Une première transaction [Eylohr]

En matinée, Panahos , 1ère ennéade de Bàrkios, Année XXI, XI Cycle
Île de Méca | Boutique d’Adélina

Les journées passaient beaucoup trop vite. Bien que la jeune femme tentait de faire une étape à la fois. Avec l’aide des trois filles qu’elle avait engagé ainsi que des quatre hommes de l’équipage du Second Souffle qui s’était porté “volontaire”, les choses avaient été rondement. D’ici une ou deux journées, l'inventaire complet de l’ancienne échoppe d’Holden serait complété. Aubry et les hommes avaient rapidement trié les innombrables caisses qui ornaient les étagères. Une majorité de vêtements, autres denrées non-périssables et d’alcools avait déjà été répertoriés. Rien d’exceptionnel ou de grandes valeurs avaient été trouvé jusqu’à maintenant. Les quatre femmes - quant à elle - en avait profité pour organiser le fouillis qu’était le deuxième étage. Les trois pièces avaient été nettoyées de fond en comble, organisées en trois confortables chambres distinctes pour les employées et leur propriétaire. Et après trois journées de dure labeur, Adélina pouvait finalement dire qu’elle avait un nouveau chez-soi.



Adélina essuya rapidement ses mains sur son tablier avant de regarder la pièce avec une certaine satisfaction. C’était un miracle qu’une femme comme Isabella ait décidé de rester à ses côtés. Elle lui avait appris bien des choses en ce petit laps de temps. La noble qui n’avait jamais eu à nettoyer ses propres appartements ou même à cuisiner avait trouvé cet apprentissage fascinant. Bon le pain qu’elle avait fait n’avait pas été particulièrement apprécié par le Rokvenha - qui avait été incapable d’avaler une telle atrocité - mais elle ne se laissa guère découragée par la critique de ce dernier. Soudainement, Aubry arriva sur le palier avant de l’avertir qu’elle avait un visiteur. Sans attendre, l’ancienne duchesse, enleva rapidement le foulard qui couvrait ses cheveux de la poussière, laissant ses longues boucles brunes tombés sur ses épaules. Puis, elle délaissa son tablier avant de le déposer avec le foulard sur la balustrade pour descendre les escaliers de son pas léger. Adélina salua rapidement les autres hommes avant d’entrer dans l’échoppe. Eylohr s’y trouvait, cette fois l’arme bien rangée dans son fourreau et avec un air légèrement plus accueillant que lors de leur première rencontre il y a deux jours. « Eylohr » Dit-elle en le saluant vaguement de la tête, elle traversa rapidement la pièce pour rejoindre une porte, l’ouvrant avant de faire signe au capitaine d’entrer. La jeune femme laissa le mécan entrer avant de le suivre dans le bureau. Si une table usée et des fauteuils étaient présents, la pièce n’était définitivement pas terminée. Un ramassis de babioles et de documents avait été amassé dans les étagères au mur. La seule chose qui était impeccable était le bureau, parfaitement organisée, rangée, donnant un aperçu de comment serait la pièce une fois terminée. « Pardonne le désordre. Nous n’avons pas encore tout à fait terminé d’organiser cette pièce. » Adélina contourna rapidement le géant avant de s’asseoir à son bureau. Elle pencha légèrement la tête sur le côté, curieuse, en plongeant son regard bleuté dans celui du capitaine. « Alors tu as décidé ce que tu souhaitais vendre ? »

Depuis leur retour à Méca, l’équipage de l’Abyssale n’avait point chômé. Si une grande partie des membres de l’équipage avait quartiers libres, certains étaient restés sur le navire afin de poursuivre les manœuvres commerciales. Les officiers, bien-sûrs, mais aussi les pirates désireux de recevoir une augmentation de solde en aidant sur leurs temps de repos. Et avec les cales pleines, il fallait bien cela !

Car aujourd’hui, l’heure était à la négociation avec Adélina, la Rose. Le cas d’Adélina n’avait point encore été tout à fait accepté, ni réglé, au sein de l’équipage. Outre Ariana qui n’était point prête à lui faire confiance, la plupart des vieux Mécans – ceux qui étaient Mécans depuis bien longtemps donc – voyaient cette nouvelle tête, ancienne nobiliaire, ancienne épouse du pire adversaire des flibustiers, comme une insulte à leur mode de vie. Le fait qu’elle soit sous la protection du Rokvenha était la seule justification expliquant sa survie sur cette île de vauriens, tueurs, pilleurs et autres aventuriers sombres. Et cela… Certains ne l’acceptaient point.

Mais Eylohr n’en avait cure. Ce qui l’intéressait était simple : naviguer avec le Rokvenha. S’il fallait s’entendre avec Adélina avant même qu’elle ait eu le temps de faire ses preuves, soit ! Le capitaine accepterait cela sans sourciller. D’ailleurs… Il était temps d’entrer dans son échoppe, seul. Il n’avait pas besoin d’Ulysse, de Christophe ou d’Ariana pour faire tout cela. De plus, il avait promis à la jeune femme qu’elle n’aurait à faire qu’à lui, et à lui seul.

