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| Au delà de la houle [Annya] | |
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Auteur | Message |
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Ailill Mânes
Humain
Nombre de messages : 60 Âge : 203 Date d'inscription : 31/12/2008
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : Taille : Niveau Magique : Non-Initié
| Sujet: Au delà de la houle [Annya] Lun 19 Jan 2009 - 16:19 | |
| Voilà si longtemps qu'il n'avait pas vu la mer, cloitré à l'intérieur des terres comme un fauve en cage ; Ailill ressentait son appel comme jamais. Cette sensation, il n'aurait su la décrire, en vérité, il ne s'intéressait pas à elle. S'il était ici, face à l'eau houleuse, à l'écume blanche, ce n'était finalement que parce qu'il avait une tâche à effectuer sur l'Île du Sanctuaire. Il mit pied à terre dans la poussière, arrachant une hennissement impétueux à sa monture, qui piaffa avant de s'écarter de lui. Il ne la retint pas ; il n'en était pas capable. La chevauchée semblait avoir arraché ses dernières forces. Sa respiration, encombrée, les caillots de sang qu'il essuyait constamment au coin de ses lèvres, et le tremblement qui ne quittait plus ses mains, tout cela n'étaient que les symptômes d'une maladie sans appel. Il y en avait bien d'autres, moins visibles, mais que l'on pouvait deviner à son teint d'un blanc cireux et à des cernes si noires qu'on semblait les avoir tracées au charbon. Le regard bleu acier de l'homme scruta la mer. Il faisait atrocement froid, mais lui n'en était plus tout à fait conscient, ses sens engourdis. Les vagues se fracassaient contre la digue rocheuse, le bois des quais, en grondant sourdement. Elles avaient la bave au lèvre, une mousse blanche qui montait contre la coque des bateaux, la rongeait, la digérait, comme si elle eut voulu précipiter les marins dans la gueule affamée de la mer. Combien de cadavres – ou, plutôt, de carcasses osseuses – pourrissaient-ils dans les tréfonds sombres et glacés ? Le visage de l'homme ne trahissait pas le moindre sentiment. Il reprit sa marche, abandonnant la bête derrière lui sans même s'en préoccuper. On entendit des aboiements furieux, des claquements de mâchoires, suivis du tonnerre effréné des sabots dans la poussière. Ailill parvint sur les quais sans mal, guidé par une odeur de poisson en décomposition, violente au point que même ses sens émoussés lui permettaient de la percevoir. Les cris rauques d'un homme lui confirmèrent, si besoin était, quel bateau partait pour l'Île. Il embarqua. Aussitôt, le léger tangage, présent à quai, fit remonter en lui une nuée de sentiments contradictoires. C'était sa jeunesse qu'il avait passée – perdu – à fond de cale, aussi sa mémoire embellissait-elle cette période glauque, cette vie de rat qui crèvait. Un soupçon de vérité pointait pourtant, plus que dérangeant. La traversée s'éternisa, ponctuée de quintes de toux de plus en plus violentes. Un instant, les muscles entre ses côtes se contractèrent durement, refusant d'effectuer une inspiration de plus. Mais Ailill n'avait pas réchappé à la mort un peu plus tôt pour crever comme une mouette sur un navire de croisière. Il serra les dents, et acheva la bouteille d'eau-de-vie trouvée au sol un peu auparavant. Son souffle irrégulier crépita à nouveau. Au débarquement, son pas paraissait ferme et régulier, quoique chaque mouvement lui coutât un effort intense. Le soleil pouvait mourir dans un bain de sang, déliquescent à l'horizon, il s'en foutait. D'un geste sec, il congédia un religieux qui lui proposait de le mener à une chambre, avant d'esquiver toute remarque. Son visage offrait un spectacle inhabituel, qui avait quelque chose d'effrayant. Il s'éloigna, son épée au côté, et, sous sa chemise élimée, une fine cotte de maille. Loin de lui l'idée de se servir de la première ; il n'avait même pas envisagé de s'en séparer.
La végétation, typique du climat tempérée, profitait de l'absence quasi-totale de vent au centre de l'île. Les feuilles s'élargissaient dans des tons verts doux et humides. Les troncs croissaient pèle-mêle, formant une forêt inextricable, de part et d'autre du sentier qui s'y enfonçait. Celui-ci se mua rapidement en escalier, qui conduisait vers les hauteurs. A mi-chemin sur la pente de la montagne se trouvait un temple, lieu de culte dédié à la gloire de Néera. On la disait déesse de la vie. Ailill ne croyait pas qu'elle existât réellement. Les croyances de la mer et les petits rites des campagnes, le mousse qu'on jetait à la flotte quand la tempête s'éternisait, les chats noirs, masse informe et poisseuse de sang noir qui bientôt s'enflammait, toutes ces petites horreurs avaient rongé sa foi dès son plus jeune âge. En ce cas, pourquoi était-il là, gravissant marche après marche l'escalier qui le menait à la déesse, avec une détermination inébranlable, une volonté hors de doute ? Certaines choses se trouvaient qui avaient facilité sa décision, le fait d'être de passage en terres elfiques, d'être libre quelques jours durant, la promesse de sa mort prochaine, la guerre qui naissait en parallèle. Tous ces petits fragments formaient un tout, un fardeau psychologique qu'il avait beau repousser, il ne parvenait pas à l'écarter. Et qui se faisait de plus en plus lourd. Où était le gamin trempé de sueur sur le dos d'une jument lancée au galop dans la lande nocturne, ce gosse de pas vingt ans qui ne pouvait envisager l'avenir sans plisser les yeux, ébloui par la vie ? Il n'était plus. L'homme pour lequel pousser les portes massives du temple revenait à cracher du sang, cet homme qui se sacrifiait pour les autres l'avait remplacé.
Le hall, immense, reprenait en écho chacun des pas. Partout, le vide, pas la moindre décoration, seul le marbre blanc, rouge, gris, dont les petits éclats formaient d'immenses mosaïques colorées. Elles racontaient une histoire, des légendes, l'on pouvait voir Néera représentée. Ailill ne prêta pas attention à tout cela. Son regard ne cillait pas, fixé sur l'autel, tout au bout. Diable ! Pourquoi le chemin était-il si long ? Si sa vue ne se troublait pas, si le roulis du navire lâchait son corps émacié...
Il ne s'agenouilla pas, il n'esquissa pas le moindre geste de prière. Sa main ne frôla pas l'autel, encore moins son front. Seule sa voix s'éleva dans l'immensité du volume immobile, montant le long des colonnes jusqu'aux voûtes entrecroisées. Et, d'un ton égal, il raconta tout ce qu'il avait vécu. Il parlait d'un ton détaché, distant, comme s'il n'avait été que témoin. Sans le moindre sentiment, il détailla toutes les souffrances qui lui avait été infligées, et celle envers les autres, dont il avait été le spectateur ou l'auteur. Il n'omit rien, ne fit pas de tri. Comme il racontait sans ordre dans lequel les souvenirs lui revenaient, il aurait été impossible de placer des dates, un âge sur ses idées. Elles semblaient sorties d'un autre temps, d'un autre corps que celui qui se tenait là, qui, pourtant relativement jeune, avait la voix d'un vieillard.
Il lui fallait du temps. Jusqu'à la fin de la guerre, il devait vivre. Il avait trop bien vu comment allaient les hommes et de quelle manière ils tenaient les rênes de la Vie harnachée, il avait vu crever ses compagnons sur le pont d'un navire en flamme, il avait senti l'odeur des corps qui gonflaient et qui durcissaient après s'être vidés, à la merci des charognards. Et, par-dessous tout, il avait entendu les gosses chialer, et cela, il ne voulait plus jamais avoir à le supporter.
Une nouvelle quinte de toux lui arracha les mots de la gorge. Mais cela ne le gênait plus : il avait fini. Un instant, dans le silence qui l'imprégnait, il attendit face à l'autel. Rien ne se produisit. Alors, l'homme fit demi-tour. Une pensée, cynique, lui traversa l'esprit. Crèverait-il, seul comme un chien, avant d'avoir pu revoir la mer ? |
| | | Annya
Elfe
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Mer 21 Jan 2009 - 16:57 | |
| Au delà des landes laconiques et plateaux herbeux, loin des brises chaudes et envoûtantes des terres intérieures, la terre enneigée se faisait féconde. Là, sous la tutelle des dieux, des temples se dressaient en une irruption de bâtisses parsemées sur l’île des prêtes et prêtresses de Miradelphia. Selon les légendes populaires, les divinités elles même y séjourneraient de temps à autre, après réflexion, cela semblait possible. Simplement il fallait considérer qu’elles faisaient apparition à travers des corps de races bien définies, hors du temps et de toute existence d’entité. En cette matinée de printemps, le ciel était maussade au dessus de la face mer de l’île. La blancheur immaculée du sol détrempé luisait tel un miroir, près des eaux qui léchaient en vagues diffuses les rochers de la montagne.
Un temple de marbre et de grès pur fut jadis érigé à même la parois, et depuis des années les adeptes, et les prêtes de la déesse de la vie, Néera dite Elenwë en cyrillique, y fondaient leurs rites, leurs croyances et leur destinée. Cela faisait une durée avoisinante de deux années, que la jeune Annya avait été élevée au rang de Gardienne de la déesse, choisie par sa main, après moult épreuves et maints dangers. Perdant la vue, elle gagna cependant bien plus, un enrichissement personnel, chaque seconde, chaque chose importait à présent pour sa personne, du haut de son mètre soixante-six, un visage et un corps adolescent, renfermant un esprit bien plus mûr.
La jeune fille se trouvait debout, sur une étroite esplanade, un balcon de marbre gris au dessus de l’écume s’abattant furieusement sous elle. Le vent frais fouettait ses joues rosies par le froid, enveloppée dans sa cape d’une blancheur immaculée, les bras ouverts et élevés vers la mer. Son regard était vide, aveugle, elle voyait pourtant, bien plus loin que le fond cosmique de l’immense terre. Chaque vague lui envoyait une vibration de force et de courage, chaque prière renforçait sa conviction en la déesse. Désormais, elle ne vivait que pour la servir, et rien d’autre car au final, elle était devenue son unique raison de vivre. Un violent et profond sentiment de détresse se propagea depuis l’entrée du temple, se répercuta contre les murs de ce dernier, et parvint jusqu’à l’esprit serein de la gardienne … les yeux clos, elle éleva ses mains plus haut encore, et clama sa requête.
- Ô Elenwë, toi pour qui je vis, montre moi le chemin …
Visiblement il ne se produisait rien, mais bien souvent, la magie n’opérait qu’au plus profond des êtres et non sur l’apparence. Les sortilèges stéréotypés de guérison n’étaient que trop loin, de l’unique et seule réalité d’un pouvoir consommé. Abaissant ses bras, ouvrant son regard couleur de jais, ses iris d’un noir profond irradiaient littéralement les environs de leur force invisible. Une particularité étrange pour une aveugle, elle n’avait pas un regard vitreux, ses globes oculaires étaient formés de la même façon que les voyants, cependant, son handicap se manifestait par un regard vide, et même lorsqu’elle battait des cils, son expression ne changeait pas, impossible de se fourvoyer.
Se détournant de l’arrête rocheuse, elle marcha droit vers une porte de grès entrouverte, un lourd panneau qui se referma magiquement et silencieusement sur son passage. Dès que ses pieds nus et pâles comme la neige foulèrent le dallage du temple, une énergie s’étendit dans la vaste pièce centrale. Grimpant sur les murs, une onde manatique flottait implacablement dans les environs, enrobant tout sur son passage. Tel un sonar, elle se dirigeait au son et au toucher. L’énergie dégagée revenait à elle sous forme d’information de distance, et peu à peu, elle apprenait à apprivoiser son nouveau regard. S’arrêtant sur le seuil de la porte, calme, les mains jointes sous son ventre, elle écouta les paroles de celui qui se trouvait devant l’autel …
Une clameur sourde, rien d’autre. Des mots dénués de tout sentiment, pourtant l’elfe ressentait une détresse profonde en cet être, elle percevait se dégoût, ce mal-être, que rien ou presque ne pourrait arrêter. Annya ne le voyait pas, tendant doucement une main devant elle, la jeune fille apprécia la distance, puis marcha. Quelques secondes furent suffisantes pour qu’elle s’arrête dans le dos de l’inconnu, les lèvres closes, son regard vide posé malgré son infirmité sur celui qui se trouvait là. Dans un incroyable silence, la gardienne leva ses deux mains près du corps vivant près d’elle … elle ressentit tout d’abord sa chaleur, sa main droite se retourna paume vers le ciel … elle touchait son corps astral, son autre main fit de même … elle toucha son corps mental. Puis elle abaissa de nouveau ses bras le long de son corps. Avec une voix de femme adulte qui se voulait sans appel, elle s’exprima.
- Parle, que veux-tu à la déesse …
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| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Jeu 22 Jan 2009 - 11:58 | |
| Des pulsations sourdes, régulières encore, qui résonnaient lentement dans une poitrine trop maigre. Les côtes vibraient. Le son de ce cœur affaibli montait dans ce silence de mort, au-delà de toute vie. Doucement, l'aura manatique se répandait par effluves dans l'immensité figée du volume. C'était une sensation curieuse, comme une odeur épicée, ou plutôt quelque souffle qui brulât sans posséder le moindre parfum. Ailill perçut cette magie - mais en était-ce vraiment ? - avant même de s'en apercevoir consciemment. Pas la moindre peur ne l'habitait ; seul son corps criait, hurlait pour lui, exhibant les os de ses poignets cassants, les orbites enfoncées, le teint hâve. Mais l'homme n'en avait cure. Son corps n'était qu'outil, certes défaillant, qui aurait nécessité bien des soins. Cependant, certaines maladies ne se guérissaient pas ; feu sacré, ardent et qui dévore les muscles, ou encore tétanos, pneumonie... Qui savait quels mal avaient pu se loger dans cette chair expirante ? Il vivait pour ce qu'il avait à accomplir, et non pour rechercher bonheur ou satisfaction personnelle. Sûrement était-ce pour cette raison qu'il ne se ménageait pas, ne prenant jamais le moindre repos véritable.
Pris dans les vents venus du large, deux aigles aux gigantesques ailes déployées fondaient sur la même proie, les plumes ébouriffées sous la violence de l'air qui sifflait autour d'eux. Ils se précipitaient le long de la falaise qui donnait sur les flots. Sur une petite corniche rocheuse exposée aux vents froids, le goéland n'osait reprendre son envol. Mal lui en prit ; quatre serres aiguës s'enfoncèrent dans sa chair. Seul un gargouillement rauque monta de sa gorge déployée, de son bec grand ouvert. Il ne fut bientôt que lambeaux écarlates et inertes, fragments de vie défaillante que deux créatures célestes se disputaient dans un tourbillon de plumes. Tout à leur effort, les combattants s'approchèrent dangereusement de la crête houleuse des vagues. L'une d'elle, plus téméraire, s'éleva au-dessus d'eux. En une seconde, ils avaient disparus, happés. Dévorés. Et l'écume blanche et crémeuse de devenir la pierre de leur tombeau, pour l'éternité.
Puis l'homme sut que quelqu'un approchait. Pourtant, il demeura immobile, comme noyé, oppressé par ce silence qu'il était seul à briser, malgré lui. L'espace d'un souffle, son corps se mut seul, sa main se dirigeant vivement vers le pommeau de l'épée, à son côté. Mais que reste-il à défendre, pitoyable pantin de chair ? Alors, ses doigts retombèrent, inertes le long de son corps ; il attendit. Le temps s'écoulait à la manière d'un fleuve sinueux, de telle sorte qu'il s'étirait encore et encore, sans que l'on n'en vit jamais la fin. Mais lui prit le parti d'observer les reflets dans l'eau, devant lui ; tout ce qu'il pouvait faire, à l'instant présent, qu'était-ce ? Il se retourna, découvrant une jeune femme, bien près de lui. Il ne recula pourtant pas, pas plus qu'il n'avança. La voix qui s'éleva de ce corps adolescent était celle d'une adulte. Peu lui importait l'âge et la condition de cette religieuse. Ainsi, elle laissait entendre qu'elle était en mesure de porter ses paroles à la déesse ? Si cette dernière existait, si elle n'était pas croyance et superstition. Ailill n'avait rien contre de tels sentiments, qui pouvaient guider l'âme d'un homme et éclairer son existence. Mais il ne croyait pas, et, passé l'enfance, on n'acquiert plus la foi sans raison. Il ne voulait pas de guide qu'il puisse s'imaginer à sa guise pour justifier ses actes, comme le faisaient en cet instant même tous ces assassins qui partaient en guerre. Non, il avait besoin de vivre. Vivre, un mot si simple à prononcer, mais recelant tant de force et de sens, un mot qui, une fois devenu bien réel, dépassait tous les rêves les plus fous de bien des nécromanciens et de tant d'autres mortels. Sa voix était rigide et froide, comme peut l'être celle d'un être qui vous hait ou d'un homme qui se meurt.
« Des êtres ont besoin de ce que j'accomplisse pour eux quelque prouesse telle que l'on hésiterait à les exiger d'un homme seul, fût-il jeune et bien portant. Ces êtres, ils sont des gosses, des femmes et des hommes, vieux ou malades, ils n'ont pas besoin de la guerre. Ni que l'on gaspille ce pour quoi ils ont sué sang et eau. Je dois vivre, encore, pour eux. Je ne demande pas la jeunesse éternelle, ni même ma pleine forme physique. Si mon corps était en mesure de suivre ma pensée, du moins le temps de la guerre, cela me suffirait. Pour l'heure, plusieurs maladies me rongent ; je ne suis pas homme de médecine, mais il est clair que je ne passerais pas la prochaine pleine lune. »
Son regard bleu acier, tranchant, ne quittait pas les yeux fixes de la jeune femme. Elle ne voyait pas, pourtant, il émanait de cette créature éternelle au port noble une assurance, une quiétude telle qu'on ne pouvait pas la plaindre, ni se fourvoyer au point de la croire faible. Elle avait perdu l'un de ses sens, mais cela n'était rien, car tous les autres s'étaient alors éveillés comme jamais. Voilà ce qu'aurait pensé tout autre qu'Ailill. Lui, ne pensait pas à elle. Il voyait en cet être trop vivant un intermédiaire, un messager qui pourrait peut-être lui apporter une réponse franche. Cela n'était-il d'ailleurs pas tout ce qu'il demandait ? Un oui, un non, qu'il sache s'il devait crever ou tenir encore, faire front à la douleur.
