Payer le prix de nos choix [Aslan]

Un jour de la neuvième énnéade de Verimios, 21XI
Thaar - Les soieries

Arrivé devant la grande demeure Al Cabir, un enfant messager comme la cité en compte des milliers s’arrête devant le portail de l’entrée. Sans chercher à entrer, ni même à se faire remarquer, il se contente de fouiller dans sa lourde sacoche pleine à craquer et finir par déposer un minuscule bout de papier de façon à ce qu’on le reçoive bien. Et puis, une fois que, de loin, il perçoit un garde se saisir du papier l’air incrédule, il part en courant sans même chercher à obtenir paiement du destinataire de la missive.

Le message inscrit y est lapidaire. Il n’y a ni date ni même signature de l’inconnu qui à bien pu le rédiger. C’est étrange, car les boucles laissent pourtant penser que la main qui à rédigé cela s’y est appliquée, paradoxalement au choix du support qui à tout l'air de ne pas être de première fraicheur. D'ailleurs, le papier sent le tabac froid.

En tout cas, aussi obscur semble-t-il être, le message est probablement pourtant très clair pour l’intéressé a qui le garde ne manquera pas de le transmettre.

Aslan Al Cabir,
Le cinquième jour de la première ennéade de Karfias, levé de soleil. L’entrepôt au toit bleu et aux murs peints sur le port. Vient seul ou ne vient pas.
Tu n’auras qu’une chance.

Aslan s'arrête au beau milieu de la rue.

Le bâtiment est là. Un entrepôt au toit bleu. Du fait des activités de sa famille auxquelles il était associé fut un temps, il connaît un peu le port et sait parfaitement où il se trouve. Il observe néanmoins les lieux, détaillant la bâtisse, cherchant des signes de mouvements à l'intérieur comme dans les alentours. Il ne craint pas vraiment pour sa vie, Viliam n'est pas un tueur de sang froid, mais il préfère se préparer malgré tout. Enfin, il suppose que le message vient bien de lui. Si un ennemi des bas quartiers avait dû s'en prendre à lui, il n'aurait pas attendu un an...

Le guetteur a rempli toutes les conditions et plus encore. Loretta est la seule à savoir où il se trouve, le garde lui ayant apporté le mot dès qu'il a vu son nom, sans faire de détour et sans rien dire à personne. Une chance... Sinon, tout le Guet rôderait aux alentours. Cependant, il n'a pas pu tenir son engagement et emmener sa fausse petite amie avec lui pour cette rencontre... Viliam ne lui fait pas confiance et il ne lui a pas donné -assez- de raisons de le faire non plus... S'il venait accompagné, même avec quelqu'un d'aussi inoffensif que Loretta, il y a fort à parier qu'il ne se montrerait même pas. Et il faut que tout cela cesse. Que tout revienne à la normale. Un souffle nouveau est arrivé dans sa vie et il veut la reprendre en main, sans plus se contenter d'attendre. Ce qu'il ne peut pas faire tant qu'il a les souvenirs du bandit dans le crâne. Ce qui les met tous les deux en danger.

Vêtu d'une veste courte et de chaussures qui atteignent tout juste la cheville, il y a bien peu d'endroit où il pourrait dissimuler une arme. D'ailleurs, il n'en porte pas. Ce n'était pas une exigence de son hôte mais il tenait à montrer patte blanche. Et Viliam n'est pas censé savoir que sa spécialité est de récupérer les armes de ses adversaires... Mais il espère qu'il n'en aura pas besoin aujourd'hui.

Finalement, Aslan s'avance dans la nuit assombrie par les nuages qui masquent la lune et la Silène. Il ne cherche pas à se faire plus discret que nécessaire. Il pousse la porte et referme derrière lui avant de s'avancer à l'intérieur du bâtiment d'un pas prudent, cherchant des signes de vie et, dans le cas contraire, progressant au hasard de son intuition ou des indications qui pourraient avoir été laissées à son attention.

L’espace que quelques dizaines de secondes, le silence régna sur l’entrepôt, à peine interrompu par les pas lents du soldat. L’endroit ne payait pas de mine. C’était visiblement un bâtiment abandonné à en croire le quelque maigre mobilier laissé çà et là dans un espace étrangement vide. Mais sans doute aussi Aslan, guetteur qu’il était, devait-il se douter que l’endroit avait dû être le théâtre de quelques négociations malgré l'apparente inactivité. Il y avait d’ailleurs deux chaises, réunies stratégiquement au-dessus d’un grand trou dans le toit, qui laissait passer les rayons des lunes et qui savaient ce dont elles avaient été témoins ?

-J’aurais parié que tu ne viendrais pas seul.

La voix qui résonna n’était pas celle de Viliam.

Ren se laissa apercevoir, perché sur une petite plateforme en hauteur, jusqu'ici dans l'ombre. D’un bond, l’élégant bandit fut soudain devant le guetteur, qu’il ne put s’empêcher de toiser un instant. S’il reconnut l’homme qu’il avait pu croiser, dans sa lointaine jeunesse, il n’en dit rien.

Par ailleurs, était-il seul, lui, rien n’était moins sûr. Mais si d’autre membre de l’Aile blanche se cachaient dans les ombres du grand bâtiment, ils n’avaient visiblement pas l’intention de se découvrir de sitôt et Ren n'en laissa passer aucun indice.

-Tu vas me suivre, et tu auras ce que tu veux, aux condition qu’on te présentera. Mais je te prévient. Froid, Ses yeux clairs s’animèrent ensuite d’une rare colère. Au moindre coup bas, je n’aurais pas autant de pitié que Viliam.

Il sortit un cordage de sa poche. Visiblement, il n'avait pas de temps à perdre.

-Tend tes mains.

-Et moi, que tu serais là... Au moins, l'un de nous aurait gagné. Répond Aslan à la voix qu'il a reconnu instinctivement. Mais ce n'est pas du fait de ses propres souvenirs... Il a quitté un adolescent et c'est un homme qui lui parle à présent. Non, c'est la mémoire de Viliam qui est à l'oeuvre ici. Mais cela ne fait pas remonter de douloureux souvenirs au moins.

-Renalt. Le salue-t-il lorsqu'il se tient finalement devant lui et alors qu'il n'a pas bougé d'un iota pendant qu'il atterrissait à quelques centimètres de lui. S'il imagine qu'il se peut pas avoir oublié sa famille, le spiritualiste sait qu'il aurait pu le reconnaître sans l'incident de l'année passée. Ses souvenirs sont un peu vieux mais il y a des choses qui rendent l'ancien héritier Leyal'nen reconnaissable...

Le guetteur passera sur le fait que le bandit a failli avoir raison. Ce n'est pas le bon moment... Pour l'instant, il faut qu'il rencontre le chef de l'Aile blanche, c'est tout ce qui importe. Quant à "ce qu'il veut", il n'est pas certain qu'ils pensent à la même chose. Il a fallu du temps à l'ancien esclave pour prendre contact avec lui et il ignore pourquoi exactement. Alors, est-il vraiment d'accord pour le laisser remettre de l'ordre dans tout cela, malgré ce que cela signifie ?