Il entra, donc. Autrement plus calme que l’autre jour où il était prêt à décapiter quiconque se présenterait devant sa lame. Lorsqu’il entend son nom, il offrit un salut de tête, silencieux en termes de paroles. Il était concentré : après Adélina viendraient les discussions avec Caleb… Aujourd’hui était un grand jour pour lui, et il lui fallait faire preuve de patience et de diligence. Il s’avance, a un petit rire lorsqu’Adélina lui demande de pardonner les désordre… Avant de s’asseoir là où une chaise pourrait supporter son quintal.

« Encore un peu de travail, et on en oublierait presque qu’ce fumier d’Holden a un été ici un jour. Fils d’enfoiré… » Dit-il, râlant et maugréant dans sa barbe, revoyant presque le visage de cet être infâme qu’il aurait tant aimer décapiter. « Ouaip ! J’t’ai fait une… Enfin, Ariana et moi, on a fait une liste. Y’a pas grand monde qu’sait écrire ou lire sur c’t’île… D’coup, on était pô trop d’deux. » Il déposa la fameuse liste écrite dans une encre mêlant charbon et eau, autrement de moins bonne qualité que les encres Péninsulaires. « On a pô mal d’armes : épées courtes, une épée longue, qu’ques arcs et arbalètes et leurs carreaux et flèches. » Dit-il, montrant les fameuses lignes du bout du doigt. « On a aussi d’la bouffe fumée, qu’ques denrées périssables provenant d’Naélis et d’Thaar. D’trucs en gelées, fumées et salées… D’la base quoi. Mais j’pense qu’tu pourrais plus facilement vendre tout ça à une d’nos auberges, plus qu’moi quoi. » Expliquait-il, avant de reprendre son inventaire. « J’ai aussi qu’ques armures d’cuir, d’plates et d’acier ; des lingots qu’nos forgerons adoreront, et des outils d’forges, d’joaillerie et charpentier. Et… L’reste, c’est d’l’or, d’l’argent et des écus quoi. »

La jeune femme eut un léger sourire satisfait lorsque le géant brisa le silence. En effet, ils avaient bien travaillé. L’échoppe avait énormément changé. Tout était organisé d’une façon logique et soignée. Les pièces étaient maintenant propres et accueillantes, cette échoppe était maintenant vivante, montrant la fierté que sa nouvelle propriétaire avait envers son établissement. « En effet… Une ou deux journées et il n’y aura plus aucune trace de cet escroc… » Répondit-elle sourire aux lèvres en observant les alentours. « Faire disparaître toute trace de cet homme ne sera pas une mauvaise chose. » Après tout, le capitaine n’avait pas été la seule victime des fourberies de cet homme. Au final, elle avait perdu beaucoup plus que ce dernier à cause de l’ambition d’un seul homme. Caleb lui avait révélé la raison de sa trahison, et Adélina avait été horrifiée d’avoir fait confiance à un être aussi méprisable. La jeune femme resta néanmoins concentrée, écoutant sans interrompre le mécan alors qu’il reprenait la parole. Puis, Adélina se pencha légèrement attrapant la liste que lui tendait Eylohr, restant silencieuse alors qu’il lui décrivait les innombrables marchandises qu’il avait accumulées alors que son regard détaillait le parchemin. La jeune femme se retint de commenter sur l’écriture des deux mécans, car Eylohr avait bien raison, c’était déjà très bien que ce dernier sache lire et écrire. De plus, elle ne l’imaginait guère pratiquer la calligraphie dans ses temps libres. « Je vois. Je te laisse l’or et l’argent. » Pour elle, ces dernières avaient beaucoup trop de valeurs, et prendraient beaucoup trop de liquidité. De toute façon, Eylohr pourrait s’en servir autrement. « Pour ce qui est des armes, armures, outils et de la nourriture, je te les achètes tous. Dépendamment de leur état - je suis prête à te donner dix pourcent de moins que le prix du marché. » Cela était une offre des plus généreuse, Adélina le savait. Elle ne pourrait continuer comme cela bien longtemps, mais Eylohr était son premier client. Cela devait se célébrer d’une certaine façon. Qui plus est, il était le nouvel allié de son… Disons compagnon. « Je ne pourrais faire cela tout le temps. » Avoua-t-elle. « Mais puisque tu es la première personne à me donner une chance, je considère que cela sera un cadeau et un gage d’une relation fructueuse… »  

Ecoutant la jeune femme, Eylohr eut un petit sourire. L’inimité entre Eylohr et Holden devait être au moins aussi grande que celle entre Adélina et ce traître justement assassiné. Ou peut-être était-elle plus grande encore de son côté à elle ? Après tout, n’avait-il point semer la discorde et les mensonges en Péninsule, causant la descente aux enfers de celle qui était alors une des femmes les plus puissantes de Péninsule ? Autrement plus de raisons de détester cet être infâme qu’Eylohr, quand bien même ce dernier avait failli mourir à cause des mensonges d’Holden. En tous les cas, un petit rire s’échappa du capitaine de l’Abyssale, alors qu’Adélina était d’accord avec lui concernant les travaux et la disparition nette et progressive d’Holden, ici, dans cette échoppe.

