La chute [ Eldis & Roxane ]

Il y a bien longtemps que je n’ai pas mis les pieds à Diantra. Depuis le mariage royal je crois. Cela remonte à plusieurs mois déjà. Le temps passe si vite, c’est fou. Dire que bientôt, cela fera deux ans que j’ai quitté mon village natal. Enfin d’adoption. Mon village natal se trouve au nord je crois. Il va falloir que je m’y rende un de ces jours, ne ce serait-ce que pour régler un problème épineux qui menace mon existence et celle des mes proches. Seulement y aller seul serait sans doute trop risqué. Mais avec Hélios au loin… J’hésites à y aller seul. Roxane refusera que je le fasse sans Hélios, aussi vais-je attendre encore un peu. Il ne m’a plus ennuyé, aussi vais-je prendre mon mal en patience. Mais tôt ou tard, l’affrontement aura lieu, nous le savons bien.

Mais oublions cela. Pour l’instant, nous sommes en carrosse Roxane, Melesiel et moi-même et nous rendons droit au palais. Hélios ayant fait de moi son intendant, c’est à moi de répondre de ses terres. En plus avec la guerre qui commence, il faut voir comment gérer le royaume en l’absence de la plupart des nobles. Du coup, nous avons été convoqués pour une réunion afin de décider comment faire pour gérer les frontières pour le cas où les drows passeraient à travers les défenses humaines. Les étals et les échoppes défilent sous nos yeux pour disparaitre lorsque nous arrivons enfin dans la cour du palais. Si nous avons choisit de venir ainsi, c’est d’une part par souci de confort pour Roxane et ma fille, mais aussi pour éviter que je ne me fasse égorger dès mon entrée en ville. Avec ma corpulence, mes oreilles et mes yeux, j’ai tout d’un demi-drow. Je me serais fait lynché directement en entrant dans la ville. Roxane elle, ressemble à une hybride, arborant une peau couleur diaphane, et des yeux violet. Avec Melesiel pour parachever le tableau, on peut dire que nous sommes un couple pour le moins original.

Je descends le premier pour ensuite aider mon amour à descendre en lui tendant la main. Elle porte Melesiel dans ses bras, mais la petite commence à réclamer les miens. Elle adore ce manège de changement de bras.

« Petite coquine, tu comptes nous faire tourner en bourrique longtemps comme ça ? »

Je prends ma fille dans les bras tandis que des gardes viennent et commencent à pointer leurs armes vers moi. D’un ton calme je dis :

« Je suis Eldis Gil-Assan, intendant des terres du baron Dilandro. J’ai ici un papier de sa main prouvant mes dires. »

Tenant solidement Melesiel d’une main, je fouille dans ma sacoche et tends la lettre à Roxane qui la transmet aux gardes. Après un long moment de réflexion, ils finissent par baisser leurs armes et me rendent la lettre.

« -Pardonnez notre attitude messire, mais nous préférons rester prudents. Avec les temps qui courent, la méfiance est de mise.
-Je comprends oui. Pouvez-vous m’indiquer le chemin jusqu’à la salle du conseil ? J’ai rendez-vous afin de décider quoi faire en l’absence du baron.
-Bien sûr, suivez-nous. »

Tranquillement nous marchons à la suite des gardes, nous servant à la fois de guide mais d’escorte. Mieux valait éviter les ennuis. Pour la réunion je m’étais vêtit d’une chemise à jabot blanche, d’une veste en soie bleue sombre ainsi qu’un pantalon assortit. Mes cheveux sont ceints par un fin bandeau en argent, et tressés derrière la nuque en une natte retenue par un ruban bleu aussi. A force de côtoyer Hélios, j’ai fini par aimer le bleu et en faire ma couleur préférée. Melesiel quant à elle, est vêtue d’une jolie robe blanche à dentelles avec des broderies de fleurs roses dessus. Heureusement que le temps s’est réchauffé. Roxane a tenue a m’accompagner ne voulant pas rester seule au manoir, aussi nous sommes venus à trois au lieu d’un seul.

Alors que nous marchons dans la cour du palais, j’aperçois la reine un peu plus loin. Et elle ne semble pas aller bien. Aie, elle tombe ! Mais déjà un garde court et l’empêche de tomber tandis que nous nous retrouvons tous à ses cotés. Les gardes l’aident à s’assoir sur le banc tandis que Roxane comment à l’examiner pour lui prodiguer des soins.

« Comment vous sentez-vous votre majesté ? »

Qui eut cru que la petite souris des bas fonds de Diantra se trouverait un jour à voyager en carosse, frappé d'armoiries prestigieuses, bien qu'usurpées, vers le château de Diantra? Personne n'aurait pu l'imaginer... La route de Roxane avait été semée d'embuches mais riche en surprise... Ainsi, la petite gamine pauvre en pantalons trop larges et chemises informes était-elle devenue pirate, puis dragonnière... Et maintenant, compagne de l'intendant du baron de Missède. Amie du baron même... Quelle fulgurante ascension, elle qui était dénuée de toute ambition...

La vie était pleine de surprises, bonnes et mauvaises. Le tout était de les accepter pour passer à l'étape suivante. Des crises qui engendraient des évolutions, immanquablement. Le tout était de tirer leçon des épreuves.

Son regard se porta par la fenêtre du carosse. Mélesiel babillait dans ses bras. Elle repoussa un peu le rideau et observa le printemps qui reprenait ses droits. Elle était silencieuse, perdue dans des pensées auxquelles Eldis n'avait pas accès. Loin vers les frontières, c'était la guerre. Combien d'hommes partis protéger la nation et la liberté? Eldis n'en faisait pas partie. Egoistement, Roxane en était soulagée. Pourtant, leur intervention aurait été un miracle et un moyen sûr de gagner...

Ses pensées dérivèrent vers le château. Par deux fois elle y avait mis les pieds. Une fois clandestinement, dans les jardins, une fois officiellement, à la table du roi et de la reine. Elle y avait revu Astéride, la soeur du roi, dragonnière de son état. Une pincée de jalousie l'envahit au souvenir de cette jolie blonde volcanique. Elle avait enflammé Eldis à la réception de la duchese Soltariel... Mais aux noces, plus rien. Elle avait semblé être fort complice avec le témoin du marié, un hybride. Alors pourquoi cette jalousie?

Le carosse s'arrêta. Ils étaient arrivés. Eldis descendit le premier et Roxane suivit, soulevée avec force par les bras puissants de son compagnon. Elle éclata de rire, un rire cristallin et étrange dans la cour du chateau. Elle adorait se sentir délicieusement vulnérable dans ses bras musclés, nichée contre son torse puissant.

Melesiel réclama d'ailleurs les bras de son père et Roxane retrouva la liberté de ses mouvements.

- "Je crois que oui, c'est bête, je crois qu'elle commence à prendre des traits de mon caractère."

Elle fit un clin d'oeil à Eldis. La jeune fille, fluette et menue, avait grandit légèrement, atteignant le mètre soixante avec difficulté. Elle avait prit un peu de hanche et un peu de poitrine, mais était toujours aussi développée qu'une elfe. C'est à dire, très peu. Elle portait une simple robe violette, cintrée sous la poitrine, aux longues manches tombantes. Une fine tiare ornait son front, alors que ses beaux cheveux blancs étaient laissés libres dans son dos.

Son sourire se fana quand des gardes accoururent toutes piques dehors. Ils formaient un drôle de couple. Elle se composa une attitude sereine alors que son pouvoir apaisant irradiait doucement. Heureusement, ils passèrent sans trop de difficultés.

Les gardes les escortèret donc, jusqu'à ce qu'un incident ne stoppe la petite colonne. Une femme semblait se sentir mal et elle ne dut qu'à la prompte intervention d'un garde de ne pas choir lamentablement au sol. Roxane s'approcha à la suite d'Eldis et eut un petit ho de surprise en voyant que la jeune femme, c'était la reine. Ni une ni deux, Roxane oublia le rang et s'assit à côté de la reine, prenant doucement sa main dans la sienne et cherchant l'origine de son mal. Elle rouvrit brutalement les yeux et se fendit d'un petit sourire en coin en sentant la vie palipiter dans le ventre royal, encore invisible. Doucement, elle chassa la fatigue et ne laissa que la sérénité. Effet temporaire, mais reposant, de quoi recolorer un peu le visage pâle de la reine. Reine qui trouvait son jumeau dans le regard de Roxane. Ainsi donc, c'était un bébé qui expliquait le malaise? Oui et l'angoisse aussi. La jeune fille ne dit mot de sa découverte et lâcha la main de la reine.

- "Ce n'est rien, un petit étourdissement passager, sa Majesté connait les affres de l'angoisse, comme trop de femmes ces temps-ci."

Le visage de Roxane se rembrunit. Le roi, aveugle, avait prit le parti de partir avec ses troupes. Noble geste mais s'il mourrait qu'advientrait-il des hommes?

Et elle tomba... Comme au ralenti , elle se sentit être attirée par le sol... Ce qui dura quelques secondes sembla durer une éternité pour elle. C'en était trop pour elle. Elle n'y arrivait plus. Les jours étaient trop longs. Elle passait ses journées à s'occuper de diverses affaires , passait ses jurnées à tenter d'avoir une conversation convenable avec les conseillers sans que ceux ci s'arrachent les yeux ou les cheveux. Pour ne pas déçevoir Trystan , elle accourrait là ou on la demandait. Elle essayait de gérer tout. Absolument tout. Mais évidemment , elle ne pouvait pas s'occuper de tout... C'était sa hantise , d'échouer , de déçevoir Trystan. D'être une mauvaise reine , tout simplement. Lilianna avait l'impression de passer à côté de ses fonctions. Et elle savait parfaitement qu'au moindre de ses faux pas , quelqu'un serait là pour la mettre plus bas que terre. Oh , elle avait tant besoin d'un visage amical... Mais elle peinait à trouver ce dit visage. Astéride n'était plus que l'ombre d'elle même , avec l'absence de Veldrin. Et cela , elle ne pouvait que le comprendre , elle même ne vivant plus sans Trystan. Sa mère était là , mais elle devait aussi gérer ses propres terres , puisqu'elle avait hérité de Christabel à la mort de son mari. Elle ne pouvait donc pas pleurer sur son épaule. Lilianna se détestait pour ses faiblesses. Et sa condition de femme enceinte ne l'aidait pas à garder la situation en main. Et vraissemblablement , la seule chose qui ferait que Lilianna irait mieux , c'était le retour de Trystan.