« Seriez-vous en mesure de m'accorder l'accomplissement de ma demande ? »
Les mots étaient pesés, non plus froids mais parfaitement neutres. On eut pu croire qu'Ailill avait préparé ce qu'il allait dire ; il n'en était rien. La présence de la créature juste devant lui semblait lui rendre quelque force - ou, peut-être, lui accorder un bref sursis ? De fait, il n'avait pas été secoué de la moindre toux. Mais le filet de sang qui coulait sur ses lèvres ne cessait de s'épanchait, révélant un mal profond tout autant qu'incurable. |
| | | Annya
Elfe
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Jeu 22 Jan 2009 - 20:38 | |
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Loin des murs délabrés et des ponts habités, l’âme dérobant tout ce qui faisait figure d’image, tout ce qui possédait l’audace incroyable d’être situé dans l’immédiat de son champ de perception. L’énergie défilait. Les globes oculaires durcis, les paupières comme cristallisées, un esprit lourd sous les ronronnements fielleux des réflexions. La voix d’un homme résonna en face de la jeune elfe. Une voix d’un ton presque haineux, mais, le visage purement fermé, elle écouta sans même sourciller ou cligner des yeux. Ses iris posés sur le visage de l’inconnu, bien qu’elle ne le voyait pas, son inconscient sondait son cœur en même temps que son ouïe analysait ses mots.
« Des êtres ont besoin de ce que j'accomplisse pour eux quelque prouesse telle que l'on hésiterait à les exiger d'un homme seul, fut-il jeune et bien portant. Ces êtres, ils sont des gosses, des femmes et des hommes, vieux ou malades, ils n'ont pas besoin de la guerre. Ni que l'on gaspille ce pour quoi ils ont sué sang et eau. Je dois vivre, encore, pour eux. Je ne demande pas la jeunesse éternelle, ni même ma pleine forme physique. Si mon corps était en mesure de suivre ma pensée, du moins le temps de la guerre, cela me suffirait. Pour l'heure, plusieurs maladies me rongent ; je ne suis pas homme de médecine, mais il est clair que je ne passerais pas la prochaine pleine lune. »
Un sourire sarcastique se dessina sur les lèvres de la gardienne. Malgré une neutralité parfaite, elle possédait ses propres opinions, et il n’appartenait qu’à elle de juger des espèces vivantes en ces terres. Il osait se présenter dans le temple de la déesse pour un simple manque de soin ? Comment pouvait-il quémander ainsi la magie, sans préciser, sans même se justifier d’avantage ? Il ignorait qui elle était, et elle ne se dévoila pas immédiatement. Laissant le silence couler sur les flots de paroles désormais diffuses, les cordes vocales de l’homme vibrèrent de nouveau, se répercutant intra muros.
« Seriez-vous en mesure de m'accorder l'accomplissement de ma demande ? »
Annya pencha légèrement sa tête sur le côté, ses cheveux argentés flottèrent autour de ses épaules, plongeant vers la gauche en une cascade miroitante. Les yeux désormais clos, elle laissa sa force mentale s’enfoncer dans celle de l’homme qui lui faisait face, il devait ressentir une sorte de pression autour de sa boite crânienne, légère pression, comme si quelqu’un tenait sa tête entre ses mains, nulle douleur donc, mais peut-être une sensation peu agréable pour un humain non expérimenté. Elle voyait quelque peu en lui … une foi inexistante, taciturne fort souvent, et royal, un air noble et sûr de lui, peut-être même un peu trop. Sans bouger énormément, elle redressa son visage et ouvrit son regard vers son interlocuteur.
- Des hommes attendent de toi l’exploit d’un demi-dieu semblerait-il, n’es-tu donc point capable de te guérir ? …
Elle ne pouvait bien entendu pas présenter son identité de gardienne, cela serait bien trop simple. Impassible, les bras le long de son corps, elle patienta. Consciente que pour formuler une telle demande, le temps devait presser dans l’esprit de l’inconnu, pourtant elle le laissait fuir, à la vitesse aveuglante d’une vie en danger. Quoi qu’il arrive, et si il le fallait, elle irait chercher son âme dans le non-monde, jusqu’à ce qu’il se dévoile, ou meure.
- Tu souffres Ailill Mânes, tout comme tu as souffert et comme tu souffriras encore probablement. Je connais à présent une personne qui ne souhaite pas que tu subisses encore les affronts du temps … tu l’aimais, elle t’aimais, un bonheur indicible s’était épanoui entre vous deux. Elle avait un cœur si pur, un caractère chatoyant, jamais plus tu ne la retrouveras dans son box … le foin a disparu, et avec lui sa chaleur passée.
Elle ne l’obligeait pas réellement à répondre, mais laissant peu à peu perler des gouttes de sa puissance, elle voulait l’entraîner dans l’abîme de la vérité, sachant que toute guérison miraculeuse quémandait sacrifice, il souffrirait par les mots et non par le physique. La magie n’était au final qu’alchimie du verbe en cette situation, afin de retrouver l’équivalent d’un corps sain, il devait prononcer autant de mots d’une valeur extrême, jusqu’à parvenir à éveiller suffisamment les pouvoirs de la déesse, pour qu’elle lui vienne en aide. Annya l’aiderait, mais pour cela, il devrait comprendre tôt ou tard qui elle était, ce qu’il lui demandait n’était pas bénin, ni d’une facilité enfantine, tout avait un prix, et la vie possédait le plus élevé …
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| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Ven 23 Jan 2009 - 21:26 | |
| Muraille de glace, cascade torrentielle, qu'étaient-ce donc que ces yeux aveugles qui pourtant disaient voir ? Comment pouvaient-ils s'orienter vers son visage s'ils ne distinguaient rien ? Quel sens cela avait-il ? Pourtant, le regard froid de l'homme ne les quittait pas. Il eut pu profiter de cette faiblesse pour observer la jeune femme sous toutes coutures, passant outre la politesse ; il n'en fit rien. Femme, homme, que cela changeait-il ? Et surtout, quel intérêt aurait-il à connaître cet être, physiquement, étant donné qu'elle n'était pas adversaire ? Lentement, une sorte de sourire se dessina sur les fines lèvres. Ainsi, il ne se trompait pas : elle avait vu, jadis. Autour de lui, l'espace, l'air, se firent plus pressants, oppressants même. Une douleur aiguë s'empara de ses poumons comme une petite main innocente l'aurait fait d'une fourmi, sans se rendre compte qu'elle l'écrasait entre ses doigts, curieuse encore de constater son œuvre de ses yeux écarquillés, toujours inassouvis. Et la toux montait jusque dans la gorge, violente, rauque. Sa bouche s'emplit de sang, qui dégoulina en partie - il ravala le reste, tout en sachant pertinemment que ce liquide au goût métallique ne resterait pas longtemps dans son estomac. De sa manche, il s'essuya la bouche. Cela, il l'aurait fait même devant un voyant. Certes, il s'interdisait tout geste superflu, tout tic nerveux, et ce depuis sa jeunesse de noble, au point que, depuis longtemps, il n'avait même plus besoin d'y penser. De quoi aurait l'air un comte qui passait constamment sa main dans ses cheveux ou tiraillait le col de sa chemise ? Non, il était de glace, aussi indéchiffrable qu'impénétrable. Du moins le croyait-il encore en cet instant - cela n'avait-il pas toujours été le cas ? Alors, pourquoi était-il si peu gêné lorsqu'il essuyait le sang, la bile ? La cécité de la jeune femme n'ayant aucune importance, on pouvait l'expliquer par un détachement trop extrême. Les souffrances de son corps n'étaient pas vraiment siennes, quoi qu'il les ressentît... Lorsque la voix de la jeune femme rompit le silence, ce fut comme si l'étau invisible se crispait, se convulsait autour de son crâne. Il aurait pu supporter cela, cette douleur qui n'était visiblement que sienne - peut-être flottait-il dans ce temple des vapeurs toxiques, de la drogue à laquelle elle était accoutumée ? - mais il choisit de ne pas endurer ce qui était superflu. Déjà, les angles de sa vision s'assombrissait. Son corps transpirait ; lui, il se serait bien envoyé un coup de poing au creux de l'estomac si cela avait pu le distraire de la souffrance. Affaibli et saigné comme il était, et ce malgré ses sens émoussés, le moindre contact devenait torture. Faisant demi-tour, il emprunta le couloir le plus proche, le plus court. Ou, peut-être, celui qui abritait l'air le plus pur. Il ne prévint pas la jeune femme de son déplacement, songeant sûrement que ses pas l'informeraient. Et il ne lui ferait pas l'outrage de prendre sa main. Elle connaissait ce lieu mille fois mieux que lui. D'une main, il poussa le lourd battant de bois massif. Il le laissa ouvert, afin qu'elle pût le rejoindre. Tout à coup, l'air froid le frappait. Il voyait la mer, sous ce balcon de marbre gris, la mer et sa gueule béante qui semblait l'appeler de ses incessants rugissements...
Un instant durant, il attendit. Puis il répondit, sans même s'assurer que la jeune femme fut derrière lui, ni qu'elle l'écoutât. Il avait tout à perdre à son absence, elle, rien, sûrement. Tant pis ; il lui faisait confiance en quelque sorte. Une ébauche de reconnaissance ; depuis qu'elle avait parlé, il la voyait en tant qu'être à part entière, non plus en tant qu'outil ou intermédiaire. Pourtant, s'il voulait qu'elle l'écoutât, c'était toujours dans le but d'obtenir ce qu'il demandait. Inutile de se voiler la face, il était purement intéressé. Mais, peut-être, voulait-il plus que ce qu'il demandait.
« Non, vous vous trompez, ils n'attendent rien de moi. Je ne suis rien de plus qu'une ombre parmi celles qui suivent le Roi. Mais j'ai du pouvoir, celui de veiller sur ces êtres - le peuple - à ma façon. Des gens meurent d'épuisement sous le soleil, aux champs, d'autres crèvent comme des bêtes en se battant pour un peu de pain. Le fruit de leur travail, tout ce qu'il leur reste une fois qu'ils se sont un peu remplis le ventre, ce qu'on leur arrache "pour les protéger", c'est de cela que je m'occupe. De l'argent que souillent la sueur et le sang et les larmes parfois. »
Les mots coulaient et se détachaient seuls, comme animés d'une volonté propre. L'homme se tut. Puis il s'accouda de ses deux bras à la balustrade, mais garda la tête haute et droite. Le vent vivifiant arrachait les dernières couleurs de son visage, séchant le sang qui déjà s'écaillait.
« Savez-vous qu'ils ont tous accepté la guerre ? Qu'ils la désiraient presque, vengeance, désir cupide d'ascension sociale, ou pire encore, sentiment légitime de se défendre. Mais dans la guerre, tous sont bourreaux. Et des gosses crèvent dans les deux camps - pas que des gosses. »
Son ton portait une amertume telle qu'il ne parvenait pas à la masquer tout à fait. Mâchoire crispée, il continua pourtant.
« Je ne suis pas un demi-dieu, je ne suis qu'un homme qui n'est même pas sûr de sa foi. Non, je ne crois pas, je puis le dire. Car il me semble que vous en savez plus long que ce que mes paroles ne vous apprennent ? J'ai tenté de résumer ma vie, tout sans exception, afin que vous puissiez faire le tri et me juger, mais je suppose que jamais je ne pourrais tout dire. Ne serait-ce que parce que ma mémoire me trompe. »
Cet aveu lui coûtait, comme tout aveu. Ici, il se forçait à s'ouvrir, trop conscient des enjeux, de ce que valait sa vie. Cela ne le dépassait pas, il s'était accoutumé à cette situation, laquelle s'était d'ailleurs installée progressivement, et de sa volonté. Il se sacrifiait à petit feu car il fallait que le faire, que quelqu'un le fasse. C'était tout.
« Cette bête, ce fut bien la seule créature à laquelle j'aie jamais accordé tant de confiance. Le lien qui nous unissait était sans appel, une plénitude telle que le seul fait de vivre, ensemble, nous suffisait. L'odeur du foin frais, le parfum salé du large et le frémissement de folles cavalcades. Simplement, ajouta-t-il avec un demi-sourire, expression qu'il ne s'était plus permise depuis une infinité, et que seuls ces souvenirs pouvaient appeler. Par la suite, je n'ai plus jamais laissé une créature placer sa vie entre mes mains. Car... on me l'avait confiée adulte déjà, et je grandissais sous son regard maternel, vieillissant... Un jour... »
Un jour il l'avait trouvée allongée, dans le box. Son corps était dur. C'était la première fois qu'il était confronté à la mort avec tant de violence. Il n'y avait rien à en dire de plus. La souffrance qui s'ensuivit...
La jeune femme était prêtresse, peut-être. En tout cas, elle possédait de véritables pouvoirs. Ce fut avec une sorte d'âpreté qu'il le reconnut. N'avait-il pas cru cela insensé durant de longues années ? Loin d'être borné, il savait s'adapter à toute nouvelle situation avec une relative aisance. Ainsi, il acceptait cette puissance qui était celle de la prêtresse, et qui creusait encore un peu plus le fossé de la force qui les séparait. De son poing, elle eut pu le tuer ; cette pensée, si elle ne le réjouissait guère, il l'acceptait. C'était un état de fait, à quoi cela aurait-il servi de tenter vainement de le nier ? Il n'était qu'une loque.
Lorsqu'il reprit, sa voix n'était plus qu'un murmure. Son regard portait loin devant lui, sur la ligne d'horizon - et peut-être même au-delà, qui aurait pu le dire ?
« Là-bas, la mer prend une teinte turquoise. L'écume est plus blanche que nulle part ailleurs, sur cette île. Si j'avais su qu'une telle magnificence existait sur cette terre, je serais venu bien avant... Le soleil est si pâle qu'il semble fait d'écume, lui aussi, et les nuages effilés se fondent dans le ciel azur. Un poisson écarlate jaillit hors de l'eau, au loin. Ils sont tout un banc. »
C'était pour elle, qu'il parlait. Si elle prenait le temps de l'écouter, qu'elle pu ou non lui rendre la santé, il lui devait bien ce bref arc-en-ciel. Lentement, sa tête se pencha sur le côté, son regard glissant sur le balcon. |
| | | Annya
Elfe
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Ven 23 Jan 2009 - 22:11 | |
| Ornement de tristesse et de souffrance, la toux rauque et difficile, une odeur de sang se répandant dans la chaleur ambiante du temple, il ne neigeait plus. Le vent soufflait en rafale et bientôt, la jeune fille entendit les pas de son interlocuteur s’éloigner. Fermant ses yeux obsolètes, ses pieds nus le suivirent, pas après pas, à la vitesse normale d’un Homme qui marche, bipède forcené s’entêtant à survivre avant la mort inévitable. Il l’entraîna dehors, sur la vaste terrasse.
On lui avait prit une de ses lunes, son regard si brillant, et on avait inconsciemment crevé son cœur. Lumière devenue veilleuse, elle peinait à la voir. Mais dès lors que l’énergie manatique se dispersa hors de son corps, sa vision s’éclaircit quelque peu, percevant les mouvements, les contours, sans couleur ni précision. Mais elle était heureuse comme cela, penser, rêver, réfléchir, lire et même chanter, tout lui était possible malgré cet handicap accepté par ses propres soins. Alors que lui, pauvre larve, se traînait sur les rochers de la vie tel un insecte sans pattes, il s’écorchait contre ce sol d’amertume, qui peu à peu lui déchiquetait le cœur. Cela, Annya le pensait, mais ses sentiments s’étaient trop atrophiés pour ressentir quelconque tristesse.
La voix de l’être interrompit ses réflexions, debout derrière lui, elle ne bougeait plus. Ses cheveux et ses vêtements flottant allègrement au vent fort, froid et doux.
« Non, vous vous trompez, ils n'attendent rien de moi. Je ne suis rien de plus qu'une ombre parmi celles qui suivent le Roi. Mais j'ai du pouvoir, celui de veiller sur ces êtres - le peuple - à ma façon. Des gens meurent d'épuisement sous le soleil, aux champs, d'autres crèvent comme des bêtes en se battant pour un peu de pain. Le fruit de leur travail, tout ce qu'il leur reste une fois qu'ils se sont un peu remplis le ventre, ce qu'on leur arrache "pour les protéger", c'est de cela que je m'occupe. De l'argent que souillent la sueur et le sang et les larmes parfois. »
Ce fut le propre de l’humaine condition, taisant ses mots dans une expression mutine, la Gardienne se contenta de hocher patiemment la tête, le paiement de ses dettes était en cours, il ne devait pas perdre ce beau fil d’Ariane dès à présent.
« Savez-vous qu'ils ont tous accepté la guerre ? Qu'ils la désiraient presque, vengeance, désir cupide d'ascension sociale, ou pire encore, sentiment légitime de se défendre. Mais dans la guerre, tous sont bourreaux. Et des gosses crèvent dans les deux camps - pas que des gosses. »
La guerre était malheureusement parfois nécessaire, la violence et le désir cupide voir coupable n’étaient que la contrebalance d’une utopie irréalisable. Un monde nageant dans un faux bonheur, sans confrontation ni dilemme, une existence fade et auto-asservie, non, une horreur pour le monde miradelphien. Tous bourreaux, certes, ils l’étaient, mais tous victimes également. L’observant de dos, mutine, Annya le laissa poursuivre, avançant de quelques pas, elle appuya ses coudes sur la rambarde elle aussi, fermant son regard, cette fois, elle ne voyait plus rien.
« Je ne suis pas un demi-dieu, je ne suis qu'un homme qui n'est même pas sûr de sa foi. Non, je ne crois pas, je puis le dire. Car il me semble que vous en savez plus long que ce que mes paroles ne vous apprennent ? J'ai tenté de résumer ma vie, tout sans exception, afin que vous puissiez faire le tri et me juger, mais je suppose que jamais je ne pourrais tout dire. Ne serait-ce que parce que ma mémoire me trompe. »
Une grande humilité venait poindre dans l’âme de l’humain, progrès passager ou définitif ? Même la jeune fille n’aurait pû le dire. Mais sa réflexion la fit sourire quelque peu, légèrement … du bout des lèvres.