La négociation commença. Et le moins qu’Eylohr puisse dire, c’est que les choses proposées par Adélina étaient avantageuses, du moins, pour ce début d’accord : elle laisse l’or et l’argent ; donne 90% de la valeur sur le marché ; et la garanti que de tels prix sont proposés uniquement parce qu’Eylohr est son premier client, et gage d’une relation fructueuse. Il était devenu soudainement difficile à croire que la jeune femme avait un jour été qu’une noble femme, mise au monde pour pondre un noble héritier à un encore plus noble homme qui en aurait fait un futur dirigeant, ou guerrier, ou – les dieux savent quoi. En plus de tout cela, elle était une commerçante rusée prête à tout pour pouvoir s’assurer des accords juteux… Et une paix négociée commercialement. Habile… Eylohr ne pu s’empêcher d’arquer une moue intéressée, surprise et un peu désarçonnée. Il tendit alors la pogne à Adélina, avant de rajouter.

« C’est d’accord. J’te propose qu’la prochaine fois, tu m’les reprennes pour 20% d’moins… Plus trente… Puis quarante… Puis, on rest’ra aux prix d’marchés, plus ou moins qu’ques négociations d’temps en temps. Ça t’va ? »

Le moindre que l’on puisse dire, c’est qu’elle avait su attirer l’attention du Capitaine. Adélina eut un léger sourire en entendant ses paroles. Elle avait gagné. Pour être honnête, c’était bel et bien une stratégie. La jeune femme avait besoin de se faire un nom à Meca et le commerce serait bien difficile pour commencer. Peu de gens viendrait la voir, attendant de voir ces intentions et surtout si elle était réellement parmi eux de son propre chef. Bien entendu, elle avait de nombreux projets qui aideraient sa réputation parmi les forbans, mais rien n’était encore lancé, que de belles promesses pour le moment. La jeune femme acquiesça, avant de tendre gracieusement la main à son tour, serrant celle du géant devant elle. Étonnamment, la nordienne était ferme dans sa poignée de main, qui laissait voir son assurance, mais surtout un certain envers de sa personnalité. Si on la croyait douce comme la mer, cette dernière avait assez d’assurance pour faire déferler la pire tempête sur ceux qui lui faisait du mal. « Alors cher Eylohr…» Commença-t-elle en plantant son regard dans le sien. « Nous avons un marché alors. » La jeune femme jubilait intérieurement. Bien qu’elle savait qu’elle était en position avantageuse envers Eylohr. Ce dernier voulait faire partir de la flotte de Caleb, se devant, il aurait été surprenant qu’il ait fait du tort à sa compagne. Mais Adélina n’était pas sans parole ; elle avait promis au pirate qu’elle lui ferait une offre juste. Mais là, elle venait carrément de lui faire un cadeau. « Tes hommes vont venir livrer le tout ou dois-je envoyer quelques uns des miens? Une fois que l’on aura les items, on pourra les évaluer et te faire un paiement rapidement. »

L’accord était scellé. L’esprit commercial d’Eylohr était légèrement… Blessé, bien-sûr. Après tout, il passait des jours et des nuits en mer, à rechercher un maximum de navires à attaquer, piller, couler ; un maximum de localité côtières à piller dans des raids de violence et de carnage, tout ça, pour pouvoir en revendre le fructus et l’abusus aux meilleurs taux. Alors, proposer de voir ce fructus diminuer d’échanges en échanges était une aberration en soi. Mais là où le commercial – ou plutôt l’avide – criait à la bêtise, le capitaine, lui, voyait plus loin.

Aussi saisit-il cette pogne ferme qu’Adélina lui tendit. Le faisant, il en mesura toutes les implications et les conséquences. Mais ces dernières étaient moindrement dangereuses que celles qui allaient avec l’accord qui avait été noué avec Rokvenha, et qui allait être officialisé tout à l’heure. Forcer les choses avec Adélina, la trahir, ou tenter d’en apprendre le plus possible sur elle ou ses habitudes pour obtenir les meilleurs accords et divers leviers la concernant, aurait moins de conséquences négatives que doubler le Rokvenha, d’une manière ou d’une autre. La question d’Adélina le tira de sa contemplation intérieure.

« Mes hommes s’en chargeront. Il faut tout sortir de la cale… Déposer tout c’trucs chez toi plutôt qu’seulement sur l’quai nous permettra d’tout faire d’une traite, au lieu d’passer des jours à surveiller tout ça sur l’port. Pô trop d’honneurs chez les voleurs, t’sais c’qu’on dit. »

Il allait rire à sa propre blague, lorsqu’un bruit attira l’attention du colosse. A l’entrée arrivèrent trois pirates aux braies dépareillées, aux lames tirées et aux mines patibulaires. Ils semblaient en colère, eux-aussi… Sans doute contre Holden, eux-aussi… Mais, contrairement à Eylohr, ces derniers semblaient sous l’emprise de quelques substances diminuant le jugement, augmentant l’insouciance et faisant des hommes, des sous-hommes ; des brutes, des meurtriers… Des moins que rien, des imbéciles qui étriperaient le premier venu pour pouvoir lui soutirer ne serait-ce qu’un seul écu…

Se levant, Eylohr dévoila non seulement sa taille, mais aussi sa musculature. Sa pogne forte se plaça sur le pommeau de sa lame principale, et il expira tel un buffle déjà énervé par ce qui se passait face à lui. Le peu de patience qui lui restait était d’ores-et-déjà envolé…

« Qu’est-ce qu’vous amène ici ? » Demanda alors Eylohr, la mine fermée, la voix grave et rauque venant presque d’outre-tombee.

