A la poursuite de la quiétude (Artiön, Illynora)

Tu poses la carcasse autour du feu avec une exagérée délicatesse. Et là où Illynora se pare de ses outils de précision, tu te saisis d’un bête couteau, légèrement émoussé, partageant sa place avec ton sceptre accroché à ton baudrier. Si l’alchimiste s’intéresse aux glandes de la créature, toi par contre, tu n’en as que pour sa chair. Laissant la tête et tous ses précieux composants à ta camarade, tu longes le corps de l’animal du regard, jaugeant les parties qu’il pourrait intéressant d’emporter.

Dire que cela fait longtemps que tu n’as pas dépecé un Toxeurove ne rendrait pas justice aux siècles te séparant de la dernière fois où tu t’es trouvé dans cette même situation. Mais même après les siècles, certaines choses ne s’oublient pas, et la bonne chair est l’une de ces choses. Tu fais attention cependant, chaque fois que tu plantes la lame dans l’un des anneaux de la bête, aux réactions de l’alchimiste. Avoir une idée éclairée de ce qui pourrait lui servir ne remplace après tout pas le savoir de la spécialiste elle-même.

- Je reviens.

Tu t’élances vers les hauteurs de votre abri à grandes enjambées, pour disparaître dans la canopée. De longues minutes, durant lesquelles tu imagines l’alchimiste avoir bien entamé son labeur, passent. Et dans le même empressement que celui avec lequel tu étais parti, tu reviens, les bras cette fois chargés non pas de fruits, mais de quelques unes des larges feuilles de l’arbre.

Ce n’est que là que tu termines de trancher des filets, à tous les endroits soigneusement marqués par le premier passage de ton couteau. Filets que tu enveloppes dans les feuilles que tu viens de ramener, tous accompagnés d’un peu de chair de ce qu’il reste des fruits descendus plus tôt. Puis usant de ce qu’il te restait d’ingéniosité pour la soirée, tu te saisis d’un peu de corde et des pétioles pour – profitant des aspérités de l’écorce – attacher les feuilles farcies quelques dizaines de centimètres au-dessus des flammes.

- Je sortirai le reste de la carcasse demain au petit matin. tu regardes ton travail avec satisfaction, les mains sur les hanches Avec un peu de chance, Sû sera dans le coin et n’aura pas encore mangé.

L’attitude un peu plus sombre, tu t’en vas ensuite offrir un peu de compagnie à celle qui semblait quelque peu se morfondre dans son coin, l’odeur de la viande séchée toujours solidement accrochée à ses lèvres. Tu poses à ta gauche un sceptre ayant retrouvé la compagnie de l’écaille d’Or pour t’asseoir toi-même à la gauche de la Daedhelle, et lui offrir un regard empreint d’une presque paternelle compatissance.

- Il faut que tu dormes T’sisra. Ne serait-ce qu’une ou deux heures. tu poses ta main gantée contre son épaule Laisse-moi m’occuper de ta main au moins le temps que tu te reposes un peu. Il nous faudra bien trente-six heures à compté de demain matin pour retrouver la Cité. Et c’est si on a de la chance. tu approches ta main de la sienne Tu ne peux décemment pas espérer rester dans un état de focalisation pareil aussi longtemps. Et surtout pas sans t’être reposée. un sourire tendre se dessine sur ton visage, le même que celui avec lequel tu bordes tes enfants Tu y gagnes d’éviter de t’autodétruire, j’y gagne quelque chose à faire en attendant que la viande soit prête. Et promis, après ça, je te laisse tranquille.

L'alchimiste répondit rapidement concernant la viande, elle-même était assez curieuse du goût que cela pouvait avoir. Elle ne se souvenait pas en avoir jamais mangé.

- J'aurais peut-être l'occasion d'y goûter aussi.

Illynora patientait qu'Artiön ait fini la découpe des parties comestibles de la bête. Il en était mieux ainsi, car de cette façon si elle venait à échouer à retirer correctement les composants, le reste de la carcasse ne serait pas rendu impropre à la consommation. Elle observe silencieusement le géant procéder avec son couteau tout en écoutant la conversation tenue entre T'sisra et Haerondir, sans rentrer dans ce jeu de chamaille. Malgré tout, cette bonne entente la détendit.

Dès lors que le Roi eut fini de prélever ce qu'il jugeait nécessaire, Illynora se mit au travail. Elle réfléchit à savoir comment procéder.