« Cette bête, ce fut bien la seule créature à laquelle j'aie jamais accordé tant de confiance. Le lien qui nous unissait était sans appel, une plénitude telle que le seul fait de vivre, ensemble, nous suffisait. L'odeur du foin frais, le parfum salé du large et le frémissement de folles cavalcades. Simplement. Par la suite, je n'ai plus jamais laissé une créature placer sa vie entre mes mains. Car... on me l'avait confiée adulte déjà, et je grandissais sous son regard maternel, vieillissant... Un jour... »
- Un jour le temps rattrape l’être cher. Je ne suis pas née pour juger sache-le, je n’ai rien à trier dans les palabres de ta triste vie. Tu es ce que tu es, je t’accepte en entier, comme j’accepterais n’importe quel être capable de comprendre lui même ce qu’il prétend et ose avancer.
Les mots étaient sortis en une vague dure et précise, la réalité était d’une importance capitale. Il savait ce qu’il disait, elle en était persuadée, elle ne pouvait pas l’ignorer. Cependant, elle sentait combien ces aveux coûtaient cher en son âme, il s’obligeait, comme conscient de sa position. Soudain, alors que la situation semblait tourner court, une vague plus puissante que la sienne balaya ses songes.
« Là-bas, la mer prend une teinte turquoise. L'écume est plus blanche que nulle part ailleurs, sur cette île. Si j'avais su qu'une telle magnificence existait sur cette terre, je serais venu bien avant... Le soleil est si pâle qu'il semble fait d'écume, lui aussi, et les nuages effilés se fondent dans le ciel azur. Un poisson écarlate jaillit hors de l'eau, au loin. Ils sont tout un banc. »
Lentement, une larme roula sur la joue de la jeune fille … Jamais on ne lui avait permis de voir, plus clairement encore qu’en étant voyante, la beauté d’un monde qui pourtant l’entourait. Un léger vent manatique à la teinte dorée glissa sur sa joue, effaçant magiquement sa larme. Néera comprenait, elle aussi sentait le baume qui venait d’être appliqué sur l’âme de sa moitié corporelle astrale. Tête baissée, le cœur sur l’estomac, elle sembla en parfaite inertie pendant quelques secondes, puis se redressa. Faisant volte-face, elle hissa son corps sur la balustrade, assise, elle se glissa sur le côté, forçant l’humain à se dresser devant elle. Son petit minois impassible laissa poindre une once de sentiments, et ses yeux d’un noir profond fixèrent sans le savoir ceux de son vis-à-vis. Elle battit plusieurs fois des cils, puis appliqua ses petites mains contre la poitrine de l’homme.
- Je sens ce mal qui te ronge, qui se joue de toi. Peu à peu, tu abandonnes ce jeu, aspirant ton souffle de vie, le trépas te guette mais tu as espoir, la foi qui réside en toi n’est pas une croyance à proprement parler. Tu crois en l’espoir simplement, l’ultime lumière qui soignera tes maux.
Elle retira ses membres sans changer d’expression.
- Tu es seul, oublié, humilié, seul dans l’ombre éjecté des faits, classé dans le passé sans gloire, sur un chemin triste sans trouver aucune piste. Tu es seul, perdu aux quatre coins du monde, avec les vautours, sans amour … tu attends, ce jour, cet unique éclat …
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| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Ven 23 Jan 2009 - 23:59 | |
| Là, il la vit. Elle se tenait sûrement un peu en retrait, puis elle s'était avancée de quelques pas, et appuyée elle aussi sur la balustrade. Tout en reposant son corps, geste étrange tant elle semblait ne pas en avoir besoin, elle clôt son regard aveugle - et pourtant si lucide. Ainsi, elle s'offrait au vent, à cet entité incommensurable qui eut pu l'étouffer ou la faire basculer, la glacer ou l'enivrer. Elle paraissait fragile. Que les apparences sont trompeuses... Quel savoir renfermait cet être immortel ? Peut-être était-elle l'incarnation de la déesse elle-même... Non, les dieux ne créaient rien de palpable de toute pièce. Alors, un être que la pensée divine habitait ? Différemment des autres prêtres, ou de la même manière, impossible de juger quand on rencontrait un tel être à nul autre semblable. On pouvait imaginer qu'il en existât de tels, ailleurs, cachés aux regards profanes... Qui eut pu être plus impur que l'homme qui se trouvait là ? Les pensées qui le traversaient n'avaient rien en commun avec les songes de liberté ni la beauté ; il considérait ce qu'il était - ce qu'il était devenu. Et que trouvait-il, si ce n'était une pauvre créature humaine sur le point de mourir et qui s'accrochait aux derniers lambeaux de cette vie sans vraiment le vouloir tout à fait, sans être sûr de le désirer ?
- Un jour le temps rattrape l’être cher. Je ne suis pas née pour juger sache-le, je n’ai rien à trier dans les palabres de ta triste vie. Tu es ce que tu es, je t’accepte en entier, comme j’accepterais n’importe quel être capable de comprendre lui même ce qu’il prétend et ose avancer.
Triste vie, rien n'était plus vrai que ces simples mots. Pourtant, Ailill ne parvenait pas à ressentir la moindre pitié à son propre égard, pas le moindre amour de sa personne, rien que du dégoût. Il avait toujours vécu sans la moindre acception de lui-même, mais, aujourd'hui, ce sentiment se faisait plus fort encore. Les hurlements du vent, la vie qui émanait de tout ceux qui l'entouraient, cela le détachait de plus en plus de la réalité et de la douleur. Déjà, il ignorait cette dernière... Être accepté tel qu'il était devenu, et non pas pour ce qu'il avait été...
Alors, il vit un léger chatoiement argenté sur la joue colorée. Une expression de surprise, si fugitive fut-elle, passa sur ses traits. Il demeura immobile, tout autant qu'elle. Déjà, l'éclat fugitif disparaissait, emporté par le vent, ou, peut-être, l'aura mystique qui enveloppait la jeune femme. L'air brillait, non pas comme l'or, mais plutôt tel une lucarne dans le noir ; c'était un scintillement si subtil qu'on le percevait à peine. Tant d'inertie de la part de la jeune femme... cela avait quelque chose d'effrayant. Tout à coup, elle se tendit, pour se placer sur la balustrade, présentant son dos à la mer, plus vulnérable que jamais. Pourtant, le fracas des vagues retentissant plus bas, elle ne pouvait ignorer la hauteur, ni l'appétit inassouvi de la mer. Fallait-il avoir été marin pour craindre et respecter cette dernière à un point suffisant pour ne jamais la sous-estimer ? Lorsque la jeune femme se glissa devant lui, l'homme ne put que se redresser. Qu'importait l'effort que cela lui coûtait, son esprit, empruntant la voie libre de son regard, fuyait toute l'horreur de son existence humaine. Cet être qui se tenait juste devant lui valait bien davantage que l'éternité. La regarder, seulement, comblait tout ce vide dans le cœur, ce gouffre que l'on ne sentait plus à force de temps. Que cela serait-il, une fois que les lourdes portes du temple se refermeraient derrière lui ? Peut-être aurait-il la Vie, ou pas, mais il aurait goûté en ces lieux à une telle quiétude que la misère de ses buts et ses convictions lui apparaîtrait avec une telle force... Mais pourquoi envisager l'avenir lorsque l'on peut expirer à chaque instant ? Doucement, les paumes entrèrent en contact avec sa poitrine. Son regard ne quittait pas les yeux si colorés, si vivants ; il lui sembla percevoir comme l'esquisse de l'expression de sentiments... Ainsi, éprouvait-elle de la compassion pour lui ? Il ne voulait pas cela, car il n'en valait pas la peine.
- Je sens ce mal qui te ronge, qui se joue de toi. Peu à peu, tu abandonnes ce jeu, aspirant ton souffle de vie, le trépas te guette mais tu as espoir, la foi qui réside en toi n’est pas une croyance à proprement parler. Tu crois en l’espoir simplement, l’ultime lumière qui soignera tes maux Tu es seul, oublié, humilié, seul dans l’ombre éjecté des faits, classé dans le passé sans gloire, sur un chemin triste sans trouver aucune piste. Tu es seul, perdu aux quatre coins du monde, avec les vautours, sans amour … tu attends, ce jour, cet unique éclat …
Si cette voix était venue du ciel, parole d'une créature divine aux contours inexistants, l'homme aurait probablement eu peur devant une telle lucidité. Elle dévoilait son être alors qu'il le découvrait lui-même en cet instant. Mais cette divinité si étrange ne pouvait qu'inspirer une admiration muette, inavouée, la contemplation d'un joyau que l'on ne pouvait comprendre, mais qui, pourtant, se trouvait là. La réalité palpable avait mille fois plus de pouvoir que les créations abstraites de l'esprit.
« Je ne sais si ce sentiment possède un tel pouvoir... Aimer une créature possédant fourrure et sabots, est-ce comme aimer un Homme ? Si tel est le cas, j'ai connu l'amour, mais il fut si bref et accompagné d'une telle souffrance... »
Il se refusait à croire que cela pût être vrai, qu'il existât une solution, fut-elle incomplète, au mal psychologique qui le rongeait. Pourtant, plus il cherchait à s'exprimer, plus il glissait vers l'évidence ; elle ne pouvait qu'avoir raison. Sa jeunesse demeurait, dans ses souvenirs, auréolée de bonheur, et ses seules pensées allaient à la liberté que l'autre être lui avait procurée en échange de son affection absolue. Qu'était-ce que ce qu'il avait pu endurer l'espace d'un temps si bref, en comparaison de l'éternité de cette vie partagée ? Cesser de penser à la douleur, la laisser couler jusque dans la bourbe sur laquelle le lac limpide repose. Il n'est pas de raison de constamment remuer la vase de l'existence, si ce n'est pour ceux qui aiment souffrir ou ceux qui meurent. Il ne voulait être aucun des deux.
Les petites mains se retirèrent doucement, et alors il ressentit un froid nouveau, plus intense. Elle lui donnait déjà tant, mais il se permit, le temps d'un souffle, de poser délicatement le dos de sa main contre sa joue rosie par la fraîcheur du vent venu du large. Et il vit combien sa peau paraissait expirante et comme ses doigts étaient minces, mais il le vit sans le voir, sans y prêter attention. Déjà, son bras retombait, il reculait doucement. Le souffle du vent se faisait plus violent, et l'imprudence de la jeune femme ne manquait pas de l'oppresser, d'une certaine manière. Il aurait préféré qu'elle redescende ; il ne le dit pas.
« Mais tout comme il est impossible de décider de vivre lorsque la maladie ronge le corps, personne ne peut choisir d'aimer. Contre cet état de fait, ne puis-je rien ? »
Cette question n'en était pas véritablement une. Ce n'était qu'un faible souffle, un murmure de ceux que l'on s'adresse à soi-même. Il ne croyait pas être capable d'aimer, ni de vivre. Certes, au fond de lui, demeurait un espoir sourd. Mais que vaut l'espoir face à la réalité pure ? |
| | | Annya
Elfe
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Sam 24 Jan 2009 - 8:49 | |
| Le silence de l’inconnu laissa entendre qu’elle avait touché un point sensible. La lucidité n’était qu’un attribut comme un autre de la race elfique, serait-il possible que ses dons se soient amplifiés depuis peu ? Qu’importait, elle ressentait de la surprise et un grand désespoir, cependant étrangement, l’être paraissait s’y résoudre, tel un oiseau qui se cache pour mourir. Il évoqua de nouveau la belle jument trépassée, lui était-elle autant chère à son cœur mortel ? Annya ne comprenait pas exactement l’amour, pourtant ce mot retentissait souvent dans les derniers palabres des vivants.
« Mais tout comme il est impossible de décider de vivre lorsque la maladie ronge le corps, personne ne peut choisir d'aimer. Contre cet état de fait, ne puis-je rien ? »
Dans ce temple de prières et de solitude, le silence avait élu sa reine. Seule la mélodie du vent jouait à longueur de journée, un crescendo d’émotions qui comblaient ses pensées. Caresses de velours, danses irréelles, poisson hors de l’eau nageant vers la vie éternelle. Il désirait vivre, peut-être, pour celle qu’il avait jadis aimé, si l’on pouvait appeler cela aimer comme une mère, comme une sœur, un sentiment si fort pour un animal tel qu’il se rapprocherait de l’amour lui même, étrange, mais compréhensible. Penchant légèrement sa tête sur le côté, la jeune fille parla de nouveau, de sa voix calme et posée, presque soufflée, magiquement réelle …
- Chaque être humain se raccroche un jour ou l’autre, à quelque chose qui l’épaule et le soutient. Tous, reçoivent de cet amour si invraisemblable, et tous ressortent grandis de la perte de ce dernier. Oh mais bien sûr, cela tu le sais, tu es mortel mais non misérable. Tu te bats, tu te débats contre ces maux qui t’enserrent de leurs griffes acérées.
L’elfe en avait suffisament entendu, sentant le mana crépiter sous ses doigts, la magie circuler dans chaque parcelle de son corps, elle comprit que le moment était venu, que le temps pressait, et qu’il n’avait plus à attendre d’être libéré de son mal, elle allait s’en charger sur le champ. Il était temps d’exorciser cette gangrène qui se nourrissait de ce corps chétif et maladif, elle même allait en souffrir quelques secondes, mais si elle y parvenait, le mal disparaîtrait à jamais de cet être n’ayant déjà que trop souffert.
Redressant son visage face au sien, un léger sourire parvenant à poindre sur ses minces lèvres rosies par le froid. Ouvrant son regard vers celui de son interlocuteur, elle se leva sur la balustrade, le vent fouetta son visage et son corps, faisant virevolter les légers tissus habillant sa peau. La mer se déchaîna sous ses pieds, plusieurs mètres en contrebas d’immenses vagues martelaient la parois de granit et de grès pur, symbole d’un pouvoir éthéré, allant éveiller une puissance divine. Les bras en croix pendant plusieurs secondes, la Gardienne ne bougea pas, puis elle leva ses deux paumes et son visage vers le ciel obscurci, une voix d’outre-tombe s’échappa de sa gorge …
- Néera déesse de la vie, entend ma prière, jadis grande prêtresse, offre moi la capacité de guérir cet humain, moi Annya Gardienne de ton pouvoir, je te demande d’accéder à ma requête !
Une vive lumière blanche apparut entre ses doigts, le vent sembla provenir de sous terre, soulevant sa chevelure et même son corps … en apesanteur l’espace de quelques secondes, l’étrange boule manatique parcourue de frissons d’énergie tremblant dans ses paumes qui se faisaient face. Soudain, le vent s’arrêta. Annya retomba sur ses pieds, encore debout sur la balustrade de marbre. Abaissant ses bras au niveau de sa poitrine, elle souffla presque tendrement sur la magie pure …
La boule d’une blancheur immaculée s’envola doucement en poussière, étincelles argentées qui s’enroulèrent peu à peu autour du corps de l’humain.
- Ne bouge pas …
Rapidement, comme des particules en suspension, le sortilège de guérison majeure forma un mur d’argent quasiment opaque autour d’Ailill. Une lumière blanche sortit par le sommet de cette tour de mana, alors qu’à l’extérieur, Annya prophétisait, faisant moult fois le tour, une main sur ce mur d’argent, l’autre pendant le long de son petit corps d’adolescente. Peu à peu, le mur rougit, devint écarlate en quelques minutes. Les maladies et les blessures physiques les plus profondes de l’humain étaient aspirées par ce sortilège … d’un seul coup, l’elfe se recula, à genoux devant son œuvre, elle ouvrit les paumes.
De nouveau, le mur se dématérialisa, poussière rougeâtre cette fois-ci. Le tout sembla être aspiré par les doigts de la Gardienne qui serrait les dents sous la force malfaisante qui faisait trembler ses mains, puis dès que le dernier éclat de braise rejoignit la boule entre ses paumes, elle se redressa face à l’océan, et lança cette dernière de toutes ses forces, le plus loin possible au dessus des eaux déchaînées … Un éclat blanc provenant du ciel frappa la boule d’un seul rayon de clarté, tout explosa … Projetant des myriades d’étincelles rouges et blanches surplombant l’océan.
Affaiblie par ce sortilège puissant, la jeune fille tomba à genoux, la tête abaissée vers le sol, ses mains sur ses cuisses. Les yeux clos, elle tentait de rassembler suffisamment d’énergie pour ne pas perdre confiance. L’homme était guéris, ce fut à elle de combattre à présent le cruel destin des divinités, la résistance au pouvoir. Il faudrait de longues minutes, presque inconsciente de ce qui l’entourait, elle était en cet instant vulnérable en tous points, cela venait de son expérience encore faible en matière de soins aussi puissants.
Tant de questions, d’obligations de directions mais que choisir ? Annya n’avait jamais peur de s’égarer, tournant les lourdes pages du roman de sa vie, pourvu qu’il pleuve, que cela efface ses angoisses présentes. Cette responsabilité n’avait jamais été aussi pressante. Son âme voguant à travers mers, planant aux quatre vents, elle ne voulait plus fermer les yeux sur ses défauts et ses atouts, s’accepter elle même deviendrait l’une de ses priorités, sans quoi elle échouerait.
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| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Sam 24 Jan 2009 - 14:15 | |
| Qu'avait-elle ressenti, lorsqu'elle avait perdu la vue ? La violence de ce néant subit avait-elle insinué des doutes en elle ? Si subit il avait été... Car il existait aussi des maladies qui soustrayaient doucement la vue, atténuant la souffrance pour certains, ne la rendant que plus vivante et intolérable pour d'autres. Lui arrivait-il de regretter cette existence emplie de lumière et de couleur ? Non, sûrement pas... Ou plutôt, il n'en pouvait rien savoir... Comment connaître les tourments ou la plénitude que l'on pouvait ressentir grâce et à cause d'un lien avec un dieu ? Un mortel pouvait-il seulement imaginer ces sentiments mêlés ? Pourtant, Ailill osait s'aventurer en ces contrées hors de portée. Il était aveugle dans ces lieux que seules son imagination, son expérience lui permettaient d'entrevoir. Jamais il n'avait connu de tel être de foi.
Elle se tenait juste devant lui, et, dans l'espace qui les séparait, le vent perdait toute force, tourbillonnant entre ces corps, volant un peu de leur chaleur. Le souffle de la jeune femme portait des mots. Il dut tendre toute sa concentration.
- Chaque être humain se raccroche un jour ou l’autre, à quelque chose qui l’épaule et le soutient. Tous, reçoivent de cet amour si invraisemblable, et tous ressortent grandis de la perte de ce dernier. Oh mais bien sûr, cela tu le sais, tu es mortel mais non misérable. Tu te bats, tu te débats contre ces maux qui t’enserrent de leurs griffes acérées.
