homme dans le plus dur et le plus inflexible des aciers… Et, cela est bien connu, les religieux ne figurent pas parmi les individus les plus prompts à omettre certains détails pour en favoriser d’autres, à s’adapter à la situation qui s’impose face à eux.

Là est, sans doute, la plus grande différence entre noble ambitieux et religieux fanatisé. Là où le noble sacrifiera sa tour, son cavalier ou son fou, pour le bien commun ou simplement pour un coup de maître à venir, le religieux préfèrera sauver tout son échiquier, sacrifiant uniquement quelques pions car ainsi le dictent les dogmes ; ainsi en demanda la divinité ; ainsi parlent les saintes écritures. Deviser avec un religieux est toujours vivifiant. Tenter de débattre avec lui, est une tout autre chose.

Michail prouvait ainsi que sa dévotion était sans borne, et que, bien que représentant d’Othar, il demeurait un dévot emprunt de la parole des Cinq. Mais son combat à lui différait largement de celui d’Adriano qui, bien que Pentien, demeurait cruellement humain. Ses ambitions étaient grandes, sa froideur, plus glaciale que les plus hautes montagnes de ce monde emplies de neiges éternelles.

« Des milliers, oui. » Dit-il, appuyant donc sur le propos du Hérault qui venait de changer de visage, sans doute prêt au combat. « Et je serais sans pitié. Contre les cultistes et ceux qui tentent de détruire le culte Pentien. Contre ceux qui souillent nos eaux. Contre ceux qui tenteraient quoi que ce soit contre le Roy. C’est pour cela que j’ai mandé au Roy de soutenir ma guerre sainte. Et c’est pour cela que j’ai prêté serment au Roy ressuscité. Mais j’aurais besoin de votre aide, dès lors que vous reviendrez parmi nous. »

Tu ne penses pas qu’Adriano t’ait vraiment compris. Tu ne t’attendais de toute façon pas réellement à ce qu’il comprenne. Mais au moins à défaut de faire honneur à ton image du Duc idéal se montrait-il digne de la férocité de son père, et un digne émule de la Gardienne. Et avec un peu de chance, peut-être la quête de vengeance du Cortès di Alcacio rendrait-elle ultimement service à la Péninsule. Restait à savoir comment exactement concevait-il sa « guerre sainte ». Cela, seul le temps le dirait.

- Tant que je serai sur vos terres, considérez ma lame comme vôtre. tu déclares, révérencieusement Je m’y étais déjà engagé auprès de votre fiancée. Je lui ai aussi partagé ce que j’ai pu glaner comme informations sur les cultistes. Vous devriez prendre le temps d’en discuter avec elle lorsque vous en aurez le temps. Elle saura certainement mieux les relayer que moi.

La nuit tombée,
À l’approche de Melconzie

Le convoi avançait à un bon rythme. Si bien qu’il avait été convenu que malgré le soir approchant, il serait plus raisonnable de pousser jusqu’à la prochaine ville digne de ce nom, plutôt que de loger dans l’une des plus petites, moins confortables – et moins sûres – bourgades de la région. C’est donc à la lumière de la Lune, de Silène, d’Aluthen et de vos torches que vous avanciez maintenant, les plus fourbus d’entre vous espérant désespérément que les quelques quarts d’heures qui les séparaient d’un bon lit passent un peu plus rapidement.

- Veuillez décliner votre identité et les raisons de votre présence.

Trois hommes, revêtus de l’uniforme des veilleurs de nuit de la Cité proche s’avancent vers vous à la faveur de leurs lanternes. Ton attention va un instant à Adriano, puis s’en retourne aux gardes. Tous égaux face aux ténèbres. Le visage obscurci par les ombres, même le plus puissant homme de ce côté du monde était méconnaissable. Le Duc et toi, aux devants du convoi, vous étiez donc avancés à votre tour pour montrer patte blanche…

- Tout le monde à couvert !

Une étincelle te crépite entre les doigts, des volutes incandescents se rassemblent au milieu de ta paume, et tu lances la sphère en direction de vos trois hôtes. Une explosion retentit, suivie d’un sifflement sourd. Tu lances ton cheval au galop juste à temps pour qu’Eclipse cueille deux flèches destinées au Duc. Et des mêmes fourrés d’où sont venues les flèches, jaillissent trois chien-ours, bave aux babines, prêts à venger ton attaque sur leurs maîtres.

- Crocs de Jezzok. tu déclares le nom du groupe de brigands avec un entrain non dissimulé J’ai une dent à régler avec eux.

Habituellement, ils étaient de ceux qui se faisaient discrets. C’étaient des escrocs et des voleurs, certes, mais des escrocs et des voleurs se refusant à se salir les mains. Jusqu’à ce que leur dernier chef ne décède, et que le nouveau venu ne décide de jeter à l’égout tout ce qui rendait leur clique un tant soi peut respectable. Malheureusement pour eux, tu avais assez traîné dans les même bas-fonds qu’eux pour – même éclairés à la lanterne – reconnaître les visages de l’un des trois menant l’embuscade. Et encore plus fâcheux, tes oreilles avaient assez traîné dans leurs sphères pour savoir à quoi ressemblaient leurs nouvelles méthodes.

Des informations données par Michail à Adélina, à propos des données glanées ça et là au travers de ses voyages et de ses découvertes. La chose lui plaisait… D’une certaine manière. Adélina s’investissait toujours autant dans la vie et le devenir religieux des terres du Soltaar, Mais, d’un autre côté, il était agacé de savoir que sa promise connaissait des informations que lui n’avait pas, alors que ces terres étaient, au final, siennes. En son for intérieur, Adriano voulait ses informations… Est-ce qu’Adélina les lui donnerait de son plein gré ? Sans se faire prier ? Ou allait-il devoir chercher ces informations auprès d’elle ?

Le convoi avait bien avancé sur ces routes bien propres et bien construites qui constituaient la fameuse « Route d’Or ». Correctement entretenues, ces routes étaient presque sécurisantes rien que par leur aspect, rappelant la présence des autorités ducales partout, en tout temps et en tous lieux… Ou pas ?

