Depuis la montagne | Hilda (PNJ) & Hjolgrim

Début de la 6ème ennéade de Karfïas, Second mois de l’Eté.
Année XXI | XI Cycle.
Dans les profondeurs de Kirgan | Terrain d’entraînement militaire.

Les profondeurs de Kirgan. Autrefois bien plus vastes, bien plus grandes, bien plus développées, au travers de presque 6000 années à vivre dedans et à les aménager, les agrandir, s’approchant toujours plus des mondes des profondeurs. Curieusement, en plus de l’humidité, c’était la chaleur qui remontait de plus en plus, à mesure que l’on s’enfonçait…

Aujourd’hui, les étages profonds de Kirgan ne sont que de pâles copies de ce qu’elles furent autrefois. Creuser la gangue de lave refroidie demandait bien plus d’efforts que de creuser le roc profond d’autrefois… Et avec autrement moins de forces vives disponible qu’avant le Voile, ces travaux – déjà dantesque jadis – devenaient aujourd’hui pharaoniques.

Mais, avant que n’arrivent aux creux des oreilles des voyageurs et visiteurs, les bruits des échos des combats des guerriers à l’entraînement, ce sont surtout ceux des pioches contre le roc, que l’on entend chanter aux oreilles des passants. Les pioches, et les marteaux des forgerons qui, dans quelques antres et autres alcôves, s’occupent jour comme nuit de reforger, répare et affuter, les outils qui s’ébrèchent parfois trop vite contre le roc trop dur. Alors se mêlent les sons de la pierre que l’on actionne, et qui, roulant sur son axe, affute les outils dans de grandes étincelles pétillantes.

C’est au détour de certains dédales bien fléchés qu’arrivent enfin les zones dédiées aux militaires. Là, claquent les ordres des sous-officiers entraînant les recrues, les plus anciens et les plus grands. Les lames s’entrechoquent ; les pieds lourds foulent le sol dans de grandes répétitions de déplacements, de cérémonies et d’autres mouvements militaires.

C’est là qu’Hilda se trouve. Bien que jeune, elle est une des seules soldates de l’infanterie lourde qui aura choisi de rejoindre les troupes de Kirgan, et les gardes royaux. Ainsi, bien que jeune, c’est elle qui entraîne, et qui hurle les ordres.

Hjolgrim déambulait dans les couloirs, une choppe dans chaque main. Ses pas résonnaient tantôt dans certaines allées vides, tantôt étaient absorbés par les bruits ambiants. La finesse de l'ouvrage des murs de la capitale pourrait faire envier n'importe quel artisan de Miradelphia tant le travail accompli était exigeant. Parfois, de nouveaux arts rattrapaient les anciens là ou la cité avait été touchée par les effondrements. Majestueuses, quelques alcôves riches en détails transforment les entrées en références artistiques du patrimoine dawi. Sur la base de certaines d'entre elles, on pouvait voir des guerriers affrontant diverses créatures oubliées de tous, sur d'autres, des mineurs piocher encore et encore ; plus l'on levait le regard le long de l'encadrement, plus l'histoire se déroulait avant de se répéter en miroir de l'autre côté.

Alors qu'il se dirigeait vers sa destination, il entendit un bruit régulier familier : celui des pioches heurtant la lave durcit. Le travail de restoration n'était guère achevé partout et la fourmillière dawi continuait de reprendre ses droits. En guise d'encouragement ou peut être par passion, le mineur se mit à chanter à tue-tête les chants qu'il entendait en cours de route, lançant parfois un cri rustre dans une allée pour encourager ses camarades de la capitale dans leur dur labeur ; parfois, quelques rires, parfois un signe, il était bien heureux de pouvoir échanger des respects avec des frères de pioches.

Quand un endroit était desert de travailleur, il s'arrêtait parfois pour observer les méthodes employées afn de creuser. L'inclinaison des traces, la façon dont les renforts étaient posés. Ce n'était rien d'exceptionnel, mais la perfection se cachait dans les détails et se tenir au courant de ce qui était fait à la capitale était parfois salvateur. D'un pillier décalé de quelques centimètres dépendait de nombreuses vies.

De fait, il mit un peu plus de temps à arriver jusqu'à l'endroit d'ou sortait d'autres cris : ceux des vaillants guerriers de la capitale. Le bruit de sa progression était couvert par le tintement des marteaux sur les enclume mêlé au bruit des flammes ainsi qu'en réponse, au bruit du métal se fracassant dans des démonstrations a faire palir quelques umgis.

C'est chantant, qu'il arriva non loin, sa voix n'étant pas audible à cause de l'environnement ; mais qu'importe c'est avant tout un hymne de travail entendu précédemment qu'il reprend pour lui même.