Chaque être humain... qu'en était-il des Drow, des Elfes ? L'amour grandissait-il toujours ceux qui le connaissaient ? Curieuses réflexions auxquelles la jeune femme l'avait mené... Une ombre de sourire passa sur le visage hâve de l'homme, faisant écho à celui que formèrent les fines lèvres. Pourtant, chaque instant qui s'écoulait était pour lui un nouveau pas franchi sur le chemin sinueux des limbes. Cette vie qu'elle lui offrait, l'honorant de sa présence et de son attention, cette existence dépassait le temps. Il aurait voulu demeurer là, immobile, à jamais hors d'attente du Sablier. Quelque chose lui murmurait que tant qu'il serait en ces lieux, la mort ne s'emparerait pas de lui. Et la chaleur de cette assurance nouvelle valait mille fois plus qu'une lueur d'espoir.
Ce fut presque avec surprise qu'il perçut ce regard qui s'ouvrait sur le sien, comme celui d'un nouveau-né aux yeux immenses et noirs s'ouvre au monde. Ce miracle pourtant toujours renouvelé ne pourrait jamais blaser qui que ce fût, encore moins Ailill. Trop de magie et de mystères vivaient au creux de ces prunelles bleues, profondes. Émerveillant. Alors que la jeune femme se redressait, debout sur la balustrade, le vent redoubla d'ardeur. Le fracas des vagues s'amplifiait à tel point que l'on eut pu croire qu'elles allaient rompre la roche qui soutenait le temple, fracasser la montagne, l'engloutir sous ses flots bouillonnants. L'homme frissonna. Non pas de froid, mais d'une sorte d'inquiétude qui sourdait au fond de lui. Il se le serait reproché s'il y avait prêté attention ; il n'avait aucun droit de s'inquiéter pour cette créature dont l'existence seule le dépassait. Et si elle venait à tomber, il n'aurait pas non plus le droit de remettre en question la décision divine. Il est des interdits qui n'appellent qu'à être franchis.
La voix de la jeune femme n'était plus la sienne propre, lorsque, en proie à une magie astrale, elle s'éleva. Son corps, léger, frémissait sous les assauts du vent, la peau de son visage rosie par le froid. Pourtant, elle demeurait immobile - elle flottait. Elle volait. La blancheur si pure de la sphère aux contours brumeux qui naquit au creux de ses mains était telle que l'homme fut ébloui. Mais il ne détourna ni ne plissa les yeux. Ses dernières forces se concentraient dans son regard, dont il ne perdit jamais la maîtrise. Puisqu'il lui était donné de voir, il ne perdrait pas une seule image, un seul éclat de lumière ni de couleur. S'ensuivit une sensation indicible, lorsque la brume d'une blancheur opaque l'entoura. Un instant, il avait esquissé un mouvement de recul, puis il se reprit, mettant ceci sur le compte de la surprise - comprendre et déduire n'est pas voir. Le mana prit la teinte du sang peu après. Mais, pour l'occupant du cocon, le temps n'avait plus cours. La magie s'infiltrait en lui, dans la moindre parcelle de ses tissus, faisant de son corps le siège d'une bataille gagnée d'avance. Le mal résista, cependant, puis il céda et fut lentement arraché aux membres et aux organes souffrants. Le mana se fit poussière et se désagrégea, laissant l'homme chancelant d'une manière nouvelle, en proie à des sentiments depuis longtemps perdus. Lorsque l'on a soif au point de mourir, cette sensation se tait ; le soulagement, infini, ne survient que lorsque l'eau envahit les sens asséchés. Peut-être que ce qu'il ressentait s'apparentait à cela, un peu.
Un regard nouveau, plus bleu que jamais, toujours aussi sombre, mais qui avait perdu tout tranchant. Non pas les yeux écarquillés d'un malade qui apprend avec incrédulité que personne ne peut plus rien pour lui, plutôt ceux d'un homme qui sait soudain vivant l'être qu'il croyait parti à jamais vers un autre monde. Les mots ont bien peu de pouvoir lorsque l'on doit décrire ce que seul comprend ceux qui le vivent. Lentement, il reprit conscience de la mer, du ciel et de l'air, du froid du marbre qui passait au travers de ses fines semelles, des tiraillements du sang séché sur sa peau près de sa tempe, des battements de son cœur et du goût salé et iodé du vent chargé du spectre des algues. Une bourrasque ébouriffa ses cheveux noirs. Il vit, magnifique, la lumière qui heurtait la lumière au-dessus de l'océan. Puis il se rendit compte de la jeune femme, à côté de lui, agenouillée. Ses cheveux argentés et cuivrés ruisselaient sur ses épaules et son dos, à peine secoués par le vent. Il s'aperçut que cet être possédait le corps menu d'une femme encore enfant ; la finesse de ses hanches et de ses épaules. Il émanait d'elle une fragilité qui contrastait d'autant plus avec le pouvoir dont elle était investie. Mais ce pouvoir lui donnait-il aussi l'assurance de la justesse de ses actes ? La quiétude de l'esprit ?
Doucement, il s'accroupit ; il pouvait le faire, il n'avait plus mal. Passant son bras autour des épaules frêles, il la souleva lentement, et la soutint sous les genoux. Il se releva, fit quelques pas en direction du large. Qu'elle était légère... Il ressentait le monde comme jamais, et par-dessus tout la chaleur de ce corps fragile et sa douceur. Puis, attentif, il la déposa assise sur la balustrade. Ainsi, elle faisait face à la mer, ses pieds fins libérés au-dessus du vide. Il la lâcha tout à fait et s'appuya sur le marbre à côté d'elle, son regard fixé au-delà de l'horizon. « Merci. » Sa voix n'était qu'un murmure ; elle n'avait plus rien de rauque. Elle frottait légèrement, pourtant, d'un timbre qui n'était pas tout à fait clair - comme jadis.
« Si j'avais su ce que cela te coûterait... »
Il le reconnaissait, il s'était inquiété pour elle. Surtout, lorsqu'il l'avait vue prostrée au sol, il faillit se maudire. Certes, elle avait décidé... mais avait-elle réellement eu le choix ?
« J'aimerais pouvoir te donner ma vue. »
Et rien n'était plus vrai. Ailill n'était pas de ceux qui parlaient sans mesurer l'étendue ni le sens de leurs mots. Il aurait pu, encore, décrire ce qu'il voyait et ce qu'il avait vu, faire vivre au travers des sons ces images à jamais gravées dans sa mémoire. Il le ferait, si elle le lui demandait.
En cet instant, il renaissait. Tant de choses s'offraient à lui afin qu'il les redécouvrit, ou, peut-être, qu'il les découvrit pour la première fois. Et son regard glissait sur le jeune visage que frappait le vent. Il ne partirait pas tant qu'elle n'aurait pas retrouvé ses esprits, sans quoi le regret de ne pas savoir ce qu'il était advenu d'elle le poursuivrait toujours, peut-être mêlé à d'autres amertumes..
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| | | Annya
Elfe
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Sam 24 Jan 2009 - 16:33 | |
| Annya avait le souffle coupé, agenouillée dans un état presque végétatif, elle sentit qu’on la soulevait. Les vibrations qui lui revinrent l’informèrent qu’il ne s’agissait que d’Ailill, la soulageant et la rassurant quelque peu. Ce n’était pas parce qu’elle était une Gardienne, que la jeune fille ne connaissait pas la peur. Ce fut la première fois qu’une telle énergie pénétrait dans son enveloppe corporelle afin de servir une cause. Jamais, elle n’avait ressenti autant de pouvoir s’offrir à elle, et secrètement, cela l’ennuyait. Sentant le marbre sous ses fesses, et ses jambes pendre dans le vide, elle inspira une grande bouffée d’air iodé, apaisée …comme rassérénée par le vent cajoleur de la déesse. Un murmure parvint alors jusqu’à son ouïe retrouvée.
« Merci. »
La femme enfant ne répondit pas, il n’y avait rien à répondre. Car pour elle, il exprimait sa gratitude envers la déesse, alors elle le lui transmit mentalement. Un rayon de soleil perça la lourde couche nuageuse, témoignant de l’entendement de Néera. Le visage plus fermé qu’autre chose, Annya laissa son interlocuteur parler de nouveau, s’il en avait besoin, elle ne pouvait pas le lui interdire.
« Si j'avais su ce que cela te coûterait... »
Un petit rire moqueur s’échappa des lèvres de l’adolescente.
- N’ose pas me dire que tu regrettes, un humain n’est pas capable de ressentir ce sentiment lorsqu’il retrouve quelque chose depuis si longtemps égaré, quand bien même j’aurais dû mourir pour toi, tu aurais été heureux.
Le ton était sans appel, il n’avait pas à répondre à cela, sa conviction était trop grande pour être discutée. Cependant, la phrase qui allait suivre était, elle empreinte d’une sincérité à toute épreuve.
« J'aimerais pouvoir te donner ma vue. »
La Gardienne balança doucement ses jambes dans le vide, un élan rythmé et soutenu. Elle s’accorda un réflexe humain … elle soupira. Se surprenant à rêver que cela fut possible, l’espace d’un instant, ne plus être obligée d’utiliser tous ses sens pour admirer la nature, se déplacer sans prévoir au préalable ce qui pourrait arriver, voir les couleurs, le visage d’Ailill et ses expressions … mais tout cela n’était que vain espoir, cependant, d’une beauté surprenante. Ainsi ce fut à son tour de ressentir une certaine gratitude à l'égard de l'homme qui se tenait près d'elle, respirant de nouveau la santé et la vie.
L’insouciance, un trait de caractère très profond chez Annya s’éveilla un instant, elle fit abstraction de tous ses problèmes pour s’entretenir sérieusement avec Ailill, sans pour autant prendre un ton chagriné ou désespéré, elle lui répondit d’une voix douce, une voix si adulte et féminine émanant de ces lèvres d’enfant, il y avait là de quoi troubler son interlocuteur.
- Ne te perds pas en illusions, tu sais, comme moi que ce n’est pas possible. Cesse humain, de vouloir ce que tu ne peux obtenir, cela ne sera que meilleur pour chacun d’entre nous. Il y est des miracles qui ne peuvent se réaliser, celui-ci en fait partie. Et je vais t’expliquer pourquoi …
L’enfante descendit de la balustrade après un bref demi-tour sur ses hanches. Légère comme la brise elle fit face à l’homme de sa petite hauteur en souriant, elle leva un doigt vers le ciel grisâtre, instantanément le soleil perça et illumina sa chevelure argentée. Le doigt toujours pointé vers la voûte céleste, elle s’expliqua d’un ton détendu.
- Chaque miracle doit avoir une raison précise de s’accomplir, contrant un élément non voulu qui dérange la vie d’un être, ces nuages par exemple nous cachent la beauté du ciel hivernal.
Elle abaissa son bras, et continua son explication.
- Le reste c’est différent, j’ai choisi de perdre la vue lorsque j’ai été sacrée Gardienne de Néera. Chaque Gardien possède un handicap particulier, j’ai préféré perdre ma vue que mes sentiments … c’est un choix, car elle est remplaçable, et eux ne le sont pas. Quand bien même parfois elle vient à me manquer, je suis heureuse de pouvoir ressentir ce que vous ne ressentez pas parce que vous voyez, les sentiments dépassent la simple vision, ils permettent de voir d’avantage qu’avec nos globes oculaires.
Un sourire flottant sur ses lèvres, alors que son regard restait planté sur Aillil, elle clôtura.
- c’est aussi simple que ça.
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| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Sam 24 Jan 2009 - 23:39 | |
| Un vol d'oiseaux forma une grande mouvance au-dessus de l'eau turquoise, au loin... Le blanc de leurs ailes étincelait, tandis que le noir traçait des lignes d'encre, l'œil ne pouvant les suivre assez vite.
Un rire léger naquit à côté de lui. Sans regret, il délaissa les oiseaux de mer pour reporter toute son attention sur la jeune femme. Elle semblait moqueuse... étaient-ce ces paroles qui lui avaient donné matière à sourire ? Si tel était le cas, alors, il ne regrettait pas d'avoir exprimé ce qu'il pensait, fût-ce pour qu'elle ne partageât pas son avis. Il émanait d'elle à nouveau tant de vie ; cela, seul, comptait. L'espace d'un souffle, toute l'inquiétude qui l'habitait sans qu'il n'en fût conscient se leva. Ce qu'elle pensait des humains ne le surprit pas réellement. D'ailleurs, dans un sens, elle avait raison ; s'il avait su, avant sa guérison, quelles conséquences celle-ci aurait sur l'Elfe, peut-être ne l'aurait-il pas empêchée. Car ce n'était que depuis quelques instants qu'il prenait conscience de ce qu'elle était, un être à part entière, et ce toujours un peu plus à chaque expiration passée à ses côtés. Si cela était à refaire, maintenant, il renoncerait... Curieux non-sens que créait là l'écoulement fatal du temps. Pourtant, il était capable de regretter et d'être heureux dans le même temps. Mais était-il vraiment heureux de sa guérison pour ce qu'elle était, ce pour quoi il la voulait, pouvoir continuer sa tâche, remplir sa fonction auprès du roi ? Ou, au fond de lui, de manière inavouée, éprouvait-il une joie simple et pure dans le fait de pouvoir respirer sans percevoir l'odeur âcre du sang ? Elle se trompait aussi, quand elle affirmait qu'il aurait été heureux même si cela avait coûté sa vie. Son corps aurait ressenti un soulagement sincère, mais son âme aurait conservé une trace amère pour toujours, une cicatrice de celles qui jamais ne se referment - une de plus. Pourtant, il ne dit rien. Cela n'était pas tant dû au ton qui n'admettait pas de réplique de la jeune femme qu'au silence quasi-religieux qui l'emplissait. Perdu dans sa contemplation, il ne ressentait pas le besoin de parler, d'affirmer ses idées. Il vivait simplement le présent, et ressentir chaque mouvement requérait sa concentration. Aussi, il considérait le profil fin tourné vers l'océan houleux, parfois voilé d'une mèche argentée de cheveux tourbillonnants. Il s'aperçut que les fines jambes battaient l'air avec entrain. Que pouvait-elle ressentir, en cet instant ? Tout à coup, elle soupira. Ce simple souffle paraissait si humain... Ainsi, elle n'était pas qu'un corps soumis, livré ou entièrement dévoué à la déesse... Pourquoi Ailill s'en sentit heureux, il ne le savait pas. Aussi, était-ce un soupir de tristesse ou de plénitude, de lassitude ? Il supposa que ce souffle pur ne pouvait être que l'expression d'un sentiment heureux, fut-il fugitif.
Soudain, la jeune femme reprit, et sa voix portait une sincérité, une conviction différentes. Le timbre en était plus ferme mais tout aussi pur, et il s'aperçut que son propre regard ne se détachait pas des yeux azur. Impassible, il attendait qu'elle parlât encore. Il ressentait l'envie curieuse de l'entendre, d'écouter ces mots qui glissaient avec facilité d'entre ces lèvres roses, fruits d'une force si mature. Aussi, il l'observa lorsqu'elle descendit de la balustrade, sans se tromper de côté, mer ou marbre, en toute connaissance de l'espace qui l'entourait. Ses hanches menues soutenaient sans peine un torse jeune, à peine sorti de l'enfance. Avec légèreté, elle se plaça devant lui, et il abandonna la balustrade pour se tourner entièrement vers elle. Lorsqu'elle pointa le bras vers le ciel, il n'eut pas besoin de la quitter du regard ; le soleil tomba en une cascade argentée sur sa chevelure, la mêlant à un scintillement qui faisait ressortir ses teintes cuivrées. Insouciante, détendue, la jeune femme semblait se libérer peu à peu des affres du pouvoir dont elle avait été investie quelques instants plus tôt. Si elle avait paru secouée par les évènements, il n'en demeurait désormais rien, du moins lui semblait-il.
Avec une patience non feinte, un véritable intérêt, il l'écouta jusqu'au bout sans l'interrompre. Ainsi, elle voyait cet aspect de la vie sous un angle différent du sien, quoiqu'ils se rejoignaient partiellement. Les illusions étaient part entière de la vie des Hommes, tout comme l'éternel désir de ce que l'on ne possède pas. Mais n'était-ce pas une façon d'évoluer, de se tendre vers l'avenir ? Le marin à la barre, sous la tempête, qui continue à lutter alors même que le navire se fracasse sur les récifs ne se fait-il pas d'illusions ? Et, si ces songes éveillés ne l'accompagnaient pas, dans quel état d'esprit vivrait-il le temps qui lui restait ? Abandonner les espoirs vains serait délaisser tout espoir, car on ne peut véritablement savoir si ce que l'on espère est vain ou non. Cela est le propre du rêve. La raison d'être d'un miracle serait d'agir en faveur ou défaveur d'un être ?... Si tel était le cas, si le but de déplacer des nuages qui cachaient la beauté de la Nature pouvait être prétexte à une intervention divine, alors tout pouvait l'être. Car chaque chose recelait au plus profond d'elle-même une véritable richesse qui valait d'être comprise. Lorsque son regard se détacha de la jeune femme, parcourant une nouvelle fois l'horizon qui s'étirait au loin, ce dernier lui parut encore davantage différent. Ainsi, elle avait dû faire face à un choix si cruel ? L'un de ses sens, la perception du monde, contre l'interprétation que sont les sentiments... Lui aurait opté pour la même solution. Du moins, c'était ce qu'il croyait en cet instant, mais, peut-être, quelques heures auparavant aurait-il vu en ce dilemme un chemin pour fuir la réalité de la douleur... Ne comptait que ce qu'il était devenu, son être présent.
« Personne ne peux ressentir pour toi, en revanche il est possible pour celui qui le désire de récréer à ton adresse les images, non pas telles qu'elles sont en vérité, mais telles qu'il les perçoit... »
La façon dont le tutoiement s'était imposé, il ne l'expliquait pas. Peut-être estimait-il que ce qu'il lui avait été donné méritait cette reconnaissance. Ainsi, il remerciait la jeune femme, et aussi, au travers d'elle, la déesse. Remerciement, ou, assurément, reconnaissance de leur différence face à tous ceux qu'il avait côtoyés. Pourtant, quelle message, de celui de la déesse et de celui qui était propre à la jeune femme, possédait le plus de significations à ses yeux ? Seul lui pouvait le savoir avec assurance, mais probablement étaient-ce ces paroles affranchies qu'il venait d'entendre à l'instant.