Car voilà qu’une étrange situation se déroulait devant eux. Trois hommes, vêtus d’uniformes bien reconnaissables aux yeux du Duc, s’approchent, éclairés par quelques lanternes. Alors que Michail regardait Adriano avec cette intensité dans les yeux, Adriano le regarde à son tour, avant de plonger à nouveau ses mires dans celles du trio devant lui. Doucement, mais avec maîtrise, sa main droite descendit d’une des rennes vers le pommeau doré de son épée courte.

Pourquoi ? Car l’attitude du Hérault du Coléreux tranchait cruellement avec celle du trio de gardes. Déjà, ne point reconnaître le Duc était chose répréhensible, car qui d’autre que lui pourrait se balader sur un destrier si blanc qu’il renvoie les rayons lunaires ; porter une armure si décorée d’or, d’argent et de pierres précieuses, qu’elle rendrait jaloux le plus fortuné des Nains ? Mais là n’était point toute la question… Adriano avait confiance en l’intégrité de Michail, et le voir regarder tout autour de lui, comme le ferait l’officier préparant une attaque, mit la puce à l’oreille d’Adriano : les choses allaient bientôt devenir très désagréables… Et très inattendues.

En une fraction de seconde, tout bascula. D’un claquement de doigts, Michail fit naître quelques volutes aux lumières transcendantes et à la destruction impressionnante. La sphère ainsi rassemblée, vint exploser au milieu du trio de gardien qui, en réalité, étaient des membres d’un clan de bandits locaux, connus de Michail. Les « Crocs de Jezzok »… Rien qui ne parle réellement aux oreilles d’Adriano. Peut-être un petit groupe de bandits peu connus ? Ou du moins, qui ne demandait point l’implication du Duc ? Allez-savoir.

« En formation ! »

Adriano hurla son ordre, sitôt l’explosion survenue. Les deux flèches prises par Michail et sa monture, provoquent chez Adriano une étrange sensation : deux fois en deux ans que quelqu’un tente de lui prendre sa vie. Regardant le buisson d’où venaient lesdites flèches, Adriano passa de l’inquiétude et de la stupeur, à la colère et la rancœur. Cavalier accomplit, il retira son pied droit de l’étrier et sauta de son cheval, afin de rejoindre la formation de gardes du Soltaar qui, en quelques secondes, se forma en carré autour du Duc.

« Protégez le convoi ! » Ordonna-t-il, demandant donc à l’officier de la garde de détacher ses hommes pour que la caravane soit toujours sécurisée, évitant ainsi de dégarnir celle-ci pour ne protéger que le Duc. Adélina et Catarina méritaient en effet toute la protection des gardes. « Je veux des prisonniers ! » Ordonna-t-il ensuite. « Des flèches provenaient du buisson devant nous ! Michail ! Que comptes-tu faire ? »

Puisque le Hérault avait un compte à régler, et qu’il maîtrisait aussi bien la lame que la magie, Adriano comptait bien se reposer sur son indépendance. Lui était obligé de combattre en formation militarisée, ne serait-ce que pour préserver l’unité du convoi qui risquerait de disparaître si la moindre fracture apparaissait dans sa carapace… Michail, lui, pouvait se battre seul, et de manière indépendante. Il en était d’autant plus dangereux.

Il était temps de retourner à Soltariel.

Ainsi, elle s'était embarqué dans un carrosse en compagnie de sa future belle-mère et de sa fidèle Ginevra, qui se trouvait toujours à ses côtés.

Depuis que Catarina avait perdu sa belle-mère et ses frères et sœurs dans un attentat fomenté par le Culte Draconique, elle ne ressentait plus l'envie de voyager comme elle avait pu le désirer ardemment, plus jeune. Désormais, tout déplacement un peu long lui était devenu source d'angoisse, bien qu'elle cherchât à le cacher en arborant un sourire paisible.
De fait, elle avait meublé agréablement meublé la journée avec des discussions légères, de la couture et des chansons avec Adélina et sa dame de compagnie. Elle était heureuse de rentrer au palais ducal en sa bonne ville de Soltariel, heureuse de retrouver ses cours martiaux secrets ; mais plus encore, la perspective du mariage la réjouissait.

Il y aurait alors beaucoup à faire. Il faudrait décider du menu du repas de fête, et ordonner une grande chasse pour réunir les mets qui seraient servis ; s'occuper de la décoration, mais aussi d'un grand nettoyage des chambres qui seraient octroyés aux plus illustres invités, dont certains devaient déjà avoir répondu à l'invitation de son père.

L'héritière avait également hâte d'accueillir Adélina dans la famille. Le petit Gabriel était si adorable - et bientôt, il serait son petit frère.

Ainsi, ce fut le sourire aux lèvres - un véritable - qu'elle regardait le jour s'éteindre par la fenêtre de son carrosse, qui était bien protégé par quatre chevaliers. Elle savait qu'ils devraient bientôt faire halte pour la nuit, mais les senteurs douces et parfumées du soir l'enivraient presque. Ce fut ainsi qu'elle crut qu'ils allaient monter le camp lorsque son véhicule s'arrêta ; mais des cris, un peu à l'avant du convoi, la figèrent.

Catarina di Alcacio déglutit tandis que les soldats relayaient l'alerte aux brigands, et instinctivement, se rapprocha d'Adélina et de Ginevra.

- "Tout... tout va bien se passer..."

Mais sa voix était hésitante, tremblante d'une terreur mal contenue. Elle avait peur, et, rapidement, sortit une petite dague ciselée de pierreries, tranchante et mortelle, qu'elle déposa sur ses genoux, tandis qu'un officier leur demandait de ne pas faire de bruits. Leurs épées furent dégagées de leur fourreau, mais les hommes ne bougèrent pas.

Leur priorité était de défendre les dames, et ils accompliraient leur devoir ; tandis que la jeune fille se préparait à devoir agir. Comment ? Elle n'en savait trop rien, mais elle défendrait sa pauvre belle-mère et sa dame de compagnie. N'était-elle responsable, d'une certaine manière ? Tout comme son père défendrait sa vie et la leurs ; de cela, la jeune fille n'en avait aucun doute.