Mais Trystan n'était pas là.
Trystan n'était pas là.

Aussi étonnant que cela puisse paraître , toutes ces pensées défilèrent dans sa tête en l'espace de quelques secondes. Elle tomba dans les bras du garde avec un gémissement étouffé. Ses jambes ne la portaient plus. Bon sang ! Elle se maudissait pour cet accès de faiblesse. Déjà des exclamations affolées lui parvenaient. Elle ne put s'empêcher de penser "bande d'hypocrites". Combien de ces gens là auraient été ravis qu'elle meure ? Combien de femmes auraient alors tenté de ravir le coeur de son roi ? La tête lui tournait... Elle ne s'était pas évanouie , mais n'en était pas loin. Pff... A force de vouloir jouer les fortes , elle avait , justement , perdu toutes ses maigres forces. Elle sentit vaguement le garde qui l'avait rattrapé l'asseoir sur un banc. Heureusement qu'il la soutenait , sans quoi elle aurait basculé en arrière. Elle donnait une belle image d'elle , la reine de Diantra ! Pitoyable. Lilianna n'avait qu'une envie , disparaître... Ou mieux. N'être jamais devenue reine. Mais elle n'avait pas eu le choix. Ou plutôt si , elle avait eu le choix. Et elle avait choisi de suivre l'amour de sa vie , tout simplement... Elle vit qu'un des gardes lui suggérait de retourner à ses appartements. Lilianna le repoussa d'un geste , alors qu'il s'apprêtait à la reprendre dans ses bras. Non , non , non ! Elle n'avait pas besoin de ça. Elle pourait très bien se relever et...

La jeune femme leva soudain la tête , entendant une voix familière. Elle eut un léger froncement de sourcils. Eldis ? Il avait changé , mais c'était bien lui , accompagné d'une jeune femme qu'elle avait déjà vu à son mariage. Et Eldis lui demandait comment elle se sentait.

« Comment je me sens ? »

Sa voix dérailla sur les derniers mots. Comment elle se sentait ? Lilianna cligna des yeux , perplexe , avant de porter une main à son visage pour étouffer un sanglot. Elle eut un mouvement de recul bien vite réprimé , alors que la jeune femme lui prenait la main. La jeune femme allait fondre en larmes , là , au beau milieu de sa cour. Mais quelque chose d'étrange retint ses sanglots pour un temps. Comme une vague d'appaisement. Lilianna respirait fort , comme quelqu'un qui vient de pleurer toutes les larmes de son corps. Lilianna rencontra le regard de la jeune femme. Elle eut comme l'impression de se regarder , tant leurs yeux étaient semblables. La jeune femme bégaya un merci , avant de regarder tout autour d'elle. Tant de regards posés sur elle... Mais étrangement , ce fut un seul regard qui attira son attention.Un regard encore innocent... Lilianna posa ses yeux sur l'enfant que portait Eldis dans ses bras. Un bébé de quelques mois... Ce fut comme un éléctrochoc pour la jeune reine. Elle pensa soudain à son enfant à elle... Et comme pour l'achever , l'absence de Trystan lui revint en pleine figure.

« Il n'est pas là... Oh mon dieu , il n'est pas là... »

Un murmure à peine audible. Ses yeux firent l'aller retour entre Eldis et Roxane. Tremblotante , elle se leva. Lilianna le sentait , elle était sur le point de craquer. Et elle ne le ferait pas en public. Elle se rappela alors pourquoi Eldis était là. Parce qu'il fallait bien gérer les terres des nobles en leur absence , et qu'Eldis était le régent d'Hélios. Elle trouva là un très bon prétexte pour lui demander de l'accompagner. Mais si lui ou sa jolie amie aux cheveux blancs savait lire entre les lignes , ce n'était pas difficile de devenir pourquoi elle leur demandait de l'accompagner.

« Eldis... J'ai... J'ai besoin que nous parlions du... de l'intendance des terres du Baron... Suivez moi tous les trois... S'il vous plait. »

Les gardes échangèrent un regard surpris. Elle était certaine de tenir sur ses jambes ? En tout cas eux n'en étaient pas convaincus. Mais alors pas du tout. Ils craignaient plutôt qu'elle ne s'effondre une seconde fois. Mais ils n'avaient pas le droit de discuter. Aussi ne le firent-ils pas. Alors qu'ils éscortaient la reine et les jeunes gens , ils la virent plusieurs fois chanceler sur ses jambes et à chaque fois , ils étaient prêts à s'élancer. Mais non , Lilianna arriva entière et consciente jusqu'à ses appartements , où elle introduisit Eldis et sa jeune compagne , ainsi que le bébé. Elle leur désigna des sièges , avant de se laisser tomber lamentablement sur le divan.

« Je suis désolée... Je dois donner une bien piètre image de mon rang... Pardonnez moi ce spectacle lamentable... »

Je reste debout devant la reine Lilianna, attendant que son malaise passe. Roxane est à coté d’elle, lui prodiguant forces et soins. Je ne peux rien faire d’autre qu’attendre. Son mal ne doit être trop grave, il sera facile pour Roxane de la soigner. D’ailleurs elle a l’air d’avoir trouvé son origine. L’angoisse. Oui, beaucoup de femmes craignent pour la vie de leur mari, ce qui est n’a rien d’étonnant avec la guerre. Beaucoup ne reviendront pas, c’est triste mais c’est ainsi. On y peut rien. Si, je pourrais être là-bas et faire la différence, mais je n’en ai pas le droit.

J’attends patiemment, regardant avec peine la reine craquer devant moi. Elle a jeté un coup d’œil à Melesiel, et la voila qui menace de craquer. Les gardes n’ont peut-être pas entendu, mais moi si. Trystan lui manque trop. Elle ne peut supporter la solitude. Qui peut savoir les pressions qu’elle ressent ? Qui peut savoir ce que c’est que vivre sa vie ? Je voudrais dire quelque chose, mais quoi ? Que puis-je dire pour la réconforter ? Pour la rassurer ? Rien. Mes mots seront creux et vides de sens.

La reine nous convie à la rejoindre dans ses appartements pour discuter de l’intendance des terres. Ce n’est qu’un faux prétexte, je le sais, elle a besoin de parler en privé.

« Nous vous suivons notre majesté. »

Les gardes laissés derrière nous, nous marchons droit vers les appartements royaux. Cundu, qui était resté caché vint se poser sur mon épaule, tout comme Leirn vint se poser sur celle de Roxane. Ils avaient suivis le carrosse en volant, et étaient restés dissimulés le temps que les gardes nous laissent tranquille. Pas la peine d’échauffer les esprits avec la présence de drakes.

*-Je doute que vous discutiez de l’intendance des terres d’Hélios.
-Moi aussi.
-Une idée de ce qu’elle veut ?
-Elle a l’air d’avoir besoin d’aide, de soutien. Elle doit se sentir bien seule. Si on peut lui apporter du réconfort tant mieux. Mais je me demande bien de quelle manière…*

Je n’étais pas ce qu’on pouvait appeler un ami de la reine. Je l’avais rencontré que deux fois, la première lors du bal de la duchesse Soltariel. La mère de Trystan avait fait un scandale et j’étais venu apporter mon soutien à tout le monde. La deuxième fut lors de son mariage. En tout et pour tout nous avons du échanger une dizaine de mots. Elle me connait pour être un ami d’Hélios c’est tout, et pourtant elle semble chercher mon aide comme si nous étions amis.

Nous finissons par arriver dans les appartements royaux. Roxane et moi-même nous asseyons sur les fauteuils tandis que la reine s’effondra sur le divan.

« Ne vous en faites pas majesté, nous ne sommes pas là pour vous juger. Vous êtes humaine, et comme tout le monde vous avez vos limites. Seuls les Dieux sont infaillibles, et encore. Leur Histoire montre qu’ils ne le sont pas forcément. »

Rien que Kÿria en était la preuve. Elle était orgueilleuse et vaniteuse, et cela avait conduit à la rivalité avec son frère, Othar, déclenchant la guerre des peuples. Melesiel se met à babiller avant de prendre la tête de Cundu dans sa main. Les piquants heureusement sont dans le bon sens, ce qui fait qu’elle ne se pique pas. Et puis, elle prit seulement le bout de la tête, pas le sommet du crâne.

*Tu pourrais lui dire de me lâcher ? Je commence à étouffer là.*

Je rigole doucement tandis que je retire la main de ma fille à peau d’ébène de la tête de Cundu. Se dernier secoue la tête et renifle bruyamment. Il n’est pas fâché, il sait bien que ce n’est qu’une enfant, mais là il a du avoir un peu mal. Melesiel rigole doucement, et le petit dragonnet se met à darder sa langue sur sa peau, la chatouillant pour la faire rire encore plus. Je souris en les regardant tous les deux avant de me tourner vers Roxane. Je lui souris amoureusement avant de regarder la pauvre reine.

« Y a-t-il quelque chose que nous pouvons faire pour vous aider votre majesté ? »

Exit le prétexte de la discussion de l’intendance. J’ai envie de l’aider, et pour cela autant lui demander ce dont elle a besoin.

Roxane sentait bien que la pauvre reine était au bord de la crise de nerfs. A trop retenir ses émotions, celles-ci menaçaient de déborder. Alors, elle laissa agir son pouvoir apaisant et revigorant, pour laisser à la jeune femme le temps de récupérer un peu et de reprendre ses esprits et l'empêcher de s'effondrer devant les vautours de la Cour. La jeune fille restait méditative : la reine était enceinte, mais à sa connaissance, elle n'en avait pas entendu parler. Etait-ce resté caché? Le roi était-il au courant? Elle savait juste que le corps fin de Lilianna recelait la vie, mais était incapable de savoir depuis quand. Être disciple de Néera avait des avantages, mais son pouvoir avait des limites.