« Ton avis possède un poids tel que n'aura jamais celui d'aucun humain à mes yeux. »
D'un geste spontané, il saisit la main de la jeune femme, et la porta à son visage, afin qu'elle put connaître ses traits. Si la voix subissait les affres du temps, le visage était éternel. Les moindres modifications, sillons que laissait le Sable sur son passage, ne transfiguraient jamais réellement. Puis il relâcha avec douceur la main qu'il tenait, esquissant un sourire. Viendrait un moment où il partirait, arraché à ce lieu comme une plante renaissante à la terre nourricière dans laquelle on vient de la placer. Mais, pour l'heure, rien ne le pressait, si ce n'était le jour décroissant. Pour quelle raison lui avait-elle fait part de ce qu'elle avait vécu lors de son ascension au statut de Gardienne ? Toujours, il en revenait à se demander ce qu'elle avait pu endurer, tentant de la comprendre dans son ensemble, telle qu'elle était devenue aujourd'hui. Il ne lui poserait pas de question, l'écoutant, si elle souhaitait parler encore... Il lui aurait semblé étrange que cette jeune femme l'intriguât - d'apparence jeune et pourtant si mature... mais cela ne tenait-il pas à son origine Elfique ? - si sa perception du monde dans son ensemble n'avait pas prit pour lui une nouvelle signification. |
| | | Annya
Elfe
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Dim 25 Jan 2009 - 14:22 | |
| Danses informes, évitant le rapide, le lascif, assaillie et transportée aux or de centaines de prêtresses, toutes dans leurs caresses pécheresses tentatrices ultime d’un espoir vain. Enduites d’allégresse, teintant les perceptions déclinantes de ce monde. Aillil s’exprimait avec une sincérité peu commune. Ténue, face à cet homme dont elle ne connaissait que peu de choses et tant à la fois, enfermée dans un mutisme mortel, incapable de répondre à ses cajoleries prosodiques. Ce dernier prit doucement sa main, la déposant sur son propre visage. Quelque peu surprise par ce contact singulier, Annya ne réagit pas immédiatement.
Puis, peu à peu, ses petits doigts glissèrent sur les paumettes, les tempes et le front de l’humain. Son nez droit, ses traits anguleux, la tiédeur de sa peau, ces lèvres minces et légèrement craquelées, ce grain si fin. Se forçant à enregistrer autant d’éléments que possible, elle laissa retomber ses mains sous l’initiative de son interlocuteur. La Gardienne avait accompli son œuvre, causant une guérison magistrale d’un être dont la vie ne tenait plus qu’au minuscule fil des jours. Que faire à présent ? Il se trouvait en face d’elle, semblant attendre quelque chose, mais quoi ? Ils étaient issus d’un monde totalement différents. Alors, lentement, elle glissa sa main dans la sienne et l’entraîna dans la chaleur plus accueillante de l’intérieur du temple.
Le lieu sacré, magnifiquement orné de sculptures et de pierreries légères dominait la falaise. Intérieur, comme extérieur étaient travaillés dans une finesse incomparable. Annya ne l’avait vu qu’une fois, avant de perdre la vision. Cependant, elle ressentait la majesté de ces lieux comme nul autre. Avançant tranquillement au milieu des colonnes de grès au teint légèrement ambré, la jeune fille laissa ses doigts se démêler de ceux de l’homme. Évoluant à ses côtés, elle ne ressentait pas le besoin d’encombrer ses membres de nouveau sains, de sa présence. Elle le raccompagnait jusqu’à la sortie de cette antre de solitude et de sainteté.
Le cœur lourd, l’âme en peine, étrangement et pour une raison qu’elle même ignorait, elle ne voulait pas qu’il parte. Mais dès lors que son corps s’était débarrassé de ses maux, elle avait eu l’impression de le retenir contre son gré. Ce noble humain devait avoir bien plus important à faire que discuter avec une femme enfant. Assassine d’un temps précieux, la culpabilité enserrait peu à peu son esprit, un étau douloureux et peu palpable extérieurement. Sans lui accorder un regard pourtant, elle s’adressa à lui d’un ton neutre, voir égal. Elle le savait, et l’avait toujours su, jamais elle ne connaîtrait le bonheur d’avoir un compagnon pour une longue durée.
- Si mon avis possède un tel poids dans ton esprit, alors je souhaite que tu vives heureux à présent, et ce dès lors que tes pieds fouleront l’extérieur de ce temple.
Le poing serré imperceptiblement, balançant ses bras au rythme de ses hanches, aérienne. Une muse s’invitant à effleurer la vie, éloignant la mort et les ténèbres sur son passage, elle répandait le bonheur d’une insouciance jeune et éternelle. Douleur quand elle s’en va, douleur lorsqu’elle s’éloigne si loin trop loin de l’âme humaine, bien au delà des basses de ce monde, elle souffre … pour le bonheur des autres, et elle en est heureuse, Annya avait tout abandonné pour devenir ce qu’elle était. Néera était sa vie, elle vivait pour elle jusqu’à sa limite, la marge infranchissable de la voûte céleste. Car, si elle avait une autre vie, elle la vivrait pour elle.
Les grandes portes de marbre blanc s’écartèrent devant eux, la lumière éclatante du jour venant frapper la beauté de ce moment. S’arrêtant au bord des douze marches qui menaient jusqu’au sol de l’île, elle se tourna vers l’humain, un sourire douloureux sur les lèvres.
- j'ai mal.
Elle eut un rire horriblement désespéré, la fatalité qui l’empêchait de s’évertuer à apprécier un être se refermait sur elle comme un piège inflexible. Parfois elle se détestait, mais la déesse la rassurait. Pas cette fois, face à cet être unique qui lui avait rendu la vue l’espace d’un instant, une utopie passagère qui l’avait profondément troublée, elle se retrouvait dénudée de toute sa froidure coutumière. L’elfe ne savait que faire, tendre la main ? S’incliner ? Rire ou pleurer ? Ou peut-être simplement rester de marbre …
Un oiseau passa entre les deux protagonistes, une colombe d’une blancheur immaculée s’envola et virevolta entre les immenses colonnes mordorées du temple. Ressentant sa magie, signe de la déesse, Annya la suivait de son regard aveugle. Un parfum d’apaisement plana sur son cœur, mais son inconscient le repoussa, elle lui en voulait, à elle Néera de l’empêcher d’aimer, d’adorer et de choyer, elle éprouvait une aversion constante, n’était qu’une oxymore de sentiments, l’aimait et la haïssait de tout son être. Simplement, son regard toujours levé vers le ballet aérien de la colombe, une larme vint poindre sur sa joue.
- Si seulement …
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| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Dim 25 Jan 2009 - 20:23 | |
| Existait-il en ce monde un seul être, mortel, immortel, qui comprît les desseins des dieux ? Que coûtait-il d'exécuter des ordres dont la finalité ne possédait, pour vous, pas toute clarté ? Peut-être fallait-il être confiant, confiant au point de placer sa vie entre les mains célestes jusqu'à tout accepter, quitte à payer cela au prix de votre souffrance. L'on pouvait interpréter le but ultime de Néera, comme étant la continuité infinie de la Vie.. De laquelle, toutefois ? Celle de ses adeptes et de ceux qui croyaient en elle ? Il était impossible que ce fut celle de tous les êtres ; la Vie appelle la mort, et chaque créature tue, pour se nourrir ou lors de ces boucheries au paroxysme de l'absurde que sont les guerres... Ou encore, les desseins de la déesse étaient-ils de permettre à la Nature de poursuivre sa route, sans qu'elle l'interrompit, où que cette dernière aille - fut-ce à la destruction ? Quel était le rôle des dieux ? Accomplir quelque miracle, bravant le destin pour ramener une créature à la vie, rappelant ainsi aux Hommes et aux autres leur existence... Ailill avait cru dur comme fer, si longtemps, que ces chimères célestes croissaient comme des plantes sinueuses dans l'esprit des Hommes. Mais cette époque était révolue. Sur quelles bases reconstruire sa perception, son analyse du monde et des actes de ses semblables ? Le destin était-il le fait des dieux, qui intervenaient pour le remettre d'aplomb lorsque le besoin s'en faisait sentir ? Existait-il seulement ? Qu'était-il des tempêtes et des ouragans, des épidémies qui rongeaient l'âme et le corps des êtres, les baignant dans les larmes ? En cet instant, mille autres questions bourdonnaient lentement, se croisant et s'entremêlant. Pourtant, une chose seule était sûre : la réalité demeurait, plus palpable, plus attirante que jamais. Il croyait en elle, il savait désormais qu'il avait toujours eu foi en l'inéluctable du lever du soleil et de la chaleur de ses rayons clairs, en l'âcreté de la poussière et la parfum sauvage des plantes aux couleurs vives. Cela n'était pas le cas de tous les hommes. Et, si un jour il perdait ses sens, alors il n'aurait pas besoin d'accepter la mort : elle l'aurait déjà emmené. La réalité seule illuminait son esprit ; non pas toute entière, mais plus particulièrement celle de la Vie. Peut-être ces songes fondateurs, ancrés en son être, rejoignaient-ils l'essence de Néera. Il vivrait, simplement, aussi difficile que cela fut.
Une chaleur douce, léger contact contre sa peau le fit lentement émerger de ses réflexions. Son regard se perdait dans les yeux de la jeune femme, et, bien qu'elle ne put le voir, ses yeux reprirent un peu de leur tranchant. Cette petite main dans la sienne lui semblait indigne de sa confiance ; au fond de lui, il sentait naître une peur, quoi qu'elle fût faible. S'il esquissait un faux pas, au sens propre comme au figuré, il risquait de l'entraîner dans sa chute... Il ne parla pas ; il la suivit. La porte s'effaça sur leur passage, les laissant pénétrer l'atmosphère tiède et bienveillante du temple. Sa perception du lieu avait changé du tout au tout. Ainsi, il constatait combien la beauté, la finesse des colonnes et des voutes ouvragées lui étaient chères. Un bonheur indicible gagnait une partie de son être, celle qui venait de renaître. Avec la même douceur qui avait accompagné son apparition, la quiète sensation de chaleur s'évapora tandis que les doigts fins reprenaient possession de leur liberté. Toujours, il la suivait, sans marquer d'hésitation. Il marchait juste à côté d'elle, sans faire mine de la guider. Il considérait qu'elle s'orientait avec autant d'aisance que lui, si ce n'était davantage - jamais son allure ne fluctuait. Lorsqu'elle parla, ses mots se gravèrent dans les pensées d'Ailill, germes d'une perplexité nouvelle. Ces paroles n'était pas celles de la déesse, du moins l'espérait-il. Étaient-elles l'expression de la compassion, ou compréhension ? Il manqua un pas, interrompant son rythme. Devant lui, elle continuait, impassible, légère. Elle semblait voler. Rapidement, il revint se porter à sa hauteur. Ses yeux, droit devant lui, fixaient les immenses portes, frontières de ce monde irréel, symboles de la fracture entre ce majestueux domaine de pensée et la Réalité. L'immense rectangle de marbre blanc l'attirait pourtant. Lorsque les battants s'écartèrent, la lumière décroissante les inonda. Fleuve d'or, elle les enveloppa de sa douceur éclatante. Contrastant à l'extrême, les lèvres fines formèrent un sourire douloureux. L'espace d'un souffle, Ailill douta. Elle s'était tournée vers lui.
- j'ai mal.
Et le désespoir déchira son rire. La sensation que produit un cristal finement ouvragé qui se fracasse au sol sans que l'on puisse agir. Il demeura parfaitement immobile. Comme issu d'un autre temps, d'un monde différent du leur, un tourbillon de plumes blanches au cœur palpitant s'éleva vers le ciel... Et elle, le suivait des yeux... Un doute s'emparait de l'homme, et alors il sut que cet oiseau trop pur portait un message de la déesse. Peut-être se trompait-il, qu'importait, seule son assurance faisant foi à ses yeux. Néera percevait-elle la souffrance, le doute de la jeune femme qui lui avait dévoué sa vie ? A travers ce symbole de paix aux yeux rubis, cherchait-elle à ramener la quiétude en son cœur ? Pourtant, une larme perla sur la joue rosie.
- Si seulement …
Il ne put demeurer hiératique un instant de plus. Esquissant un pas vers elle, il l'enveloppa de ses bras d'un mouvement protecteur, la serrant doucement contre lui. N'accordant pas de force physique véritable à son geste, il lui permettait ainsi, si elle le souhaitait, de se dégager aisément... Il ne désirait rien de plus que lui offrir la plénitude d'un temps partagé, fut-il bref, le soulagement de ne plus être seule.
« Il existe une frontière entre les Hommes et les Dieux qui ne peut être tout à fait franchie. »
Ce murmure aurait-il un sens aux yeux de la jeune femme ? Il n'en pouvait rien savoir ; lorsqu'il parlait sans utiliser les mots comme autant d'armes tranchantes, il exprimait une sincérité réelle. Il ne cachait pas ce qu'il pensait, qu'importe ce que cela lui coûtait.
« Tu m'a demandé d'être heureux... J'essaierais. »
Sa tête, doucement appuyée sur l'épaule frêle, se redressa. Son regard croisa les yeux bleus irisés, et il sut qu'il ne pourrait jamais les oublier, et rien de ce qu'il ferait ne changerait plus cela.
« Mais, en retour, j'aimerais... Tu as déjà tant fait pour moi... Je souhaiterais que tu ne consacres pas ta vie dans son entier au culte qui te lie à la Déesse... Cela, seul les Dieux le peuvent ; tu es elfe, éternelle, pourtant jeune... »
Il ne voulait pas qu'elle se détruise. Ses bras se reposèrent le long de son corps, tandis qu'il prenait un léger recul. Telle était celle qu'il allait quitter à jamais. Ses yeux brillèrent, bleu profond, un peu trop humides, peut-être. |
| | | Annya
Elfe
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Dim 25 Jan 2009 - 21:47 | |
| Se sentait-elle succomber, expirer à petit feu ? Le poison divin qui coulait dans ses veines et inondait ses joues, ce venin la rongeait peu à peu. Ce fut alors que les bras de l’humain entourèrent son petit corps frêle, enserrant son âme fragilisée par la même occasion. Repliant ses bras, elle entoura la taille de ce dernier de ses petits membres d’adolescente. Son minois reposant contre son torse, écoutant les légers battements de ce cœur sain. Ce contact eut pour effet de tarir sa rivière de larmes, alors, comme la première fois, un éclat argenté sécha les joues rosies de l’elfe. Néera l’avait entendue, mais la déesse ne désirait pas perdre son âme jumelée, sa Gardienne.
La voix d’Ailill vint renforcer cette médication, une douceur extrême perlait dans ses vocalises, soulageant momentanément le petit bout de femme qui se tenait entre ses bras, serrant toujours ses membres autour de son interlocuteur, comme pour s’assurer qu’il n’allait pas disparaître d’un seul coup.
« Il existe une frontière entre les Hommes et les Dieux qui ne peut être tout à fait franchie. »
Que cela signifiait-il ? L’humain voulait-il dire qu’Annya n’était qu’une elfe malgré son statut ? Trop de questions embrouillaient son esprit, un voile cotonneux l’anesthésiait de minutes en minutes, sans même qu’elle s’en rende réellement compte. Il appuyait sa tête sur son épaule, la jeune fille pouvait sentir son souffle à travers ses cheveux d’argent. La chaleur de l’être humain la rassura, doucement, elle reprit contact avec les profondeurs de sa personnalité. De nouveau, sa voix perça le silence.
« Tu m'a demandé d'être heureux... J'essaierais. »
Parfait, c’était ce qu’elle souhaitait le plus en cette heure si douloureuse. Que sa guérison ne fut point vaine, qu’elle puisse croiser de nouveau sa route, un jour peut-être, alors que son corps serait devenu celui d’une femme, lui serait un vieillard. Cependant, elle priait secrètement pour le revoir avant que cela ne se produise. Ailill rencontrerait une femme qui le comblerait, il aurait des enfants, il les élèverait avec amour et joie, maintenant que ses maux l’avaient quitté, il allait vivre tout simplement.
Redressant son visage, lui éleva également le sien. Leurs Iris se figèrent quelques secondes les uns dans ceux de leur opposé, ils l’étaient diamétralement. Bien qu'elle ne pût le voir, elle ressentait son regard. Une profonde gratitude respective les liait désormais. Les barrières de la race et de la fonction empêchaient les sentiments de pouvoir suivre un libre cours, mais elle le comprenait, et intimement, savait que cela ne serait pas sa dernière déception. L’humain balbutia à son attention, une phrase dans un long souffle qu’elle respira avec une avidité certaine.
« Mais, en retour, j'aimerais... Tu as déjà tant fait pour moi... Je souhaiterais que tu ne consacres pas ta vie dans son entier au culte qui te lie à la Déesse... Cela, seul les Dieux le peuvent ; tu es elfe, éternelle, pourtant jeune... »
Elle n’était pas une déesse, son rôle était important certes, mais il avait raison. Malgré la relation plus que profonde qui liait la jeune fille à Néera, elle restait un être de chair et de sang, pas une entité comme son adoration. Pour l’instant, la période d’apprentissage n’était pas encore achevée, mais dès lors que cela serait possible, Annya devrait s’efforcer de vivre dans la normalité la plus parfaite, quitte à faire partiellement abstraction de ses pouvoirs et de ses ressentiments, ce que pour le moment, elle n’était visiblement pas capable d'établir.
La sincérité émanant des paroles de l’homme finit de tarir son flot d’émotions. Une seule prit place en son cœur, l’espoir. Lentement et avec une douceur certaine, les deux protagonistes se détachèrent l’un de l’autre. Les yeux de la Gardienne comme ceux de l’humain brillaient intensément, peut-être un peu trop. Bombant légèrement son petit abdomen, l’elfe prit une profonde inspiration, son regard posé sur le sol. Autour d’elle, le monde pouvait s’écrouler, en cet instant précis, elle l’ignorerait du tout au tout.