-Si tu veux t'assurer qu'il n'y aura pas de coup bas, ne te contente pas de ma parole. Dit-il en lui tendant un mouchoir fermé tel un minuscule ballotin. Tu veux bien garder ça pour moi ? J'en aurai besoin.

Il ignore si Ren est sensible à la magie mais en tout cas il ne tente rien contre lui en cet instant. Il sait qu'il est spiritualiste et il est facile de savoir que les mages ont besoin de focaliseur si on s'intéresse un tant soit peu au sujet. Il peut donc facilement imaginer ce que contient ce sachet et il peut bien vérifier s'il le souhaite. Si le bandit accepte, Aslan n'aura rien d'autre à demander et acceptera tout ce qu'il lui demandera. Il peut l'attacher et même lui bander les yeux et lui boucher les oreilles... Il s'en moque.

-Ren. L’avait-t-il corrigé par réflexe.

Personne ne l’appelait Renalt. Pas même Viliam. Ce nom était mort il y avait bien des années, lorsque l’adolescent avait quitté pour la dernière fois de sa vie les murs de sa confortable demeure. L’adolescent aussi, était mort depuis longtemps. Aussi Ren faisait-il de son mieux pour occulter complètement ne serait-ce que l’idée que le guetteur en face de lui avait autrefois croisé son chemin.

Il se saisit du petit sachet de fortune, visiblement dubitatif, et il eut l’air surpris en y découvrant le bracelet de perle qu’il observa sous toutes les coutures.

-Alors c’était donc ça…

Aslan ne put sans doute comprendre cette remarque, qu’il fit plutôt pour lui-même. Mais sans doute put il malgré tout observer une lueur de compréhension passer dans le regard du bandit. Cela faisait des énnéades que Viliam lui demandait régulièrement ce qu’il avait bien put faire de cet objet, ou bien encore se mettait-il a machinalement le chercher, parfois sans même vraiment s’en rendre compte ni pouvoir expliquer précisément d'où venait cette soudaine pulsion. Ren s’en était d’abord agacé, avant de s’en inquiéter. Puis le temps passant, il avait fini par ne plus s’attendre à trouver une réponse à ce nouveau mystère. Et finalement, elle était là devant lui, la réponse.

Finalement, il fourra l'objet dans une de ses poches sans plus de ménagement, et, décidé, lia les mains du soldat. Il s’attendait presque à ce que ce dernier se rebiffe, mais ce ne fut pas le cas. Comme ce ne fut pas plus le cas lorsqu’il lui banda les yeux et cela le plongea dans une perplexité qu’il ne verbalisa pourtant pas.

-Laisse toi guider. Fit-il ensuite certes sans chaleur, mais sans plus de brusquerie non plus.

Ren lui indiqua de se mettre en marche d’une pression de la main sur son omoplate. Dans un silence de plomb, leurs pas résonnèrent sur le sol du bâtiment vide, puis ils en sortirent, le vent battant avec violence leurs visage.
Là, le temps sembla s’allonger à l’infini. Ren fit marcher Aslan sans dire mot ni lui donner aucune autre indication que quelques touches de la main lorsqu’il voulait le faire tourner dans une direction ou une autre ou bien s’arrêter l’espace de quelques secondes. Après le vent, c’est la pluie qui s’abattit sur eux, sans que rien ne semble changer.

Le guetteur ne s’en rendit peut être pas compte, mais plus d’une heure s’écoula ainsi à marcher sans relache.

-Attend. Finit par s’élever à nouveau la voix du bandit.

Et à nouveau, le silence, à peine le son de pas dans la neige qui s’éloignèrent…puis revinrent. Et le manège de recommencer. Ren poussa à nouveau son prisonnier. Le sol meuble sous leurs pas devint rapidement de la pierre. Une nouvelle pression, le guetteur fut invité à s’asseoir sur le sol dur et froid.

Un feu crépitait quelque part. Et l’endroit, quel qu’il fut, sentait légèrement le tabac. Un étrange bruit d’aile claqua aussi dans l’espace certainement confiné. On entendait aussi, plus lointain, le son de gouttes d'eau qui tombaient régulièrement.

Ren lança un rapide coup d’œil à son ami, recroquevillé dans un coin de la petite grotte, bien éloignée de la ville. Viliam ne disait rien, et fixait simplement l’homme qu’on lui avait amené, caressant d’une main la tête de son dräke posé à ses coté et qui, lui aussi, détaillait avec attention l’intrus. 

Difficile pour le blond, d’imaginer quelles pensées exactes passaient derrière le regard fatigué du chef de l’Aile Blanche, mais il se doutait bien qu’il n’était pas là de gaité de cœur. Pourtant, Ren ne l’avait forcé en rien. C’était Viliam seul, qui avait pris la décision d’accéder à la requête du guetteur.

Ce dernier laissa finalement échapper un soupir, révélant sans doute enfin sa présence à leur invité. Il prit une inspiration, se leva pour venir s’accroupir devant le guetteur. Une dernière hésitation, avant qu’il ne lui ôte son bandeau, d'un geste.

Alors pour la première fois depuis une année entière, leurs regards se recroisèrent.

Il y avait une colère indicible dans les yeux du semi elfe, faisant paraitre bien douce l'expression qu'avait eut son compagnon lorsqu'il avait menacé le guetteur.
C'était la colère de quelqu’un qui, encore silencieux, sans aucun geste de vengeance, faisait pourtant face à son ancien tortionnaire.

Aslan n'oppose pas la moindre résistance, ne cherche pas à se défiler ni à alerter qui que ce soit. Il est vigilent sur la façon dont il pose ses pieds sur le sol mais aussi à bien les lever pour éviter les petits objets qui traînent. Cela lui est d'ailleurs bien utile lorsqu'ils quittent les rues de terre battue pour se retrouver en pleine nature. Si la neige perturbe un peu ses sensations, il y a une chose qui ne le trompe pas : les bruits alentours. Il n'y a plus ni voix, ni musique, ni porte qui claque... Mais le son de ses pas ne résonnent plus entre les murs. Ils s'évaporent dans leur environnement et il sait, sans le voir, qu'ils sont dans un espace plus ouvert qu'en partant.

Ren le fait s'arrêter et il obéit. Il ne bouge pas d'un iota tandis qu'il s'éloigne et ne semble même pas chercher à savoir où il se trouve. Ils sont sans doute arrivés, ou tout proches de l'être. Aussi n'est-il pas surpris de sentir que la neige disparaît sous ses pieds et qu'on le fait s'asseoir.
Le silence s'installe, seulement perturbé par des bruits nouveaux qui lui indiquent bien vite dans quel genre d'endroit il se trouve. Il meure d'envie de porter ses mains liées à son visage pour retirer son bandeau mais s'abstient. Il fait preuve de bonne volonté jusque là, il ne doit pas tout gâcher maintenant. Sa curiosité doit se taire...