« T’es qui toi ?! T’es pô Holden ! Où qu’il est c’fils d’pute ?! » Dit alors celui qui semblait être le chef de bande, qui invectiva le colosse de l’estoc de sa lame au fil apparemment effilé.

« Holden ? L’est cané. » Répondit alors Eylohr, toujours impassible. « C’t’endroit c’plus l’sien. Alors j’te conseil d’ranger tes cures dents, et d’retourne d’où qu’tu viens avant d’te blesser. Compris ? L’ami ? »

« T’as crus qu’t’étais qui bouseux ?! J’suis pô ici pour faire ami-ami avec un sombre crétin ! C’fils d’enfoirés m’devait presque 500 souverains ! J’les récupèrerais quoi qu’il arrive ! Et si j’dois piller c’t’endroit d’fond en comble, t’caner, et prendre l’gonzesse qui t’sers d’plante sur l’comptoir pour récupérer c’qui m’revient d’droit, j’le f’rais ! »

« J’s’rais toi, j’ferais pô ça. C’t’endroit n’appartient plus à Holden, et rien d’c’qu’il a pu faire est encore valable. J’le sais bin’, j’me suis fait entuber par c’fils d’pute aussi. Maintenant, c’que t’sais pô, c’est qu’cet endroit à d’jà un r’preneur. Et j’serais toi… J’irais pô l’faire chier. »

« Tseh, essaie pas d’me faire flipper enfant d’catin ! J’vais r’tourner c’t’endroit, t’foutre ma lame dans l’cul et baiser ta gonzesse ! Et tout ça, en t’regardant t’vider d’ton sang tandis qu’mes potes-là, ils prendront jusqu’au dernier foutu écu d’cet endroit d’bouse. »

Les insultes du nouveau venu n’étaient d’aucune influence sur Eylohr, dont le langage très fleuri pouvait produire les pires insanités et les pires insultes du monde. En revanche, la menace de cet individu semblait plus que réelle. Et Eylohr le ressentait au plus profond de ses os : s’il s’arrêtait-là, et s’en allait avec l’accord signé ici, Adélina passerait sans doute le pire quart d’heure de toute son existence. En plus, cela détruirait l’accord naissant entre Rokvenha et Eylohr, et détruirait également l’entente commerciale dont l’encre n’était point encore sèche.

Le capitaine de l’Abyssale dégaina alors son épée à son tour et, calmement, vint se placer au-devant d’Adélina. Il ne pouvait pas croire qu’elle n’était point armée, car la paranoïa du Rokvenha était telle qu’il ne pouvait décemment laisser sa « Rose » sans protection. De plus, l’endroit était connu des deux équipages dorénavant, et il ne se passerait que quelques minutes avant qu’une cohorte de pirates de l’Abyssale, ou du Second Souffle – ou les deux – ne déboulent pour massacrer tout le monde.

« J’vais t’le dire une fois, et qu’une seule foutue fois : c’t’endroit est sous l’protection du Rokvenha. S’tu tentes quoi qu’ce soit ici, t’déclares l’guerre au Rok. J’donne pô cher d’ta couenne. »

En une seconde, l’homme se figea – et ses compagnons également. Le nom du Rokvenha avait fait son œuvre dans l’esprit de ces trois brigands de pacotille, et la peur qu’inspirait le capitaine allait sans doute être suffisante pour pouvoir éviter de combattre aujourd’hui, dans cette échoppe. Sans doute… Ou peut-être pas ?

« Conneries ! J’sais qui s’est l’Rok, j’l’ai d’jà vu, et j’sais bin qu’c’est pô toi. Et j’vois pas c’que l’Rok aurait à foutre une folle et d’un bougre d’idiot comme toi ! » Assena alors l’homme en colère, avant de s’avancer, suivi ensuite par ses deux acolytes, toutes lames dehors. « J’vous r’donnes une dernière chance, et m’sortez pas d’conneries parce qu’ce genre d’baratin, ça n’marche pô sur moi. Dégagez… Ou j’m’occupes d’vous deux et ça va pô faire d’pli. »