Se remémorant les traits du visage de l’humain, un fin sourire vint poindre sur ses lèvres qu’elle mordait depuis peu, laissant perler une goutte d’un sang couleur rubis. Sa langue la recueillit et la fit disparaître entre ses lèvres. Ce liquide vital lui rappela qu’en effet, elle n’était qu’un être vivant comme les autres. Peut-être que les paroles de la déesse étaient à prendre avec plus de légèreté qu’elle l’avait fait. Se promettant de se consacrer plus de temps, un poids s’enleva, libérant quelque peu une âme si jeune, mais déjà trop lourde. Aucun mot ne parvenait à émaner de sa gorge, que dire de plus en cette situation, il allait partir, elle n’avait plus rien à lui offrir … quoi que …
La colombe virevolta jusqu’à son voisinage, comme si elle comprenait son intention, l’oiseau happa une fine mèche de ses cheveux argentés avec son bec, l’arrachant au passage. Aucune douleur ne fut ressentie par la jeune fille, qui déjà, retirait de son poignet un ruban, d’un majestueux bleu roi. La colombe déposa les cheveux dans la main de leur propriétaire. Un éclat blanchâtre émana d’entre ses doigts, et la fine bande de tissus se vit brodée de fils d’argent. « Espoir » Ce simple mot, un banal souvenir, qu’importait … le geste seulement. La Gardienne noua méticuleusement le ruban autour du poignet de son interlocuteur, un petit sourire sincère sur les lèvres.
- C’est tellement peu …
Le blanc oiseau s’éleva en piquée vers la voûte céleste, et disparut dans l’épaisse couche de nuages clairs. Encore des yeux fermés sur un crime sans raison, un cœur brimé d’un meurtre sans punition. Du sang gâché, des gestes de trop, dans l’éternel repos un cri lâché. Il allait partir, la laisser derrière lui, un ami depuis longtemps réclamé, disparaissant avec l’écume naissante. Elle l’imaginait une dernière fois, essuyant ses larmes, perdant tout ses rêves, imaginant qu’il ne la regardait plus. Un mutisme profond, une ultime protection contre l’allégresse d’une douleur encore vive. Devenue une habituée de dame tristesse, l’ange noir.
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| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Lun 26 Jan 2009 - 20:18 | |
| Femme et enfant tout à la fois, comment cela se pouvait-il, et pourquoi une telle rupture naissait-elle dans sa perception de la jeune femme ? Elle n'avait d'abord été pour lui qu'un être détaché du monde, prolongation des pensées de la déesse, puis, tout à coup, elle avait acquis un statut de personne à part entière. Serait-elle libre si elle choisissait d'imposer des changements dans sa relation à la déesse ? Cette dernière, sûrement, ne voulait pas perdre sa Gardienne, mais jusqu'où irait-elle pour la retenir ? Pensées bien inutiles en cet instant si pur, d'un rassurant bien-être. Il aurait aimé pouvoir croire encore que l'avenir ne possédait pas d'importance, et les bras fins qui l'étreignaient avec la force du désespoir renforçaient ce sentiment. La tiédeur de cet être fragile le gagna doucement. Il aurait voulu la protéger éternellement, repoussant la moindre de ses craintes. Quelles barrières se dressaient-elles réellement entre eux ? Les affres du destin, elle, attirée vers le Ciel, et lui plus que jamais par la terre et ceux qui la peuplaient, possédant désormais la force nécessaire pour les aider encore. Si seulement elle n'avait été attachée à ce lieu, si elle avait pu le suivre le temps de sa courte vie... Comment des pensées aussi égoïstes pouvaient-elles seulement traverser son esprit ? Mais l'égoïsme n'était-il pas le propre de l'amour ? Un instant, il s'empêtra dans les flots torrentiels de son esprit, torturé, tiraillé de part et d'autre, en un incontournable dilemme. Le souffle du vent souleva doucement les cheveux argentés. La vie future s'offrait à lui comme l'accomplissement d'un devoir, sans place pour sa volonté propre. Il aurait tant voulu mêler les deux, à l'exemple de tant d'êtres ! Mais il n'avait jamais pu saisir les méandres de son propre être, et de sa vie, il n'avait jamais aimé aucune femme... Toujours, il avait considéré ces dernières comme en tout égales aux hommes, elles qui portaient l'épée au côté et dirigeaient les peuples au même titres que leurs homologues masculins ; peut-être, finalement, n'avait-il jamais rencontré celle qu'il cherchait, un être qui fut différent, qu'il aurait aimé, non pas pour la différence, mais pour la profondeur de son être.
Lorsqu'ils se séparèrent, un froid insidieux prit place contre lui, dans le creux de sa chemise demeurée froissée, remplaçant la douceur de la vivante chaleur. La jeune femme prit une inspiration, semblant rassembler son courage, pourtant son regard demeurait baissé. Attentif à la moindre de ses expressions, Ailill vit perler une goutte de sang sur ses lèvres. Bien qu'il ne put rien à cela, il se haïssait de ne pouvoir comprendre tout à fait ce qu'elle ressentait.
- C’est tellement peu …
Rai de lumière pur, les plumes frémissantes, l'oiseau le frôla, visant pourtant la chevelure de la jeune femme. Il n'esquissa pas le moindre geste, contemplant avec comme une pointe d'amertume les plumes blanches, le bec d'or. Les doigts fins ôtèrent de son poignet un ruban d'un bleu profond, couleur qui semblait mêlée de celles de leurs yeux. Les cheveux retombèrent doucement dans la paume ouverte, puis s'élevèrent, comme victimes d'un caprice du vent, pour broder le ruban... Espoir. La sincérité de son sourire, lorsqu'elle noua le fin tissu à son poignet immobile, qu'il tendait légèrement vers elle afin qu'elle ne dût pas se pencher, acheva de lui percer le cœur. Mais, puisque tel était le souhait de la jeune femme, il n'irait pas à l'encontre de son désir de poursuivre sa vie, ici. La mer et la pureté de cette île n'étaient-ils pas les meilleurs compagnons pour elle ? Au loin, il se battrait avec les moyens qu'on lui accordait pour que jamais troupe armée ne pénétrât ici. Infinie tristesse qui émanait de cette résolution.
« Je ne sais si je pourrais jamais aimer une autre que toi. »
S'il partait, ce n'était pas parce qu'elle n'avait rien de plus à lui offrir. Loin de lui ces considérations ; il devait partir, pour tous ceux pour lesquels il se rendrait utile. Mais la promesse de solitude que portait son retour croissait, oppressante. Une fois le chemin parcouru jusqu'à la capitale, il irait se recueillir dans un temple. Puis il ferait tout son possible pour supporter le poids des responsabilités qui lui incombaient, à lui et lui seul.
« Mais j'ai vécu si longtemps sans porter d'amour à quiconque... »
Une douce amertume qu'il ne parvenait pas à dissimuler pointait dans son ton. Il s'était promis d'être sincère ; il l'était, plus que jamais.
« Cela ne sera pas si difficile de continuer, peut-être. »
Sa voix décrut progressivement, de telle sorte que les derniers mots ne furent guère plus qu'un souffle, empêchant sa voix de se briser, ultime rempart, bien inutile, devant le tourbillon complexe de ses sentiments aux conséquences diamétralement opposées. Comme issu d'un univers lointain, il perçut le bruit doux des sabots libres contre la pierre. Mais son esprit était ailleurs, tendu vers la jeune femme.
« Et toi, la Déesse te porte une affection éternelle. »
Peut-être cherchait-il à la rassurer, ou à se convaincre lui-même que, pour la jeune femme, la vie continuerait de la même manière qu'avant son arrivée. Sûrement Néera veillerait-elle sur elle tout le temps que cela serait nécessaire. Fugitive, une pensée l'effleura ; si l'on avait veillé sur lui, il serait bien différent, aujourd'hui. Et bien trop faible pour affronter les réalités de la vie. L'idée même qu'il aurait pu être un petit nobliau le repoussait... Non, cela n'avait rien de bon que d'être protégé de la Vie. Était-ce une fatalité pour celle qui la représentait ? La Vie fuyait-elle ses maîtres ? Étrange interrogation...
Dieu ! Pourquoi ne pouvait-il se mentir afin de ne voir que les bons côtés de cette séparation ! Pourquoi fallait-il qu'il se fasse souffrir ! Trop rationnel, trop réaliste, il détestait le mensonge, mais en cette heure il aurait presque désiré être capable de se tromper lui-même.
« Je ne souhaite que ton bonheur. »
Quel expérience de la vie aurait la jeune femme ? Laquelle possédait-elle ? Mènerait-elle vraiment une existence pleine et heureuse ? Une vie qui ne lui laisserait aucun regret lorsque la mort viendrait - car celle-ci vient fatalement, quoi qu'elle prit son temps pour les sylves - ?
Tout à coup, il entendit le claquement des sabots, juste derrière lui cette fois. Il n'eut pas besoin de se retourner pour savoir qu'il s'agissait là de sa monture. Le jeune Meharas, grand cheval à l'intelligence pour le moins humaine, qu'il avait laissé au matin sur le continent, l'avait rejoint - à la nage ? Aussi surprenant que cela parut, sa robe trempée portait des amas d'écume blanche, s'accrochant à ses poils sombres, mêlés à des lambeaux d'algues. De ses naseaux dilatés jaillissait une brûlante vapeur blanche. Il guettait une réaction de la part de son maître. Celui-ci, un instant, ne bougea pas. Il songea que, s'il partait - et il partirait, il le devait - il lui fallait attendre les prochains navires aux voiles écarlates qui passeraient le lendemain. L'arrivée inattendue de l'animal ne changeait pas la donne. Et s'il ignorait par quelle moyen le cheval l'avait rejoint, cela ne le préoccupait guère. Pas de selle, ni de guides. La jeune femme ne pouvait ignorer la présence du cheval à quelques pas de distance. Peut-être en déduirait-elle qu'il s'agissait de sa monture ? L'animal prit les devants, s'approchant de son maître, se plaçant juste à côté de lui, tout aussi près d'elle. Son odeur humide emplissait l'air, plus surprenante que désagréable.
Ce cheval, c'était la tentation de fuir désormais, un geste et il rejoindrait le dos tiède, une parole et cette créature partirait au galop ; alors, tout son corps agité par les cahots des marches, du sentier, la violence du vent contre son visage, il devrait se cramponner pour ne pas perdre la vie, et toutes ses pensées fuiraient, il se perdrait dans cette cavalcade sur le dos de cette bête qu'il ne connaissait pas mais qui lui proposait la liberté, non, libre, il ne le serait jamais, alors pourquoi, dérision extrême, désirait-il tellement fuir ? Une larme perla au coin de son œil, glissa doucement. Que faire, que dire ? Adieu. D'un mouvement, il se hissa sur le dos d'une souplesse féline. Le cheval ne piaffa pas, encensant toutefois légèrement. Ailill prit une respiration hachée.
« Jamais je ne pourrais assez te remercier. »
Il allait partir. Alors, pourquoi ne prononçait-il pas cet ordre simple, pourquoi ses talons demeuraient-ils immobiles ? Sous le vent, la crinière se souleva doucement. |
| | | Annya
Elfe
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Mer 28 Jan 2009 - 15:59 | |
| Qu’était cette alchimie qui opérait ? Ce sortilège inconscient, entravant l’âme de la Gardienne. Celle-ci gardait son regard aveugle posé sur le bracelet qu’elle venait de nouer, consciencieusement au poignet de son interlocuteur. Un scintillement se répercuta contre les parois de son subconscient, elle ressentait l’infinie tristesse d’Ailill, qui en ce moment précis, souffrait tout autant, si ce n’était plus qu’elle même. Sa voix rompit le silence devenu oppressant.
« Je ne sais si je pourrais jamais aimer une autre que toi. »
Aimer ? Ce concept étrange, si souvent désiré par l’humaine condition. Mais qu’en était-il vraiment de ce sentiment ? Était-ce possible, que les myriades de braises ardentes, chauffant son estomac en fut le symptôme ? Annya n’avait jamais connu l’amour, pourtant ce qu’elle ressentait s’en approchait follement, et cela, la jeune fille en fut certaine. L’atmosphère restait trop tendue, aussi lâcha t-elle dans un soupir languissant …
- La seule maladie, que je ne peux contrer …
Le vide s’installa, tortueux, pesant. L’émotion suintant de chaque parcelle de ces êtres de chair et de sang, pauvres soumis aux sentiments naturels, l’attirance inébranlable de deux corps l’un envers l’autre, inévitable, inéluctable, même pour les demi-dieux.
« Mais j'ai vécu si longtemps sans porter d'amour à quiconque... »
L’elfe ne répondit pas, elle non plus n’avait jamais connu l’amour d’un être, ni n’avait porté au creux de ses entrailles, ce magma bouillonnant qui lui réchauffait le cœur, et dévorait son âme peu à peu. La sincérité de l’humain troubla la Gardienne, fermant ses yeux, elle se concentra sur le ressenti de son interlocuteur, la tristesse, l’amertume, la sincérité, une grande volonté d’espérer encore scindait son esprit en deux parties, non ambivalentes.
« Cela ne sera pas si difficile de continuer, peut-être. »
Annya abaissa son visage vers le sol, après tout, que pouvait-elle faire d’autre que ce geste de résignation ?
- Peut-être pas … en effet.
Il lui signifia que la déesse lui porterait une éternelle affection, alors que près d’ici, le bruit cliquetant des sabots d’une monture parvenait jusqu’à son ouïe. Alors la voilà, l’ombre de ce destin qui se matérialisait, et allait emporter avec elle les relents d’amertume de l’homme qui lui faisait encore face. Ailill ne voulait que son bonheur il le disait lui même. Tiraillée entre son respect envers la déesse et sa volonté de protéger et de retenir son interlocuteur, la jeune fille serrait son petit poing dont les jointures blanchissaient à vue d’œil.
La Gardienne l’entendait, l’humain se hissait sur le destrier. D’un instant à l’autre il donnerait l’ordre du départ, alors elle pourrait l’ouïr s’éloigner, se délecter des derniers bruissements, du dernier claquement audible des sabots sur le sentier cahoteux, puis le silence abattrait son lourd voile opaque sur les environs … comme jadis, lorsque sa vue avait cessé brusquement, toute luminosité s’était à jamais tarie, plus rien n’avait de couleur, nul n’avait de forme, l’elfe vivait dans les ténèbres les plus complète, éclairée par la seule et pâle luminosité de son âme.
Soudain, alors que ses yeux aveugles contemplaient le sol, un élan de lucidité éclaira son visage d’enfant. L’accord qui la retenait à la déesse ne lui sommait pas de vivre dans ce temple, le monde n’était que trop grand pour n’être visité, et de plus, en finissant ses jours en ces lieux, elle n’aiderait pas les peuples. Relevant ses épaules, bombant son petit torse, elle tendit droit la main devant elle, tâta la robe du destrier, puis la jambe de l’humain.
- Je ne sais … peut-être ne suis-je obligée de rester …
Son esprit courrait, se déchirant. Encore et toujours, afin de se séparer de ce qui vivait en elle, de la marche irrépressible du temps. Dans le halo de perception de son regard flottent les contours incertains d'époques révolues, dansent les fantômes inconsistants mais tellement présents de tous ceux qui ont combattu en fuyant. Elle courrait pour marteler son présent, renier son passé et éloigner son futur. Annya volait loin pour que les pavés de sa vie résonnent, qu'enfin plus rien ne lui réponde. Elle se perdait, n'existait plus que dans les halètements glacés qui s'échappaient de sa gorge, transformant chaque foulée en un élancement froid de plus. Être ici et ailleurs.
Elle ne se mouvait pas, mais l’étouffement poudreux venant du ciel semblait avoir transcendé tout ce qui lui restait de conscience.
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| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Mer 28 Jan 2009 - 17:53 | |
| De quelle nature était le lien qui conférait à la jeune femme certains des pouvoirs de la déesse - et sûrement davantage ? Peut-être était-il de l'ordre d'un serment d'allégeance, une hiérarchie précise qui l'obligeait à obéir... Il ignorait quels pouvoirs en cette terre possédait la déesse, si tous ses agissements passaient par des êtres de chair. Auquel cas, seul un autre adepte de Néera pouvait sévir envers l'un des siens ; la torture de l'un, en ce cas, préfigurerait la souffrance de l'autre, au vu des liens qu'ils entretenaient. Torture qui, d'ailleurs, n'était que probablement physique... Ailill aurait aimé en savoir plus au sujet des dieux et de Néera plus particulièrement. Le fait qu'il ait admis leur existence éclairait ces derniers d'une façon nouvelle, et des souvenirs anciens ressurgissaient ; des lectures ou encore des récits oraux. Les caractères manuscrits, tracés d'une plume tremblotante sur un papier assoiffé qu'avait ridé le temps, les voix rauques ou pâteuses des marins à la veillée, ces histoires à dormir debout que l'on racontait aux gosses qui enfreignaient les interdits en tout genre... Chacun des savoirs que l'on lui avait transmis à quelque moment de sa vie portait une part de vérité en lui, et en posséder la certitude paraissait une lumière dans le brouillard de ses objectifs mis à nu. Il faudrait qu'il prenne le temps de se renseigner, quand il en aurait l'occasion. Tout à coup, il se rendit compte que ses pensées, que son esprit fuyaient l'instant présent. La tristesse de cette séparation ressurgit avec violence, suivie d'un frémissement de la monture. Le sang de cette dernière bouillait dans ses jeunes veines nerveuses ; elle n'attendait plus qu'un ordre, fût-il bref, pour partir au galop. Elle ne patienterait pas éternellement ; il savait que s'il ne prenait pas de décision, le mehara le ferait pour lui. Un soupir souffrant de la jeune femme s'était mêlé au souffle léger du vent que le soir tombant forcissait.
La seule maladie, qu'elle ne pouvait contrer… Songeait-elle aux désespoirs de l'âme, ou, plus précisément, à l'amour ? Si tel était le cas, pourquoi vouloir contrer un tel sentiment ? Terrible pensée que d'envisager ce qu'elle pensait de l'amour, en sachant qu'elle aurait voulu qu'il n'existât pas. Ailill ne pouvait qu'espérer que cela ne fut qu'ignorance de sa part, qu'elle n'en ait pas déjà souffert... Mais pourquoi s'obstiner à espérer encore ? Les secondes défilaient, le grand cheval piaffait désormais. Le Sablier viendrait à s'assécher et la cavalcade à résonner une ultime fois en ces lieux majestueux. Les yeux d'Ailill quittèrent définitivement la crinière sombre, sur laquelle il avait posé ses mains. Alors, il vit que la jeune femme avait baissé la tête, comme résignée. Il ne pouvait en supporter davantage. Elle souhaitait rester, ou elle le devait. Il ne voulait pas aller à l'encontre de son désir. Dans quel but l'aurait-il fait ? Il fallait qu'il parte. Maintenant. Sa main se crispa douloureusement dans la crinière soyeuse sans qu'il ne la regardât. Le cheval, l'espace d'un souffle, parut bouger. Il demeura immobile, toujours aussi proche de la jeune femme. Si cette bête n'avait été mehara, il aurait été possible qu'elle la bousculât. Mais l'intelligence de ces derniers égalait, sinon dépassait celle des Hommes - qui n'en mesuraient que mal l'ampleur. Ailill n'agissait pas inconsidérément ; il s'était renseigné auprès des elfes, qui fournissaient à regrets et en petit nombre ces montures exceptionnelles à leurs aillés. Aussi, il sut que le cheval avait changé d'avis, qu'il désirait écouter la jeune elfe.