Un soupir.
Aslan tourne légèrement la tête. Ce n'est pas par là que s'est posté Ren, il en est sûr. Viliam est là ?! Alors c'est qu'ils n'étaient pas en train de l'attendre... Il l'observait. Le guetteur ne peut qu'imaginer ce qui lui passe par la tête en cet instant précis... Pourtant, le Sergent ne lui a fait aucun mal, le bandit n'a ressenti aucune douleur. Mais il a vécu cette expérience comme la pire des intrusions.

Enfin, le bandeau est retiré. La lumière du feu pique un peu les yeux du guetteur qui étaient clos depuis plus d'une heure. Cela lui passe assez vite et il parvient à discerner le visage de celui qui le fixe avec une intensité rare. S'il ne veut pas le tuer, il ne lui veut certainement pas du bien... Et c'est à se demander comment il a pu accepter de le revoir et qu'ils revivent -en partie- cette expérience qui l'a tant marqué.
Viliam semble fatigué mais Aslan ne saurait dire si c'est dû à ses souvenirs qui l'assaillent tout comme lui ou s'il y a autre chose. Il y a tellement de sujets qui pourraient faire perdre le sommeil au cofondateur de l'Aile Blanche. Le Sergent aussi a les traits tirés et sa carrure est un tout petit peu moins épaisse que l'an passé car il manque d'énergie pour l'entretenir. Il n'est donc clairement pas au meilleur de sa forme... Mais il ne se plaint pas. Assis devant le bandit, il ne dit rien. Que pourrait-il dire ? "Salut, ça fait un bail ! T'as pas pris une ride !" ? Au moindre mot, la rage dans les yeux de l'ancien esclave pourrait déferler sur lui. Alors il n'ouvre pas la bouche, se contentant de soutenir son regard avec calme et humilité. Il n'est pas en position de force et n'a de toute façon aucune raison de ressentir la moindre fierté. Que ce soit aujourd'hui ou pour l'année écoulée. Il a obéit aux ordres, il l'assume, mais il aurait préféré que cela se passe autrement. S'il n'approuve pas Viliam, il ne le classe pas dans la catégorie des salopards sans foi ni scrupules. Il ne méritait pas qu'on le détruise de cette manière... Et, quelque part, il est heureux qu'il est pu s'enfuir avant qu'il n'ait le temps d'agir.

Quelques secondes de plus s’écoulèrent sans que la moindre parole de résonne. Viliam toisait cet homme qui se tenait là, passif, littéralement à leur merci. Pas la moindre résistance n’était venue de sa part, ni maintenant, ni pendant tout le long du trajet. Et à présent qu’il risquait tout, il n’y avait même pas de quelconque forme de rancœur dans le regard qu’il lui lançait. Si cet homme avait été fier, revanchard, prompt à se débattre il aurait compris. Mais là rien. Rien que le même épuisement dans ses yeux, que le siens.

Il aurait pu le tuer là, sur le champ. Qui l’en aurait empêché ? Ren ? Et puis après ? On l’accusait déjà de tellement de crimes. La disparition d’un guetteur n’en serait qu’une goutte dans un océan glacé. Il n’avait pas grand-chose à faire, l’homme était désarmé. Un simple couteau, comme celui nonchalamment posé près du feu qui craquelait, qui avait servi à la découpe de quelques morceaux de viande. Un geste précis et l’objet de tant de ses démons s’en irait à Tyra.

D’ailleurs, il se rappelait nettement cette menace qu’il lui avait fait, un an plus tôt, lorsque que c’était lui qui était pieds et poings liés. Comment oublier la profonde humiliation, la douleur et la peur. La peur panique, qui ravageait tout son Souffle. Il n’avait pas oublié non plus les suppliques, ignorées. Viliam n’avait oublié aucun instant de ses trois jours de torture. Et lui, s'en souvenait-il ou bien avait-ce été rien de plus qu'une journée supplémentaire de sa vie ?

Et pourtant. Pourtant. Pourtant, pas plus que le guetteur il ne fit le moindre mouvement trahissant la violence. Il se contenta de l’observer, le toisant de légèrement plus haut.

Il s’était imaginé ce face à face de bien nombreuses fois, des centaines voire des milliers de fois. Il en avait rêvé, des nuits durant. Il en avait imaginé chaque paroles potentielles, ce qu’il ferait surement, ce qu’Aslan dirait. Et aucune de ses angoisses ou de ses fantasmes les plus inavouables ne prenait vie ici et maintenant.

-Ce que tu as pris, et ce que tu as brisé, rien ne pourra jamais le réparer. Finit-il par dire. C’était un constat simple, sans colère, ni tristesse. C’était ainsi point final. Il secoua la tête. Mais tu n’es pas là pour ça. Tu n’es pas là pour un quelconque pardon et de toute façon nous savons tous les deux que je ne pourrais jamais te l’accorder.

Parfois, il rêvait encore de la bibliothèque.

Il ferma les yeux.

Pas la moindre violence. L’homme qu’il voulait être valait mieux que cela. Tuer cet homme ou bien même simplement lui faire du mal n’apaiserait jamais l’insatiable cycle de la violence qu’il refusait de nourrir depuis des années. Aucune de ses souffrances personnelles ne se résorberait jamais devant une mare de sang provoqué par sa propre lame.

Combien d’hommes, de jeunes voire d’enfant avait-il enjoint à renoncer à cette vengeance qui lui susurrait aujourd’hui à l’oreille ?

-Tu ne comprendra jamais ce qu’il m’en coute. A nouveau, le ton du constat, mais qui ne souffrirait pas d’une contradiction. Le guetteur n’en avait pas le droit. Il replongea son regard vers l’autre. Mais je suis prêt à te donner une chance. Juste pour que tout ça s’arrête. Regain d’un dernier sursaut de fierté dans son regard sombre, il releva le menton. Là, genoux pliés, au beau milieu de rien de mieux qu’une grotte humide et étroite, engoncé dans d’épais vêtement qui le retenaient à grand peine de frissonner, il eut pourtant à nouveau, l’espace d’un instant, l’air du bandit fier et à l'esprit indomptable qui avait tenu tête vingt ans durant au guet de Thaar. Mais ça ne se fera pas sans conditions. Est-tu prêt à les entendre Guetteur ?

Le pardon ?
Viliam a raison, il n'est pas venu pour cela. Il sait évidemment que l'ancien esclave ne lui accorderait jamais mais il n'avait de toute façon pas l'intention de le lui demander. Il a fait son travail. Qu'il émane d'un ordre ou d'une initiative personnelle n'y change rien. Qu'il ait été dégoûté de son propre geste au point d'avoir renoncé à le poursuivre pour le compte du Guet ne compte pas non plus. Ce qui est fait est fait et il ne peut plus rien y changer. Et il n'a pas l'intention de se dédouaner de ses propres responsabilités. Alors non, il n'a jamais été question de s'excuser ou de lui demander son pardon. Il n'éprouve pas de remord, même s'il aurait souhaité que les choses se déroulent différemment.