Adélina ne put s’empêcher de sourire en entendant la réplique du Mécan. Il fallait croire que même entre eux, ces derniers ne se faisaient pas totalement confiance. Une leçon que la jeune femme n’oublierait pas de sitôt. « Très bien. Aussitôt que la marchandise sera dans la boutique, je te donnerais le paiement. » Car oui, elle ne serait pas aussi généreuse… Donner des écus et des souverains sans garantie n’était pas une offre juste. Elle ouvrit la bouche comme pour ajouter quelque chose, mais un branle-bas dans la pièce voisine l’arrêta. Sans attendre, elle se leva à son tour, entrant dans l’échoppe pour apercevoir trois hommes. À leur état, la jeune femme sut que quelque chose clochait… Ces gens n’étaient pas dans un état normal. Certes, ils avaient le droit d’être en colère, cela, elle ne le reniait guère. Mais le venin qui sortait de la bouche du premier n’était guère celui d’un être logique. Adélina n’eut même pas le temps d’ouvrir la bouche qu'Eylohr prit les devants, allant même jusqu’à s’avancer devant elle. La nordienne comprit rapidement que ce dernier la protégeait. C’était quelque peu étonnant, mais il fallait croire qu’il tenait particulièrement à son entente avec le Rokvenha. Il dégaina rapidement son épée avant d’entamer la discussion avec les hommes. La jeune femme le laissa faire, ne manquant néanmoins pas une seule seconde de la discussion.Il était clair que ces derniers avaient été floués par Holden. Mais les actions d'Eylohr ne semblaient guère aider à calmer la situation, et la jeune femme se permit de prendre les devants.



« Il n’a jamais dit qu’il était le Rokvenha… » Commença-t-elle avant de se déplacer légèrement à la gauche d’Eylohr. Le talon de ses bottes semblant résonner sur le sol de pierre. Étonnamment, la jeune femme ne semblait guère inquiète. « Il a dit que cet établissement appartenait au Rokvenha.» Adélina se plaça derrière le comptoir, agrippant subtilement un poignard qu’elle avait laissé là. Finalement, attiré par le bruit Aubry et un des membres de l’équipage du Second Souffle arrivèrent dans la pièce, et cela ne prit guère de temps avant qu’ils ne dégainent à leurs tours leurs armes, faisant inévitablement monter la pression dans la pièce. « Maintenant, tu vas gentiment tourner les talons et sortir de mon échoppe. Sinon tu vas comprendre rapidement ce qui va t’arriver lorsqu’on s’en prend à la rose.» Aucun doute, les pauvres bougres passeraient un bien meilleur moment avec Aubry et Eylohr qu’avec le Rokvenha si ce dernier apprenait qu’on avait menacé sa possession ainsi. Mais les trois forbans n’avaient guère l’air d’humeur et à voir la rougeur de leurs yeux, la nordienne se doutait bien qu’il n’obtempérait pas facilement. Adélina pencha son menton vers le sol, plantant son regard dans celui qui avait la plus grande bouche et lança ; « Tu vas sortir de cette échoppe d’une façon ou d’une autre. Te reste à choisir la façon que tu sors…» Elle s’arrêta une seconde, leur laissant le temps d’exposer leur réponse avant de rétorquer : « Alors? Votre décision? »

Le géant resta figé. Ses mires dardaient un regard de glace en direction du premier des trois importuns de ce jour. Froid, aiguisé, perçant, le combattant des mers n’attendait presque qu’une seule chose : le faux pas de trop. Le faux pas, l’action, la mimique qui lui permettrait d’attaquer en légitimant la défense de sa propre vie, d’Adélina, du Rokvenha et de l’honneur de tous ces gens-là. Il gagnerait ainsi des points, à n’en point douter… Il gagnerait également le respect du Rokvenha, et peut-être même une faveur de la part d’Adélina. Bien qu’il possède, pour l’instant, de grands avantages financiers, rien n’interdisait de négocier d’autres choses, d’autres accords, demain ou dans quelques temps.

La voix fluette mais ferme d’Adélina tira le géant de sa rêverie introspective. Il s’imaginait déjà faire preuve d’une violence sans bornes et sans comparaison notoire, arracher tripes et boyaux ; trancher bras et jambes ; saigner ces tas de viandes et de graisses qui n’auront de toute manière jamais eu plus d’honneur qu’en permettant à Eylohr d’assouvir ses pulsions morbides. Mais, contrairement à ce que d’aucun auraient pu penser, Adélina ne fut point tout à fait voix de raison… Plutôt voix d’informations, et de soutiens. L’étonnement lui fit arquer un sourcil, alors qu’un sourire carnassier continua de s’élargir sur son visage.

Derrière eux arrivèrent bien rapidement Aubry et un autre forban du navire du Rokvenha. D’un seul contre trois, Eylohr passait à du trois contre trois. Mais qu’importe les chiffres, le combat était inégal de toute manière : ces trois là étaient saouls, et sous l’emprise d’autres substances qu’ils auront sans doute prises pour pouvoir se donner du courage. Ils avaient donc les sens émoussés, les réflexes diminués et les pensées raccourcies…

L’homme – sans doute le moins courageux mais le plus sensible aux effets de l’alcool ou d’autres substances – se met alors à rire, pointant du l’estoc tous les protagonistes ici présents. Il détailla d’abord Eylohr, puis Adélina – devant laquelle il s’arrêta longuement. Furent ensuite ciblés Aubry, et le pirate, dans un rire gras et malsain.