- Je ne sais … peut-être ne suis-je obligée de rester…
Cette phrase fut ponctuée d'un léger bruit de frottement, puis le choc leste des pieds contre le marbre. Pour rien au monde Ailill n'aurait pu rester immobile, la regardant de haut tandis qu'elle cherchait un contact en hésitant, paraissant si fragile et si forte à la fois. Elle semblait sur le point de vaciller. Fut-ce son amour qui lui dicta ce geste, ou bien un légitime respect ? Toujours est-il qu'il plaça un genou à terre, face à elle, son regard azur droit dans le sien. Lorsqu'il parla, sa voix était pure et assurée, contrastant douloureusement avec les halètements de la jeune femme.
« Je ne veux pas intervenir dans cette décision qui seule t'appartient. »
Ce qu'il avait de plus important à dire, la force de ses sentiments, il l'exprimait ainsi. S'il devait renoncer, il se plierait à cela. Y avait-il trace d'égoïsme dans cette requête ? Avait-il peur de regretter de l'avoir détournée de son destin ?
« Sache que si tu le désires, je puis te fournir tout ce dont tu as besoin. »
D'un point de vue matériel, il ne savait cela possible qu'en se basant sur des suppositions. Mais cette phrase laissait poindre son espoir, infini, et un instant durant il se haït d'avoir cherché à l'influencer, fût-ce peu. Il n'était pas question de quantité. Encore, le tarauda l'idée qu'elle puisse le suivre. Cela l'effrayait. Mais son cœur avait décidé pour lui, à jamais. Personne ne peut revenir sur l'irrévocable.
« Mais, encore, c'est à toi de choisir. Puisses-tu ne jamais regretter. »
Dans les tréfonds de son être brûlait le désir simple de prendre sa main, de la tenir, frêle, de pouvoir la protéger. Il aurait voulu l'arracher à tous les dangers et aux doutes, eut-il dû pour cela s'éloigner d'elle. Il aurait dû se détester d'être venu ici, regretter ; il n'y parvenait pas. Mais si elle devait dire qu'il en serait ainsi, alors il partirait, sans se retourner, cette fois. Peut-être serait-ce mieux, et cela mettrait un terme à cette souffrance qui s'était emparée de lui. Certes, elle demeurerait, longtemps, mais il osait espérer qu'elle se fît moins lancinante.
Chutant du ciel sombre, fragments de nuages d'une blancheur éclatante quand ceux qui les enfantaient étaient gris, des milliers de flocons tourbillonnaient. Légers, le vent valsait avec eux, et la forêt se taisait pour admirer la danse. S'improvisant musiciens, quelques oiseaux pépièrent avant de prendre leur envol, espérant parvenir à leur nid avant que le froid ne s'intensifiât.
Ailill attendait, faisant preuve d'une infinie patience.
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| | | Annya
Elfe
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Mer 28 Jan 2009 - 18:38 | |
| Enfin Annya se figeait. Arrivée devant le spectacle de la vie, à l’ultime représentation du ballet le plus épique qui fut joué ici bas et tout autour. L’étincelle se mourait, la lumière enveloppée, la sphère se brisant … elle était libre. Prostrée, elle ne pouvait plus s’accoutumer à la floraison du reniement qui vivait ici, dans son épanouissement le plus total. Sainteté dans son enveloppe charnelle déchirée, tandis que sa volonté se berçait de nouveaux de mots et de sons, de paroles envoûtant ses lendemains, pour le plus grand des choix qui soit. Tout semblait paralysé. Rien ne suffisait à faire émerger à nouveau une quelconque posture, une anodine reprise de position.
Décharnée, rendue face au mur inextricable des intrigues, le panorama de ce qu’elle pourrait accomplir, de ce qu’elle pouvait réaliser alors que certains en avaient désespérément besoin. Quand bien même le couloir s’étendrait toujours à perte de vue, il ne servait à rien de continuer plus longtemps, de hurler après l’immensité du monde qui l’entourait et l’ornait, la parant de ses plus atouts, elle voulait y courir à son tour.
On ne peut se remettre de cela, condamné à traîner de manière éternelle la dépouille d'une partie de soi-même, se retirant toujours un peu plus vers le centre, fermant les possibilités et oblitérant les réalités, dominant les absurdités et rampant dans le magma infâme de son sang, de ses envies déçues et de ses croyances déchues. Annya ne laisserait pas la certitude absolue la saisir, l’enfermer un peu plus dans cette prise dont elle était la geôlière et la détenue.
Ailill lui signifia qu’il pourrait lui offrir tout ce dont elle avait besoin, mais elle, ne pouvait pas lui conférer ce qu’il semblait attendre, une marque d’amour quelconque, l’elfe ne savait même pas ce que cela était, ni à quel point cela pouvait être important dans une vie humaine. Un air timide se glissa sur son visage lorsqu’elle le sentit si près d’elle, descendu de son destrier, tel un prince rechignant à quitter sa dulcinée. Son cœur s’emballait comme jamais, pourtant elle s’interdisait la moindre expression autre que celle-ci.
Son âme tremblant, martelant sa cage thoracique la força pourtant à réagir. Enfin, l’enfant s’extirpait de son cocon éternel pour fuir vers son futur, l’adolescence prenait fin, elle allait grandir loin de ce temple qu’elle choyait, mais Néera qui sentait son hésitation vint poindre en son esprit. La déesse blanche, sous l’aspect d’une enfant aux cheveux de jais lui apparut sur l’écran noir de ses yeux aveugles. Sa voix enfantine résonna dans son esprit, alors qu’elle semblait lui tendre la main …
- N’aie pas peur Annya, partout où tu iras j’irais, jamais je ne t’abandonnerais … ma petite, ma toute petite fille, va vers ton avenir, n’aie crainte, le monde t’ouvre les bras, ne lui ferme pas les tiens.
L’elfe tendait sa main vers lavant, mais la déesse s’envola … ainsi ses petits doigts vinrent saisir le poignet d’Ailill. Ne reculant pas à ce contact, elle effleura doucement son membre avec son pouce, un petit sourire parvint à fleurir sur ses lèvres rosies par la froidure du temps. Néera avait guidé son geste, et elle l’avait inconsciemment suivie. Cela était une preuve d’attachement de la divinité, mais aussi et plus personnellement, la preuve qu’Annya n’était pas assez sur ses gardes parfois. Se promettant intérieurement de ne plus tenter de toucher une apparition, elle ouvrit son regard profond vers son interlocuteur.
- Emmène moi avec toi, laisse moi découvrir le monde à tes côtés, cet horizon que je ne connais pas.
Sa paume glissa avec une certaine tendresse, jusqu’à la joue de l’humain.Les mots n’étaient plus qu’un torrent vague et tumultueux qu’elle aurait voulu laisser s’échapper de ses lèvres, mais elle souffla simplement un mot, un seul sans l’accompagnateur tant attendu.
- Je …
Aimer ? Comment se conjuguait ce verbe ? Impossible de s’en souvenir. Se mordant visiblement la lèvre, elle retira sa main du visage d’Ailill, fronçant quelque peu les sourcils. Fâchée de sa propre impromptitude à formuler les choses simples d’une vie, elle, la Gardienne de la déesse qui accomplissait des miracles, n’était qu’à peine capable d’aimer un être de l’humaine condition.
- S’il te plaît … emmène-moi …
Pourtant loin derrière eux, ils pouvaient entendre le fracas des vagues, la mer rechignant à perdre l’enfant des flots, celle qui la surplombait chaque matin en lâchant au gré du vent, les pétales de roses qui allaient orner sa surface. La nature devrait comprendre, elle aussi, que même les demi-dieux désiraient vivre. Vulnérable aux remous de l’océan, Annya fermait son esprit à son appel, sa petite main cramponnée au vêtement de l’homme. Il était son fil d’Arianne pour un temps, désirant s’accoutumer à toute sorte d’environnement, aucune peur ne subsistait en elle. Il n'était plus l'heure de jeter des regards fugaces vers la lueur blafarde de l'extérieur, dame liberté venait la quérir.
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| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Mer 28 Jan 2009 - 21:29 | |
| Un éclair fugitif illumina ses souvenirs à peine exhumés. Néera, déesse de la vie, la plus jeune d'entre toutes les entités célestes... Il avait pu voir, à l'occasion d'une escale dans une bourgade de pêcheurs aux mœurs pieuses, une statuette de bois finement ouvragé à l'effigie d'une toute petite fillette, le visage encadré de deux rais de cheveux noirs, et ses ailes plaquées contre le corps, comme si elle ne devait jamais s'en servir. Un rictus tordait sa fine bouche d'enfant, à peine éclose. Pourtant, on lui raconta que la légende disait qu'elle s'était envolée, face au soleil. Mais l'ébéniste qui était l'auteur de l'effigie possédait une façon bien particulière de percevoir la religion. Il accusait Néera de tous les mots ; elle aurait été une créature futile aux actions inconsidérées, qui avait jeté le malheur sur la terre en dispersant ses pouvoirs et donnant vie aux Hommes, puis qui s'était enfuie lâchement devant son œuvre, sans jamais accorder à ses créations éphémères la paix de l'âme, ni chercher à réparer le mal causé. Cela avait donné matière à réflexion à Ailill, qui ne croyait alors pas en la réalité de la déesse, mais s'intéressait à la perception du vieil homme. Il avait pensé que, si cette chimère pouvait servir de bouc émissaire à un être humain qui avait souffert, et, ainsi, soulager sa douleur, alors il était bien qu'elle existât. Aujourd'hui, il reconsidérait tout. D'un point de vue humain, il appréhenda la souffrance de cet être qui avait enchaîné erreurs sur échecs sans parvenir à reprendre son destin en main ; cette créature, qui, sûrement rongée par la culpabilité, avait prit le chemin des cieux. On disait qu'elle se contraignait à venir sur la terre qui l'avait jadis rejetée pour en respirer l'air, et que seule cette unique expiration permettait à la Vie de perdurer. Que signifiait la Gardienne, unique, aux yeux de cette enfant éternelle plus âgée que le monde ?
Face à lui, qui demeurait immobile et attentif dans l'attente, la jeune femme paraissait en proie au doute. Il ne prononça plus le moindre mot ; sa respiration n'était plus qu'un souffle dans le silence feutré qu'induisait la neige. Puis les doigts fins s'avancèrent en un mouvement rapide, tâtonnant, comme cherchant à s'emparer d'un oiseau qui déjà disparaissait au loin. Ils se déposèrent sur son poignet, et la douceur de ce contact lui apparut alors plus réconfortante que tout ce qu'il aurait pu avoir, ailleurs en ce monde. Alors, les yeux d'un bleu insondable s'ouvrirent à lui avec une intensité d'une majesté telleque l'on ne pouvait comparer à celle d'un voyant. A chaque fois, ils paraissaient la source limpide du regard d'un être neuf sur le monde, un regard innocent mais pourtant empli d'une sagesse inconcevable.
- Emmène moi avec toi, laisse moi découvrir le monde à tes côtés, cet horizon que je ne connais pas.
Avec douceur, sa paume glissa jusqu'à la joue d'Ailill. Il n'esquissa pas le moindre geste, n'osant croire encore, ni mesurer les conséquences de ces paroles. Seul un bonheur indicible naissait en lui, comme un feu croît et réchauffe doucement. Un souffle de la jeune femme, un mot à peine effleuré. Il ne savait ce que cela signifiait, pourtant... Le temps d'une inspiration, elle parut se fermer, tandis que ses sourcils se fronçaient - un vestige de sa vie passée, lorsqu'elle lisait encore les sentiments de ses semblables sur leur visage. Doucement, Ailill se mordit l'intérieur de la joue. Il patienterait, encore, s'il le fallait. Mais, à nouveau, elle rompit le silence. La vapeur presque imperceptible qui s'échappait d'entre ses lèvres faisait fondre les flocons, qui semblaient disparaître, happés par quelque magie.
- S’il te plaît … emmène-moi …
Le vent de redoubler de vigueur, de hurler et d'arracher les flocons aux nuages, au sol, aux plantes, voilant l'espace d'un froid opaque et glacial. Puis les grondements rauques de la mer prirent le dessus, en réponse à ce déchaînement du plus libre des éléments libre, les vagues dont la crête s'élevait de plus en plus haut, étirées et brutalisées par le souffle infini, allaient se fracasser contre le roc. Tout à coup, une trouée dans les nuages se fit, qui laissa paraître la lune. Sa lueur dorée inonda la neige fraîche qui tombait plus doucement, tissant ses fils d'or parmi les herbes que gagnait le givre. L'appel de la liberté, discrète promesse d'avenir, se fit plus pressant. Ces quelques mots ne furent rien de plus qu'un murmure, respectant peut-être quelque silence induit par la volonté de la Nature.
« Si tel est ton souhait... J'en suis heureux. »
Se relevant précautionneusement, Ailill s'avança vers elle. Un court instant, il sembla attendre une approbation muette, puis il raffermit son courage. Il glissa ses mains sous ses bras fins et la souleva, la déposa doucement sur le dos souple et chaud de l'étrange cheval. Ce dernier ne protesta pas, encensant légèrement. La lune éclaboussait sa robe presque noire de telle sorte que des flaques dorées brillaient, ondulant au rythme de ses respirations. D'un bond souple, Ailill se plaça derrière elle. Il n'eut pas besoin de parler ; l'animal partit au pas. Son attitude, quelque part, était effrayante... Quoi de plus normal que de s'inquiéter lorsque l'on confie une vie si précieuse à une créature que l'on ne peut tout à fait comprendre ? Le cheval, évoluant à côté des escaliers malgré la raideur de la pente, prit le trot, puis le galop. Sur son dos, Ailill veillait à maintenir la jeune femme de telle sorte qu'elle ne courut pas le risque de chuter. Il sentait toutefois avec une pointe d'inquiétude les oscillations irrégulières de la monture. Celle-ci paraissait gagnée d'un douce folie, elle s'enivrait dans la pente, accélérant l'allure encore et encore. Lancée au grand galop, elle paraissait voler ; ses sabots ne touchaient presque pas le sol. La neige tourbillonnait autour d'elle, se soulevant dans un bruit de tonnerre, le souffle précipité et rauque d'une respiration trop rapide. Le cheval déboula sur le sentier plat. La neige lui cacha le talus. Doucement, ses jambes que la vitesse rendaient invisibles heurtèrent la neige molle. Celle-ci s'enfonça tandis que l'animal basculait au ralentit, chutait lentement sur le côté, heurtait un tronc. Le craquement du bois monta dans la nuit, étouffé par la neige cotonneuse et la lente et régulière respiration des arbres. Les deux êtres avaient été projetés au sol avant le mehara. Ailill avait alors serré ses bras autour du frêle corps, formant un étau protecteur qui absorba la violence du premier choc. Mais l'homme ne possédait pas une force inouïe, à toute épreuve ; la force de la chute déploya aussi ses bras. Le corps de la jeune femme parut voler sur un court mètre, puis s'affala dans la neige, hors de portée.
C'était cela, aussi, la liberté ; quitter la quiétude et la protection d'un lieu pour se jeter dans l'inconnu.
Les yeux agrandis, conservant son sang-froid, Ailill aurait voulu l'appeler, immédiatement. La futilité de cette entreprise lui apparut vite : comment ? Ses lèvres se refermèrent sur un cri muet, dans cette scène pétrifiée. |
| | | Annya
Elfe
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Jeu 29 Jan 2009 - 10:55 | |
| Son regard d’un bleu profond posé sur Ailill, sa petite main toujours fermement accrochée à son vêtement, la jeune elfe patientait. Elle espérait, jusqu’au plus profond d’elle même qu’il allait accepter, que l’homme prendrait la Gardienne sous son aile, paradoxalement. Puis il prononça de simples mots, sans prétention, sans contrariété. Un simple souffle libérateur, une clé parvenant à vaincre les chaînes depuis trop longtemps scellées.
« Si tel est ton souhait... J'en suis heureux. »
Annya relâcha sa prise, un sourire mutin sur les lèvres. Plus que jamais, elle se sentait enfant, tout comme si elle venait de faire un caprice, elle s’en voulut secrètement. Cependant, son désir de liberté et sa soif de découverte fut trop grande, pour que la culpabilité outrepasse son bonheur présent. Sentant l’humain se redresser, l’elfe se détendit. Ailill la souleva précautionneusement, puis la déposa sur le dos musculeux du fier destrier. Sa chaleur rassura la jeune femme, déposant ses mains sur l’encolure, elle laissa glisser ses doigts jusqu’au front de l’animal. Une intelligence extrême émanait de cette monture, était-ce possible …
La Gardienne avait lu un ouvrage en braille à ce sujet. Le seigneur des chevaux, dont l’intelligence dépassait parfois même celle des humains, le mehara, une race sacrée divinement respectée. Flattant l’encolure du noble cheval, elle sentit son compagnon se hisser derrière elle, puis ils se mirent en route sur le sentier. Au pas d’abord, laissant le temps à l’humain de l’enserrer pour l’empêcher de choir, puis au trot, les sensations d’un flottement léger laissaient un sourire poindre sur les lèvres d’Annya, ses sens exultaient, les vibrations émises par le paysage lui décrivirent ces landes blanches, où la neige recouvrait chaque parcelle de terre.
Puis ils partirent au galop. La Gardienne volait, intensément, son souffle chaud happant les flocons de neige qui glissaient sur ses lèvres rosies. Sentir Ailill dans son dos, ainsi que cette puissance sous elle lui donnait des ailes. Jamais elle n’avait ressenti cette pure impression de liberté, un océan de possibilités s’étendait devant elle, son regard balayant les alentours, recueillant précieusement, des gouttes de savoir et repères spatiaux. Chaque courbe terrestre qu’elle épousait, Annya en retenait la position exacte. Inutile de quémander une explication, la déesse elle même n’eut pu répondre à ce sujet.