Elle vit le regard de la reine se poser sur Mélesiel et entendit la reine balbutier quelques mots sur l'abence de quelqu'un. De qui? Du roi sans doute. Il était de notoriété publique que la reine était folle amoureuse de son époux et qu'il le lui rendait bien. Le coeur de Roxane se serra devant cette détresse douloureuse et elle jeta un coup d'oeil à Eldis. Comment aurait-elle elle-même supporté son absence? Mal, sans aucun doute.

La reine se leva et pria Eldis et Roxane de la suivre pour parler des affaires du royaume... et pour échapper aux regards. Discrète, Roxane se leva, lissa sa jupe et suivit la reine, se tenant tout près pour la rattraper si elle chancelait. Petite et fluette, mais plus forte qu'elle n'y paraissait, la jeune Roxane. Leirn vint se poser sur ses épaules. elle avait enfin apprit à rétrécir et c'était beaucoup plus pratique!

*Roxane, dis, dis, qu'est-ce qu'elle a?"
*Elle est enceinte.*
*Oh, mais c'est super ça! Faut fêter ça!*
*Euh... Non, je ne crois pas que ce soit le moment...*
*Pourquoi?*
*Parce que son mari est parti à la guerre et qu'elle est inquiète.*
*Ah...*

Leirn n'en dit pas plus et Roxane ne rajouta rien. Ils entrèrent à la suite de la reine qui s'effondra sans élégance sur le divan, comme terassée. Elle s'excuse auprès du couple de ses manières et Eldis réplique fort diplomatiquement qu'ils n'ont pas à juger. Pendant ce temps, melesiel joue avec Cundu sous le regard envieux de Leirn. Leirn adore jouer avec la petite.

*Dis, dis, je peux y aller?*
*Non, c'est un entretien sérieux, sois sage*
*Pfff...*

Leirn quitta les épaules de Roxane pour se coucher sur le dossier du fauteuil, boudeuse. Roxane, échangea un regard amusé avec Eldis, avant de se tourner vers la reine.

- "Il est normal d'être inquiète et fatiguée... Ce que je vais vous dire va sans doute vous sembler futile, mais que la reine endure les mêmes tourments que le peuple réconforte celui-ci... Le commun des mortels méprise la noblesse parce qu'elle leur semble trop lointaine et ne souffre pas des mêmes maux. Cela dit, je me doute que l'absence de votre époux vous pèse au vu des circonstances."

Elle n'en dit pas plus au sujet de la grossesse, restant assez énigmatique pour qu'Eldis ne comprenne pas, mais que la reine capte le message. Se retrouver seule et enceinte dans cette fosse aux lions avait de quoi miner le moral. Eldis demanda alors en quoi ils pouvaient être utiles à Lilianna et Roxane se tourna de nouveau vers la reine, silencieuse.

Mais qu'est ce qui pouvait bien lui passer par la tête ? Oh elle était tellement perdue qu'elle ne savait plus ce qu'elle faisait... Alors qu'elle conduisait Elds et Roxane à ses appartements , elle cogitait. Qu'est ce qui lui prenait de les emmener avec elle ? Ils ne pouvaient rien pour elle ! Avec horreur , Lilianna se rendait compte qu'elle avait simplement cherché un prétexte pour échapper à la cour , pour ne plus être seule... Mais à quoi cela pourrait-il bien lui servir de les entrainer avec elle ? Elle ne ferait que les ennuyer... Bon sang qu'elle se trouvait stupide ! Elle retint un soupir. Maintenant qu'ils étaient là... Elle ne pouvait pas leur dire de repartir aussi sec. Pour quoi , pour qui passerait-elle ? Serrant les dents , elle poussa la porte de ses appartements avant de les y introduire et de leur offrir un siège à chacun. Elle même s'écroula lamentablement sur le divan. Finalement , elle n'en avait cure... Et puis elle doutaient qu'Eldis soit du genre à la prendre de haut. Et au pire , elle était habituée aux regards mauvais , bien qu'elle doutait d'en être la cible , avec les deux personnes présentes. Sans compter l'enfant , qui ne pouvait pas avoir un regard un temps soit peu méchant... Le bébé respirant encore l'innocence...

Lilianna s'excusa pourtant de son comportement , qu'elle trouvait déplorable. Trystan n'aurait sans doute pas était très fier d'elle sur ce coup là... Mais s'il avait été là , elle n'aurait pas été dans cet état. Cette fois ci , elle ne put retenir un soupir. Ce n'était sa faute , ni la sienne. La seule faute revenait à la guerre , qui avait frappé un peu trop tôt à leur porte. Elle ne pouvait qu'espèrer un dénouement heureux pour cette bataille. Ce n'était pour le moment qu'un conflit isolé. Viendrait sans foute le temps où les troupes seraient conduites sur un immense champ de bataille , comme cela était déjà arrivé auparavant. Mais ce temps là n'était pas encore venu. Et dans son fort intérieur , Lilianna priait pour qu'il n'arrive pas trop vite. Surprise par la réponse d'Eldis et Roxane , elle releva ses yeux violets humides vers eux. Elle leur décocha un faible sourire , qui voulait juste dire "merci". Puis elle soupira , se redressant de son mieux.

« Je suis humaine... Mais avant de l'être , je suis reine. On ne m'accordera aucune clémence. J'ai mes faiblesses , et certaines personnes s'appliquent à me les faire montrer... C'est horrible au quotidien... »

Elle se tut un moment , puis répondit à Roxane , qui semblait avoir compris qu'elle était enceinte...

« Si Trystan ne revient pas vite , je ne sais pas ce que je vais faire... Beaucoup de gens ne supportent pas de voir une femme avoir autant de pouvoirs... »

La moitié des conseillers la respectaient , l'autre ne faisait que la juger pour mieux la faire plier. Elle résistait pour le moment , seuls les dieux savaient par quelle miracle... Alors qu'elle avait un pauvre sourire , ses yeuc se posèrent sur le bébé , qui gigotait dans les bras d'Eldis et jouait avec l'espèce de petit dragon que Lilianna se souvenait d'avoir vu à la fête. Tout comme l'autre , celui qui restait prêt de Roxane. L'espace d'un instant , Lilianna resta concentrée sur l'enfant , encore innocente , qui n'avait absolument pas conscience des drames qui se déroulaient autour d'elle. Comme un regard d'enfant était différent... Comme un regard d'enfant transformait tout... Un papillon devenait une fée. Un crapaux un prince. Et Lilianna ne regrettait pas d'avoir transformé le crapaud en prince idéal... Elle eut une pensée pour la petite Zoïle. Son crapaud à elle n'était pas un prince , mais un garde du corps.Enfin d'après ce qu'elle avait compris. Un crapaud garde du corps... Pourquoi pas après tout ! Lilianna quitta enfin la petite des yeux , et posa son regard violet sur Roxane , qui avait un regard identique au sien. Cela lui faisait tout drôle de croiser quelqu'un qui avait des yeux semblables aux siens. Elle se rendait enfin compte à quel point c'était rare... et beau. Puis elle baissa les yeux.

« Je crains que vous ne puissiez rien faire pour moi , Eldis. A moins que vous ne puissiez ramener mon époux en le trainant par la peau des fesses ? »

Elle eut un petit rire. Trystan était un homme d'honneur , et il faudrait bien une dizaine d'hommes sur lui pour qu'il veuille bien se laisser trainer jusqu'à Diantra... Ce n'était hélas pas prêt d'arriver. Il ne reviendrait pas avant un moment. Heureusement , il lui avait promi de revenir avant la naissance de leur enfant. Ce moment là , elle ne pourrait pas le passer seul. C'était hors de question. Et puis Lilianna ne s'en sentait pas capable du tout. Elle aurait besoin de lui. Elle aurait besoin de broyer sa main dans la sienne sous l'effort... La jeune reine chassa ces pensées de son esprit. Cela ne contribuait qu'à la rendre encore plus triste qu'elle ne l'était déjà. Lilianna sursauta légèrement , sentant quelque chose lui donner un petit coup sur la cuisse. Oh , le chien ! Elle avait oublié qu'elle l'avait laissé là le temps de paraître à la cour. Avec un petit sourire , elle caressa le chien entre les oreilles. Cabal s'assit sagement , remuant la queue.

« Je suis désolée... J'ai bien peur de vous avoir fait venir ici pour rien. Je m'en excuse... Je fais vraiment n'importe quoi... »

Alors qu'elle se confondait en excuses , elle n'avait pas vu que le chien s'était glissé discrètement jusqu'à ses invités. Cabal alla d'abord s'intéresser de "loin" au bébé , qui continuait de babiller comme si de rien n'était. Trouvant qu'elle était trop haute pour lui , il reporta son attention sur la petite dragonne blanche , couchée sur le dossier , la mine boudeuse. Le chien se mit sur ses deux pattes pour voir le dragon de plus près. Eh bien , il trouvait que c'était un très gros lézard...

La royauté semble bien être la pire chose qui soit au monde. Il suffit de voir la reine pour s’en rendre compte. Fatigue, tristesse, peur, tout cela se dessinait sur son visage. Elle cherchait à conserver les apparences, mais pour quelqu’un ayant été élevé par les elfes, cela se lisait aussi bien que si elle les affichait au grand jour. Roxane non plus n’est pas dupe. Elle connait assez bien la nature humaine pour savoir reconnaitre des signes qui ne trompent. L’absence de son mari lui pèse tellement. Elle n’est pas faite pour régner, ou pas seule tout du moins. Tant de responsabilités. Rima s’en plaignait dans les lettres qu’il envoyait à Hélios. Il ne voulait pas gouverner, mais malheureusement n’avait pas le choix. Il devait faire avec.