Aslan ne dit toujours rien, laissant son interlocuteur achever de se débattre avec ses propres démons, comme il le fait depuis qu'il est arrivé dans cette grotte. Il se contente d'écouter et d'observer, privé de son autre sens dont la clef se trouve encore dans la poche de Ren qui reste à distance d'eux.
Alors que Viliam aborde le sujet de leur rencontre, il comprend que lui aussi souffre d'effets secondaires suite à l'incident survenu pendant son évasion. Il n'était pas tout à fait certain que ce soit le cas... Cela dépend de tellement de facteurs que le bandit aurait pu tout aussi bien ne se rendre compte de rien. Il pourrait n'avoir reçu que des copies de sa mémoire et ne pas réaliser que lui possédait des souvenirs sans lien avec son propre passé, les voyant comme des rêves oubliés. Cela pouvait n'avoir aucune conséquence pour lui comme... Être au moins aussi douloureux que ça l'est pour lui, avec une difficulté supplémentaire : celle de ne pas être un mage.

Evidemment, Viliam n'accepte pas sans prendre de mesure, et c'est bien normal. Il accepte et c'est déjà beaucoup. Quant aux conditions qu'il veut lui opposer, Aslan est prête à les suivre mais il doit malgré tout s'assurer qu'elles sont raisonnables et réalisables. Lui rendre ses souvenirs sans toucher à son esprit du tout lui serait impossible par exemple. Même s'il a déjà réfléchi à une alternative depuis le temps. Aussi se montre-t-il aussi ouvert que prudent face à ses demandes.

-Je t'écoute. Se contente-t-il de répondre sur un ton posé.

De son coté, Ren écoute l’échange d’une oreille attentive, et en même temps il observe un peu l’extérieur de la grotte, histoire d’être certains qu’ils n’ont pas étés suivis. Il tourne un peu en rond et piétine, comme impatient. Viliam le regarde un instant, se doutant à son tour de ce qui doit traverser son esprit. Si son visage se veut neutre, il ne connait que trop bien son frère pour savoir que le blond s’inquiète presque autant que lui de la suite des évènements. Mais ils n’ont pas vraiment le choix, tous les deux le savent.

Aussi Viliam finit par s’en retourner au prisonnier.

-Voilà ce que je te propose : Tu veux te débarrasser de mes souvenirs et récupérer les tiens. Soit, mais je ne te laisserais pas…"entrer" dans mon esprit et y faire ce que tu veux.

A nouveau le ton ne souffre pas de possible contradiction mais il semble avoir du mal à mettre des mots sur l’expérience et il est évident, encore une fois, qu’il en éprouve un fort dégout.

-C’est toi qui me laissera la possibilité d’effacer de ton propre esprit ce que tu as volé au mien, à ma manière et selon mes termes. De cette manière, Viliam sera sûr et certain que le guetteur ne saura plus rien de lui. Pour le reste, pour…tes souvenirs. Je te les rendrais, dans les même conditions si tout se déroule bien. Mais c'est moi qui mène la barque à chaque étape. Ren retient un grognement de là où il est, croisant juste les bras et pensant tellement fort qu'il sera là pour surveiller et qu'au moindre cris de la part de son ami, un coup partira, que tous comprennent sans doute le message, sans magie à l’œuvre. Mais tu vas aussi faire quelque chose pour moi en échange. Il lève un doigt. Tu n’es pas sans savoir les rumeurs qui courent, et ne jouons pas aux cons, on sait tous les deux que je ne suis pas le coupable du meurtre de Maralina. Fait-il. Je veux que tu m’aide à rétablir la vérité. La personne que vous recherchez n'est pas un de mes homme non plus. C'est une femme autrefois au service de Maralina. Ou est-ce qu’elle est actuellement je l’ignore, elle a probablement fuit et tant mieux. Mais tu vas diffuser le message à tes camarades et en dehors. Les gens entendrons que le guet s'est trompé et nous accuse injustement de ce meutre. Sommes nous d'accords ?

Aslan écoute attentivement les conditions posées par Viliam. La toute première ne l'étonne pas et c'est un point pour lequel il a déjà une réponse à lui donner qui devrait lui convenir. Pour le reste en revanche... Les deux bandits peuvent lire sur son visage le doute qui s'empare de lui et la réflexion qui s'ensuit mais aussi l'embarras dans lequel cela le plonge. Il lui fait des demandes qui, de primes abords, semblent irréalisables. Et, même en laissant les secondes s'écouler, il ne voit toujours pas comment il pourrait s'y conformer.

-Pour ce qui est de ne pas entrer dans ton esprit, j'y avais déjà songé et j’ai réfléchis à une solution. Nous pouvons nous rendre quelque part entre nos deux esprits. Donc pas plus dans le tien que de le mien. Et tu pourras cacher le tien de la manière qu'il te plaira... Un rideau, un mur, un rempart même, je ne t'en empêcherai pas et je n'essaierai pas de passer outre cette barrière.

Ainsi, il n'aura pas accès à ses souvenirs... ni à rien de ce qui se trouve dans sa tête. Donc pas d'idées ou d'émotions qui viendraient trop en livrer sur lui.

-Quant à effacer tes souvenirs toi-même, c'est impossible. Commence-t-il avant de s'expliquer aussitôt afin de tenter d'apaiser la colère qu'il sait avoir animée chez son interlocuteur. Il faut être spiritualiste pour pouvoir manipuler quoi que ce soit dans l'esprit de quelqu'un et tu n'es même pas sensible à la Trame... Tu n'as pas les capacités nécessaires.

Viliam comprendra-t-il que ce n'est pas qu'il ne veut pas... Mais que c'est lui qui ne peut pas faire ce qu'il demande ? Il le saura bientôt. Mais il doit proposer une alternative. La seule réalisable sans l'implication d'une autre personne. Et, à vrai dire, effacer de son esprit toute trace de ses souvenirs n'est pas une mauvaise idée pour lui non plus.

-En revanche, je peux te donner une excellente raison de tout effacer pour moi aussi... En espérant que cela te convaincra de mon honnêteté quand je t'assure que je m'en occuperai moi-même. Si j'avais mêlé le Guet à mes recherches, tu aurais pu être débusqué depuis longtemps. Mais je ne les ai pas informés de la situation. Je ne voulais pas livrer le contenu de chaque souvenir bloqué dans mon esprit, cela aurait impliqué des personnes innocentes qui auraient pu être malmenées pour obtenir des réponses. Si j'avais demandé à pouvoir faire le tri entre ce que je livre ou non comme information, cela aurait pu ne pas m'être accordé ou mes supérieurs auraient fini par perdre patience de toute manière, ce qui m'aurait jeté entre les mains d'un spritualiste bien plus puissant que moi et je n'aurai pas eu alors plus de valeur que les dossiers de parchemins noircis d'encre avec tous les éléments recueillis sur ton sujet. J'aurai perdu l’estime de tout le Guet et ma place... Ce qui peut encore arriver si on découvre que l'incident lors de ton évasion ne m'a pas seulement occasionné des maux de tête qui me rendent inapte au service. Et tu n'es pas sans savoir que notre Commandant est un spiritualiste qui n'a pas mes scrupules... ni mes croyances religieuses. Tout effacer me protègerait autant que toi et le reste de l'Aile Blanche. Je peux commencer par effacer chaque souvenir à mesure que je te les rends avant de modifier ma propre mémoire pour faire en sorte de ne garder que les épisodes de douleurs, sans leur rattacher la moindre cause comme raison de mon inaptitude au travail, et me faire oublier tout ce qui pourrait me convaincre qu'il y avait autre chose... Pour me persuader que c'était le seul motif de mon absence.

