Un Chant de fin des temps [PV Norne]

Début de la 2nde ennéade de Verimios
21e année du Onzième Cycle
Côtes Nord de la forêt d’Holimion

Tu n’as qu’une vague idée de ce que vous cherchiez. Aucun de éclaireurs, aucun des Voilés – pas même le Pergaën – ne sait d’où vient l’Acouphène, ni les raisons de son apparition. Tout ce qu’ils en savent, c’est ce qu’ils pensent en être les conséquences. Car c’est depuis l’apparition de l’Acouphène, il semblerait, que les Ornedhels ont abandonné leurs sentes usuelles, et c’est depuis l’Acouphène que les plus sensibles d’entre les protégés du Grand-Temple semblent de plus en plus enclins à sombrer au nihilisme.

Norne et toi aviez fait la traversée du bras de mer vous séparant du continent en compagnie d’une des patrouilles Holimones chargées du quadrillage de la côte Nord. Une aide providentielle sur le moment, car ils avaient su vous indiquer bon nombre de points d’intérêts – clairières, zones de chasse ou de cueille, ou territoires présupposés de hardes animales ou Sylvaines – de ce bout de forêt. Seulement, tu ne comptais pas les suivre dans leur ronde habituelle. Il te fallait vérifier autre chose. Et à deux, si tes soupçons étaient confirmés, Norne et toi seriez certainement plus efficaces qu’encombrés de bras supplémentaires.
Tu suspectes fortement que quelque part dans les bois du Protectorat se trouve un arbre dont les Chants ont été altérés de la même manière que ceux du pilier de Rindanim. Si c’était le cas néanmoins, alors cela voudrait dire que cette fois la corruption s’était propagée beaucoup plus vite. Beaucoup trop vite.

- Direction Tandion. tu lances ton Marchevent en avant À moins que les Chants ne nous dirigent ailleurs.

À défaut de trouver la source de l’Acouphène, rejoindre Tandion serait – presque à coup sûr – l’occasion de croiser des membres des clans locaux. Avec un peu de chance, vous arriveriez à obtenir d’eux des informations sur les raisons de leurs changements d’habitudes, et dans le pire des cas… dans le pire des cas Tandion se révélerait avoir connu un sort similaire à Rindanim. Quoi qu’il en soit, vous sauriez à quoi vous en tenir pour la suite.

- Daernettë ? tu lui souris derrière ton masque, alors que les pas de l’oiseau-coureur se calquent sur le galop de sa monture Content que tu aies accepté de m’accompagner. Il n’y a pas grand monde avec qui j’aurais été prêt de partir en exploration en binôme par les temps qui courent… et encore moins qui auraient accepté de prendre un tel risque.

Mais vous étiez deux parfaits exemples de l’excellence des guerriers des monts Norn, et conscients de l’être. Il en faudrait beaucoup pour vous arrêter, et encore plus pour vous intimider. À tes yeux en particulier, aussi compétents que soient les soldats de l’armée royale, leur habileté ne remplacerait jamais le confort qu’il y a dans l’assurance de se battre auprès de quelqu’un qui te comprends sans que tu n’aies à prononcer mot.

La tenue du moment:

Tant de souvenirs remontaient... Si loin de son foyer et de ses responsabilités habituelles, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une légère euphorie. Chevaucher ainsi sur ces terres qu'elle ne connaissait que trop peu et aux côtés d'un vieil ami la ramenait à un temps lointain, un temps où sa volonté de maîtriser ses peurs l'avait poussée à courir après chacune d'entre elles. Un jeune souffle en quête de compréhension de soi, s'immergeant sans la moindre retenue dans l'adrénaline exsudant de l'anticipation, des combats, de cette œuvre regorgeant de danger et d'épreuves à relever.

Et tant de siècles plus tard, la vieille guerrière était toujours vulnérable face à ce qu'elle craignait, mais ses peurs avaient bien changées. L’œuvre n'était plus un mystère à résoudre, et elle ne courait plus après l'excitation et la frénésie comme une adolescente naïve confondant son adoration envers sa patrie et la Mère avec celui qu'elle éprouvait envers son propre souffle.

Mais ce genre d'expéditions lui rappelait ce qu'elle avait autrefois été et ce qui même après tout ce temps, continuait de demeurer en son sein. Car si l'âge et la douleur tout comme son devoir l'avaient façonnée en l'être qu'elle était devenue, ceux qui la côtoyaient pouvaient également attester de cet éclat flamboyant et caractériel dont elle faisait parfois preuve, héritage de son passé tranchant avec le voile taciturne que le poids de la perte et des responsabilités avait fait tomber devant son visage.