Je capte le regard que Roxane me lance quand la reine évoque l’absence de son mari. Si j’étais partit à la guerre comme lui, elle aussi aurait eu du mal à le vivre. Mais je ne suis pas partit, je suis resté. Pour elle, pour Melesiel, pour Hélios. Je lui lance un sourire rassurant avant que la reine ne nous invite dans ses appartements pour discuter de la gérance des terres d’Hélios. Nous la suivons donc, nos dragons revenant vers nous maintenant que le danger des gardes était passé. Une fois à dans l’intimité de la chambre royale, la reine s’effondra sans plus de cérémonie sur le divan. Elle est au bord du gouffre ça se voit.

« Comme lors de votre mariage ? »

Je me souvenais très bien de l’incident provoqué une des nobles de la cour. Je ne comprenais pas alors toute la subtilité de la chose, mais je savais que erreur avait été commise par la reine. Un piège tendu et elle y était tombée dedans. Heureusement son mari était là pour lui venir en aide. Melesiel babille, s’amuse avec Cundu tandis que Leirn vint s’installer sur le dossier du fauteuil vexée. On dirait que Roxane lui a interdit de jouer avec ma fille. Je sais combien elle adore s’amuser avec elle. Je souris amusé, répondant au regard de Roxane avant qu’elle ne réponde à son tour à la reine. Curieusement j’ai l’impression que quelque chose passe entre les deux jeunes femmes, comme si elles se comprenaient sur un point qui m’était insaisissable.

« Bien que les elfes soient plus tolérants à cet égard, beaucoup ont du mal avec cela aussi. Toutefois ils sont prêts à laisser une telle femme faire ses preuves avant de la condamner, et lui prêtent même son soutien lorsqu’ils la jugent digne de régner. Ce fut le cas avec la reine Orelindë, avant qu’elle se n’en aille rejoindre Tari. Malgré tout, je sais combien les humains ont du mal à accepter qu’une femme leur soit supérieure. C’est un concept que j’ai du mal à saisir. Ce qu’il vous faut, c’est vous entourer de personnes en qui vous et le peule ont confiance. Si on vous voit travailler ensemble, le peuple sera rassuré. Malheureusement, si elles sont toutes parties à la guerre, alors vous devrez trouver quelqu’un pour vous protéger contre vos détracteurs, qu’il soit aimé du peuple ou non. Qu’il soit votre bouclier, prenant tous les coups et répliquant à votre place afin de vous laisser gouverner en paix jusqu’au retour de votre mari. »

Je dis ce qui me parait le plus logique à faire, à savoir si c’est réalisable ou aura l’effet escompté, ça… Elle seule peut me le dire, je m’y connais si peu en politique. Le regard de la reine s’attarde sur Melesiel, et pendant un moment je me demande si elle ne va pas me demander l’autorisation de la prendre dans ses bras. Mais non, elle n’en fait rien et se tourne vers Roxane, plongent ses yeux violets dans leurs jumeaux en face. Deux femmes aux yeux violets, voila qui n’était pas commun. Je me tais pendant l’échange silencieux, seulement troublé par les babillages de Melesiel qui cette fois s’amuse à mettre ses doigts dans ma bouche. Je regarde ma fille, me disant qu’il faudrait que la réprimander un peu, même si elle ne comprend pas. Mais une nouvelle fois je craque. Elle me regarde avec ses yeux bleus, et je ne peux me résoudre à lui dire quoi que ce soit. Ha, le pouvoir des enfants est si grand. Quoi que c’est plutôt celui des femmes en fait. Je relève la tête et retire doucement les doigts de Melesiel de ma bouche pour répondre à la reine.

« Oh je le pourrais. Je doute qu’il apprécie la chose, tout comme ses soldats, mais je pourrais le faire si vous voulez.»

Je ris à moitié, bien que je sois capable d’accomplir un tel exploit. Mais bon je doute que ce soit une bonne idée d’enlever le roi en pleine guerre. Ca ne se fait pas, et les troupes ont besoin de lui pour leur remonter le moral. Savoir qu’il est là, auprès d’eux suffit à les galvaniser assez pour qu’il redouble d’ardeur au combat. Si je leur retire leur soutien, ils perdent leur moral, pensant être abandonnés. Un petit jappement se fait entendre, et j’aperçois alors un assez gros chien qui réclame des caresses de la part de sa maitresse. Curieux, on dirait un loup, mais pourtant sans en être un.

« Vous ne nous avez pas fait venir pour rien majesté. Vous avez besoin de parler, et nous sommes là pour ça. Nous ne vous jugeons pas, ne vous voyons pas que comme une reine, mais comme une femme à part entière. Vous avez besoin de vous détendre, d’être de nouveau vous-même. Si par notre simple présence nous pouvons vous apporter un peu de paix, alors nous ne serons pas venus pour rien. »

Je cherche le regard de Roxane pour appuyer mes dires. Si c’est la seule chose que nous puissions faire, ce sera déjà bien. Le chien s’approche de nous, regardant Melesiel un moment avant de s’intéresser à Leirn, intrigué. Je souris amusé, tandis que ma fille fais des gestes vers le chien, curieuse de toucher cet animal qu’elle n’avait encore jamais vu auparavant.

« Ca Melesiel, tu vois c’est un chien. Comment s’appelle-t-il votre majesté ? »

Roxane n'avait que trop parler. Cela était dicté avant tout par son coeur. Elle avait vu la reine comme une simple jeune femme en plein malaise et désarroi et lui avait parlé comme tel. Maintenant, elle se rendait compte de son outrecuidance. Qui était-elle pour adresser ainsi la parole à la reine? La reine! Elle n'était qu'une fille du peuple sans la moindre importance, qui se retrouvait là par un étrange caprice du destin.

La jeune fille se referma donc sur elle-même, affichant un visage prudemment poli et neutre. La reine semblait en colère contre elle-même de cet accès de faiblesse. Apparemment, certaines personnes ne lui pardonnaient pas d'en avoir. La prêtresse de Néera se remémora les noces et surtout l'altercation entre la jeune reine et une autre femme, vipérine. Elle comprenait l'état de Lilianna... Livrée à la vindicte de tous, seule et enceinte.

Eldis semble avoir suivit le cours de ses pensées en évoquant le mariage. Lui, il semble plus à l'aise. Mais il a reçu une bonne éducation aussi, élevé par les elfes, il sait se montrer naturellement délicat.

La jeune fille et Lilianna se comprenaient au sujet de la grossesse. Lilianna ne parla que du pouvoir, mais la prêtresse aux cheveux blancs se doutait qu'il lui manquait pour biend 'autres raisons. Elle se contentad'acquiescer doucement, silencieuse. Eldis, en revanche, ne se priva pas pour apporter son point de vue et parler du système chez les elfes. Chez le peuple éternel, les femmes avaient tout de même plus de droits que chez les hommes.

Eldis voulait aider la reine, mais il n'y avait rien à faire, sinon lui ramener son époux. Le dragonnier aurait pu le faireen effet. mais plus que cela, si lui et Hélios avaient décidé de se battre, les hommes auraient alors gagné rapidement et ils seraient rentrés auprès de leur épouse. Une nouvelle vague de culpabilité envahit la jeune femme. A quoi bon avoir de puissants dragons si ce n'était pas pour aider les leurs? Ah oui, c'était une question de neutralité... Mais cela la frustrait.

la reine s'excusa alors de les avoir fait venir pour rien, ce à quoi Eldis répondit que s'ils pouvaient lui permettre de parler et d'être elle-même alors ils auraient rempli leur devoir. Roxane approuva, toujours silencieuse. Elle remarqua alors l'énorme chien qui semblait s'intéresser à leirn. leirn qui se redressa brusquement et darda une langue bifide vers le cabot.

*Roxane!! Dis lui d'arrêter de me regarder comme ça!*
*Comme quoi?*
*Comme si j'étais une friandise!*
*Mais non, il est juste intrigué.*
*Mais même!*

La jeune fille soupira et posa sa main sur la tête de l'animal, le caressant doucement pour détourner son attention.

- "Tu es magnifiques... garde du corps de la reine, non?"

Le regard de l'animal brillait d'intelligence.

*Magnifique, magnifique, peuh...*
*Ne sois pas jalouse, tu es la plus belle.*
*Oui, je sais.*

Roxane se mit à rire doucement, se tournant à moitié pour caresser la petite tête de Leirn. La petite dragonne se faufila alors sur les épaules de Roxane, jusqu'à ses genoux, regardant le chien avec curiosité.

- "Tiens, je te présente Leirn."

Eldis, lui, demandait à la reine comment s'appelait le compagnon canin. Roxane releva le regard vers la reine. Elle était belle, mais terriblement fatiguée. Où était-elle la jeune femme rayonnante du mariage? Enfouie, engloutie par l'épouse inquiète.

Pouvoir, puissance, richesse, voila ce qui a de tous temps attiré les hommes. Et les femmes apparemment. Elles n’étaient pas les dernières en manière d’intrigue, et de chasse au pouvoir. Elles pouvaient même se montrer plus… sournoises dans leurs démarches. Des serpents ? Oui, cela semblait être le mot qui les caractérisait le mieux. Avec les hommes au moins on sait à quoi s’en tenir, mais les femmes… Pourquoi faut-il que l’Humanité ne puisse présenter un front uni ? Que tous et toutes ne pensent qu’à leur propres intérêts ? C’est qui fait leur faiblesse.

« J’ai été surpris par cela. Je n’imaginais pas que les femmes puissent être aussi… viles et sournoises. L’Humanité ne cesse de me surprendre, en bien comme en mal. »

Je vais toujours de surprise en surprise avec elle, bien que je tombe plus souvent de haut que je ne relève l’Humanité dans mon estime. Mais je garde toujours à l’esprit, que parmi tout ce panel d’horreurs, de malveillance et d’égoïsme, il y a aussi de la bonté, de la richesse de cœur, de l’altruisme… Elle est capable du pire comme du meilleur, tout dépend de qui donne l’exemple. Et avec le roi Trystan et la reine Lilianna à leur tête, tout devrait bien aller. A condition bien sûr qu’ils tiennent le coup, ce qui ne semblait plus être le cas de la reine. Elle semblait vraiment désespérée.