« Ha ! Hahaha ! P’tain, j’sens qu’j’vais bin’ m’amuser. J’ai encore deux aut’ gars qu’sont juste d’vant l’boutique. Eh, William ! » Dit alors le premier, invectivant son acolyte à se gauche, lequel ria lui aussi en rouvrant la porte de l’échoppe pour y faire entrer deux autres bonhommes remontés. « Aller l’gars, c’l’heure d’s’amuser ! J’garde la gonzesse pour moi ! Faites c’que vous voulez des aut ! »

Quelques temps auparavant, sur l’Abyssale on finissait de débarrasser les cales des trésors, soieries, pièces d’armes et d’armures et autres recettes du pillage qui allaient être vendus à Adélina. Bien-sûr, l’or, l’argent et les métaux précieux furent laissés en sécurité… Car, d’ordinaire, personne n’achetait des écus et des souverains, et personne n’achetait de lingots sinon les forgerons et autres professionnels de l’artisanat de guerre. Il y en avait sur Méca… Et ils achetaient au prix fort ! Mais il fallait aller les voir eux-mêmes, et éviter de passer par un intermédiaire qui demanderait sa commission au passage. On s’était donc douté de tout cela… Mais pour le reste, tout était d’ores-et-déjà à quai.

Et il y en avait une pour laquelle l’ennui s’était transformé en paranoïa : Ariana. L’inactivité n’était point son point fort, surtout lorsqu’Eylohr était absent, et encore plus depuis qu’il fréquentait Adélina. Si le géant n’avait manifesté aucun intérêt pour l’ancienne noble, le fait qu’Adélina profite des largesses du Rokvenha, directement ou indirectement, était une honte pour Ariana. Elle n’avait rien fait, ici, qu’apporter la mort et les tourments… Et pourtant, elle était aidée ; recevait déjà des accords commerciaux ; disposaient d’une protection par un des pirates les plus en vogue sur l’île… Et tout cela, malgré les morts provoqués par son ex-époux ; malgré ce qu’elle considérait comme une trahison à l’encontre des pirates ; tout, pardonné uniquement pour une histoire de sentiments… Comment avait-elle réussi à flouer le Rokvenha ?!

« P’tain ! Faut pas des heures pour négocier d’foutus prix auprès d’une foutue noble qui connue foutrement quedal au négoce ! Si elle essaie d’se foutre Eyl dans son pieux en plus du Rok, j’lui coupe les seins moi-même à c’te nobliaude aux jambes trop ouvertes ! »

Auprès d’elle riait secrètement un homme à la carrure frêle sous une épaisseur de vêtements. Christophe, qui connaissait Ariana depuis des années maintenant, était habitué à l’entendre déblatérer des insultes et menaçait dans l’air et le vent des êtres qui n’auront en réalité rien fait contre elle. Il ria ensuite autrement plus fort, de sorte à se faire entendre cette fois-ci, ce qui ne manqua point d’irriter une fois pour toute Ariana, déjà bien en colère.

« Ah ! Ah pour rire, t’es toujours là toi ! Mais alors pour s’bouger l’fion et faire c’qu’il faut pour qu’le cap’taine s’fasse pas couillonner, y’a plus personne ! » Eructait-elle, en colère et sans réellement comprendre ce qu’elle disait. « J’vais y aller ! Et p’tain si c’te catin est en train d’s’envoyer Eyl, j’repeindrais les murs avec son foutu sang ! »

« Hey, hey ! Ari ! » Dit alors le quartier-maître d’arme, s’arrêtant de rire et sautant de la caisse de transport sur laquelle il s’était juché. « Rappelle moi : c’quand l’dernière fois qu’t’as eu c’genre d’délire parano et qu’çà s’est avéré vrai ? J’te rappelle qu’la dernière fois, on a dû t’sortir d’une foutue auberge manu-militari parce qu’t’avais tenter d’égorger une des serveuses qu’faisait qu’nous donner nos pintes. On s’est r’trouver à r’prendre la mer en qu’ques minutes à cause d’tes conneries alors qu’on avait même pô fini d’remplir l’cales… ça nous a coûté une p’tite fortune ta connerie. Là, s’tu r’commence, c’sera pire : non seulement Eyl t’buteras mais en plus t’risque d’déclencher une guerre avec l’Rok. J’crois pô qu’c’est c’que t’veux, hein ? »

Si les mots de Christophe étaient censés, son ton non réprobateur mais au contraire légèrement moralisateur quoi que bienveillant, son attitude trahissait la lassitude et l’atermoiement. Le problème, lorsque l’on est le seul électron à peu près stable parmi tous ceux commandant un navire, c’est qu’il faut parfois contrecarrer les défauts et les errements de caractère les plus impétueux… Et quoi qu’on en pense, faire face à Ariana n’était point chose aisée !

« Eh bah mon con, t’as intérêt à m’suivre sur c’coup là parce qu’j’te jure qu’j’y vais, et j’vais faire un carnage. S’tu veux pô qu’ça foute en l’air ton p’tit rêve, j’s’rais toi, j’viendrais avec moi. »

Les cinq forbans malavisés, avinés et remontés, s’avançaient de pas décidés mais précautionneux en direction d’Eylohr et d’Adélina. Puisque l’endroit ne leur permettait point d’avancer de front, deux d’entre eux restaient en retrait, s’avançant moins rapidement, attendant de pouvoir flanquer d’un côté ou de l’autre la petite troupe d’Adélina. Car ne nous y trompons point : a cet instant, ces combattants étaient ceux d’Adélina… Et par extension, ceux du Rokvenha.