Ainsi, lui aussi à des choses à perdre si on découvre ne serait-ce que des bribes de souvenirs. A savoir : tout. Un Guetteur considéré comme un traître perdrait son travail mais sa liberté et même sa vie sont aussi en jeu. Gorben est loin d'être un tendre et Aslan l'évite autant que faire se peut car il a bien du mal avec sa vision des choses. Lui ne respecte pas les préceptes de Néera et n'a pas la moindre compassion pour les autres. C'est un être qui peut se montrer cruel et sans cœur... Prudent, il préfère autant ne pas lui laisser le plus petit os à se mettre sous la dent ou il sera perdu.

-Quant à la suspicion de meurtre, tu me l'apprends. Je me tiens à l'écart du Guet depuis un an pour me protéger... Il serait étrange que je débarque avec une nouvelle théorie dès mon retour. Une théorie qui te disculperait alors que tu es la raison de mon invalidité. De plus, si je dois repartir au travail, il vaut mieux que j'ai tout effacé de toi au préalable. Ce qui veut dire que j'aurai oublié tout ce que tu viens de me dire...

Il ne proteste pas : il réfléchit à voix haute. S'intéresser à une affaire qu'on ne lui a pas confiée ne serait pas étonnant, il est connu pour se laisser porter par sa curiosité, où qu’elle le conduise. Il a un tel besoin de comprendre ce qui lui échappe que son Lieutenant et son Capitaine lui ont lâché un peu la bride sur le choix de ses enquêtes. Cependant, il y a des limites à la logique de ses actions et on pourrait se demander pourquoi il cherche à disculper Viliam d’entrée de jeu plutôt que d’en profiter pour chercher à le retrouver avec plus d’appuis encore qu’avant.

-Sans compter que… j’ai l’intention de ne plus me mêler des enquêtes qui te concernent pour ne pas avoir à revivre tout ça… Si j’y déroge dès le début, je ne pourrais plus revenir en arrière… Conclut-il, véritablement embarrassé par cette idée.

Une lueur de colère brilla à nouveau dans les yeux du bandit, comme le guetteur l’avait pressenti.

-Ce que tu ne comprends pas. Aslan Al Cabir. Répondit-il. C’est que je te présente aujourd’hui, c’est pas un choix. Le choix de t'interposer dans cette histoire, tu l’a fait le jour où tu m’as fait enchainer à cette foutue table. Il serra les dents. Honnêteté ou pas. Envie de le faire ou pas. Remord. Ou. Pas. Tu l’as fait. Appuya-t-il ses mots, une rage sourde déformant son visage. Et là tu oublierais tout, table rase, pendant que moi je paie les pots cassés ? Pendant que je ne dors plus la nuit par peur de revivre tout ce merdier. Pendant que je vie tous les jours avec l’idée que le seul sanctuaire qu’il me restait, la seule chose de mon Souffle damné qui m’appartenait encore tu l’as pris et tu l’as pillé, sans aucun égard pour mon intimité. Crache-t-il presque, alors que pourtant, sa voix n’est qu’un grondement.

Comme lorsqu’il avait parlé à la prêtresse Magdeleine, apprenant les intentions du guetteur, et puis qu’il était rentré chez lui dans un état second, bouleversé, Viliam sentit quelque chose enfler dans sa poitrine. Cette chose n’allait pas tarder à se briser net et il n’avait strictement aucune idée de ce qui se produirait alors.

-Bah tu sais quoi t’es pas l’premier à ce jeu et j’en ai plus qu’assez de voir les responsables de mes cauchemars dormir du sommeil des innocents !  Sa colère grimpait, comme un brasier qu’on ne contrôlait plus. Sa peur aussi. Sa main tremblait et il la ferma pour en maitriser le mouvement…ou bien dissimuler cela au guetteur. J’en ai plus qu’assez de vous voir vous protéger de vos actes comme si les victimes et les conséquences n’existaient pas. Il leva les mains. Aux dernières nouvelle, je suis là et je compte vivre encore un peu ! Alors Non. Non, je ne te laisserai pas t’en laver les mains. Assena-t-il. La justice ne marche pas comme ça.

Il n’en avait strictement rien à foutre que les autres guetteurs tournent le dos à celui-là. Viliam était d’ordinaire un homme magnanime. Mais aujourd’hui ça suffisait. Aujourd’hui, il ne pouvait pas laisser cet homme s’en sortir aussi simplement. Magnanime, pas stupide. Magnanime, mais épuisé et à bout de patience pour un homme qui jusque-là n’avait fait que se placer en victime et non en bourreau. Il se fichait bien qu'il considère alors qu'il n'y ait pas de retour en arrière. Viliam n'en avait pas la possibilité, lui. Qui pour lui faire oublier ses démons ?

-Tu dit que tu es capable de modifier ta propre mémoire ? Alors qu’il en soit ainsi, modifie là. Assena-t-il d’un ton sec. Mais fait en sorte de tout garder qui ne soit pas mes souvenirs. Garde la prison, garde aujourd’hui. Fait en sorte de garder cet entretien. Souvient t’en bien. Grave le dans ton crâne, modifie en les circonstances précises si ça te chante mais persuade-t’en de faire passer le message comme s’il en valait de ta vie, parce que c’est le cas. Et que si ton chef le voit il le note bien, lui aussi. Il le fixa droit dans les yeux, comme s’il espérait s’adresser éventuellement à Gorben. Je ne suis pas responsable de ces meurtres et je jure que mon combat ne cessera pas tant que nous n’aurons obtenu la justice et la liberté de nos frères ou bien que j’en meurt. Et crois moi ça aussi j’y suis prêt. Mes conditions pour le reste restent les mêmes : Si je ne peux pas manipuler mes souvenirs moi-même, alors je veux être sûr et certains qu’ils soient détruits. Au-delà de ta simple parole. Pour le reste je ne te rendrais pas les tient tant que ma seconde condition n’est pas remplie.

Et s’il fallait qu’il refuse, Viliam ne le laisserait pas partir. Ils s’étaient tous les deux allés bien trop loin pour que le problème se règle ainsi.

-Je ne t'ai pas dit ça pour m'apitoyer mais pour t'expliquer mes propres motivations ! Que tu comprennes que j'ai tout intérêt à effacer toute trace de tes souvenirs, même si tu ne peux pas intervenir toi-même. Je sais pertinemment que le fait que je plonge t'est totalement égal, même si ça ferait aussi tomber au moins une innocente avec moi.

