Malgré la gravité de la discussion sur laquelle tu avais abandonné Daernettë la veille, tu t’étais levé de bonne humeur ce matin. Peut-être étais-ce parce que l’invariable sécheresse des échanges que tu avais ensuite eu avec Maltlin t’avait remis un peu de plomb dans le crâne. Peut-être étais-ce parce que tes enfants t’avaient offert une fort agréable soirée, suivie d’une fort agréable nuit en compagnie de ton épouse. Peut-être étais-ce une combinaison des deux. Mais le résultat était là. Tu étais de bonne humeur, gonflé à bloc, et c’est tout ce qui comptait.
Qui te regarderais maintenant, cependant, n’en aurait probablement aucune idée. Tes sourcils froncés, ta mâchoire serrée, et ta peau à la fois frissonnante, rougie, et couverte de sueur peignent une toute autre image. Au sol à côté de toi gisent les restes d’une tunique sans manches, dont les dimensions rendent évident le fait qu’il s’agissait de la tienne. Les restes, car imbibée de transpiration et négligemment froissée, il était évident qu’elle ne serait plus qu’un vulgaire chiffon jusqu’à son prochain lavage.
Neuf
Le léger couinement de la barre de métal, ployant sous la masse amoncelée à ses extrémités, te paraît une véritable cacophonie. Tes respirations longues et méthodiques se veulent optimiser l’engagement de ta sangle abdominale. Tes épaules te brûlent. Ton dos te brûle. Même tes fessiers et tes jambes – ancrés dans le sol comme jamais ils ne l’ont été – te brûlent. Ta poitrine quant à elle… tu la sens à peine. Tu ne la sens plus, parce qu’autrement, ton corps aurait certainement refusé d’aller au bout de l’effort. Tu joues avec tes limites, un jeu auquel tu es devenu bien trop bon pour abandonner maintenant. Dans un râle silencieux, tu presses, et au bout de ce qui te paraît avoir été une éternité, tes bras finissent par arriver jusqu’au bout du mouvement.
Dix
Puis la barre redescend, et juste avant qu’elle ne touche ta poitrine, quatre elfes autour du banc s’empressent de venir te libérer. D’abord tu t’assieds, en nage mais souriant, les félicitations sonnant autour de toi comme les échos de paroles indéchiffrables rebondissant contre les parois d’une grotte engloutie. Et tu clignes des yeux dans le vide, espérant nettoyer les brumes floutant ta vision. Il te faut bien une minute ou deux pour revenir à toi, mais à peine as-tu émergé que tu te lèves, et fais quelques pas tremblotants en direction de celle à qui, la veille, tu avais fait une promesse.
- Presque une demi-tonne ! Et dix fois ! les mains sur les hanches, tu contractes l’un après l’autre tes pectoraux gonflés et rougis par l’effort, l’air fier Pas mal le Cintanno ? Qu’est-ce que t’en dis ?
Ton regard va un instant à tes cuisses, se remettant elles aussi à peine de la performance qu’elles avaient livré quelques dizaines de minutes auparavant. Puis tes yeux retrouvent ceux de Norne, et le coin gauche de tes lèvres se soulève.
- Dommage que vous manquiez de barres assez solides pour que je pousse un peu plus mes cuissots. tu frappes l’une de tes cuisses du plat de la main Ça c’est le signe qu’il faudrait que je passe plus souvent, ça !