Tout ce que je peux faire, c’est lui apporter mon point de vue sur la situation, et une solution. Solution dure à mettre en pratique selon toute vraisemblance.

« Vous avez la possibilité de faire changer les mentalités. Pour cela il faut montrer quelle reine vous êtes, et ne pas vous laisser miner par les querelles intestines inhérentes à la noblesse. Maintenant, plus que jamais, vous pouvez montrer à votre peuple que vous êtes là pour lui en l’absence de son roi, que vous êtes digne de les gouverner. Mais pour cela, il vous faut tout d’abord regagner confiance en vous, or je sais combien c’est difficile. »

Qui pourrait prendre des coups à la place de la reine ? J’ai bien quelqu’un en tête mais… Je me tourne vers Roxane, cherchant son appui. Soupirant je me tourne de nouveau vers la reine.

« Je prendrais les coups à votre place, Majesté. Je vous défendrais contre vos détracteurs, et vous soutiendrais dans votre rôle le temps que votre mari revienne. C’est bien le moins que je puisse faire pour une amie d’Hélios, et pour apporter mon soutien dans cette guerre. »

Je dois le reconnaitre, j’étais frustré de ne pouvoir intervenir. Tout ce pouvoir, toute cette puissance à portée de main, et je ne peux même pas en faire usage. Des gens souffrent, hurlent, crient, pleurent, mais je n’ai pas le droit d’intervenir ! Pourquoi ? La neutralité. Nous n’avons pas le droit d’avantager un camp par rapport à un autre. Là est le plus difficile. Je n’ai pas le droit de décider du destin des peuples, et je dois rester ici alors que des humains et peut-être même des elfes se font massacrer. Sur l’île du Sanctuaire les choses étaient différentes, l’île étant un havre de paix pour tous les peuples. C’était un lieu sacré qu’il fallait à tout prix défendre contre les pillages. Et maintenant, j’ai juré d’aider ceux qui ne peuvent se battre, mais ne peut me battre pour eux quand ils en ont besoin. Cela me frustre à un point, et Hélios aussi. C’est vraiment ce qu’il y a de plus dur dans notre rôle, rester impassible devant tant d’horreurs.

Je dois penser à autre chose. Je retourne mon attention vers la reine, et voit briller ses yeux. Elle est sur le point de pleurer, mais pourtant les larmes ne coulent pas. Non, elle se retient, elle veut être forte. Pour son roi. Je tente de plaisanter un peu, et je parviens à la faire sourire. Ouf, j’ai réussit au moins ça.

« Alors profitez de ce visage autant de temps que vous le désirez. S’il vous permet de tenir, alors je vous le présenterez aussi souvent que vous le désirerez. »

Ah tiens, voila un chien étrange. Ca ressemble à un loup, mais pourtant ce n’en est pas un. Je le sais pour en avoir vu bon nombre au cours de mon enfance. Le chien vient voir Melesiel avant de s’intéresser de plus près à Leirn qui ne semble pas très rassurée. Roxane posa sa main sur sa tête pour le caresser et le complimenta. Leirn ne semblait pas d’accord, mais elle se calma bien vite pour aller admirer le chien de plus près. Roxane avait réussit à la rassurer. Il ne fallait pas oublier que la petite dragonne était encore une enfant.

*-Ca me fait bizarre de penser qu’elle est plus vieille que moi, mais si jeune pourtant.
-Un trait de sa race peut-être.
-Peut-être.*

Cundu semblait pensif, son esprit ailleurs. A quoi pouvait-il penser ? Uriel ? Sans doute oui. Sa compagne lui manquait cruellement. Hélios avait attendu le printemps pour rejoindre Rima, voulant que Cundu puisse sortir à l’air libre. Il n’aurait pas supporté la solitude de son nid. Cundu quitta mon épaule pour aller se poser à coté de Leirn, sur le bras du fauteuil. Il frotta doucement sa main contre le bras de Roxane, en un geste affectueux et lent pour ne pas la blesser. Puis il regarda le chien de plus près.

*-Je me demande c’est quoi comme race de chien. On dirait qu’il a pour père un loup.
-Je pensais la même chose.
-Un cas unique tu crois ?
-Aucune idée. Je ne m’y connais pas en chien.*

Cundu continua d’admirer le chien, guettant ses réactions. Est-ce qu’il allait apprécier sa présence ?

« C’est un bien beau chien que vous avez là. Quelle est donc cette race ? »

Je demande, on ne sait jamais. Melesiel avait cessé d’observer le chien pour s’intéresser à ses pieds. C’est fou ce que ça pouvait être captivant pour un bébé. La reine me demanda si c’était mon enfant, et je lui souris tout en regardant la concernée.

« Oui, c’est notre fille. Elle se nomme Melesiel, cela signifie Fille de l’Amour en elfique. Je l’ai nommée ainsi en l’honneur de sa mère, qui a préféré que je sauve son enfant plutôt qu’elle. Elle l’aimait plus que sa propre vie. Elle n’est peut-être pas de notre sang, mais nous l’aimons comme tel. »

J’ai dit nous parce que Melesiel n’est plus ma fille exclusive, elle est aussi celle de Roxane. C’est notre enfant, notre précieux trésor. Je regarde Roxane et lui prend la main pour l’embrasser. Ce n’est peut-être pas une bonne idée de faire étalage de notre amour devant la reine, mais j’en avais envie. Je garde un moment sa main avant de demander à la reine :

« Vous voulez la prendre dans vos bras ? »

Roxane lança un coup d'oeil à Eldis alors qu'il s'avouait surprit de temps de rouerie de la part des femmes. Même si la situation ne s'y prêtait guère, elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire devant la naïveté du jeune homme.

- "Les femmes sont plus dangereuses que les hommes. Elles n'ont pas leur force alors compensent avec leur esprit."

Oui, il avait vu l'humanité dans tout ce qu'elle avait de plus odieux, mais cela ne suffisait pas à le préparer à tout. Et heureusement d'ailleurs.

- "Majesté, les serpents sifflent de jalousie. Voyez, vous, petite Comtesse malmenée par un père trop ambitieux, vous avez réussit à mettre la main sur le coeur du roi, sans élaborer la moindre stratégie sinon d'être vous-même. Vous l'aimez et êtes aimée de lui, cela crève les yeux. Il part et vous confie le royaume, vous faisant confiance. C'est une charge lourde à assumer, je le conçois et beaucoup sont ceux qui doivent se réjouir à l'avance de votre échec. Mais leur avis vous importe-t-il? Non, cela n'est que mesquinerie, vous êtes au delà de cela."

Roxane parlait de sa voix douce et mélodieuse, avec une calme assurance qui dénotait si l'on s'arrêtait à son visage enfantin. Pourtant, il n'y avait plus rien d'enfantin en elle alors qu'elle parlait avec la sagesse des prêtresses.

- "Vous vous pensez faible, vos ennemis le pensent aussi, mais les personnes biens, ces personnes-là, elles, savent que vous êtes plus forte que vous ne le pensez. Vous avez juste besoin d'aide... Comme un diamant brut qu'un joaillier va délicatement façonner jusqu'à ce qu'il rayonne et éblouisse. Laissez-les faire de vous ce diamant ma reine."

Elle doutait. Elle ne parlait que de sa fonction de pouliche reproductrice, ne voyant pas la femme ferme mais douce qu'elle pourrait être. Roxane la regardait en souriant, son regard pétillant alors qu'elle parlait de faire un héritier au roi. Il était déjà en route cet héritier.

- "Eldis a raison. Votre réelle faiblesse, c'est de ne pas vous penser capable de faire ce que l'on attend de vous. Moi, je trouve que vous vous en sortez assez bien."

Allusion faite à sa grossesse, toujours sans qu'Eldis ne soit au courant, bien évidemment. Cela dit, l'attitude décontractée de Roxane s'était un peu fanée quand la reine avait parlé d'Astéride. Ah oui, la blonde incendiaire qui avait mis le feu à Eldis. D'ailleurs, elle lui jeta un regard un peu ombrageux, toujours un peu jalouse. Même si la reine venait de confirmer que la blonde en question pleurait aussi l'absence d'un être aimé.

- "Majesté... Qu'est-ce qui vous tient à coeur réellement? Que voudriez-vous faire? Sans vous arrêter au concept de pouvoir ou pas, juste ce dont vous avez envie."

Eldis était prêt à aider la jeune femme, à prendre les coups à sa place. Roxane n'ajouta rien. Cela n'allait pas être facile pour eux. Eldis n'était pas né dans les intrigues et les complots. Quant à Roxane... n'en parlons même pas! Mais la détresse de la reine était telle qu'il était impossible de l'abandonner. Alors Roxane l'aiderait comme elle pourrait. Le gros chien loup vint alors renifler Leirn, curieux, alors que la reine donnait son nom et sa fonction. Ah, le chien du roi... Un peu de lui pour rester auprès d'elle... Elle sentit quelque chose chercher sa main et remarqua que Cundu s'était approché. Elle sourit et lui gratta le cou, alors que Leirn les observait un peu jalouse. Cela n'arrêta pas Cabal qui renifla le nouveau venu, avant d'aboyer, perplexe, mais ne sentant pas de danger.

- "Il a des airs de loup... Un croisé?"

Roxane répondait plus ou moins à la question d'Eldis. La reine s'intéressa alors à Melesiel, arrachant un franc sourire à Roxane, alors qu'Eldis faisait un résumé rapide. Il s'empara de la main de Roxane et l'embrassa tendrement, faisant naitre une délicieuse rougeur sur sa peau d'albâtre. Il lui proposa alors de la prendre. La jeune fille était certaine que la reine en mourrait d'envie.

- "N'importe quelle mère sacrifierait sa vie pour que vive son enfant..."

Nouveau regard à Lilianna. Elle était curieuse de voir comment la reine allait se débrouiller avec Melesiel. Sans doute très bien, il y avait beaucoup d'amour chez Lilianna, elle aimait éperdument le roi, mais il lui en restait encore énormément à donner.