Elle tourna la tête vers Artiön, croisant son regard derrière son masque. « Prends garde à tes paroles Cin', ou je vais commencer à croire que tu m'es redevable. » Elle lui adressa un sourire et força l'allure de sa monture. « Et nulle crainte à avoir, une juste rétribution sera imposée à ceux qui perturbent ce qui ne devrait l'être. Ils vont regretter d'avoir fait venir d'aussi loin les fils et filles de la Montagne. »

En réalité, elle ne savait pas vraiment de quelle nature pouvait s'avérer le danger, une constatation qui pourtant n'avait que très peu d'importance. La guerrière daranovane n'avait jamais eu ce même lien que la plupart des siens partageaient avec la Sylve, car sans même être capable d'entendre, la plupart comprenaient. Sa nature, ses caprices, sa façon de réagir et de fonctionner, elle n'avait fait que l'apprendre par l'expérience et via ceux qui bien plus liées à elle, avaient tenté de lui expliquer. Mais sa compréhension de l’œuvre se limitait à des faits concrets et à tout ce qui pouvait menacer de près ou de loin son véritable rôle à elle, celui de protéger et de préserver.

Alors, en ces terres peu familières en proie à un mal inconnu, elle laissait presque inconsciemment sa nature militaire prendre les devants, la lueur étincelante du courage chassant immanquablement la noirceur qui étreignait les souffles. Artiön était ici pour comprendre et agir si nécessaire, son rôle à elle était simplement de veiller à ce que rien ne puisse l'entraver ou le perturber. Sa responsabilité, sa mission, la raison même de son existence, épargner aux siens la douleur et sacrifier sa vie si nécessaire pour préserver la leur. Et il n'existait nul mal capable de la détourner ne serait-ce que d'une once de son devoir.

Une juste rétribution… tant l’expression que l’assurance de celle qui la prononçait t’arrachent un sourire derrière ton masque. C’est que tu oublierais presque, après avoir été marqué comme tu l’es par le Culuvai que ta manière d’appréhender le conflit n’a rien d’exceptionnelle. Au contraire plutôt, est-elle exceptionnelle de par sa réserve en comparaison avec un peuple bien plus prompt que toi à escalader les antagonismes. Et là-dessus, tu ne peux pas leur en vouloir. Sur bien des points le monde leur donnerait raison. Faire preuve de trop de patience vous aura mainte fois cher coûté.

L’Acouphène, tu en as bien peur, est cependant lui loin d’être le fruit de trop de flegme. Le Chant tordu est tout sauf cela. Dérangeant, certes. Inconfortable, même. Anxiogène, peut-être. Mais galvanisant malgré tout.
Malgré le Labyrinthe, et malgré les enseignements des Lirfelû, ta surdité d’avant la Longuenuit te fait du ministère de Liltalaïma quelque chose d’encore mystérieux. Tu n’as pas le talent des Ornedhels pour en interpréter les signes. Ta pleine empathie avec la forêt est encore trop jeune pour te permettre de correctement les déchiffrer. Tu manques encore de repères et de points de comparaison… et pourtant te voilà à te laisser guider par l’Ouïe.

- Qu’est-ce que… tu lances ta monture à la quasi perpendiculaire de votre route ’Nettë ! Viens voir !

Tu t’arrêtes, et d’un air circonspect, observes un spectacle somme toute bien rare au sein de votre forêt. Des dizaines de petites créatures colorées fourmillent au sol, et crachent leurs dernières étincelles avant de redevenir noires comme la nuit, et s’élancer à nouveau là d’où elles sont apparemment venues.

- Plus qu’à remonter la piste on dirait.

Sans surprise pour toi, il vous faudrait plus d’une heure pour remonter la colonne de Noiraudes. Là où vous aviez croisé leurs traces, tu ne percevais aucune perturbation de la trame. Et en prenant la direction de leur origine, il t’avait fallu du temps avant de ressentir la moindre étrangeté. Lorsque tu t’étais retrouvé à portée cependant, la décharge arcanique t’avait presque fait l’effet de coup de fouet, seulement rien n’égalait le constat fait par vos propres yeux.

Un immense golem de pierre, accompagné d’une cohorte de fées, frappait de toutes ses forces les restes d’une large souche infestée de champignons. Étrange spectacle que celui d’Anaëh luttant contre Anaëh, car les éclats d’écorce et les traces de sève couvrant ce qui sert à la créature minérale de poings laissent peu de doutes à la nature des événements. La souche sur laquelle il s’acharne est ce qu’il reste d’un arbre qu’il a abattu vivant.