Le banquet était finalement terminé. Adélina n’avait osé l’avouer à personne, mais cet événement avait été particulièrement demandant pour la nordienne. Pour la première fois, l’alonnaise avait l’impression de ne pas être à sa place. On l’avait traité comme une dame, avait omis de reconnaître qui elle était réellement. Adélina n’était pas qu’une simple Dame. Elle était baronne. Une alonnaise, qui régnait sur un territoire conquis par nulle autre qu'elle-même. Le coup avait été particulièrement dur, surtout qu’elle avait parlé de cette crainte à Adriano il y a quelques ennéades. Mais le Duc n’avait guère eu le temps de conforter sa fiancée. Ses obligations l’avaient occupé sans arrêt, et Adélina n’aurait jamais dérangé ce dernier pour ses propres sentiments. Elle avait changé, c’était indéniable, et elle avait l’impression de ne plus se reconnaître. Néanmoins, elle ne laissa guère ses sentiments venir à la surface, préférant les enfouir au plus profond d’elle-même. Il faut dire que Catarina lui changea les idées sur le trajet, les femmes discutèrent de tout et de rien, laissant une atmosphère plutôt légère dans le carrosse.



Du moins, elle fut légère, jusqu’à ce que le carrosse s’arrête brutalement, avant que l’alerte ne fut donnée. La baronne se figea un moment, sentant sa respiration s’accélérer alors qu’elle put entendre le cri des gardes et le sifflement de flèche. Son coeur se mit à battre de plus en plus rapidement, alors qu’elle resta ainsi, béate. Elle eut l’impression que les secondes s’étirèrent en minutes, avait l’impression de revivre les événements qui s’étaient passés en Arétria. Ce fut Catarina qui la sortit de sa transe, lui murmurant doucement que tout irait bien. Il n’en fut pas plus à la nordienne. Reprenant ses esprits, la jeune femme agrippa la main de cette dernière, la tirant derrière elle. « Derrière-moi, MAINTENANT. Baissez vos têtes, et restez loin des fenêtres. » Sa voix était forte, son ton semblait inébranlable. Si Catarina n’avait jamais réellement vu l’attitude ferme que pouvait avoir la baronne, elle la voyait aujourd’hui et la nordienne n’entendait pas à rire. Elle se devait de protéger sa famille, sa belle-fille. Dans ce moment de panique, la baronne était finalement sortie, dirigeant comme elle avait été élevée à le faire, l’adrénaline la poussant à faire fi de ses peurs.



«INVERTEBRE SANGUIS… En formation ! » Les armes se mirent rapidement au clair, alors que les alonnais se mettaient en formation, faisant fi de la guardia Soltarii qui se précipitait vers eux. « Il n’y a en pas un qui s’approche de ce carrosse ! » Hurla-t-elle alors qu’elle remontait brusquement la jupe de sa robe, pour attraper un poignard attaché à sa cuisse. Son ordre fut rapidement relayé par l’officier alonnais. Une puissante lueur vint illuminer l’intérieur du carrosse, comme si quelqu’un avait allumé un brasier non loin, avant qu’elle ne se retourne finalement vers Catarina et Ginevra. Ses yeux perçants s’assurant que la jeune femme allait bien. La main libre de la nordienne se posa sur l’épaule de sa belle-fille, tentant à son tour de la rassurer. « Ne t’inquiète pas. Je ne les laisserais pas t’approcher. »


 

La chaleur embrase le cimier de ton heaume et en souffle ta capuche. Tu te revêts de ta crinière flamboyante, symbole de ton envie d’en découdre, et du regard du Coléreux. Que la garde s’occupe de défendre les alentours du convoi, tu emmènerais la bataille directement à vos agresseurs. Adriano veut savoir quel est ton plan d’action ? Ton plan d’action est simple. Très simple.

- Je vais me les faire.

D’un bond, tu descends de ta monture, et bas sur tes appuis, la tête légèrement baissée tu te tournes en direction de là d’où sont venues les flèches. Une nouvelle salve échappe à l’obscurité, certaines des pointes ricochant contre Eclipse, d’autres s’écrasant contre ton armure, alors qu’inexorablement, tu avances. Tu lèves les mains vers le firmament, tu en appelles à la faveur de ton Dieu-Patron, et tu délivres aux forbans leur châtiment.

- Désolé les gars… ce que tu marmonnes se transforme en hurlement ...mais vous avez mal choisi votre pigeon !

Tu arraches ses flammes à la voûte céleste, et les abats sur le bosquet proche, là d’où venaient les projectiles. Des cris de douleur, de panique et de colère font vibrer l’air, et l’odeur du feu dévorant les feuilles mortes commence à l’imprégner. Certains fuient, d’autres cèdent à la colère. Les Crocs de Jezzok brillent à la fois par leur inexpérience dans ce genre de manœuvre, et par la division régnant en leur sein, entre ceux regrettant leurs anciennes voies, et ceux fermement décidés à user de violence.

Ils étaient bien deux fois votre nombre en lançant leur embuscade, ils ne sont qu’à peine plus nombreux allégés de leurs déserteurs. Mais ceux qui restent tentent le tout pour le tout, et forcés de choisir – puisque leur cachette brûle – entre vous donner l’assaut et se replier, ils se jettent dans vos bras, toutes lames devant.
En première ligne, tu accueilles gracieusement le premier venu de ton bouclier contre la tempe. Et le jeune homme est le premier à s’écrouler. Un de moins, maintenant aux autres.

Je vais me les faire.

Ainsi, le plan de Michail était simple. Faire honneur à Othar de la manière la plus simple possible : par le combat. Descendant de sa monture, c’est très rapidement, et en hurlant à la fois sa rage et son courroux, qu’il se porta vers l’avant. L’avant, où se trouvaient les assaillants. Là d’où une volée de flèches avait tenté d’enterrer Adriano, éteignant à nouveau la vie d’un Duc de la nouvelle dynastie en place, pour la seconde fois en deux ans. Fort heureusement, les réflexes du combattant étaient justes, précis et rapides.