- "Majesté, passez quelques instants avec vos sujets et ils ne pourront qu'être conquis. Moi, je le suis."

Roxane se tut, laissant la reine digérer la nouvelle.

Comme bien des hommes , Eldis était étonné de se rendre compte que les femmes pouvaient être pires que les hommes , lorsqu'il s'agissait de complot. Lilianna l'avait toujours su , mais elle ne pouvait pas nier que par moment , elle aussi était étonnée de la fourberie de certaines femmes. Évidemment , nous n'aurons pas besoin de citer de noms... Si vous avez l'esprit avisé , vous devinerez certainement vers qui les pensées de la jeune reine se tournèrent. Heureusement pour elle , elle y avait été habituée depuis son plus jeune âge. Certains coups étaient durs , mais elle avait appris à les encaisser sans rien dire. Comme sa mère. La pauvre Ariane n'avait jamais dû passer une journée sans être montrée du doigt ou dénigrée... Décidément , la vie de femme d'Edward n'avait rien eu d'extraordinaire. Sa vie n'avait jamais été colorée , mais toujours noire. Edward n'avait jamais rien fait de bien dans sa vie. Sauf peut-être sa fille. Le pauvre devait se retourner dans sa tombe maintenant ! Comme il avait été idiot de s'opposer à plus fort que lui... Comme il avait été idiot d'oser défier Trystan... Lilianna soupira , puis elle releva les yeux.

« Les femmes ne se battent pas , Eldis... Elles manipulent. Et c'est autrement plus dangereux , croyez moi. »

Et elle était bien incapable d'être manipulatrice. Elle n'osait même pas essayer , de peur d'être ridicule. Elle n'osait même pas mentir ! Décidément , elle n'était pas faite pour être reine... Oh , Trystan , quelle idée de partir maintenant ! Et quelle idée de lui laisser les rênes du royaume... Lilianna ne pouvait concevoir qu'il ait autant confiance en elle. Il devait avoir une confiance en elle qu'elle n'entrevoyait qu'à peine. Enfin , il faudrait tout de même qu'elle cesse de se dénigrer à un moment ou à un autre. On le lui avait dit , on le lui avait répété , une reine qui manque de confiance en elle est une reine faible. Autant dire que Lilianna se sentait drôlement faible ! Elle n'avait pas encore bien compris comment gérer un royaume. Trystan était parti si vite , qu'elle n'avait pas pu lui demander un ou deux conseils. Pour cela , elle devait s'entretenir avec les conseillers... Et ce n'était pas vraiment facile ! Parfois , elle se demandait comment son époux pouvait rester des heures en leur compagnie, Au bout d'un moment , cela devait être... insupportable ! Mais lui y était habitué depuis des années... Et puis quelques hommes mal lunés ne pouvait pas aller contre lui.

« Je tente de faire de mon mieux pour m'occuper du peuple , mais il y a encore bien des choses que j'ignore... La guerre est arrivée trop vite , Trystan n'a pas eu le temps de m'apprendre grand chose sur mes fonctions. Je sais que bien des personnes se jouent de mon incapacité à tout gérer... Beaucoup pensent que mon amour pour le roi m'empêche de gouverner efficacement. Hors la plupart ignorent tout de ma fonction et ignorent tout de l'amour. Ce sentiment n'a guère une grande place à la cour...»

Elle eut un petit rire.

« Je crois que Trystan et moi sommes une exception.»

Lilianna sourit faiblement. Roxane avait raison , au moins quelques personnes avaient confiance en elle. Mais ce n'était encore qu'une minorité. Peut-être en convaincrait-elle d'autres , avec le temps. Mais pour cela , il lui faudrait des alliés , pour l'aider à avancer sans se faire mordre dans cette fosse aux serpents. Cependant , dans l'immédiat , elle ne voyait aucune personne qui puisse ainsi l'aider... Elle soupira doucement , réfléchissant à la question de Roxane. Ce qu'elle voulait faire ? Oh elle voulait faire tant de choses pour son peuple ! Mais jusque là , elle avait toujours demandé l'avis de Trystan. Là , elle se demandait si ce serait une bonne idée d'agir sans son consentement.

« J'aimerai... J'aimerai énormément m'occuper des enfants et des femmes. Ce ne sont pas des causes faciles , mais si je ne m'occupe pas de ceux là , personne ne le fera. Et je ne supporte pas de voir des enfants malheureux ou des femmes maltraitées... Comme ma mère avant la mort de mon père.»

Lilianna eut alors un sursaut et ses yeux violets s'écarquillèrent. Eldis voulait prendre les coups à sa place ? Elle secoua doucement la tête... Non , il ne pouvait pas... Savait-il dans quoi il s'embarquait ? Elle ne pouvait pas lui demander de prendre des coups pour elle. Il la connaissait à peine , pourquoi se proposer ? Certes , elle était une amie d'Hélios , mais tout de même... Lilianna se sentit soudain très mal à l'aise. Jamais elle n'aurait pensé qu'il se proposerait. Elle ne pouvait pas accepter , mais elle ne pouvait pas non plus refuser. Elle se passa une main dans les cheveux. Lilianna se mordit la lèvre inférieure , puis elle croisa ses bras sous sa poitrine. Elle avait besoin de cette aide , mais elle ne voulait rien imposer à Eldis. Elle secoua de nouveau la tête.

« Oh Eldis... Je ne peux pas accepter cela... Je ne peux pas vous imposer cela. Ce n'est pas à vous de vous battre pour moi. Il y a une différence entre un ami et un garde du corps... »

Puis , le chien de Trystan était entré et avait décidé d'aller rencontrer tout ce beau monde. D'abord , il avait été intéressé par les dragons , puis par le bébé... Puis il était retourné sagement se coucher aux pieds de sa maîtresse. Lilianna le gratta entre les oreilles , puis le laissa tranquille. Ce chien était exceptionnel à tous les niveaux... Ce n'était même pas un vrai chien. Il devait avoir une moitié loup. Lilianna n'avait jamais demandé à Trystan comment il se l'était procuré.

« Je ne sais pas quelle est sa race... Auparavant , la question ne m'a jamais traversé l'esprit. Il faudra que je la pose à Trystan... Quand... quand il sera rentré.»

Lilianna osa alors demander à Eldis si le bébé était sa fille. La question était légitime puisque l'enfant était noire... Cela ne choquait pas Lilianna , mais elle était intriguée. Sans grande surprise , elle apprit alors le nom de l'enfant ainsi que sa signification. Oh cette histoire devait être bien triste. Lilianna eut un petit sourire , devant la démonstration d'amour d'Eldis à Roxane. Au moins subsistait-il une touche de bonheur... Lilianna rit doucement. La petite Melesiel semblait être très intéressé par ses pieds. C'est fou comme un bébé peut être intéressé par tout... Lilianna se demandait si leur enfant serait aussi curieux que la petite. Sans doute , puisqu'on peut dire que les bébés sont tous les mêmes en ce qui concerne leurs occupations. Lilianna devint alors rougissante. Si elle voulait prendre la petite dans ses bras ?

« C'est que... J'ai un peu peur d'être maladroite... Je n'ai pas l'habitude avec les bébés...»

Mais elle devrait peut-être prendre l'habitude , non ? Lilianna sourit à Roxane , légèrement rouge , incapable de trouver les mots pour la remercier.

Compenser leur manque de force par la manipulation. J’avais déjà entendu cela quelque part. Ah oui, lorsque je vivais avec cette famille de marchands ambulants. Je me souviens des filles qui me lançaient des yeux doux, et de la mise en garde qu’on m’avait faite.

*Méfies-toi de ces filles mon garçon. Elles sont pires que des sirènes. Ces femmes attirent les hommes dans leurs filets par leurs charmes et leurs corps, faisant d’eux ce qu’elles veulent, avant de les briser ou de leur mettre la corde au cou.*

Et à ce que je vois, celles qui n’y sont pas parvenues, s’étant faites prendre de vitesse, se jettent sur les autres femmes, déchargeant toute leur jalousie et leur venin. Le souci est que dans les intrigues de la cour, cela peut conduire à des incidents à l’ampleur démesurée.

« Je m’en rends compte oui. »

Un combat de pièges et de ruses, voila ce que c’était. Une guerre d’intrigues et de complots visant à saper l’autorité de la reine pour qu’elle perde confiance en elle, ou que le peuple perde sa confiance. A ce jeu, les plus grands esprits parviennent à retourner une situation désespérée à leur avantage, comme Trystan parvient à le faire. Mais la reine n’a pas été habituée à cela, aussi est-elle perdue face à ces situations.

« Vous n’êtes pas une exception votre majesté. L’Histoire montre que d’autres que vous vous ont précédés. Et généralement c’est ce qui a fait d’eux de grands monarques. Régner avec votre cœur, c’est tout ce que le peuple demande majesté. Que vous soyez sincère et ne leur donniez pas de faux espoirs, c’est tout ce qu’il demande.»

L’humanité de ses dirigeants, voila ce que le peuple cherche. Ils veulent qu’ils soient aussi humains qu’eux, qu’ils aient leurs mêmes problèmes et les aident à traverser les situations de crises. En ce moment les femmes et les enfants sont tristes de l’absence de leurs maris et pères, tout comme la reine est attristée de l’absence de Trystan. Ces moments sont durs, car il faut être à la fois humain et pourtant fort. Une situation difficile au possible.

Roxane approuve mes dires avant que l’on fasse allusion à Astéride, ce qui m’attire un regard noir de ma compagne. La rancune est dure, et j’ignore si ou quand elle disparaitra. Je me sens déjà assez misérable de m’être comporté comme le plus rustre des humains, Roxane est toujours là pour m’empêcher d’oublier ce moment d’égarement.

La reine parle alors de vouloir s’occuper des femmes et des enfants, ces personnes étant les moins protégées dans le royaume. Et ceux à qui on accorde le moins d’importance possible parfois.