En disant cela, il pense évidemment à Loretta qui l'a aidé pendant des mois et il a un rapide regard vers Ren -qu'il sait pourtant ignorant de la situation- avant de revenir sur Viliam mais il se fige aussi très brièvement alors qu'une autre personne lui vient en tête.

-Ou même deux... Souffle-t-il.

Oriale... Même s'il ne lui a rien dit de compromettant, certains n'auront aucun scrupule à l'utiliser pour le menacer. Et,même s'il est clair qu'il n'aura aucun mal à choisir, il préfère autant qu'elle ne soit pas impliquée du tout. Jusque-là, ses seuls points faibles étaient les membres de sa famille et personne ne se serait amusé à les approcher pour faire pression sur lui. Ils sont tous protégés par leur statut et leur influence, même Adil qui, bien que religieuse, reste chère aux Al Cabir qui n'hésiteraient pas à prendre des mesures contre ceux qui tenteraient de s'en prendre à elle. Mais la belle danseuse ne jouit pas d'une telle protection... Et elle est sa plus grande faille contre ceux qui voudraient s'attaquer à lui.
Mais qu'est-ce que Viliam peut bien en avoir à faire de ses amis et ses amours ? Il a probablement fait ce raccourci qui fait d'eux des êtres aussi pourris que lui. Il faut qu'il comprenne que ce n'est pas cela qu'il aurait dû retenir de son discours.

-Ce que tu refuses d'entendre en revanche, c'est l'impact que ça pourrait avoir sur toi, sur ton entourage et sur tous ceux dont les souvenirs ont envahi ma tête. Je ne suis qu'arcaniste et loin d'être infaillible. Si je me plante, que quelqu'un a le moindre doute et qu'un mage comme Bayezid farfouille dans ma tête, vous êtes tous en danger. Tout effacer est ce qu'il y a de plus sûr pour tout le monde. Et comment tu veux que je justifie le fait que tu aies réussi à m'attirer dans ce hangar sans que je ne cherche à me couvrir, que je me sois laisser prendre puis conduire jusqu'ici sans broncher, que tu aies eu les arguments pour faire pression sur moi et que tout ça reste cohérent ?! Les enlèvements et les menaces, à la base c'est pas plus ton genre que les meurtres. Et ça, je l'avais compris bien avant ton interrogatoire. Tu sais sans doute où est mon appartement. Reviens me voir quand tout sera fini et redis-moi tout ça. Ce sera un souvenir non modifié que personne ne pourra remettre en question. En toute logique, je te croirai et, dans le cas contraire, j'aurai quand même des doutes que je ne pourrais pas m'empêcher de vérifier. Et pour ça, tu peux remercier Arcam qui m'a doté d'une curiosité inextinguible pendant le Voile. J'ai toujours eu besoin de comprendre les choses mais c'est devenu infernal après ça.

Nouveau regard à Ren qu'il prend pour témoin de ce qu'il s'apprête à dire. Les quelques fois où ils se sont fréquentés avant son départ, l'ancien héritier a eu droits aux multiples questions dont il était capable d'assommer son entourage pour avoir en sa possession tous les éléments d'une situation afin d'en avoir une vision complète. A présent, tout ce qui se présente à lui est comme un puzzle dont il ne peut s'empêcher de chercher les pièces pour les assembler. Rien d'étonnant à ce qu'il ait voulu devenir enquêteur...

-J'étais déjà lourd, j'ai été insupportable pendant les années qui ont suivi.

-Tu te méprend. Puisque le guetteur cherchait à l'impliquer, Ren finit par intervenir, d’une voix égale.

S’il restait au fond de son cœur un quelconque sentiment pour le jeune garçon qu’il avait connu, il n’en montrait rien. C’était comme si l'adolescent qu'Aslan avait connu n'était pas vraiment cet homme. Trop d'années. Trop de drames. Trop de sacrifices avaient étés fait. Quoi qu’il en soit, sa colère à lui était naturellement plus maitrisée que celle de son compagnon. Toujours à l'entrée de la grotte, il avait finit par se stabiliser et croisait les bras.

-Viliam veut autant que toi que tu te débarrasse de ses souvenirs et de ce qui nous compromet. Mais pas du reste. Tu peux bien faire ça non ? Te souvenir de l’interrogatoire, de notre intervention et de ce moment-là, mais sans te rappeler des souvenirs de Viliam précisément. Tu n’auras plus que la certitude de les avoir eu. Mais rien de plus. Que ça soit des souvenir ou une quelconque preuve, quand c'est réduit en cendre, personne peut plus rien y faire. Et de toute façon trop de gens sont impliqués là-dedans, tu peux pas complètement effacer la réalité et on se souviendra au moins que t’était dans la prison. Que tu te souviennes de queudal serait au final encore plus suspect que de n’avoir simplement plus les détails concernant ton intervention magique. Et puis. Il pencha la tête et un sourire à la fois contrit et amusé naquit sur ses lèvres. J’veux pas te contrarier mais nan t’es pas le premier type qu’on enlève et qu’on menace et tu seras pas le dernier. Tu crois quand même pas qu’on se contente que de discuter et de se faire rouer de coup sans jamais protester quand même… ?

L’Aile Blanche n’était pas une bande de meurtriers. Leurs principes étaient connus de beaucoup. Certes. Mais on ne survivait pas en Itrhi Vaan sans être forcé de sortir les griffes. Ils n’avaient pas fait que des trucs bien, qu’ils le veuillent ou non. Le tout, c’était de se rappeler pourquoi ils l’avaient fait.

-Et quand bien même, aujourd’hui il y a un prix à payer.

-Et quand bien même, il y a un prix à payer. Soupire le blond. Comprend le ou non, mais on peut pas se contenter d’un tape sur les doigts et te laisser gambader tranquillement. Ce qui s’est passé est trop grave et il y a trop d’enjeux. Des enjeux qui nous dépassent même toi, comme nous. T’es venu jusqu’ici parce que t’avais un truc à demander de nous. T’était visiblement assez désespéré pour le faire sans te protéger. Ce truc coute plus que tu ne pourras jamais l’imaginer à Viliam. Soit. Viliam est prêt à le faire quand même, mais il le fera pas gratuitement c’est aussi simple que ça.

-Si tu as autre chose à proposer va y. Mais ne croit pas que parce que j’ai des principes, je ne prendrais pas ta vie si tu m’y oblige. Actuellement tu es un danger pour moi et les miens et nous n’avons aucun compromis satisfaisant.

En écoutant Ren, Aslan réalise qu'il s'est mal exprimé. Il ne peut pas "tout" oublier, ce serait suspect, même pour lui. Le moindre grain de sel mal placé et il ressent le besoin de comprendre ce qu'il s'est passé. Est-ce que ce petit grain blanc sur la table date d'hier ou de ce midi ? Qu'avait-il mangé à ces deux repas ? Ces plats étaient-ils assez assaisonnés ?... Les réponses viennent parfois si vite que les questions deviennent anecdotiques mais il se les pose néanmoins. C'est un talent certain pour un enquêteur mais cela peut être lourd pour l'entourage parfois.