Les flammes qui naissaient aux creux de ses mains vinrent enflammer quelques corps, tuant les personnes ciblées dans d’atroces souffrances qui effraieraient même Adriano, pourtant habitué aux bruits des combats, à la vue des corps démembrés, et aux sons des combattants agonisants que quelques coups d’estocs terrassent sans aucune pitié. Mais la mort par les flammes… De toutes, c’est la pire.

« Hmm… » Le Duc était bien évidemment légèrement déstabilisé, mais surtout, agacé par le comportement abracadabrantesque de ce Hérault. Il retrouvait bien là toute la fougue et l’intrépidité des adeptes du Coléreux. « Protégez surtout le convoi. » Le cri de sa fille, loin derrière, se rappelait à lui. « Assurez-vous que personne ne soit blessé. Je veux trois soldats avec moi. Avançons derrière Michail, tâchons de retrouver quelques prisonniers… Ou d’achever quelques blessés. »

Les Jezzok n’étaient pas taillés pour ça. Au moins ceux qui avaient pris la fuite l’avaient reconnu à temps. Les autres cependant… piégés entre la garde ducale et toi, ils ne pouvaient que se débattre aussi longtemps que le désespoir ne le leur permettrait. Rapidement, les plus téméraires s’étaient rendu compte que c’était peine perdue, et alors, ceux que flammes et lames n’avaient encore ni pourfendu ni dispersé avaient commencé à sonner leur retraite.

Bien. Peut-être cette déconvenue les aiderait-elle à comprendre leur erreur. Mais si elle ne suffisait pas, tu t’assurerait que le message passe. Parmi les fuyards, tu en attrapes un au col et approches son visage de ton impassible masque de métal. Les yeux du pauvre hère – un jeune homme pas plus vieux que toi, très certainement un fils d’artisan, ou d’humbles marchands, s’étant laissé emporté dans une spirale infernale qui le dépassait – brillent d’un mélange de peur et de colère.

Parfait

- Dis à ton patron... tu lances, impérieux ...que si jamais j’entends que vous continuez à rançonner le badaud, je viens lui arracher les dents en personne.

Tu jettes le jeune homme au sol, et après t’avoir regardé un dernier instant, se forçant un air de défi malgré ses membres tremblant, il rejoint les siens dans leur fuite.
Le feu, de lui-même, s’éteint. Et revenant auprès du convoi, tu constates le nouvel état des lieux. Les soldats de la garde ducale se sont appliqués à rappeler les raisons pour lesquelles ils ont été choisis. Pas de quartiers pour les agresseurs. Leurs corps joncheraient le sol jusqu’au matin. Peut-être cependant aurait-il été préférable pour les deux ou trois Souffles faits prisonniers par le Duc de faire partie des défunts. Si le Duc n’a ne serait-ce que le dixième de l’obstination de Sa Favorite, nul doute que les pauvres passeraient un bien mauvais quart d’heure avant de gagner leur dernier repos.

- Voilà qui leur passera l’envie de s’y remettre.

Le combat entre Michail et ces bandits de frêle constitution, était à la fois satisfaisants et intéressants à voir. L’usage de la lame et de la magie était effrayant, pour le commun des êtres mortels. En ce sens, Adriano était presque jaloux : s’il pouvait lui aussi maîtriser la terre, ou le feu, ou même seulement l’eau… Il aurait pu être un combattant bien plus efficace encore qu’il ne l’eut jamais été.

Mais l’heure de la contemplation fut bien rapidement terminée. Et alors, Adriano, engoncé dans une armure d’acier réhaussée d’or et d’argent faite pour l’apparat et la protection des routes, porta son attention vers le flanc de sa caravane, là où se trouvaient encore quelques resquilleurs, agresseurs patentés, qui n’avaient pas encore fuis. Ses soldats en formation attendaient, épées, lances et hallebardes aux clairs. De l’autre côté de la caravane, Adriano entendait quelques éclats de lames qui s’entrechoquaient, sans doute entre les Sanguis Invertere et des arrières gardes de bandits.

« Par toutes les malédictions ! Tuons ces enfants de catin. »

Sans attendre, Adriano contourna sa horde et se plaçant devant, intima l’ordre d’avancer. Face à lui, plusieurs bandits qui, pour la plupart, avaient les yeux tournés vers Michail, non loin. Profitant alors de la peur, de la confusion et de cette latence des esprits et du temps – étrange sensation connue uniquement des guerriers lorsqu’une situation s’apprête à subir un retournement – Adriano frappa le premier. Son épée, offerte par Adélina, était idéale pour les combats rapprochés en des lieux clos… Mais ici, dans les fourrés, elle ferait également l’affaire.

Son bras arma alors un coup d’estoc qui vint trouver la partie faible d’une armure de cuir depuis longtemps éprouvée déjà. La lame s’enfonça avec l’aisance du couteau chaud dans le beurre, et perça alors au-dessus de la clavicule gauche du pauvret offert en pâture. S’enfonça sur la moitié de la lame, l’œuvre mortifère fit son office : elle trancha les vaisseaux sanguins qui sortent du cœur et remontent vers la gorge et le crâne, et, lorsqu’Adriano tira sur son bras pour ressortir l’arme, se déversa alors un flot de sang pulsatile bien rouge. La mort arriverait bientôt. Et le bandit touché, déjà, s’effondrait sans un mot, la peur et l’horreur emplissant ses yeux alors que la pâleur envahissait sa peau et que la froideur saisissait son être.

Aussitôt, la Guardia Soltaari se lança à l’assaut. Ce dernier fut aussi vigoureux que bref : on tranchait, taillait, agrippait, frappait… Le sang, déjà, emplissait l’air de ces lieux, que l’air chaud des flammes magiques ne tardait point à rendre rance, et autrement moins agréable tout à coup. Adriano, lui, restait là, non loin. Il avançait avec ses hommes, taillant lui aussi dans la chaire dès que l’occasion se présentait. Il appréciait les combats… Cela lui manquait, parfois.