[...] Là ou nul chemin ne passe ;
Nous piochons dans les profondeurs, avançant sans qu'aucun ne trépasse ;
Nos foulées dans la garnotte, le bruit de la pierre éffleurée par nos bottes ;
La gloire nous trouverons à la force de nos bras, en sortant quelques richesses d'en bas [...]

Hjolgrim s'adosse sur un pilier avant de faire silence, observant d'un regard intrigué ce qu'il se passait autours de lui. Il mit un certain temps avant d'appercevoir Hilda un peu plus loin. Ainsi il se décida à attendre qu'elle eut fini avec sa session, les deux choppes toujours en main ; il n'attendait pas bêtement cela non, il observait minutieusement les mouvements de la garde ainsi que l'entrainement.

*Cling ! Clang ! Schwing !*

Ainsi allaient les musiques, percussions vives et violentes perpétrées non point par quelques tambours ou autres instruments de cordes et de peaux tendues, mais par des formes d’aciers aiguisées et forgées. De leurs chocs ne naît point une tendre mélodie doucereuse que l’on peut saccader, rendre longue ou incrémenter d’autres liaisons musicales… Non. De leurs chocs, naissent les étincelles ; de leur entrelacement né la force du combat ; de leur victoire ou de leur défaite, naissent les morts ou les glorieux. Car un guerrier, aussi talentueux soit-il – ou elle – n’est complet que grâce à sa lame. Là, alors, il peut affronter les armées les plus vastes de ce monde sans craindre quoi que ce soit… Point même la mort.

« Apprenez ces mouvements, tas d’buses ! » Hurlait-il à pleins poumons, s’égosillant sans doute depuis quelques heures déjà avec ses ouailles qu’elle formait avec passion. Avec les multiples expéditions, et les combats passés et à venir, il fallait former, reformer, apprendre et réapprendre. Et qui d’autre qu’une guerrière issue des troupes d’élite de l’infanterie lourde, pour pouvoir apprendre l’art de l’infanterie aux autres. « L’acier d’Kirgan et d’Thanor sont peut-être les meilleurs d’ce foutu monde, mais si vos bras sont en mousse, z’irez pas bien loin face à des créatures d’nos montagnes ! A peine plus face aux foutus Humains ! » Ourdait-elle. « Retenez bien ça ! Les boucliers devant : j’veux une barrière d’roc impossible à pénétrer ! Les haches et les marteaux derrière, vous écrasez ça comme vot’ grand-mère écrase son foutu cafard sous son godillot ! Et ensuite, ceux qu’utilisent d’hallebardes ou d’épées longues, vous v’nez et vous finissez l’travail ! Et l’mur avance ! Et on r’commence ! Si vous n’apprenez pas ça, j’vous jure qu’la prochaine fois, j’vous coupe les roustons pour m’faire un collier avec ! Pour c’que ça m’servira ! Repos ! »

L’entraînement était terminé. Les armures rutilantes des soldats commençaient déjà à se disséminer, celles des gardes royaux – d’or et de blanc taillées dans le plate – retournait vers les couloirs en direction du palais royal, dépassant Hjolgrim et lorgnant sur la bière. Hilda, elle, devait rester là : il fallait ranger la salle, et surtout, il fallait qu’elle aussi, souffle un petit peu. Les temps étaient glaciaux, électriques, tendus… Même elle pouvait ressentir tout cela. Et elle était inquiète.

Un bien beau spectacle se découvrait face au nain qui avait l'air bien plus que ravi de voir toute cette agitation. Des ordres étaient hurlés alors que les pognes s'activaient, des coups rustres et des cris d'encouragements, des formations tantôt serrées tantôt plus lestes, avec ou sans bouclier. Le bruit du métal s'entrechoquant alors que la colonne se formait et se déformait aurait fait trembler n'importe quel ennemi de la capitale.

Au fond cela le rassurait, car il était pas encore né celui qui pourrait charger et passer cette muraille naine faite d'acier, de chair et d'honneur. Au fur et a mesure qu'Hilda criait ses ordres, lui, se marrait comme un bossu, les yeux écarquillés comme un gamin face à une attraction dans laquelle il n'a pas encore le droit de monter. C'était à la fois beau, vibrant, rassurant et drôlement amusant que de voir la princesse hurler de la sorte. Les guerriers eux n'avaient pas l'air d'en rire.

- Aha, pour l'honneur mes braves, leur cria t-il alors qu'ils passaient afin de gagner un repos bien mérité, puissent vos ancêtres vous sourire !

Hjolgrim le bienheureux s'avança en direction de la princesse, les deux choppes à la main, il lui en tendit une, une fois à sa hauteur.