-Quand je dis que je dois tout effacer, je parle des informations n'ont pas lieu d'être à ma portée. Je dois bien évidemment être en capacité de reparler de l'interrogatoire, de répondre aux questions de mes supérieurs et de me souvenir des éléments que j'ai inscrit dans mon rapport. Effacer cette partie me pousserait moi-même à chercher à comprendre pourquoi je ne m'en souviens plus, ce qui serait contre productif. Je ne peux donc pas toucher à l'interrogatoire. Je parle de tout ce qu'il s'est passé ensuite.

La précision est donc faite mais cela ne règle pas le problème de la dernière condition qu'on lui oppose. Il n'a aucune raison de se trouver ici, mains liées, sans pouvoir pratiquer la magie... Prisonnier volontaire de surcroît. Le connaissant, c'est totalement illogique.

-Pour ce qui est de manipuler mes souvenirs de cette soirée... Effacer un souvenir c'est "facile". Le modifier sans laisser de trace, c'est plus compliqué et, une fois que j'aurai remis les choses en ordre, je ne pourrais jamais justifier mes propres actions, je n'ai pas assez de matière pour rendre les choses crédibles, surtout à mes propres yeux... Je me suis présenté de mon plein gré, j'ai suivi Ren sans opposer la moindre résistance ni laisser de trace sur mon passage, je n'ai prévu aucune couverture, aucun plan de secours, aucune assurance... Je vous ai même donné mon focaliseur de mon propre chef : quel mage un tant soit peu censé ferait ça ? En temps normal, je ne ferai jamais ça !

Il peut être de bonne volonté et confiant dans la perception qu'il a du personnage qu'il étudie depuis presque deux ans maintenant, il peut se tromper. Sans compter que leur première rencontre a causé beaucoup de souffrance chez le bandit, à tel point qu'il a hésité à le tuer alors que cet acte ne correspond pas à son profil. Il s'en est retenu, certes, mais non sans difficultés... Mais il entend qu'ils ne veulent pas le laisser partir sans qu'il n'ait accepté de faire ce qu'ils demandent... Leur proposer de revenir plus tard n'est pas une option viable pour eux. Il a beau leur dire qu'il ne saura pas résister à l'envie de résoudre une énigme, cela ne leur suffit pas.
Une idée pointe alors dans l'esprit d'Aslan. Elle ne lui convient pas totalement mais il semble qu'il n'ait pas le choix...

-Si vous tenez à ce que tout soit fait ce soir, j'ai peut-être une alternative... Vous n'auriez pas pu m'atteindre chez mes parents mais je suis repassé par mon appartement avant de venir pour brûler les dossiers que j'ai accumulé sur toi tandis que je te cherchais. Je peux effacer mes souvenirs à partir de mon arrivée chez moi. Si vous dites au réveil que vous m'avez drogué ou assommé pour m'amener ici, je ne serai pas choqué de ne pas m'en rappeler, c'est un effet secondaire courant. Une fois que j'aurai terminé mon grand nettoyage, je peux m'assoupir ou vous m'assommerez réellement... et vous pourrez me réveiller pour me parler de l'affaire de Maralina. Avec ma curiosité maladive et mon goût pour la vérité, je chercherai forcément à creuser la question. Rappelle-moi le mal que je t'ai fait et celui que je m'apprêtais à te faire subir quand l'Aile Blanche est arrivée et tu peux être certain que j'y travaillerai, même si j'avais décidé de ne plus m'occuper des enquêtes qui te concernent.

S’il ne décolérait pas vraiment, Viliam haussa malgré tout un sourcil interrogatif devant la proposition du guetteur. Il y avait quelque chose qu’il ne saisissait pas.

-Y a pas à se compliquer autant la vie. Fit il, les yeux plissés. T’es venu ici parce que t’avais besoin de moi. Et alors ?  J’en ai rien à foutre que ça se sache.

Il haussa les épaules . Peut être, sans doute même, cela vaudrait-il au soldat moults problèmes avec son entourage, et peut être même subirait-il des conséquences fâcheuses de sa hiérarchie pour ne pas avoir saisi l’occasion d’enfin mettre la main sur l’Aile blanche. Viliam le savait, mais il s’en fichait. Voilà longtemps qu’il n’éprouvait pour le soldat que dédain et froide colère, sans plus aucune compassion. S’il avait été assez bête pour se jeter dans la gueule du loup sans plan de secours et qu’il avait pris leur bonté pour de la candeur, tant pis pour lui.

- Dans la même lignée, J’en ai pas plus à foutre que tu sois intimement persuadé ou non de ma culpabilité. Continua-t-il sur le même ton égal. C’est pas ce que je te demande. Je te demande pas d’enquêter ou de faire je sais pas quoi. Ce que je te demande c’est que mon message passe et qu’il vienne des guetteurs. Je veux que dans la rue, on entende que vous vous êtes trompés. Point. Comment tu te démerde, c’est pas mon problème. Si tu doit soudoyer, convaincre, falsifier des trucs, ou même lécher des pieds à longueur de journée, pas mon problème. Mais j’imagine que récupérer tes souvenirs une fois que ça sera fait te servira de motivation suffisante pour un éclair de génie. Appuya-t-il avec une pointe acide. D'ailleurs, il se saisit d'un parchemin roulé non loin et le leva. J'ai ici un portrait approximatif de la dame impliquée dans ce meutre pour t'aider. Ils pourraient la chercher longtemps, car en réalité, celle dessinée à la mine de charbon n’existait pas. Pour le reste y a rien de particulièrement compliqué : ton scénario miracle est déjà devant toi sans devoir faire des ronds de jambes. Tu t’es fait chopper, ça s’est fait sans violence parce que tu l’a cherché que t'a été coopératif et que t'as une chance de cornu, mais là bah t’es en sursit et ta vie dépend du marché qu’on va passer ou pas. Et si on fouille dans ta tête, bah qu’ils y cherchent ce qu’ils veulent. J’ai rien à cacher dans ce que tu vois ou entend là maintenant on est pas cons à ce point.

Il pouvait même retrouver cette grotte, si ça le chantait plus tard. Viliam et Ren avaient pris soin de choisir une cache bien loin de leur chez eux, et sans aucuns indices incriminants. D’ici quelques heures, il n’y aurait ici que les traces d’un feu mourant.

-Et j’vais ajouter un truc. fit-il a nouveau, d'un pragmatisme glaçant. j’vais pas passer la journée à jouer à ce jeu donc va falloir se décider. Soit t'accepte ça, soit on va avoir un problème parce que tu repartira pas dans la nature avec mes souvenirs.

Aslan sent son cœur se gonfler de colère alors que son interlocuteur ne semble rien vouloir entendre. Il est venu faire un échange de souvenirs, rien de vital là-dedans. Pourquoi accepterait-il un tel marché s'il doit le mettre en danger ? Mais le bandit ne l'entend pas de cette oreille et s'obstine en se moquant bien de la situation dans laquelle il lui demande de se mettre pour lui être utile. Il a devant lui un homme venu se mettre à sa merci pour faire amende honorable mais il n'en a que faire. Il n'a que peu d'objectifs en tête : le voir vider sa mémoire de ses souvenirs et l'utiliser à ses propres fins. Mais pourquoi ?!