« Toi. » Dit-il, la voix basse, le visage furieux, la langue sifflant entre ses dents comme le ferait le serpent face à sa proie empoisonnée. « Tu vas venir avec moi. »

L’être désarmé et blessé à son bras d’arme, saignait sans abondance. Un tendon tranché l’empêchait d’user de sa force, et donc, d’être dangereux à l’instant. Il fut traîné par Adriano lui-même, sans ménagement. Et une fois au-devant de la caravane, c’est avec satisfaction qu’il en découvrit deux autres, déjà agenouillés. Il jeta alors sa prise aux côtés des deux autres, et se plaça devant eux, la lame ensanglantée tenue bien en main et reposant de l’estoc sur le bout de sa botte d’acier.

« Michail. » Tonnait-il, davantage comme un ordre qu’autre chose. « Tu sembles bien au courant de ce que sont ces pustules. Dis-moi : que sais-tu d’eux ? » Demandait-il, tournant enfin son visage vers le Hérault d’Othar. « Oh ! Un instant. » Il se tourna à nouveau son visage vers la caravane. « Faites venir ma fille, et ma promise. »

Le cœur de la jeune fille battait à tout rompre.

Les bruits du combat la terrifiait : les cris, le fracas des armes et l'odeur du sang qui montait achevait de lui faire perdre son calme. La présence de sa future belle-mère et de Ginevra la forçait à se contrôler, malgré tout, et alors que l'échauffourée touchait à sa fin, la jeune fille reprit contenance, se rappelant que les hommes de son père -les siens par extension- et la garde rapprochée de la Baronne Adélina étaient tous fort compétents.

Le Duc Adriano était également un soldat extrêmement habile, ce qui s'était déjà constaté deux ans plus tôt, lors de l'assassinat de sa malheureuse belle-mère et de ses pauvres enfants, et ce fut la dague tirée et la respiration rapide qu'elle tourna la tête en direction du soldat maculé de sang qui vint se présenter à la portière du carrosse. Elle le reconnut rapidement, et accueillit avec un soulagement visible le message de son père.
Ainsi, il était vivant et en bonne santé ! En une fraction de seconde, la suderonne rendit grâce à Othar et à Néera d'avoir encore épargner son géniteur, et adressant un sourire à sa future belle-mère, vint poser la main sur la sienne avec affection.

- "Chère Adélina, je vous remercie pour l'efficacité de votre réaction. J'ai ouïe dire que vous étiez bonne combattante et que vos hommes étaient redoutables, ce que je constate aujourd'hui. Merci d'avoir aidé à nous sauver. ...Nous devrions aller voir si Père va bien, ainsi que les hommes."

Sa Grâce les avait mandé, il fallait obéir. Elle cacha soigneusement sa longue dague fine dans sa manche bouffante, puis sortit de la voiture, très pâle dans l'obscurité seulement mise en défaut par une lune ronde et presque brillante, au milieu d'un ciel piqueté d'étoiles.
Elle ne prêta guère attention à ses bottines qui s'enfoncèrent dans la boue sanglante, au bas de sa robe élégante qui fut tout aussitôt souillée - seul comptait l'appel de son père, en fille obéissante, et Catarina se fit violence pour ne pas tiquer tandis qu'elle enjambait des corps fraichement mutilés.
Pourtant, son estomac se cabrait d'horreur, et ce fut en frissonnant qu'elle fut ensuite escortée devant les hommes à genoux dans la terre meuble. Une odeur de chair brûlée flottait, épouvantable et étrangement déplacée, dans l'air frisquet de cette nuit d'automne, et la damoiselle se tourna aussitôt en direction de son père, le saluant d'une inclinaison brève de la tête.

- "Votre Altesse Ducale, mon cher père ! Comment allez-vous ? Etes-vous blessé ? Et comment vont nos hommes ? Je suis si soulagée de vous savoir vivant... Je suis reconnaissante à Othar et à Néera d'avoir exaucé mes prières."

Même s’il ne tardait au Duc d’en savoir plus sur vos victimes, tu le forcerais à prendre son mal en patience. Il a fait mander les femmes de sa vie, alors tu attends que sa petite famille soit au complet, voilà tout. Tu ne connais pas Catarina, mais tu es certain qu’Adélina au moins finirait par demander à en savoir plus, alors autant que tu fasses les annonces devant un public complet, plutôt que de forcer quelqu’un – surtout s’il y a une chance que ce quelqu’un soit toi – à se répéter.

- Les Crocs de Jezzok. Il y a encore à peine quelques ennéades, c’étaient juste une bande de prestidigitateurs et d’escrocs. tu retrousses les narines Impeccablement bien organisés, faut le reconnaître, mais pas dangereux pour deux sous. Ou du moins si, dangereux pour les sous, mais pas plus. tu poses les mains sur tes hanches Sauf que dernièrement ils ont perdu leur tête pensante, et que ses remplaçants se sont dit que quitte à avoir un réseau aussi bien organisé, ils feraient probablement plus de bénéfice en étant plus… agressifs disons. tu lances un regard plein de pitié aux prisonniers Sauf que transformer une bande de prestidigitateurs et d’escrocs en bandits de grand chemin, ça ne se fait pas un claquement de doigts.

Tu fais un pas en arrière, et accroches le regard des prêtres de Tyra dont tu étais officiellement ici pour protéger le convoi. Des sourires s’échangent, à la fois bon enfant et teintés d’une mutuelle mesquinerie.

- Bref, ce sont de piètres pillards qui ne savent pas se battre pour deux sous. tes yeux s’en retournent aux bois entourant la route Mais vu le temps qu’il nous a malgré tout fallu pour nous débarrasser d’eux, il vaut mieux ne pas traîner et rejoindre la ville avant que des gens plus compétents viennent nous cueillir.

Droit, impassible, froid, Adriano regardait tour à tour les trois prisonniers laissés là en pâture ; sa fille qui s’approchait alors, aux côtés d’Adélina sa promise ; Michail qui, enfin, distillait ses savoirs sans véritable abondance mais au moins avec une certains justesse et un résumé sérieux.

Fort de ces informations, Adriano réfléchit… Qu’allait-il donc faire de ces trois prisonniers qui ne méritaient point d’être nourris au fond d’un cachot ou d’une geôle durant des ennéades entières ? Comment les châtier ? Comment s’assurer qu’ils ne puissent plus être dangereux ? Que faire pour pouvoir vider le paysage Suderon de leur présence ?