« C’est une noble cause votre majesté. J’ai pu remarquer combien les femmes étaient considérées comme inférieures aux hommes ici, alors que beaucoup sont plus capables et plus responsables même que les représentants du soit disant sexe fort. Trop peu de métiers leur sont ouverts, et quand certaines percent dans un milieu, elles sont dénigrées. Ce fut le cas d’une amie qui travaillait dans la cavalerie. J’ai essayé de l’aider, mais malheureusement la mort la fauchée avant que j’y sois parvenu. »

Je regrette énormément la mort d’Idrielle. Si elle ne m’avait pas rencontré, elle vivrait encore aujourd’hui. Mais qui sait si elle ne serait pas morte ou violée par ses supérieurs ou camarades de cavalerie. On ne vit pas de regrets, mais d’espoirs. Et la cause de Lilianna en est un pour toutes ces femmes.

« Beaucoup trop d’enfants humains sont abandonnés ou orphelins, et confiés à des temples. Les prêtres et prêtresses ne sont à l’origine pas formés pour s’occuper d’eux. Aussi vouloir venir en aide à ses pauvres petits est une tâche dure, mais très noble majesté. Si vous souhaitez aider tout ce monde, vous accomplirez quelque chose de bien plus grand que beaucoup de rois avant vous. »

C’est certain, accomplir une telle tâche ne serait pas facile du tout. Mais si elle s’accroche de tout cœur à ce projet, alors elle réussira. J’ai confiance en elle. Et au besoin nous serons là pour la soutenir.

Trop lasse pour continuer à se battre, je lui propose de me battre pour elle, de prendre des coups et de répliquer s’il le faut. Mais elle ne veut pas que je le fasse, elle ne veut pas me contraindre à ce rôle.

« Majesté, si je ne me bats pour vous, qui le fera ? Qui vous protégera ? J’ai été entrainé par Hélios, croyez-moi, après cela aucune épreuve n’est impossible. »

C’est sûr que peu de personnes pourraient se vanter d’avoir survécu à son entrainement. Ou de s’en être sortit indemne. Le chien de Trystan déboule, quémandant des caresses avant d’aller s’intéresser à Melesiel et aux deux dragons. Etrange chien qui semble croisé avec un loup. D’ailleurs Roxane exprime tout haut la question qui me traversait l’esprit. La reine promet de demander à son mari quand il rentrera.

Elle s’intéresse alors à Melesiel, curieuse d’en savoir un peu plus sur notre enfant. Je lui conte sa triste histoire, avant de lui proposer de la prendre dans ses bras. Je souris doucement alors que je me lève et m’approche d’elle.

« Ne vous en faites pas. Vous vous en sortirez très bien. »

Doucement je place Melesiel dans ses bras, la calant le mieux possible pour rassurer tant la reine que ma fille. Je souris doucement mais reste à coté au cas où. Du moins jusqu’à ce qu’elle se sente plus à l’aise.

- "L'amour n'est pas une faiblesse... Et c'est parce que vous êtes un couple uni que vous ferez de grandes choses. Vous vous complétez... Le roi est la force, l'intransigeance, l'assurance... Vous êtes la douceur, l'accessibilité..."

Il était plus facile quand on était du peuple de parler à la reine que de parler au roi. Trystan était inaccessible, froid, le visage souvent indéchiffrable. Lilianna était plus chaleureuse, plus humaine.

- "Et tout le monde sait que le roi vous écoute, vous pouvez donc être la voix des faibles et opprimés. C'est un atout. Mais cela, la plupart des nobles s'en fichent. Ils se fichent souvent du peuple et ne perdent leur temps qu'à jouer les paons devant le roi pour avoir ses faveurs et obtenir quelque chose de lui."

La voix de Roxane était dégoutée. Elle ne se rendait pas compte qu'elle parlait avec un peu trop de franchise. La reine pourrait fort bien s'offusquer de ses paroles méprisantes, mais Roxane en doutait. La reine fit alors part de son souhait de s'occuper des femmes et des enfants et Roxane sourit alors qu'Eldis répliquait. Elle se fit plus enthousiaste qu'Eldis :

- "C'est une idée formidable! Si vous saviez dans quelles conditions sont élevés certains orphelins! c'est abominable! Mais personne ne leur vient en aide parce qu'ils ne sont rien, ils ne représentent rien, ce sont des bouches inutiles à nourrir des gueux sans avenir. Qu'importe s'ils meurent, personne ne viendra les pleurer! Et les femmes, comme le dit Eldis, elles sont trop souvent opprimées et..."

Elle s'interrompit, lançant un regard à Eldis, avant de s'enhardir et de continuer :

- "Majesté, les gardes de la ville sont corrompus! Ils abusent de leur pouvoir pour faire régner leur loi misérable! Et malheur à qui leur tien tête, il y a eu trop de jeunes filles... brutalisées..."

Elle prit une profonde inspiration, balayant ses souvenirs.

- "C'est la loi du silence et de la terreur et personne ne viendra se plaindre auprès de vous de cela, par peur de représailles. La justice n'est pas juste pour les pauvres."

Voilà, c'était dit. Et c'était plus facile de le dire à la reine qu'au roi. Eldis se proposa à la protéger et l'aider, ce que la reine refusa, surement par politesse. Au fond, elle devait être ravie de cette proposition.

- "Un ami fait tout pour protéger ceux qu'il aime, il n'y a pas de différences."

Ils parlèrent du magnifique chien loup, avant de dévier sur Melesiel. Eldis la tendit à la reine qui semblait génée et surtout avait peur d'être maladroite. Il fallait pourtant qu'elle s'entraine.

- "Cela est instinctif Majesté."

« En quoi est-ce mal d’être tendre votre majesté ? Restez-le, c’est ce qui fait de vous ce que vous êtes. Votre tendresse fait que certaines personnes viendront vers plutôt que vers le roi, de peur de son intransigeance. Votre bonté et votre tendresse attireront à vous tous ceux qui craignent votre mari. C’est en cela que vous vous complétez, majesté. »

J’écoute Roxane parler de l’influence que la reine a sur le roi et j’approuve en silence. Il est vrai que si elle écoute le peuple, elle peut intercéder en leur faveur auprès de son mari.

« Le peuple a plus besoin de son roi que les nobles votre majesté. Ce sont eux qui souffrent le plus, alors que les gens de Cour vivent dans le luxe et ne souffrent la plupart du temps que de problèmes dérisoires, dont ils sont souvent les auteurs. Ils cherchent à obtenir plus de privilèges pour certains, d’autres sont plus modestes et vertueux, comme Hélios. Mais leurs problèmes ne sont rien en comparaison de ceux des simples gens. »

Preuve en était la peste, qui avait décimé des familles entières dans les rues. Combien de centaines de gens étaient mortes dans d’atroces souffrances, ou brûlées vives pour éviter la propagation de la maladie ? Et pendant ce temps, les nobles étaient bien au chaud et en sécurité dans leurs domaines respectifs.

Roxane laissa son enthousiasme parler alors que la reine exposait son projet pour les femmes et les enfants. Mais bientôt le ton changea, et je captais son regard alors qu’elle parlait du comportement des gardes envers les femmes. Un éclair de douleur passa dans mes yeux en pensant à Roxane dans une telle position, comme cela lui est arrivé autrefois. Ma main vient chercher la sienne pour la serrer doucement. Telle chose n’arriverait plus jamais, je me l’étais promis.

« Pour ces femmes, et pour ces enfants, n’abandonnez pas votre tendresse et votre douceur. Ils ont besoin de vous pour les accueillir et les écouter. Votre projet est le plus louable qu’il m’ait été donné d’entendre. Je vous avoue que cela me touche personnellement, étant orphelin moi-même. Je n’ai jamais connu ceux qui m’ont donné le jour, ne sait pas qui ils sont. Si je n’avais pas eu la chance d’avoir été recueillis par mes parents, aujourd’hui je serais mort. Et beaucoup trop d’enfants sont abandonnés, seuls, sans défenses dans les rues. Leur destin est trop souvent tragique. Quand aux femmes… »

Je jette un regard à Roxane et soupire.

« Il faut faire en sorte qu’elles arrêtent de souffrir. Trop d’entre elles s’ôtent la ville, ou subissent ces violences quotidiennement, n’osant venir se plaindre à qui que ce soit. Les seuls à les entendre sont les prêtres, mais encore faut-il qu’elles aient le courage d’aller leur parler. »

J’ai mal au cœur en y pensant. Le comportement des hommes envers les femmes me donne la nausée et m’ulcère. Je suis trop empreint de la culture elfique. Elles sont les égaux des hommes, pas de simples jouets qu’on peut briser pour s’amuser. Elles sont le plus souvent meilleurs que les hommes, mais aucun ne le reconnaitrait par fierté. Ce qui n’est pas mon cas. Je ne me considère pas comme supérieur à Roxane, comme celui qui guide le couple et décide de tout. Non, nous prenons les décisions ensemble, même les plus importantes qui peuvent décider de notre avenir à tout les deux.

« Il suffit qu’une femme ai le courage de venir vous voir, qu’elle voit son agresseur puni pour que cela incite les autres à suivre le même exemple. Une simple boule de neige tombant du haut d’une montage peut engendrer une avalanche. Il faut juste trouver cette boule de neige. »

Trouver une âme courageuse qui ose enfin se dresser pour dire stop, j’en ai assez de souffrir. Il faudra la chercher.

Je propose à la reine de l’aider, de la protéger et de la soutenir, mais elle refuse avant de finalement céder. Elle avait trop besoin d’aide.

« C’est promis votre majesté. »

Je lui souris, bien qu’intérieurement je sais que je ne vais pas l’abandonner comme ça. Cette situation durera je ne sais pas combien de temps. Probablement jusqu’au retour du Roi.

Intriguée, la reine s’intéresse a Melesiel et je lui propose de la prendre avant de la caler dans ses bras. Elle n’est pas choquée par sa couleur, ou ne le dit pas si c’est le cas. Mais j’en doute. Elle la regarde comme un bébé, pas comme un monstre parce qu’elle a la peau d’une drow. La connaissant, je m’en doutais un peu. Elle ne juge pas d’après l’apparence.