- Baruk Princesse guerrière, c'est le Groman-Rik qui m'envoie t'passer les salutations, comment s'déroule l'entrainement ? Z'ont l'air de braves marteaux bien solides comme leur meneuse !

Il était dur à croire qu'Harald ait envoyé quoi que ce soit à l'attention de sa fille, surtout un nain mineur de fond mal embraillé.

Le dawi n'était pas spécialement habillé pour l'occasion, quoi qu'il était en civil vu qu'il sortait de la salle du thrône, ce qui était assez rare. Il était malgré tout venu les pognes pleines ; une bière en fin de travail était-elle une attention comparable à celle d'une boîte de chocolat ? Définitivement. Assez du moins pour une mise en bouche quant à une suite potentielle à la taverne, face au comptoir comme tout bon dawi.

Les uns après les autres, la forte bavette soulevait et écartait les mannequins de pailles et de lins, dressés parfois d’armures vieillies servant aujourd’hui à l’entraînement plus qu’autre chose. Elle ne ménageait pas ses efforts, jamais.

Soudainement, des pas et une présence dans son dos l’interpellent. Elle se retourne et découvre alors le visage bien connu aujourd’hui de Hjolgrim, thane d’un clan de mineur ayant participé à l’ascension de la désormais célèbre montagne de feu. Avisant la chopine de bière, elle s’en saisit avec envie et la lève, en l’honneur de celui qui lui permettait de se rassasier le gosier. Trempant d’abord les lèvres, pour pouvoir reprendre son souffle sans se noyer dans sa binouze, elle prend ensuite la moitié de la chope cul-sec, avant de se débarrasser de la mousse d’un revers de son gantelet de plate.

« Baruk, thane ! » Dit-elle ensuite, frappant son plastron pour une seconde salutation en bonne et due forme cette fois-ci. « Mon père t’envoie ? » Répondit-elle ensuite, arquant un sourcil interrogateur et curieux. Elle connaissait son père mieux que quiconque, et envoyer quelqu’un saluer un de ses enfants n’était point dans ses habitudes. Elle comprit donc que l’initiative ne venait sans doute pas de Harald, mais de Hjolgrim lui-même. « Toi aussi, tu es aller demander une audience avant l’Althinkalan ? » Demande-t-elle, inquiète mais réservée. « Des dizaines de thanes passent tous les jours devant lui depuis plusieurs ennéades… Je me demande ce que vous pouvez bien lui demander, alors que ce n’est pas lui qui convoque cet Althinkalan… M’enfin… Pourquoi cette bière, thane ? »

Au fur et à mesure de ses réflexions, Hilda était passée de l’excitation et de la sensation de plénitude de l’entraînement sportif ayant porté ses fruits, aux inquiétudes et agacements d’une vie perturbée depuis quelques temps. Les vicissitudes liées à l’exercice du pouvoir de son paternel l’épuisaient sincèrement ces derniers temps, surtout à cause de l’instabilité provoquée par le Main-Ferme dont elle ne voulait plus prononcer le nom à l’heure actuelle.

Alors qu'Hilda boit sa bière en deux temps, Hjolgrim sourit de bon coeur, une belle descente mais avec assez de retenue pour ne pas s'en coller partout. Cela changeait des beuveries de Thanor ou la soirée finissait avec autant de boisson au sol que dans les barbes et les gosiers. Qu'elle coule en tonneaux, en choppes ou en godets, le plus important était qu'elle soit bien bonne servie en pression.

Le dawi hocha la tête une unique fois en réponse à sa première question ; ce n'était pas tout à fait vrai mais pas tout a fait faux non plus dans l'absolu. Après tout il était celui qui lui avait dit ou la trouver et donc, c'était une sorte de bénédiction à sa présence. Sans cela, il aurait pu tourner une énnéade dans la grande Kirgan sans jamais entrapercevoir sa téméraire frimousse.

- Non, j'y ai présenté un projet pour Thanor afin d'exploiter les gisements en montagne, du moins pour ceux qu'on aura l'accès.

Il fit une courte pause afin de prendre une première gorgée de sa boisson qu'il n'avala pas d'une traite. Il ménageait sa choppe afin d'avoir le gosier rincé lors de l'échange.

- Pis j'dois encore demander audience auprès de la voix de Thanor et quelques personnes du haut conseil, même si j'ai l'appuis du Groman-Rik j'pourrais rien faire sans Glumtol.