Lorsqu’enfin, l’écart fut réduit entre le premier et Eylohr, l’un tenta de trancher dans le vif en donnant un grand coup de haut en bas, du fil de l’épée. Un coup facile à prévoir étant donné le lieu de combat – similaire aux combats de cales entravant les grands coups de lames qui ont lieu dans les batailles rangées en Péninsule ou dans les autres contrées par exemple – et qui ne demande à Eylohr qu’un simple pas de côté. L’élan de l’homme le força à faire une grande fente vers l’avant, fente qu’Eylohr utilisa pour pouvoir contre-attaquer avec force… Sans attendre, et sans prévenir, le colosse se fit plus petit, rentra son crâne luisant dans sa nuque, porta son épaisse épaule en avant, et fonça droit devant lui en chamboulant tous les participants à ce spectacle pathétique… Les renvoyant dehors. Là, il aurait plus de place pour pouvoir les abattre…

ALa tension avait montée d’un cran dans l’échoppe. Adélina n’avait pas bougé, se contentant de soutenir le regard de l’être infâme qui venait de les menacer. D’ailleurs ce dernier ne put s’empêcher de sourire alors qu’il l’observa de haut en bas. Puis sa réplique vint, faisant glacer le sang de la nordienne. Ce n’était pas aujourd’hui qu’elle finirait entre les mains d’un tel être. D’ailleurs, cela ne sembla guère plaire à Aubry qui lâcha un espèce de grognement avant de se placer devant elle, l’arme bien au clair, dégainant même l’un des poignards ornant sa ceinture de sa main gauche. L’autre forban ne put s’empêcher de rigoler avant d'appeler les autres qui l'accompagnaient. Ces derniers ne prirent guère de temps à venir, une expression carnassière ornant leurs visages - après tout, ils n’étaient pas des membres du Second Souffle pour rien. Maintenant six contre cinq, le combat sembla déjà plus prometteur. Eylohr, quant à lui, ne perdit pas de temps, repoussant les intrus hors de l’échoppe, suivit bientôt d’Aubry et des autres forbans. Curieuse, la noble les suivirent hors de l'échoppe, armée d’un poignard, elle faisait pâle figure à côté des six hommes qui la défendait. D’ailleurs Aubry ne perdit pas de temps, se jetant sur celui qui semblait vouloir autant sa cousine. Trois autres pirates du Second Souffle le suivirent, alors que le quatrième leva le bras pour empêcher la rose d’avancer un peu plus, restant à ses côtés si l’un tentait de s’en prendre à la jeune femme. Si cette dernière ne recevait qu’une égratignure, ils savaient tous ce qui se passerait…

Tout s’enchaina rapidement. Conscient qu’un affrontement armé au cœur de cette échoppe provoquerait bien plus de dégâts que d’avantages, et, qu’en plus, il serait impossible de se battre à plusieurs de front – et Eylohr, bien que très fort, ne pourrait point encaisser les assauts de cinq forbans dopés à l’alcool et autres substances – le capitaine de l’Abyssale porta alors le combat sur le dehors. Non seulement cela protégera l’échoppe, cela permettra aussi d’utiliser cet affrontement comme symbole de protection et de force. Ainsi, quiconque désirerait s’en prendre à Adélina ou son échoppe saurait qu’il faudra en passer par les armes, et que la zone est âprement protégée.

La rapidité des évènements, la voici : tout d’abord, à peine avait-il poussé de toutes ses forces pour faire choir les cinq assaillants au-dehors de l’échoppe, qu’une silhouette plus petite mais aussi imposante que rapide, se plaça d’abord devant lui avant de prendre d’assaut le plus remonté des assaillants. Cela libéra soudainement la place au-devant d’Eylohr, qui se retrouva alors à deux pas des autres flibustiers… Chose qu’il n’avait point prévu. En effet, le premier attaquant – le plus motivé à l’idée de faire de sales choses à Adélina – devait être le premier qu’Eylohr combattrait et tuerait si besoin, de sorte à enlever toute envie aux autres, sans doute moins courageux. L’attaque d’Aubry lui enlève donc cette possibilité, et il doit faire un choix : attendre, ou attaquer le premier ?

Il choisit l’attaque. Il semble évident qu’Aubry prendra le dessus sur le meneur de leurs assaillants, aussi le capitaine se portait-il vers les autres êtres agressifs, à quelques pas de lui. L’arme déjà dégainé, il se lança à l’attaque avec hargne, colère, et dans un bruit guttural provenant du tréfond de ses entrailles, porta le premier coup. Troublés de ce tourment soudain alors qu’ils semblaient avoir l’avantage, le premier coup porté par Eylohr trouva sa victime : un bras offert en pâture. Tranchant comme la hache d’un bourreau, le capitaine trancha le bras comme un vulgaire bout de viande sur une échoppe. Hurlant, l’homme blessé porta alors la main qui lui restait sur son membre cruellement amputé avant de s’effondrer de stupeur, de colère et d’incompréhension, dans un coin du trottoir.