« Toute la force d’un enfant réside dans sa faiblesse. L’homme lui donne cette force, la femme cultive sa faiblesse. »

Je souris en tendant mon doigt à ma petite fille à peau d’ébène.

« C’est un proverbe du pays où j’ai recueillit Melesiel. Je le trouve magnifique, et tellement vrai. »

- "Eldis a raison, vous avez chacun vos forces et vos faiblesses et apparemment, elles se complètent parfaitement. Là où il est sûr de lui, vous êtes accessible, là où vous êtes tendre, il est intransigeant. Mais tout le monde sait qu'un époux amoureux écoute sa femme. Et en cela, vous avez un grand pouvoir..."

La jeune fille était persuadée que la douceur d'une femme, habilement utilisée, pouvait être une arme imparable. Lilianna pouvait bien jouer les sottes et tromper son monde en feignant l'incapacité, elle pouvait, par delà les apparences, la jouer finement et tromper son monde en les prenant au dépourvu. Oui, Lilianna était un diamant brut qui ne demandait qu'à être taillé pour obtenir tout son éclat. Mais qui taillerait cette pierre délicate et précieuse? Son mari? Oui, sans doute... Ses amis peut-être... Ceux qui voyaient son potentiel. Eldis pourrait l'aider. Roxane aussi, bien qu'elle n'y connaisse rien aux affaires de Cour. Mais la jeune fille avait un caractère bien trempé, cela pourrait aider Lilianna, non?

Elle se lança alors dans un discours passionné sur le comportement inadmissible des gardes qui violaient les femmes. Hélas, les femmes étaient souvent mal considérées ici bas. Certaines parvenaient à tirer leur épingle du jeu en détenant des postes clés, mais c'était difficile et elles devaient faire face au mépris des hommes chaque jour. Les femmes soldats par exemple. Et les nobles dans tout cela? Même elles n'étaient pas vraiment libres.

- "Peut-être que votre gentillesse fera évoluer les mentalités du peuple... Ne soyez pas inaccessible pour lui Majesté. Ne commettez pas cette erreur de vous enfermer dans le palais avec le gratin et de couper toute communication avec les pauvres gens. c'est la guerre, les hommes partent au front et se battent, au risque de mourir et les femmes se retrouvent seules avec enfants et vieillards. Plus que jamais, ils ont besoin de savoir que vous ne vous en moquez pas."

Eldis s'était emparé de sa main en signe de soutien. Il savait qu'elle avait été une victime elle aussi. Mais elle n'était pas du genre à se laisser abattre, pas depuis que Néera avait fait irruption dans sa vie, lui conférant un optimisme sans failles.

Eldis se proposa pour être son chevalier servant et la reine accepta, non sans nuancer sa réponse. Roxane sourit.

- "Il est têtu. Il ne vous abandonnera pas."

Et Roxane non plus, mais cela, elle se tint de le dire. Elle trouvait Lilianna sympathique, mais elle restait la reine et Roxane une simple prêtresse. Peut-être parviendrait-elle à effacer cela. Avec le temps. Mais elle se promit de rendre le temps moins long à Lilianna et de lui apprendre à envoyer paître ceux qui la dénigraient.

Ils proposèrent alors à la reine de prendre l'enfant dans ses bras. Roxane s'attendrit en voyant la reine un peu maladroite, mais inifniment douce en acceptant la petite Melesiel.

- "Cela vous fera de l'entraînement."

Là encore, elle ne dévoilait rien. C'était loguque qu'une jeune femme, reine de surcroit fasse des enfants... Qu'ils soient en cours de développement ou non. Eldis commenta les paroles de la reine et Roxane termina :

- "Vous formez un tableau touchant."

[HJ : Bonjour ! J'me suis invitée, mais j'ai eu la permission de Ma Dame. ]

Des pas dans le couloir. Des pas légers et le tintement de la porcelaine. Une avancée rapide, presque précipitée. Elle était en retard, Madame devait attendre sa tisane. Et en plus, on l'avait prévenue à la dernière seconde, au moment où elle allait courir vers la Reine que Madame avait des invités. Mais Euh ! Ça voulait dire plus de tisane, plus lourd le plateau et plus de porcelaine à fracasser si elle se prenait les pieds dans les dallages du sol. Mais la vie était une suite de risque à prendre. Et la vie de Zoïle était bien calme depuis un moment. C'était pas mal, elle n'avait pas faim, pas soif, pas froid, pas de blessures et surtout, pas de rats-garous à sa suite. Et puis, elle aimait bien la Reine. Elle en prenait soin comme une petite fille peut prendre soin de sa mère. Mais Zoïle savait que sa mère était chez elle.

Elle pose le plateau, puis ouvre la porte, avant de la retenir avec un pied et reprendre le plateau dans un équilibre précaire. Zoile vivait dangereusement... Waaaaw !

Flat flat flat flat

Eze le crapaud sautille derrière Zoïle et réussit à franchir la porte juste avant qu'elle ne se referme. Eze est un très gros crapaud. Zoïle l'entend.

- Eze, dehors, les grandes personnes aiment pas les crapauds, gronde la gamine au crapaud qui bifurque et va à la chasse aux insectes sous un meuble.

Sans rien dire, elle s'approche du groupe de personnes nobles et sans doute très riche, puis pose le plateau sur une petite table. Elle se présente à la Reine, a un bref froncement de sourcils en voyant la petite fille dans les bras de la Reine, mais sourit aussitôt et s'incline rapidement.

- L'heure de votre tisane, Ma Dame.

Elle sert la Reine, doucement, sans faire plus de bruit que le léger tintement cristallin de la porcelaine, puis elle sert les invités de Sa Majesté. Elle ne leur demande pas s'ils en veulent. Pas besoin. S'ils n'en veulent pas, ils ne boiront pas. Et puis, c'est l'heure de la tisane, pas d'autre chose. C'est une camomille, apaisante et Zoïle avait le don d'arriver juste à temps pour que le breuvage soit ni trop chaud, ni trop froid. Parfait. Elle sert donc le premier invité, l'homme et elle lui sourit. Puis elle louche par hasard sur le joli truc qui est posté sur l'épaule de l'homme. Elle se fige et pose sur eux un regard avide, admiratif.

- Oh...

Rien à craindre. Ce n'est pas un regard choqué, ni terrifié. C'est le regard des enfants qui découvrent un truc qu'ils n'ont jamais vu, mais qu'ils sont persuadées d'avoir déjà entendu parler, sans pouvoir mettre le doigt dessus. Machinalement, comme les enfants curieux, elle lève la main, pour toucher, mais un brin de lucidité la fait cligner des yeux et son regard, déjà très grand, s'ouvre d'avantage. elle vient de se rendre compte de ce qu'elle est en train de faire. Elle baisse aussitôt la main et sert la dernière tasse avant de faire le tour, rapidement, la tête basse, et la poser devant Roxane.

Oh... elle a fait une bêtise, elle en est sûre... on l'a averti trop souvent de ne pas faire n'importe quoi devant les Nobles. Elle jouit certes d'une grande liberté près de la Reine, mais seule à seule avec la Reine, c'était différent qu'avec ses invités. Elle risque de se faire gronder.

- Navrée...

Oh, elle croyait la Reine, mais elle préférait ne pas prendre de chance. Et puis, Eze était du genre maladroit. Non, mais... enfin... Zoïle ne voulait tellement pas faire de bêtises qu'elle était sans doute trop prudente.

- Eze traîne quelque part, il doit chasser les bestioles, répond-elle, évasivement, parce qu'elle sait que les nobles n'aiment pas les crapauds. La plupart... elle préfère ne pas prendre de chance.

Mais non, la Reine ne la gronde pas. Elle est même très gentille avec elle. La Reine était une gentille Reine. Comme dans les contes de fées. L'idéal de la perfection féminine se résumait dans la Reine Lilianna. Zoïle avait lu assez d'histoires dans sa courte vie, elle en avait même inventé assez pour être parfaitement au courant de ces choses là. Ils avaient affaire à une connaisseuse au sujet des belles princesses, méchantes sorcières, preux chevaliers et fidèles destriers.

Elle incline la tête, les yeux rivés au sol, elle les relève, une fraction de seconde, avant de les retourner au plancher, quand la Reine la présente.

La Reine la présente. Ah ? Depuis quand on présentait les petites servantes ? Elle jette un coup d'oeil à la Reine, l'air de lui demander si elle a le droit de faire ça.

La tisane servie, elle s'assure d'obéir à la Reine et vient se hisser sur la chaise près d'elle. Elle espère avoir choisit la bonne chaise, pour ne pas froisser les invités. Un rien arrive à froisser un noble lui a-t-on dit. Elle n'a jamais bien compris d'ailleurs. Elle n'irait jamais jusqu'à froisser un noble quand même... elle se voit mal rouler un noble en boule, comme du papier... m'enfin.

- Oui, Ma Dame, déclare-t-elle d'un ton solennel.

Presque timidement, elle se prend un biscuit, comme la Reine lui a dit de faire. Mais c'est surement pas à contre coeur. Zoile adore les biscuits. Tous les enfants aiment les biscuits, c'est bien connu.

Silencieusement, se faisant la plus discrète possible, pour ne pas déranger les grandes personnes, noble de surcroit, elle grignote ses biscuits. On ne l'entend pas. Ou presque pas. On l'entend mâcher, ou plutôt on entend le crounch crounch des biscuits et le froissement de tissus de sa petite robe de demoiselle de compagnie, provoqué par le balancement de ses pieds sous la table. C'est machinal, quand ses pieds ne touchent pas le sol, ils se balancent tout seul. Elle ne s'en rend même pas compte. C'est pas vraiment très poli... tant que ça reste sous la table.

Elle fait bien attention de ne pas faire trop de miettes... mais à manger des biscuits, c'est pas facile. Accessoirement, elle écoute distraitement la conversation des grandes personnes.