« Je comprends. » Dit-il, autant pour les informations données que pour l’avertissement du guerrier sur la dangerosité des lieux s’ils s’évertuaient à rester ici. « Et sont-ils nombreux ? » Demandait-il, avant de presque se plier en deux pour toiser du regard l’un des prisonniers face à lui. « L’êtes-vous ? Nombreux ? » Lui demandait-il, l’estoc de sa lame toujours posée sur le bout de sa botte d’acier. « Et où donc seraient partis ceux qui vous ont lâchement abandonnés pour sauver leurs peaux ? »

Regardant ses prisonniers durant plusieurs secondes avec une lueur de colère et de violence dans le regard, il resta là, plié en deux. Lorsqu’enfin il se redressa, ce fut dans un soupir sombre, alors qu’aucun prisonnier ne semblait décider à parler. Reprenant alors son épée par le fourreau, il avisa le prisonnier le plus proche, dardant l’estoc dans sa direction. Puis, sans prévenir, ni sans aucune autre forme de procès, il frappa du tranchant de la lame sur la gorge du prisonnier à gauche, tranchant sa gorge comme l’on tranche le beurre.

Au départ, il n’y eut aucune effusion de sang. Mais deux secondes suffirent, pour que les vaisseaux sanguins, ainsi coupés, ne déversent leurs flots vitaux en quelques gerbes pulsatiles, et en grands débits souillant rapidement la peau, les tissus, les braies et le sol. L’homme agonise, gargouillant de sang dans sa gorge et dans sa bouche… Pour finalement choir, et mourir, quelques secondes plus tard.

« Si vous répondez à mes questions sans vous faire prier plus avant… Vous aurez la vie sauve. » Dit-il, au prisonnier avec lequel il devisait depuis le début de cet échange particulier. « Autrement, vous mourrez ici. Et point aussi rapidement que votre estimé collègue, je le crains. » Face au silence un peu trop long aux goûts d’Adriano, et puisqu’il avait une idée derrière la tête, il tendit son épée – pommeau en avant – à sa fille, qui se trouvait non loin. « Tuez le troisième prisonnier, ma fille. »

a bataille était finalement terminée et aucun brigand n’avait - au grand soulagement de la baronne - réussi à atteindre le carrosse où elle, Catarina et sa suivante se trouvaient. La nordienne ne put s’empêcher de pousser un soupir de soulagement avant de remettre la dague dans son fourreau. Elle se releva, apercevant Flavien qui lui fit un rapide signe de tête pour lui confirmer que c’était terminé. C’est à ce moment que Catarina reprit la parole, la remerciant dans des mots qui semblaient curieux pour la baronne. Haussant un sourcil, la jeune femme prit à son tour la parole ; « Une bonne combattante ? » Remplaçant sa jupe du plat de sa main, elle continua ; « Je ne suis guère une bonne combattante, Catarina. Je sais que le fardeau de tuer un homme est lourd à porter. C’est la seule chose que je peux dire à ce sujet. » Sans en rajouter plus, la jeune femme sortit du carrosse, laissant les deux suderonnes prendre les devants avant de les suivre pour rejoindre le Duc.



Reconnaissant Michail, la baronne inclina silencieusement la tête vers ce dernier, le saluant et le remerciant à la fois. Savoir que le Héraut d’Othar parmi eux était une vague de soulagement - malgré l’odeur de chair brûlée qui était probablement de son fait. Restant à l’écart, la baronne observa la scène, à l’écart, flanqué de deux Invertebre Sanguis. Le discours de Michail était sans frivolité, décrivant la situation des Crocs de Jezzok. De la façon que ce dernier décrit la chose, cela ne semblait guère être une cible importante. Certes un réseau qui pouvait déranger - mais qui venait de s’attaquer à une cible très coûteuse pour eux. Puis, le Duc reprit la parole, poursuivant son interrogation à la fois vers le héraut ainsi que le prisonnier. Cette méthode fit sourciller la baronne. Il n’était plus en contrôle… La colère montait et l’empêchait de voir la situation dans son ensemble. C’était une facette du Duc qu’elle n’avait guère vu jusqu’à maintenant, et pas une qu’elle avait imaginé un pair avoir. Puis, l’épée trancha la gorge du brigand. Adélina se crispa entièrement, le regard sur le corps dont des jets de sang s'échappaient. Une vision affreuse, mais qu’elle connaissait que trop bien. La jeune femme se posa sur sa future belle-fille s’assurant que cette dernière ne s’était pas évanouie sur l’horrible vision avant que le Duc ne reprenne la parole, prononçant des paroles qu’elle n’aurait jamais imaginé - ni même demander à ses enfants de faire. La baronne devint blême, alors que les souvenirs qui la hantaient semblaient refaire surface.



« Votre Altesse… » Commença-t-elle en s’avançant vers celui qui devait être son promis, interrompant volontairement la jeune Catarina dans sa marche. Elle s’arrêta à un souffle de ce dernier, murmurant « Je crois que vous commettez une grave erreur. Nous avons besoin d’eux… Surtout, s’ils sont tous organisés. Plusieurs langues sont mieux qu’une. Isolez-les pour mieux récolter vos informations. » Son regard bleuté soutint intensément celui de son promis avant d’ajouter ; « Demandez à Catarina de s’en occuper, mais ne la forcez pas à souiller ainsi son souffle. Rappelez-vous des préceptes de la Damedieu. » Elle ne lui demandait guère de les pardonner - non. Mais avoir plusieurs langues qui se délient était toujours mieux qu’une et la nordienne savaient bien comment les délier. Qui plus est, cela empêchait la jeune Catarina d’avoir les mêmes cauchemars qu’elle et à voir sa réaction dans le carrosse - cela ne serait pas une mauvaise affaire. La nordienne se retourna finalement vers Ciro, le dardant de ses deux prunelles au bleu profond avant de continuer : « Une autre de vos cibles ? »

- Pas vraiment.