Il balaya le sujet d'un revers de la main, sans doute car l'administratif et les différents projets étaient un triste sujet à tenir face à une guerrière. Quoi que peut-être devra t-elle un jour être versé dans la politique de par la position de son père ? Il n'en avait aucune idée. Il ne fit nulle mention de l'Althinkalan, sans doute parce que lui même n'en voyait aucune utilité ; cependant de par ce qu'il avait en cours, il n'allait pas planter Harald dans le dos comme un lâche, c'était une évidence.

- C'est une bonne bière de la part d'mon clan, sans toi et les valeureux guerriers d'ta trempe, on s'rait tous morts.

La encore il prit une petite pause, sans doute parce qu'il réfléchissait à mettre les termes dans le bon ordre au fur et a mesure qu'ils se présentaient dans sa caboche.

- Tu m'as sauvé les miches sur la montagne pis d'vant mes gars, alors on chante en ton honneur. On a perdu trois bons mineurs là haut, pis sans les directives de leur thane et pis des autres guerriers bah ils seraient tous morts, alors l'projet qu'j'mène j'peux qu'le mener parce que je suis en vie alors on te l'doit aussi un peu.

C'était brouillon, les formes étaient un peu mal mises tant c'était précipité et improvisé, mais l'intention y était malgré tout.

- Alors voilà, la première artère qui nous mènera a de l'azul ben l'avant poste port'ra ton nom si l'projet voit le jour, parce que t'es pas un trousse-pet pis que t'as bataillé avec honneur.

Il s'arrêta, leva sa choppe qu'il vida d'une traite pour trinquer à ces paroles.

La guerrière, encore légèrement essoufflée, regardait le thane d’un clan de mineur devant elle, les poings placés sur ses hanches. Sa posture n’était ni hautaine, ni ennuyeuse. Au contraire, elle témoignait d’un intérêt tout particulier. L’intérêt de celle et ceux qui attendent beaucoup d’un échange, d’une demande, d’une rencontre. L’intérêt d’une fille, pour ce que l’on aurait pu demander à son propre père, en des moments troublés.

Car Hilda, comme Baldwin et sans doute comme l’aurait fait feu Thorald – puisse-t-il festoyer dans les Derniers Halls – s’inquiétaient pour Harald, et avaient juré de le protéger. Une protection d’un descendant à son géniteur ; une protection d’un garde royal, au Grand-Roi du royaume. Une double vision des choses, une double appartenance… Qui faisait donc qu’Hilda, en ces temps difficiles où quelques agitateurs mandent à renverser le Roi, était prête à tout pour protéger son père et son roi.

« Je vois. » Dit-elle, raclant alors sa gorge sans aucune beauté, crachant ensuite un glaviot digne des plus grands et vieux mineurs de fond. Elle abandonna sa posture, ensuite, et regardant à nouveau le boc de bière qu’elle avait tenu jusque-là, écoutait la suite des informations de Hjolgrim. « Et bien je vous remercie, toi et les tiens. C’est une bien bonne binouze que voici ! Je vous en commanderais bin’ un tonneau ! Car je crois qu’elle plairait fortement à Harald, et à Baldwin ! Et sans doute à quiconque participe aux conseils du Roi ! » Car ces conseils, parfois, étaient très longs… Trop longs… » « Et ce serait un honneur que d’avoir mon nom lié à une de tes mines. Peut-être même pourrais-je la protéger, si le Roi me le demande. » Elle rit, trouvant alors amusant le fait que celle qui voit son nom donner à une artère minière, soit aussi celle qui la protège. Son rire est sincère, et relativement puissant bien que la terre et le sable retourné diminue grandement la résonnance des échos. « Et donc… Alors que bien des thanes s’apprêtent à entendre les paroles d’un fanatique du Père, et à devoir revoter ou débouter notre Roi… Toi, tu mandes audience pour pouvoir ramener plus de minerais dans nos forges ? Pour pouvoir boire, et penser à l’avenir ? » Dit-elle, résumant très succinctement sa pensée. « Tu es un Nain bien étrange, en des temps pareils… Ou sans doute es-tu plus proche de notre véritable nature, que le commun des Nains. »

Hjolgrim hocha la tête à sa première tirade, il parrut cependant décontenancé devant un comportement qu'il n'avait jamais guère vu d'une fille de Roi, ce crachat était digne de parole et il venait à lui seul de non seulement détendre l'atmosphère, mais en plus de la dresser en tant que son égal aux yeux d'Hjolgrim, non pas en force, non pas en expérience, ni en métier mais en status. Ce qui lui permettait de se sentir plus en confiance.