Après un long moment d'hésitation, elle commença par découper la tête du Toxeurove, passant quand c'était possible là ou Artiön avait découpé la chair afin de pouvoir se glisser sous la chitine. Mine de rien, c'était un matériel légèrement plus complexe à couper qu'elle préférait ne pas rencontrer si possible. Après quelques efforts, la tête fût séparée du corps et ainsi, elle commença l'extraction des glandes à venin situées juste au dessus des crochets du Toxeurove. Plutôt que de prendre le risque de les percer - car elle n'avait pas non plus toute la nuit - elle décida de couper large et de prendre le bloc de viande entier, a l'intérieur duquel se cachait les sacs à venin. Cela faisait un morceau de la taille de deux mains approximativement.

Elle met ce dernier à terre à part de la carcasse, sans faire de commentaire. Le partage se ferait plus tard, et elle ne se sentait pas légitime à récupérer quoi que ce soit alors qu'elle n'avait participé en rien à l'abattage de cette créature.

Au bout d'un certain temps à travailler, cette dernière finit également par le même procédé à retirer les deux glandes à fumerolle. Cela ressemblait à des petites bourses de monnaies contenant les liquides nécessaires à la réaction chimique. Ces derniers ont été scellés d'un fin noeud à l'aide d'un fil avant la découpe afin d'éviter que l'arrivée de l'air dans ces sacs ne produise une malencontreuse réaction non désirée.

Ces derniers sont déposés à côté des petites glandes à venin. Illynora décida de se lever afin de prendre l'air et surtout quelques longues feuilles dans lesquelles elle enroulera bientôt les composants pour éviter qu'ils ne rentrent en contact avec d'autres denrées périssables ou s'âbiment pendant le transport.

Enfin, elle avait retiré la chitine là ou elle était a peu près préservée et utilisable.

Entre le début de son travail et le conditionnement des composants, deux heures ont passées.

Son regard délaisse l’alchimiste prise par sa tâche fastidieuse et suit l’elfe alors qu’il s’approche et s’assoit à ses côtés. Elle secoue la tête, incapable de retenir un gloussement.

- Ce n’est pas la peine d’être aussi inquiet ni… Mhh… J’ai oublié le mot, mais je l’ai sur le bout de la langue. Elle plisse les yeux tandis qu’elle tapote ses lèvres de la tranche de l’index. Ah, c'est pas vrai... Ah ! « Pessimiste ». Conclut-elle dans un haussement d’épaule avant de serrer machinalement le poing et d’inspirer profondément pour expirer tout aussi longuement. En tout cas... Si on arrive à rallier la cité en moins de deux jours, ça m’arrangerait. Je tiendrai quoi qu'il arrive, mais j’aimerais autant que ça se fasse le plus rapidement possible.

La noirelfe écarte sa main de celle d’Artiön pour l’observer avec attention. Elle s’attarde sur les plis creusés par les fines racines sous la peau. Et elle perçoit l’intensité avec laquelle Tête de Souche, assis non loin, l'observe lui aussi. Parcourue d’un frisson, elle allonge les jambes et dépose sa main sur sa cuisse.

- Mais si ça peut te rassurer, je ne suis pas contre un peu de repos. Le sommeil m’a manqué pendant bien trop longtemps pour refuser une telle proposition. Quand j’étais de l’autre côté, parmi les ombres. S’empresse-t-elle d’ajouter avec un sourire en coin.

La daedhelle défait lentement et précautionneusement son sortilège qui finit par s’effacer de la Trame et laisse place à la volonté de son compagnon de voyage. Elle grimace l’espace d’une seconde avant de se parer d’un sourire comme si de rien n’était.

- Une petite heure.

Une petite heure, dont les somnolences du début ont laissé place à un sommeil bien accueilli par la daedhelle. Et si ni la position ni le confort d’un lit ne sont à son avantage, cela suffit. Chaque instant de réconfort, aussi maigre soit-il, est toujours bon à prendre dans ce genre de situations.
Les odeurs de la chair mise à nu finissent par la tirer du sommeil, elle redresse la tête et bat rapidement des cils. Illynora est toujours occupée à découper et à extraire certaines parties de l’insecte, mais elle semble avoir bien avancé. La noirelfe tourne la tête vers Artiön et lui fait comprendre d’un regard qu’elle est prête à prendre le relais.

- Merci. À peine sa prise à lui se résorbe, qu’elle étend sa conscience à nouveau jusqu’à la graine logée dans sa paume. Bien ! Je vais en profiter pour goûter à cette horreur. Elle désigne les rations à base de toxeurove avec un sourire narquois.