Ton regard s’en retourne au gusse dont Adriano avait caressé le cou du fil de l’épée, et tes sourcils se lèvent. C’est à Adriano lui-même que l’espace d’un instant, ton attention est offerte, avant de revenir à celle qui avait posé la question. Une moue désappointée décore ton visage. Tu avais là ta preuve s’il en est. « Le monarque dont le coeur est refroidi par Tyra manquera de bienveillance » que tu lui avais dit, espérant qu’il ait le temps de réfléchir à ces mots, mais à la place le temps lui avait offert de les prouver.

- Je n’avais aucun souci avec eux avant qu’ils ne changent de patron. tu poses une main sur la tête d’un des prisonniers pour lui flatter la chevelure C’était généralement même une bonne nouvelle de les avoir dans le coin. Quand les Crocs de Jezzok contrôlent les réseaux de contrebande quelque part, ça retire le marché à des bandes plus violentes. tu souris Et puis on va pas se mentir, à dépouiller les gobe-mouches de bourges qui tombent encore dans leurs panneaux, ils remettent pas mal de sous dans le circuit.

Aussi certainement que les discrètes intrigues se jouant à la cour rythme la vie des nobles, celles des marchés noirs rythment la vie du peuple. La DameDieu puisse vous offrir son pardon, c’est ainsi que l’équilibre de votre monde s’est bâti. Il n’est pas blanc. Il n’est pas pur. Il n’est pas « beau ». Mais il fonctionne. Et il fonctionne plutôt bien, la majeure partie du temps sans heurts, tant que les serpents ne sont pas acculés au point d’avoir besoin de mordre.

- J’espère que leurs gars ne m’en voudront pas trop pour ce soir. Mais bon… tu souffles du nez Je faisais mon travail, ils ont cherché les problèmes, et ils savent ce que ça implique, donc je ne m’en fais pas trop. tu roules des yeux J’espère jute que ça leur fera comprendre qu’il faut vraiment qu’ils se débarrassent de leur nouveau chef.

Tu soupires, jettes un regard en direction de la jeune Catarina, et te souviens des prières que vous aviez partagé au cours du chemin. À son âge tu avais déjà du sang sur les mains depuis longtemps, mais elle, elle a la chance d’avoir pu s’accrocher à un brin de candeur. Elle est encore précieuse, et capable de voir la beauté là où nombre d’entre vous y êtes devenus aveugle. Catarina a beau être une enfant nobliotte pourrie gâtée, elle tient encore près d’elle ce qui devrait être indispensable à tous les régnants : elle a toujours Foi en le pardon de la DameDieu.

- Adriano. tu lances au Duc le même regard dépité des débuts de cet échange Ce n’est pas en les menaçant que tu obtiendras quoi que ce soit de ces gens-là. Risquer la mort, pour eux ça vient avec le métier. tu poses les yeux sur sa fille Et laisse ta pauvre gamine en dehors de tout ça. C’est pas le genre de choses auxquelles t’as envie de mêler une fillette.

Surtout pas quand la pureté cette « fillette » était la meilleure arme qu’il ait en sa possession. Mais ça, aveuglé qu’il était par son attachement à la Vengeresse, il ne le verrait probablement pas.

Les crocs de Jezzok. Ainsi, les malandrins qui avaient attaqué le convoi se trouvaient être des escrocs et des prestidigitateurs dont la vie avait suffisamment mal tournée pour qu'ils se fassent bandits de grands chemins. La jeune héritière connaissait l'importance d'avoir un chef et des idéaux à suivre ; et elle avait presque pitié, désormais, de cette bande hétéroclite qui s'était attaquée au mauvais convoi.

Un regard à son père la convainquit qu'il allait bien, et qu'il devait se trouver plus préoccupé par ce qui s'était passé, plutôt que par sa propre santé, ou de toute autre considération familiale. Soit, ce n'était pas si important pour l'heure, et, à son tour, Catarina remercia le Hérault en silence, d'un regard clair, malgré tout étonnée qu'il puisse si bien les connaitre.
Sa terreur était presque retombée, et en silence, elle observa le duc interroger leurs prisonniers, poussant un petit cri de surprise et d'horreur tandis que son père levait son épée et trancha de son épée la gorge d'un des hommes.

Elle avait bien assisté à des exécutions publiques, où des meurtriers et des pirates étaient pendus haut et court devant le peuple ; mais jamais elle n'avait vu cette mort brutale, rapide et sanglante, cette mort presque personnelle et intime, et se perdit quelques secondes dans la contemplation choquée du cadavre qui venait de s'effondrer dans la boue. L'horreur arrondit sa bouche, et elle détourna brièvement son regard, les larmes perlant brièvement à ses yeux encore candides.

Le souffle court, la jeune fille releva lentement son visage en direction de son géniteur, alors qu'il lui tendait le pommeau de son épée.

Que faire ? Le sang battait à ses tempes, son visage encore enfantin livide d'appréhension. Mais que faire ? Comment s'opposer à lui devant tout le monde, devant les soldats, devant un Hérault d'Othar ? Elle ne désirait pas remettre en question son autorité, mais l'idée même d'ôter la vie à quelqu'un, à un homme qui, certes, n'était pas innocent, mais se trouvait désormais sans défense, lui donnait envie de s'évanouir.

Ce fut Adélina qui reprit la parole la première, s'avançant de telle manière que la damoiselle se retrouva derrière elle. Son idée de plan était bonne ; ainsi, peut-être serait-il possible qu'un des deux hommes puisse trouver une certaine rédemption en se détachant enfin de leur bande de malfaiteurs ? Par ailleurs, même le Hérault d'Othar plaidait en leur faveur - bien qu'elle réprouvait évidemment la contrebande, il valait peut-être mieux que le groupe qui s'en occupât soit moins cruels que les autres.

A nouveau, Catarina fut prise de court, tandis que le religieux enjoignait son noble père de ne pas l'impliquer. Bon, elle n'était plus une fillette, ce qui l'aurait sans doute offusqué en d'autres circonstances - mais ce n'était pas le moment d'argumenter sur ce point. Une idée lui était venue ; mais elle ne pouvait l'exposer devant les deux mécréants.

Tremblante, elle s'avança dans la direction d'Adriano, la gorge crispée et les mains un peu tremblantes. Elle ne voulait pas tuer un homme de sang-froid ; pas si elle pouvait l'éviter.
La suderonne renchérit, murmurant assez fort pour être entendu seulement des trois personnes qui l'entouraient.