Un nain du fond des mines comme tant d'autres qui creusaient inlassablement vivait davantage en commité masculin et ne connaissaient que les beignes, les bagarres de tavernes, les cris, les insultes, la bière ainsi que l'allure et la parole donnée, et en cela elle marquait beaucoup de points. Il était nettement plus facile pour lui de la considérer elle - ainsi que toute guerrière de sa trempe - que n'importe qui d'autre. Les seules à remporter la palme étaient les mineuses qui tapaient le roc avec ses confrères, mais elles se comptaient même pas sur les doigts de la main au sein de son clan, c'était un métier tout aussi dangereux que se battre au final.

- La pression en tonneau c'est tout pour nous, si tu passes par Thanor un de ces quatre t'as qu'a m'le dire pis on s'fera un bon gueleton avec tout l'monde.

Il n'en disait rien mais il n'avait pas spécialement envie que la bière selectionnée par la princesse tombe dans le gosier de quelques thanes avec qui il avait l'alcool mauvais, notamment les plus sages d'entre eux. Ils avaient plus de culture, plus d'expérience, plus de savoir historique que lui, et lui ne réfléchissant que peu, arrivait malgré lui à se les mettre à dos de par sa simplicité.

Le rire d'Hilda fût communicatif et ainsi il se tapota le ventre d'un rire de courtoisie ; quand quelqu'un se gaussait il était de bon ton de partager sa bonne humeur au fond des mines. Parfois riait-il même quand il n'avait pas compris un traitre mot de la conversation.

- J'pense pas qu'Harald soit rassuré qu'sa fille soit paumée dans la montagne avec une bande de bras cassé, pis tu sais parfois y'a des éboulements ou des avalanches pis j'm'en voudrai qu'tu sois blessée.

Cette phrase sonnait étrangement mal de par les mots maladroits choisis, mais il n'avait guère l'envie de ramener sa fille au Groman-Rik du Zagazorn avec deux doigts en moins. Elle était guerrière et bien plus débrouillarde que lui, mais pour une quelconque raison il la considérait également comme une petite chose fragile, ce qui était presque la coutume des nains envers les naines. A moins qu'il ne craignait de trop la colère d'Harald si il venait à arriver quoi que ce soit à sa fille, il ne savait pas trop pourquoi mais il n'était pas tout à fait sûr du projet.

Sans doute avait-elle touchée juste, mais il balaya ses allégations d'un geste de la main.

- T'sais, je sais pas trop c'quoi l'projet exact de tout ce qui va s'passer bientôt mais moi j'aime pas d'la façon dont c'est fait pis qu'on me force la main. C'ton père qu'a fait qu'on en est là pis lui et moi on est tétus pareil, j'en ai plein le slibard d'extraire d'la merde a longueur de temps.

Hjolgrim écarta les bras en grand, lancé dans une tirade dont seul les buvards de taverne avaient le secret.

- On descendait dans des artères grandes comme ça, pis y'avait tellement d'concentration que quand les aut' ils tapaient dans les veines y'avait même pas l'bruit de la pierre, ça sonnait comme des tintements d'cloches aux oreilles, c'était la mélodie d'la mine. Il rabaissa légèrement ses bras. On en r'montait des pleines quantités de métal si concentrées que la moindre rayure sur l'minerai l'faisait briller, des gemmes aussi de toutes les couleurs au plus profonds d'la terre. Le mineur décrit présentement une toute petite taille entre son index et son pouce. Elles étaient pas bien grandes ça non, mais d'une quantité et d'une pureté a faire pleurer Smedan lui même. Parfois en finissant d'inspecter une veine avec une lampe, on voyait des étoiles rouges, vertes et bleues briller comme dans l'ciel. Il leva ses deux mains en l'air et les rabattit aussi sec vers le sol. On pouvait pas les extraire, c'était presqu'd'la poussière, mais  ca nous donnait du coeur à l'ouvrage pis on piochait d'bon coeur. Les forgerons martelaient les métaux a peine arrivés a Thanor, les artisans montaient des pierres sur des bijoux d'toute sorte et a peine avaient-ils fini que ça r'commençait !

Cette fois-ci, seule sa main droite se leva avant de se rabattre.

- Bref, c'est not' montagne pis on va tous les foutre dehors de nos terres, et il est hors d'question qu'mon clan on s'mette a faire d'la politique de trousse-pet. Bref voilà pourquoi.

Une conclusion un peu chiadée vis à vis de l'envolée qu'il venait de faire, mais au moins il avait vibré en se remémorant cette glorieuse époque qui lui manque tant, même si au final Thanor était loin d'être à plaindre. Une nostalgie certaine.

