Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque les deux adversaires mirent fin à leur épuisante lutte. Il s’agissait d’un entraînement, ils utilisaient de courts bâtons et ne cherchaient qu’à toucher l’autre sans le blesser. Loki et Daneva se battaient ainsi depuis l’aube… Si le demi-drow était inépuisable, la jeune femme avait des limites, limites qui s’étaient restreintes considérablement à cause de sa grossesse. Elle désirait aujourd’hui retrouver ses capacités d’autrefois, et Loki avait accepté sans hésiter de l’y aider. Comment aurait-il pu refuser ? C’était toujours surprenant de le voir répondre à chacune de ses demandes sans même y réfléchir, même si il oeuvrait à ses cotés depuis quelques temps déjà. A vrai dire il avait l’air de s’amuser, à croiser ainsi le bois avec sa maîtresse. Cela devait sans doute lui rappeler leur première rencontre… Ils étaient exactement au même endroit, devant le bâtiment administratif.
Sauf que désormais, Daneva n’était plus handicapée par son enfant. Le petit homme dormait paisiblement dans la chambre de sa mère, sous l’œil vigilant de la nourrice que cette dernière avait déniché au port. Il s’agissait d’une jeune adolescente à l’air doux qui s’occupait de l’enfant avec autant de délicatesse que l’on manipule un vase précieux et fragile – une attitude qui rassurait Dane au point qu’elle ne rechignait pas à l’abandonner à sa seule compagnie.
Heureuse comme cela lui était rarement arrivé dans sa vie, la Silencieuse se battait comme une lionne face à son garde du corps si spécial. Cela faisait deux jours qu’elle s’obligeait à cette activité physique intense, pressée de pouvoir à nouveau sauter de toit en toit – bien que ceux-ci soient relativement rares à Nelen – frayer comme avant avec les meilleurs bretteurs de la capitale et retrouver cette sensation de liberté physique qui lui était si chère. Lorsqu’elle écumait encore les rues de Diantra à la recherche d’écus mal dissimulés, la jeune femme avait souvent ressenti cette intense sensation d’être… libre, véritablement libre d’aller où sa volonté la menait. Persuadée à ces instants là de pouvoir voler, il lui était arrivé de se jeter inconsidérément d’un toit en riant aux éclats – sauts qui s’étaient généralement terminés assez bien, Dane étant alors aussi souple qu’un chat et aussi légère qu’une gamine mal nourrie. Les mois de grossesse suivant le drame qui l’avait brisé l’avaient clouée au sol d’une manière impitoyable. Elle n’avait dès lors plus jamais eu l’occasion de « voler » et de courir comme une dératée pour échapper à quelque patrouille. Elle avait pris du poids, pas seulement à cause du bébé… Son corps s’était empâté très désagréablement, il fallait remédier à cela.
A bout de souffle, la jeune mère jeta son bâton au sol et sourit à son compagnon en levant ses deux mains désarmées dans un geste pacifique.
- Pause ! … S’il te plait…
Elle se plia en deux et s’appuya sur ses genoux à l’aide de ses mains, respirant fort. De la sueur coulait lentement le long de sa nuque pour glisser sur sa poitrine et imbiber la fine chemise de toile qu’elle portait près du corps. Loki ne la ménageait pas… Et il avait raison ! Il fallait que sa maîtresse soit capable de se défendre seule si lui-même ne parvenait pas à assurer convenablement sa défense. Du moins, elle pensait qu’il considérait les choses de cette façon… Elle se redressa finalement et scruta la mer, visible entre deux feuillages. La caravelle de Taanis serait de retour dans l’après-midi, et elle attendait un rapport important de son espion à Soltariel – le duc lui-même… Avisant le soleil radieux qui illuminait le ciel, et l’absence de nuage, elle se dit que la plage ne serait pas désagréable à cette heure.
- Je descends… Veille sur mon fils.
La descente par le fameux chemin escarpé lui fut bien plus facile que d’ordinaire ! Malgré ses muscles endoloris par l’entraînement, elle se réjouissait d’avoir retrouvé assez de forces pour survoler les rochers de son pas léger. Cependant, c’est d’autant plus sale de transpiration qu’elle parvint au niveau du village… Comme d’habitude, les quelques enfants de pêcheurs se mirent à galoper autour d’elle dans une joyeuse cavalcade. Derrière un rideau, la jeune femme aperçut le père de la petite nourrice qui l’observait, et lui adressa un signe de la tête rassurant.
Le climat sur l’île était plus doux que celui du continent, pourtant le froid s’était installé, s’engouffrant dans les ruelles sous forme de vent glacé et humide. Ruisselante, Dane réprima un frisson. S’approchant de la plage, où deux gamins vidaient des poissons, elle détacha le foulard noué autour de sa taille et vint le tremper dans l’eau. Pas du tout intimidés par la nature de l’intruse, les jeunes continuèrent à se lancer des entrailles sous l’œil amusé de cette dernière. Elle imaginait son fils, dans quelques années, s’amusant à ces mêmes jeux… Le contact avec l’étoffe humide la ramena brutalement à la réalité. C’était gelé, mais il fallait bien cela pour se débarrasser de cette crasse. Brave, elle réitéra l’opération plusieurs fois et nettoya ainsi entièrement son visage.
Les enfants braillèrent soudain.
- Le bateau, le bateau !
Dane releva les yeux vers l’horizon et sourit en coin. Cela lui serrait toujours le cœur d’apercevoir cette voile blanche au loin… Cette caravelle était leur seul contact avec le monde extérieur, la seule source de nouvelles fraîches.