- "Père, je pense qu'Adélina et Michail ont raison. Je ferai comme vous le désirerez, mais... nous avons certainement le moyen de faire autrement. j'ai peut-être une idée, s'ils étaient dans la contrebande... peut-être même pourrions-nous leur offrir une certaine rédemption, l'occasion de racheter leurs péchés, tout en en tirant profit pour le bien du Duché ? J'ai eu une idée que je vous expliquerai en détails, si vous en souhaitez en savoir plus."

Elle se mordit la lèvre. Il était difficile de ne pas dévoiler son jeu devant les deux prisonniers grelottant par terre - et dont le geste du Hérault avilissait plus encore leurs maigres silhouettes.

- "Je sais qu'ils ont causés beaucoup de tords, mais ils me semblent désespérés. L'espoir est un mécanisme puissant, en démontrant au passage votre profonde mansuétude, Père. Nos Souffles ne devraient pas être souillés par des actes que nous pourrions éviter. Je ne parle pas du feu des combats, bien sûr, mais des décisions que nous pouvons prendre ensuite."

Catarina ne savait guère où cela les mèneraient, ni même si son idée était réalisable ; mais elle estimait que cela valait la peine d'y réfléchir à tout le moins.

La main tendue vers Catarina, pommeau trônant au cœur de la paume de sa main alors que son épée ensanglantée était neutralisée, estoc vers le sol, Adriano attendait… Et écoutait.

S’il n’était point un tyran à proprement parler, le Duc n’appréciait tout de même point que l’on n’accepte point ses décisions et que l’on remette en doute son autorité. Il était le Duc, maître de cette partie du royaume qu’il voulait d’ailleurs voir s’étendre sur les territoires voisins plus au Nord et à l’Est, en Langehack. Pair du royaume, il pouvait se targuer de faire partie de l’élite de ce monde, un des seuls capables de prendre des décisions pour tout le monde, auprès du Roy. Un honneur, bien-sûr… Une obligation, évidemment… Mais de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités, n’est-ce pas ? Alors, pour Adriano, tous ses grands pouvoirs impliquent évidemment de grandes responsabilités qu’il accepte et qu’il cultive… En échange d’une autorité incontestée.

Alors, lorsqu’Adélina s’approche de lui et lui parle presque souffle contre souffle, le Duc lui offre un regard empli d’une violence qui, bien que dirigée contre quelqu’un d’autre, ne pouvait être oubliée ni même cachée. A l’image de Tyra, Adriano était revanchard, violent, froid, méthodique et implacable… La bienveillance, dont parlait pourtant le Hérault d’une déité bien plus violente encore, était difficile pour Adriano… Car peu présente dans sa nature. Ou du moins, point lorsqu’il n’y avait point d’intéressement pour lui.

Viennent ensuite les mots du Hérault. Et ces derniers, ou plutôt, la manière de faire de ce dernier, attirèrent bien vite les yeux du Duc qui se plongèrent dans ceux du guerrier hors pair. Oh, Adriano n’était point dupe : il ne pourrait jamais faire peur à un tel être ; il ne pourrait point prendre le dessus sur lui, ni lui instiller une quelconque crainte en son Souffle, en son esprit. Toutefois… Il était Duc. Lui, au final, n’était qu’un Hérault… Et toute sa force, toute sa foi, ne seraient point suffisants pour le protéger de l’Ire d’un puissant qui pourrait demander quelque chose contre lui, auprès de son clergé… Par exemple.

Adriano ne voulait pas s’occuper de ces problèmes-là. Ce genre de bandits, de contrebandiers, d’alcooliques violents aux courages développés surtout par le groupe ou l’alcool plus que par une réellement bravoure, n’étaient point dignes de lui. Il y avait des seigneurs et des dames, de plus petites lignées, dont le rôle était de gestionner et administrer des territoires découpés, plus petits que tout un duché. C’était leur rôle, que d’assurer la sécurité rapprochée des territoires… Mais tous pourraient très bien demander à leur suzerain de l’aide, ou une intervention… Quoi qu’il en soit… Ce genre de bandits était détestable, et Adriano, qui venait déjà d’Ydril, ne voulait point ramener des prisonniers imprévus, pour un groupe de petits bandits qui ne lui apporterait rien.

« Je vois. » Dit-il, soufflant longuement par les nasaux comme un taureau en colère. Reportant son attention sur un des deux prisonniers, il posa la lame à plat sur son pourpoint, l’essuyant ensuite du mieux possible afin d’en dégager le sang. Finalement, il remit la lame dans son fourreau et reporta un regard vers son assemblée. « Je n’ai que faire d’un groupe de bandits qui aura tôt fait d’être remplacé par un poisson plus gros, ou tout simplement plus malin. Ces gens faisaient peut-être… Du… Ménage, lorsqu’ils restaient dans leur niche sombre et glauque… Aujourd’hui, ils s’en sont pris à moi. Et à ma famille. » Ses propos faisaient évidemment écho aux cultistes qui massacrèrent sa fille, il y a seulement deux ans. Une attaque dont tous, ici, avaient pu mesurer les conséquences sur le duché, et celles sur eux-mêmes. Car la guerre d’Adriano contre les cultistes avait été sans pitié. « Que ce soit par ambition, ou par une simple bêtise d’un meneur aussi éclairé que le porc qui va à l’abattoir, je n’en ai cure. Et vos connaissances, Hérault, ne doivent point vous faire oublier à qui vous vous adressez. » Lui dit-il, froidement. « Rappelez-vous votre place, messire. » Il regarda à nouveau les deux pauvrets offerts ainsi en pâture… Avant de raviser sa promise, et sa fille. « Nous avons encore de la route à faire. » Puis, se retournant vers le capitaine de sa garde. « Tuez-lez. Et brûlez les cadavres. Que ces insectes cessent de coloniser ces terres. » Puis, à tous. « En route ! »

Et, sans vouloir épiloguer avec qui que ce soit, Adriano remonta à cheval attendant que la caravane puisse reprendre la route vers Soltariel.