A nouveau, Hilda ria à pleins poumons. Hjolgrim, dans sa simplicité de réflexion et d’action, en apparaissait parfois naïf sur certains points. N’avait-il point vu Hilda dans les troupes montagnardes envoyées jusqu’aux flancs de la montagne enflammée ? Si, bien-sûr… Il venait d’en reparler d’ailleurs. Alors, si Harald avait consenti à envoyer sa propre fille jusque dans l’inconnu… Pourquoi n’accepterait-il point d’envoyer sa fille au cœur d’une mine certes dangereuse, mais néanmoins sécurisée par les Nains, pour les Nains ? Tant de naïveté faisait rire Hilda qui balança un coup de pogne assez rude dans l’épaule du mineur.

« HA ! » Eructait-elle, tentant d’arrêter de rire pour pouvoir lui répondre. « Une mine serait donc plus dangereuse qu’un front de combat ? » Elle rit à nouveau, à pleins poumons, grassement. « Tu ne connais donc point mon père, ni mon clan ! Mieux vaut mourir au combat que vieux au fond de sa couche ! »

Le reste du discours du thane des mineurs Brokkgog, était cette fois clairement moins nuancé et autrement plus partisan. Le mineur était fier : fier de ses savoirs, de sa sagesse, de sa montagne, de ses filons et de ses capacités minières. Ces pans rocailleux, ces filons profonds, étaient autant de possessions que de sources de fiertés. A travers son discours, Hilda pu le comprendre : Hjolgrim ne reculerait devant rien pour pouvoir reprendre ces montagnes, faire face aux dangers, et exploiter les minerais et filons pour l’ensemble du Zagazorn. Les tractations politiques n’étaient d’aucune importance… Et ce Nain, bizarrement, réfléchissait nettement plus comme feu les ancêtres des temps jadis : par la fierté, l’honneur du destin accompli, que par les égo et orgueils mal placés.

« J’espère que tu parleras, et que tu parleras bien, durant cet Althinkalan. Les vanités individuels d’quelques nains qui tentent de détrôner mon père m’épuisent : Main-Ferme nous mènera à notre perte par son fanatisme… Il ne comprend pas que mon père possède une vision d’ensemble… Qui, jusqu’ici, nous aura fortement aidée. »

Le coup de pogne a l'épaule fût assez rude pour faire nettement bouger Hjolgrim, sans le faire reculer pour autant. Une tape à la fois joviale et démonstratrice de la puissance que pouvait contenir le corps d'un guerrier. Si ce coup avait été porté sérieusement, il ne fait aucun doute qu'il l'aurait senti passer sec. Il leva l'index comme pour signaler qu'elle avait mal compris là ou il venait en venir, et l'agita d'avant en arrière.

- Voila de braves paroles, t'as bien raison c'est moi qui m'ramolit.

Hjogrim ria cette fois-ci en posant sa pogne amicalement sur l'épaule d'Hilda, comme il le ferait avec un de ses frères à la mine dans le but de les mettre dans une confession. Sa voix forte devint plus faible l'espace d'un instant.

- J'crois bien que j'ai vu trop des nôtres partir ces derniers temps pis qu'ca m'fendrait le coeur d'savoir qu'une si fière guerrière ait rejoint les halls au nom d'notre insatiable ambition, même si j'serai bien fier d'me descendre une bonne binouze en ta gloire.

Il laissa retomber sa main et la posa sur sa barbe puis sur sa trogne.

- Faut pas en vouloir à Main-Ferme, j'crois qu'il a déraillé face au volcan. On a tous déraillé au final mais ma rancune est bien trop grande pour que j'me plie à en voir des signes de Mogar, pis celle des autres aussi. J'crois qu'lui il craint encore l'père pis qu'il est trop troussard pour lui t'nir tête pis qu'il veut faire peur à tout l'monde pour s'rassurer.

Le mineur émit un souffle bruyant de réflexion.

- Pour moi c't'une basse manoeuvre d'un dawi appeuré qui s'rait prêt à tout qu'a affronter ce qu'on a vu la haut, mais c'en reste pas moins un dawi. Il s'est battu fièrement comme nous aut' la haut alors même si j'suis pas d'accord avec c'qu'il prône, j'vais bien tenter de le raisonner ou d'l'aider plutôt qu'd'le blamer, on est tous des dawis du Zagazorn pis j'aimerai pas qu'y'ait une autre division d'la communauté. Mais j'y ai dit que c'était un trousse-pet pis qu'il avait les foies pis il m'a pas cogné alors c'est un peu vrai qu'il en est un du coup, mais j'peux pas m'résigner à le juger, c'était dur.

Il bougea ensuite les deux mains à mi hauteur, comme si il ne savait pas vraiment quoi en penser de plus.

- L'plus important c'est d'l'empêcher d'monter tout le monde avec lui dans sa folie pis l'empêcher de corrompre plus de monde et le secouer comme un bélier pis lui taper dessus jusqu'à ce qui soit moins con.