Le troisième, choqué lui aussi, regardait son camarade manchot avec une expression de terreur lorsque, lancé, le capitaine de l’Abyssale lui assena un coup de poing magistral dans le nez, renforcé par le pommeau de son épée. A califourchon sur lui, le pirate laissa alors exploser sa colère : les uns après les autres, les coups de poings se mirent à pleuvoir sur le visage du pauvret livré en pâture. Coup après coup, son visage se déforma sous les assauts des poings du pirate, le sang s’écoula de ses yeux, de ses oreilles et de ses narines, alors que s’épaississaient ses traits bleuissant, et que la vie quittait l’être condamné dans des râles gargouillant.

Les deux autres assaillants se ressaisirent face à cette démonstration de violence, et se jetèrent sur Eylohr. L’envoyant au sol, ils entreprirent alors de le piétiner sauvagement, trop empressés par l’esprit de vengeance de leur camarade qui gisait, s’étouffant dans son propre sang. S’ils ne réfléchissaient plus à aucune tactique à proprement parler, ils agissaient comme agit un groupe soudé : un esprit commun, dans une mission commune. Ainsi, s’ils occultèrent toute autre menace autour d’eux, et même, le monde qui les entouraient, ils n’oublieraient point de sitôt leur cible, offerte à leur merci !

C’est alors qu’arrivèrent les renforts. Christophe – dont la vision était celle d’un aigle – vit au loin l’échauffourée alors qu’il suivait Ariana de près, elle, toujours aussi remontée. Comprenant que le retard du capitaine n’était point dû à une affaire de fesses, mais plutôt une affaire de poings, il entreprit de courir pour dépasser la jeune femme colérique et fougueuse, et arriver le premier sur ce lieu de bataille. Il parvint à garder la distance entre elle et lui, et arriva au moment où les coups de pieds pleuvaient sur le corps recroquevillé d’un Eylohr qui arrivait à peine à respirer.

Athlétique, il s’élança alors dans une chorégraphie qu’il était seul à maîtriser. Dégainant son épée courte courbée venant des sables d’Estrevent, le quartier-maître d’armes sauta par-dessus une caisse qui se trouvait non loin et, dans une pirouette dont il a le secret, asséna un coup de lame tranchante dans le dos d’un des assaillants d’Eylohr. Ce dernier grogna, se redressa, et porta sur Christophe un regard malveillant et d’une profonde violence. Il attaqua aussitôt !

Et l’espiègle et glissant Christophe entreprit d’esquiver tous les coups qu’il reçut de son adversaire. Un coup d’estoc était esquivé par une roulade de côté ; un large coup de tranchant en demi-cercle était paré par la lame et une manœuvre gymnastique. Si l’endurance était une des qualités de Christophe, ce n’était vraisemblablement pas le cas de son adversaire, lequel se fatiguait bien rapidement. Lorsque Christophe trouva une faille dans la garde de l’être face à lui, il s’y engouffra corps et Souffle. Alors qu’il perçait cette défense épuisée, la lame de Christophe trouva l’aisselle gauche de son adversaire, s’enfonçant de l’estoc entre les côtes et touchant les vaisseaux sanguins principaux du corps, ceux qui sortaient directement du cœur. Saisi par le froid d’une mort à venir, l’homme ne répliqua point, et Christophe frappa à nouveau du tranchant à la gorge de l’homme, qui chuta lourdement telle une poupée de son désarticulée.

Alors qu’Eylohr allait reprendre le dessus sur son dernier assaillant – bien qu’il soit amoché par les coups de bottes et de pieds gantés d’aciers portés à son visage – et que Christophe fasse rapidement demi-tour pour attaquer le dernier assaillant, Ariana – qui avait compris elle aussi que quelque chose se produisait et avait emboité le pas de Christophe dans une course toutefois moins rapide – arriva et, sans demander son reste, dégaina ses deux lames et attaqua.

Voir Eylohr en telle position déclencha une colère que d’aucun n’avait jamais vu chez une jeune femme. Telle une créature rendue folle par une quelconque corruption de l’esprit, Ariana hurla sa colère et toute sa frustration. Son genou trouva les côtes du dernier assaillant, lequel, dans un craquement lugubre, se plia soudainement en deux sous la douleur et la fracture évidente de cette partie du corps. Enragée, Ariana poignarda l’homme à une dizaine de reprises, avant de finalement placer ses deux tranchants de lames sur la gorge du pauvre condamné qui pleurait de douleur, et de l’égorger non pas une fois… Mais deux fois… Un flot de sang rouge et noir se déversa alors sur Eylohr, toujours à terre…

Mais le combat semblait terminé. Eylohr se redressa enfin. Un œil bleuis trônait sous une arcade explosée ; sa joue droite était creusée d’une plaie profonde et sanguinolente tandis que de son crâne coulait quelques perles de sang dans un flux continu trahissant une blessure là-aussi ouverte dont il faudrait s’occuper rapidement. Instinctivement, le capitaine – dont les poings étaient eux-aussi trempés du sang de son adversaire défiguré – se tourna en direction du premier attaquant. Est-ce qu’Aubry s’en était sorti de son combat ?