Soudain, Al Cabir comprend... et son visage change d'expression. Viliam semble persuadé qu'il est tout puissant dans cette transaction. Qu'il a toutes les cartes en main et qu'il domine la partie, ne laissant aucun autre choix au soldat que d'accepter de se plier à ses règles. Cependant, il n'a pas autant de pouvoir qu'il le crois. Et c'est là une erreur toute naturelle pour un non-initié à l'Art.

Aslan soupire lentement en hochant la tête de droite à gauche.

-Tu te trompes... Je n'ai pas autant besoin de toi que tu le crois.

Et, à dire vrai, s'il avait su que les choses tourneraient de cette manière, il n'aurait pas fait tout cela... Et tout serait rentré dans l'ordre depuis des mois.

-J'ai gardé tes souvenirs et la douleur qu'ils me causaient tous les jours pendant un an, en pensant qu'ils te manquaient autant que les miens me manquent. En pensant que tu souffrais autant que moi à chaque fois que l'un des miens remontait à la surface. Je constate qu'il n'en est rien et que tu te moques de les récupérer ou non. Sans doute parce que je n'ai que des copies quant toi tu as les originaux. Donc... Ne reste dans la balance que deux éléments... Quelques souvenirs qui me sont chers... Et ma sécurité. Crois-tu réellement que j'hésite ? Je n'ai rien à caché, il n'y a aucun secret dans ceux que tu détiens et j'ai l'habitude que ma vie n'est rien de privée. Je préfères être certain de vivre pour m'en créer de nouveaux... Si tout ce qu'il faut pour que je puisse repartir, c'est me défaire de ta mémoire, tu ne m'es pas utile. Je n'ai besoin que de mon focaliseur.

Il ne pensait pas avoir besoin d'en arriver à une telle décision mais il la prend néanmoins, sans le moindre regret... Cela lui aurait été bien plus difficile il y a quelques temps. Lorsqu'il était enfermé dans son passé, figé dans un présent qui se répétait sans cesse et qui n'avait finalement plus de sens. Depuis, il a retrouvé un certain goût pour la vie... et son lot d'aventures. Et, finalement, ses souvenirs ne le feraient-ils pas repartir en arrière ? Il le réalise seulement maintenant et se pose réellement la question.
Il était venu tout régler pour eux deux mais, en fin de compte, il n'y a que lui qui ait un problème avec cet échange de souvenirs. Viliam en a trouvé un autre à lui opposé pour une transaction "équitable". Cependant, Aslan réalise que cette condition lui fait prendre plus de risques qu'autre chose.

"J'ai gardé tes souvenirs et la douleur qu'ils me causaient tous les jours pendant un an, […] En pensant que tu souffrais autant que moi à chaque fois que l'un des miens remontait à la surface. Je constate qu'il n'en est rien."

Cette fois, les gonds qui maintenant sa raison sautèrent, et même Ren n’y put rien.

Sans crier gare Viliam se releva d’un bond et saisit l’homme par le col pour l’envoyer brutalement cogner contre la roche. Avant qu’il ne cherche à se défendre, il était à son niveau, le retourna sèchement sur le dos et ficha sa rapière sur sa gorge. Qu'il bouge. Qu'il ose l'ultime audace de ne lever qu'un cil...

-On en est à la vérité enfin ! Hurla-t-il presque. T’as pas arrêté de te draper dans ta vertu, avec moi, avec Mère Magdeleine, même là en te défendant pas et en attendant les coups. Tu te penses sans reproche hein ?! Mais là…là vérité éclate enfin. Persifla-t-il. La vérité c’est que t’es autant une pourriture que le reste de tes putains de collègues et ton monde de chiens ! T’es aussi égoïste que le reste et t’en a rien à foutre des autres ! Tout ce qui t’importe c’est toi, ton confort et ta vie tranquille ! Tu veux ce foutu rituel pour toi et toi seul. Que ça me fasse le moindre mal, que ça me foute en l'air, t'en a rien à carrer. Et le ton de monter encore. Tes migraines ne sont rien comparées à mes souffrances. RIEN. Tu veux savoir un truc sur moi que t’as pas réussi à chopper Aslan Al Cabir ?!

-Viliam…Tenta vainement Ren.

-Pendant que tu vivais ta petite vie dorée, petit bourgeois de mes deux. Appuya-t-il la pointe de sa lame un peu plus. Moi je suis né dans la rue à bouffer de la terre, et même comme ça on m’a tout pris. Tu sais pas ce que ça fait de vivre en sachant que même ton corps t'appartient pas ! De vivre la peur dans la gorge qu'on décide soit de te battre soit de te sauter en une fraction de seconde. Sa voix vrilla alors que les éclats de sa voix résonnaient sous le toit de pierre. Et puis, finalement quand je passe enfin à autre chose de tout ça, toi t’arrive, tu prends mes seuls souvenirs heureux, tu viole mon esprit, tu t’en moque, matte même mes amants, ignore mes suppliques quand je te propose de parler d'homme à homme. ET APRÈS TU OSE TE PLAINDRE ET SUPPOSER DE CE QUE JE RESSENS QUAND JE SUIS FORCÉ D'Y REPENSER SANS ARRET ?! TU AS L’AUDACE DE ME DIRE QUE CE TU AS VÉCU PUISSE AVOIR QUOI QUE CE SOIT A VOIR AVEC MES SOUFFRANCES ? T' AS AUCUNE IDÉE DE CE QUE CA FAIT DE VIVRE AVEC MES SOUVENIRS. Asséna-t-il ses mots d’un violent coup de pied entre les côtes du soldat. TU N’A un autre coup. AUCUNE IDÉE. Un troisième. DE CE QUE C’EST DE SOUFFRIR.

Il sentit soudain les mains de son compagnon se poser sur sa taille, et le forcer à reculer.

-ça suffit. Siffla Ren tout doucement, d’un ton tellement doux que le semi elfe paru soudain déconnecté une seconde, assez pour être déplacé. ça suffit Viliam.

Le repoussant légèrement, il approcha à son tour du pauvre homme, et après un soupir, le releva contre la paroi et plia les genoux à sa hauteur.

-Tu n’as aucune sécurité ici. Lui Adressa-t-il alors qu’il le toisait avec une colère plus froide et plus mesurée. Peut être son calme était-il encore pire que l'explosion de son camarade, qui les mains agités de soubresauts, semblait à grand peine obéir à l'ordre du blond. On te l’a déjà dit. Sans accord entre nous, tu vas mourir. On est pas des chiens, ça sera propre et le moins douloureux possible mais ça finira comme ça. Tu veux vraiment crever sur ce sol, disparu aux yeux de tous pour avoir refusé de ravaler ton égo et faire ton travail, c’est-à-dire rétablir la justice ? Que ce soit en acceptant de nous aider à laver notre nom, ou bien si tu trouve autre chose de convenable qui puisse payer ta dette. Le monde d’en haut t-as donc bouffé à ce point ?