Une méthode éprouvée au sein du clan Brokkgog a n'en pas douter.

Aux paroles de Hjolgrim, Hilda eut une grimace. Une grimace de désagrément, et de légère incompréhension. Bien-sûr, Braähm Main-Ferme était un Nain peu ou proue légendaire. Il avait participé à la redécouverte d’un filon de Mogarium destiné à reforger la couronne légendaire des Rois du Zagazorn, depuis les temps jadis jusqu’au dernier roi d’avant le Voile, Garmin le Vengeur. Ce faisant, il était entré dans l’histoire aux côtés de Thordril Hargrund… Qui devint autrement plus légendaire, car il avait été le forgeron, lui.

Il avait combattu dans les sous-sols de Kirgan, dans les débuts du règne de Harald. Face à quelques créatures affreuses et dangereuses, Kroaks et autres immondes des profondeurs, il avait failli trépasser aux côtés de Harald alors couvert des entrailles de cette créature meurtrière qui avait assassiné presque tous les Nains qui œuvraient alors dans cette artère minière. Ce jour-là, Hilda aurait mit sa pogne au tranchoir : un lien indestructible s’était lié entre les deux Nains. Mais, apparemment… Non.

Et, autre aspect incontournable de la vie chez les Nains : Braähm était un ancien. Un être âgé de plus de deux siècles, qu’Hilda devait respecter et considérer, comme tous ceux possédant l’âge de voir leurs barbes et leurs cheveux blanchir. Dans la société Naine, l’âge, l’ancienneté, étaient des choses importantes qu’il fallait respecter.

« Hum… » Grommela-t-elle, alors que les paroles de Hjolgrim trahissaient l’énorme gouffre de l’âge entre elle et lui. Après tout… Elle était encore bien jeune, même en comparaison de Hjolgrim. « Jamais ô grand jamais, le père ne devra revenir dans nos vies. C’est… Trop dangereux ! Et de tous ceux qui ont connus la vie d’avant, de pendant, et d’après voile… Il devrait le savoir mieux que quiconque. Presque aussi bien que feu Hardrek, qui aura combattu les fanatiques ! Je ne le comprends plus… » Confiait-elle alors, avant de finalement se reprendre. « S’il le faut, je combattrais aux côtés de mon père. »

Hjolgrim souffla du nez en voyant la grimace de Hilda. Il comprenait que son point de vu n'était pas forcément partagé et ne le serait pas vraiment. En essayant de raisonner Braähm, il se mettait à la fois en porte à faux auprès de ce dernier et auprès de ceux qui voulaient une solution plus radicale. La jeunesse a venir était téméraire, ses mots ne pouvaient pas vraiment l'atteindre en l'état mais au moins auront-ils peut être une résonnance plus tard dans sa vie.

- S'il a peur du père encore de nos jours, c'est qu'il a toujours eu peur de lui même après l'voile. J'peux pas t'dire

Le mineur ria face à la témérité de la guerrière et son envie de batailler. S'imaginer déjà en guerre civile était une conclusion un peu hâtive.

- Tu s'ras pas toute seule, j'compte pas rester sous les ordres d'un Roi que j'approuve pas. On s'battra pis on ira s'terrer dans la montagne si ça tourne mal.

Il l'avait déjà dit en présence de Braähm dans une taverne, c'était quasiment de notoriété publique.

- Enfin bon tu d'vrais pas t'contrarier comme ça, ca m'étonn'rait qu'un seul nain ayant vu l'père dans la face du volcan fasse grand bruit, surtout qu'j'y étais aussi et qu'moi j'ai rien vu alors j'vais pas l'laisser dire. T'ronge pas l'duvet pour si peu, tu viendras m'en dire des nouvelles a Thanor avec un tonneau d'bière à la fin d'tout ça.

Hjolgrim se redressa un petit peu plus, il n'allait pas tarder à devoir se chercher une bonne piaule ou passer la nuit dans la cité et n'allait pas s'éterniser trop longtemps. Il n'avait guère le temps de rallier Thanor et de revenir ici dans la foulée. De plus, beaucoup de Thanes ne feraient pas l'aller-retour le jour même et ainsi, tout allait être plein à craquer.

- T'connais un lieu pas trop fréquenté pour pioncer c'soir ? Ca grouille de monde avec le sommet en approche.

Hilda souffla rapidement des nasaux. Regardant sa chopine de bière, désormais vidée de tout liquide adoré, prisé de tous les représentants de la race des montagnes, elle la déposa sur surface non lointaine. Et, tandis que Hjolgrim lui parlait et répondait à ses questions, Hilda continuait à ranger les affaires utilisées pour les entraînements, avec une rigueur tout à fait militaire.

« Nous avons tous peur du Père. Seulement, depuis le Voile, nombre d’entre nous ont choisi de le détester, le renier et l’écarter de nos prières et de nos pensées… Braähm, lui, voudrait le faire revenir… Par peur, justement. » Répondit-il, reformulant finalement sa pensée tout en confirmant celles de Hjolgrim. Rien d’important n’avait été dit, donc, ni rien de nouveau… Mais Hilda devait s’exprimer. « Bien dit ! » Répondit-elle ensuite, lorsque Hjolgrim parlait de se battre, si les choses tournaient vinaigre. « Une binouze à Thanor ! J’suis bin d’accord avec ça ! »

Finissant ses rangements, une pointe de sueur perla au-dessus de son arcade sourcilière droite. Ses joues rougies par la chaleur des exercices et des rangements, la guerrière voulut machinalement tirer sur le tissu de sa tenue, sous son armure… Et la pince formée par ses doigts rencontra la dureté de son armure de plate. Un acte anodin, empêché par l’armure, indiquant donc que l’esprit d’Hilda était cette fois-ci tourné vers un peu de confort et de propreté. Ses pognes étaient rendues noires, sa peau était pleine de poussière… Et la sueur la rendait collante à souhait.

« J’ai bien peur que la plupart des tavernes soient bondées… C’est qu’tout l’monde arrive d’puis des jours déjà, et les taverniers courent partout pour pouvoir se loger. Mais tu devrais trouver ! » Dit-elle, avant de soudainement réfléchir et trouver une adresse, ses yeux s’écarquillant telles deux billes blanches. « Oh ! Si ! Il y a… Il y a cette taverne : « Grizdalogorog af Girdon » ! C’est à la fois une taverne et un petit temple tenu par des adeptes de Girdon ! Ils viennent tous de clans de brasseurs, taverniers, tonneliers… Enfin, t’vois l’bousin quoi. Et ils ont toujours d’la place ! D’jà, parce qu’la bâtisse est grande et ensuite parce qu’ils acceptent surtout les ouailles d’Girdon. Et j’crois qu’ta réputation d’festoyeur te précède. Tu pourras communier avec eux si tu veux ! »

Le nain cherchait de vue les différentes tavernes déjà en vue et le monde qui se massait devant. Son regard s'affaissa avant qu'il n'en revienne à son interlocutrice du moment. Elle était inquiète comme tous l'étaient finalement, peut être plus car son père était directement impliqué. Il ne savait pas quoi dire pour la rassurer alors fit ce qu'il savait faire de mieux et lui tapa sur l'épaule amicalement pendant qu'elle rangeait son matériel.

- T'fait donc pas de mourrons, ca va bien s'passer. Pis les femmes de mon clan disent que quand tu t'contrarie trop comme ça ben après ca fait des rides pis tu d'viens aigrie et tu peux plus faire d'mioches. C'dangereux d'être contrariée t'sais.

Hjolgrim se gratta la tête de sa main gauche et, voyant Hilda tenter d'attraper un tissu pour s'essuyer le visage fouilla dans sa poche intérieure de sa grosse pogne avant d'en sortir un morceau de cuir de bouc, ce dernier est semi-rigide mais un petit duvet sur le dessus le rend doux au toucher. Ce dernier fait la taille d'un torchon bien qu'il soit plié en cinq. Plié, cela voulait également dire propre. Tout mineur pour toute occasion avait toujours de quoi s'astiquer la face à cause de la poussière de granite dans les yeux et dans les naseaux. Il n'était pas en service mais c'était une habitude d'en avoir au moins deux sur soi. Il le tendit à Hilda.

- Grizdalogorog af Girdon, une taverne et un temple ? Eh ben c'est bien j'm'en va m'rincer l'gosier pis me faire pardonner par les prêtres après. Voilà une bien bonne façon d'oublier quelques contrariétés, tu d'vrais essayer à l'occasion ca t'ferait bien du bien de chanter avec nous autres.

Sur le départ finalement, il hocha la tête.

- Merci bien pour c'te discussion, pis t'en fait pas pour le mouchoir tu m'le rendras a l'occasion on en a plein, au pire j'prendrai un rond d'table à la taverne pour m'moucher avec.

Finalement, ce mouchoir qui faisait la taille d'un torchon était bel et bien un mouchoir. Quant à sa conclusion, il n'a pas rigolé et semblait parfaitement sérieux. Se moucher dans les ronds de table des prêtres de Girdon était donc quelque chose de tout à fait envisagé dans la soirée.