Soudain, alors que le mehara oscillait dangereusement, l’étreinte de l’homme se fit plus pressante. L’elfe conservait un visage calme, sans peurs. La vitesse devenait affolante, le souffle rauque de la monture résonnait dans les environs, la neige troubillonnait en une tempête de flocons, le vent fouettait son visage aux joues écarlates, puis ils heurtèrent quelque chose. Les deux protagonistes furent projetés à l’avant du fidèle destrier. Les bras de son compagnon la relâchèrent, elle s’en doutait, cela n’était point volontaire. Un petit mètre de vol, puis la jeune femme s’effondra dans la neige glaciale. Roulant sur elle même, Annya s’arrêta sur le dos, face vers le ciel.
Laissant quelques secondes s’écouler, le temps parut s’arrêter un bref instant … les flocons tombant doucement sur le petit minois adolescent, caressant ses joues. La douceur de la neige sous ses doigts la rassura, lentement, elle se redressa en position assise, laissant ses mains glisser dans la poudre blanche à ses côtés. Ce fut alors qu’un rire émana d’entre ses lèvres, la jeune fille riait de tout son soûl, comme si son cœur explosait d’une joie intense, elle était libre, heureuse et vivante comme elle ne l’avait jamais été, Ailill venait de lui offrir une preuve de son existence corporelle. Jamais elle n’avait eu aussi froid, jamais elle n’avait caressé la neige en retour, jadis elle l’avait tant et tant espéré.
Son rire teintant clochettes d’argent résonnait clairement, bien que la poudreuse en effaça les plus profondes sonorités, ce son cristallin s’élevait et enivrait son propre esprit, heureuse d’être là tout simplement. Elle se mit à chercher son compagnon, désirant plus que tout partager son moment de bonheur avec lui, formant une boule de neige entre ses paumes gelées, elle l’appela quelques instants. Ses cris entrecoupés d’un rire léger …
- Ailill ? Ailill ! où es-tu ?
Mais elle riait trop pour continuer, utilisant ses vibrations manatiques, elle retrouva son corps étendu dans la neige. Armant son bras, elle lança le projectile blanc vers son interlocuteur. Puis elle courut, aérienne vers lui, se jeta sur son corps frêle malgré son statut masculin, roulant avec lui dans la neige molletonnée, son cœur éclatait d’un immense bonheur indicible …
Lorsqu’ils s’arrêtèrent, Annya s’assit une nouvelle fois. Son regard rieur et enchanté, ses longs cheveux ornés de myriades de flocons, laissant de beaux reflets d’argent et de cuivre étinceler sur leur surface de cristal. Emplissant ses poumons de cet air vivifiant, l’adolescente prit la main de son compagnon et la déposa sur son cœur …
- Sens-tu à quel point il bat grâce à toi …
Où se trouvait la monture à présent ? En son esprit cela importait peu, puisqu’Ailill était là. Son amour dépassait sa raison, éveillant une soudaine passion incurable. La douceur de sa peau appelait les mains de l’homme, la chaleur de ses lèvres et de son regard aveugle mais amoureux, ses jolis cheveux argentés, son sourire angélique, tout en elle n’attendait qu’amour et étreinte. Elle soupira de bonheur en cet instant, elle avait envie d’aimer, de chérir mais elle craignait que la réciprocité fut vaine, aussi Annya se contenta de sourire.
En cette heure d’ombre et de mystère, étendant son manteau d’ennui, rêvant en une aube salutaire, elle acceptait le froid. Prêtresse de sa solitude, la voici désarmée, il pouvait en sa sollicitude, se consacrer au mal de l’aimer …
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| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Jeu 29 Jan 2009 - 20:27 | |
| Après la chaleur, le mouvement, le bruit incessant des sabots et l'odeur de la terre qu'humectait la neige, vint la brutalité de la chute, sa brièveté suivie du silence. Seuls les halètements du cheval, effaré de sa propre impétuosité et de sa promptitude à s'emballer déchiraient l'air nocturne. Mais les flocons luttaient pour faire disparaître tout bruit, et, petit à petit, ils parvinrent à plonger la forêt dans un silence feutré.
Un légère douleur tançait l'épaule d'Ailill, qui ne s'en préoccupait absolument pas. Se redressant aussitôt, il ne put que s'asseoir ; la tête lui tournerait encore durant un court instant. Troubles du corps qui induisaient une confusion de l'esprit, il en avait jadis fait l'expérience malgré lui. A fond de cale, le roulis n'est pas le plus intense, mais est insidieux au possible, et, même après tout ce temps, Ailill demeurait d'une résistance hors du commun face aux faiblesses des pensées qui ensuivaient cette chute. Une nouvelle inspiration, et sa vue regagnait toute netteté, son regard tranchait l'air avec la vivacité d'une flèche qui cherche sa cible. Le cheval gisait un peu en contrebas, apparemment sous le choc, mais bien vivant au vu de ses côtes qui se soulevaient avec régularité. Un spasme l'agita, et il replia ses pattes pour se redresser sur le ventre. Il allait bien. Qu'importait.
Il la vit. Alors, son cœur cessa de battre. Puis il perçut un mouvement de sa main, blanche comme la neige. Toute entière, elle se mouva, comme un peu surprise, ou bien en proie à tant d'émotions qu'aucune ne pouvait prendre le dessus sur les autres et apparaître vraiment sur son fin visage. Les éclats de rire légers accompagnèrent les pulsations de son sang dans ses veines. Il était impossible d'exprimer le soulagement qu'il ressentit alors ; même lui n'en aurait pas été capable, n'en prenant pas toute la mesure. Et elle riait, encore et toujours, son frêle abdomen agité par la force de ce chant cristallin. Ailill l'écoutait sans même songer à interrompre cette joie si intense, demeurant assis dans le doux voile de neige. La lune scintillait encore, seul point du ciel qui fut visible ; elle illuminait les brindilles givrées de la forêt de telle sortes que la glace paraissait cristal et perle de diamant la moindre goutte d'eau qui n'eut gelé. La neige brillait, éclatante, se riant des ombres argentées des branches. Elle s'étirait à l'infini sur la terre et le ciel, dansante, toujours plus dense et pourtant si fragile.
La voix pure, presque enfantine, résonna en lui. Alors qu'il allait répondre, il reçut sur le visage une poignée de neige. Le baiser du froid et la caresse des flocons firent naître en ses yeux un éclat nouveau. Doucement, ses côtes frémirent, puis il éclata de rire à son tour. Cela, pourtant, était à peine audible, comme s'il devait réapprendre. Mais qu'importait, sa joie transcendait son être, et le bonheur de l'instant.
La silhouette que cachait un peu la multitude des flocons se fit alors plus précise. Levant les yeux vers elle, Ailill allait se remettre debout. Si, un instant, l'idée de s'excuser de cet imprévu, bien qu'il ne fut pas de son fait, lui avait traversé l'esprit, désormais elle lui aurait paru déplacée. Le rire effaçait toute douleur, la peine comme les doutes. Même une fois disparu, la joie perdurait. C'était grâce à la jeune femme que, une nouvelle fois, il lui avait été accordé d'effleurer ce bonheur.
Avant qu'il n'ait pu bouger, ellle se jeta sur lui, radieuse. Le chatoiement argenté de sa splendide chevelure l'en prévint alors qu'elle le heurtait. D'un mouvement brièvement réfléchi, il la rattrapa, et tous deux roulèrent dans la blancheur immaculée de la neige, projetant alentours des éclats de froid. Sentir leurs corps s'emmêler dans cette étreinte emplie de vie procura à Ailill une douce chaleur, un bien-être propre au plus profond des sentiments. Lorsque le mouvement prit fin, elle s'assit tandis qu'il en faisait de même juste devant elle. La beauté de son visage épanoui, rosi par le froid, heurta son amour d'une admirable façon. Lorsqu'elle se pencha légèrement pour s'emparer de sa main, sans doute aucun, elle était sublime.
- Sens-tu à quel point il bat grâce à toi …
Ailill sourit avec une infinie tendresse. La jeune femme paraissait renaître, ainsi libre. De bourgeon qu'elle fut dans le temple, subitement, elle semblait avoir éclot. Et la fleur de s'épanouir à la lueur de la lune, éblouissante. Il ne pouvait savoir si elle l'aimait. Mais, de tout son être, il voulait le croire. Il voulait croire en ce sentiment qu'il lisait dans son regard, en cette attente qui émanait d'elle tel un subtil parfum. Le contact serein du tissu soyeux et tiède lui procura une tranquillité pure. Il percevait la Vie qui s'écoulait sous la peau tendue de la jeune femme. Alors, il prit une nouvelle fois le risque de perdre tout ce à quoi il aspirait, la tranquillité de l'âme comme l'avenir... Qu'importait ce qu'avait à offrir un futur dénué d'amour.
S'avançant, s'inclinant doucement vers elle, il prit ses mains dans les siennes, déposa un baiser sur ses lèvres. Puis il détourna la tête, lui dévoilant son profil. Tentant en vain de cacher son visage qu'il sentait légèrement rougir, bien qu'elle ne put le voir. L'espace d'un souffle, il attendit, avant de tourner à nouveau ses yeux face aux siens. Il eut un mouvement brusque, presque un sursaut, et il la serra contre lui. Les flocons se déposaient doucement sur sa chevelure noire, semblables à du duvet reposant sur l'ébène. Si elle avait exprimé le désir de se lever, il l'aurait laissée partir, chevaucher la monture jusqu'aux tréfonds de la nuit. Mais, en cet instant, juste ce fragment de vie, il percevait la caresse de son souffle divin dans son cou.
« Ange. »
Un murmure unique. Il est des mots que le temps use, qui sont tant prononcés qu'ils en perdent peu à peu leur signification première. Certains au contraire, le temps les sublime, les acheminant jusqu'au paroxysme de leur gloire. Quelque son peut enfanter un maelström de sensations avec une réalité plus tangible que tous les actes n'y seraient pas parvenus.
Plus loin, coupé du monde par la valse des flocons, l'esprit tourbillonnant dans l'incertitude, l'impétueuse monture se relevait. Elle leva ses naseaux dilatés vers la lune qui l'attirait plus sûrement qu'un papillon ne l'est pas la flamme. Une bourrasque secoua son abondante crinière, étirant les flaques de lumière qui maculaient sa robe. La froideur et l'humidité se taisaient face au cheval. Majestueusement, il rejeta la tête en arrière, poussant un long hennissement qui se voulait appel. |
| | | Annya
Elfe
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Sam 7 Fév 2009 - 13:27 | |
| La neige tombait inlassablement, étendant son blanc manteau un paysage extraordinaire et verglacé. Quand bien même ses yeux l’empêchaient de profiter pleinement de ce moment, la jeune femme était persuadée qu’Ailill était près d’elle, que son regard suivait le sien et s’y plongeait plus profondément qu’une lance dans un corps pantomime. Cette certitude émanait d’une formidable confiance, premièrement conférée à sa propre personne, la voilà qui s’en retournait vers l’émetteur originel. Un bonheur, une liberté, tout simplement.
L’ouïe d’Annya lui indiqua que l’homme s’avançait vers elle. Bientôt, ses mains reçurent le chaud contact des siennes, lui décrochant un fin sourire. Enfin, les lèvres de l’humain se déposèrent sur les siennes. Ses yeux se fermèrent sous ce contact si doux, un élan inconsidéré naissant en son estomac, le souffle se coupant. Ce moment fut étonnamment bref, mais l’incommensurable magie de celui-ci plana encore un moment au dessus des deux protagonistes, et cela même bien après que leurs lèvres se furent doucement séparées … un léger flottement laissa retomber un silence léger sur la plaine enneigée, les secondes s’écoulèrent dans la paix la plus sincère, alors que le blanc manteau commençait peu à peu à traverser les vêtements de la jeune fille qui frissonna.
Rapidement, arrachant un petit hoquet de surprise à la Gardienne, Ailill la prit dans ses bras, serrant son petit corps frêle contre le sien. Aimée enfin, la jeune femme se sentait aimée … le moment se rapprochait de plus en plus, cette heure fatidique où son corps se métamorphoserait en partie, passant d’adolescente à jeune adulte, sa croissance modifiée par le mana coulant dans ses veines, ses changements de statut s’opéraient d’un seul coup, ainsi, cela ne prendrait qu’une nuit tout au plus. Déjà, quelques picotements étrange se firent ressentir autour de son nombril et au bas de ses reins. Le souffle divin de l’humain porta à ses oreilles le nom singulier d’ange … mais elle n’en tint pas grand intérêt, un compliment bien inutile pour une simple elfe de sa condition.
Le vrombissement rauque de la monture éveilla ses sens. Non loin de là, elle se dressait sur ses membres antérieurs, puis postérieurs. Élevant sa puissante musculature au dessus des flocons entassés en une couche homogène immaculée, enfonçant à l’intérieur de celle-ci, ses ongles de corne, ou sabots en langage humain. L’animal s’ébranla dans la direction de ses voyageurs malchanceux. S’avançant vers la jeune femme, le destrier ploya son cou vers l’avant, offrant ses oreilles aux coups de bâtons qu’elle pourrait recevoir en châtiment de son inconstance. Mais il n’en fut rien. Caressant affectueusement l’encolure du seigneur cheval, Annya fit le tour de son épaule et se hissa sur son dos massif, patientant quelques secondes, le temps nécessaire pour qu’Ailill la rejoigne. Puis elle s’exprima d’une voix douce et chantante à l’intention de leur belle monture …
- En route mon ami …
La Gardienne ignorait où ils allaient, les pas du destrier la confiant à quelques cahots du sentier neigeux. Cependant, elle imaginait qu’un lien se tissait étroitement entre l’humain et l’animal, comme si le cheval savait où il devait se rendre, serait-il possible que l’homme l’en ait informé mentalement ? Annya partait d’un principe simple et vacant, considérant que sur les terres Miradelphiennes rien n’était impossible. Pour elle, chaque être était apte à accomplir de grandes ainsi que de petites besognes, capables d’avoir une grande destinée, tout comme d’être voué à l’échec le plus total. Mais elle n’ignorait pas que la majeure partie des êtres humains recherchaient la gloire, qu’elle se fut trouvée dans le mal ou dans la sueur de leur corps.
Les trois individus s’éloignaient à présent considérablement de ce temple, dont seul le large toit plat et blanc, se trouvait être encore visible à l’horizon. La région restait surplombée d’une épaisse couche de nuage irisés, le gris du large laissant peu à peu place à de plus chaudes couleurs, tout comme la température s’adoucissait chemin passant. Minutes après minutes, les effets de la jeune femme séchaient et la sensation de froid disparut bientôt tout à fait. Cette île resterait à jamais la zone la plus extraordinaire du continent, un véritable microclimat avait élu domicile sous son équateur, comme si ce morceau de terre s’animait d’une volonté propre, celle d’être un paradis, ou peut-être une simple prison dorée …
- Où m’emmènes-tu Ailill ?
Son dos contre la cage thoracique de l’humain, elle savourait ce contact chaud et rassurant. Aussi, cette question était venue poindre à ses lèvres le plus naturellement du monde, même les gardiens sont curieux, toujours plus intéressés par l’avenir de ce monde, qui se veut pourtant éternellement incertain.
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| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Mar 10 Fév 2009 - 21:02 | |
| Pour quelle raison les vies humaines et les autres avaient-elles prit tant d'importance en son cœur ? Pourquoi leur sacrifiait-il sa vie avec tant de zèle, sans seulement considérer ses tourments ? Les racines de cette forme d'amour débutaient aux tréfonds de son enfance, désormais si bien ancrées que plus rien ne pourrait les en déloger. Elles subvenaient aux besoins d'un arbre grandiose dont les branches épanouies dérobaient à son esprit l'éclat de la vie. Laquelle, nonchalamment, avait prit le parti de s'écouler hors de lui. Sans chercher à la retenir, l'épuisant, la dilapidant inéluctablement, il précipitait l'extinction de ce trésor. Il lui avait été accordé de le renouveler... pour le disperser encore plus promptement ? C'était ce qu'il avait demandé : un sursis. Une prolongation de son existence pour sauver encore des vies, les préserver. Parce qu'il les aimait et que la souffrance presque empathique, une compassion démesurée, lui était supplice. Se trouvait-il suffisamment de place en son cœur pour qu'un second arbre poussât ? C'est ce que semblait clamer cette pousse juvénile, délicate, qui écartait paresseusement les épaisses feuilles pour permettre aux siennes de croître, laissant ainsi passer une lumière pure alentour. Un jeune bouleau qui s'élevait contre un chêne. Si les deux devaient perdurer, alors leurs branches s'entrelaceraient. Cependant, il pouvait advenir que l'un vainquît l'autre. Ailill était parfaitement conscient de cette lutte silencieuse qui s'opérait en lui.
Et le cheval de s'élancer. Il courait, altier, rapide, insensé, droit à la cible au loin fixée, sans selle ni bride pour le mener. Les deux êtres frappés par le vent, secoués par les mouvements de ce corps, éprouvaient contre eux la chaleur et l'exaltation emballées. Si chaque arbre, chaque talus, chaque flocon paraissait semblable au précédent, il n'en émanait pas moins une aura mystique sans cesse ravivée. La nuit conférait une sensation de liberté prodigieuse de par sa démesure et l'inconnu qu'elle couvait en son sein. Le baiser brûlant du froid, la neige d'une insolite brillance comme les odeurs humides du sous-bois givré concevaient un tourbillon de sensations qui suscitaient une divergence de l'esprit.
Néanmoins, Ailill ne pouvait détacher son attention de la jeune femme. Il ne perdait rien pour autant de ce qui l'entourait, qui les entouraient. Mais il entendait feutré le grondement de sabots et oubliait l'austérité du froid. Quel négligeable pouvoir possédaient-ils en regard de la chaleur douce et vivante de l'être aimé contre lui ? Si ses doigts emmêlés aux sombres crins ne devaient pas se relâcher, ni la crispation de ses muscles ni l'équilibre qui le maintenait sur ce dos souple, seule une partie de son esprit s'en préoccupait. Il la protégerait de toute chute.
- Où m’emmènes-tu Ailill ?
La voix se fraya un chemin jusque lui, portée par le vent. Les cheveux argentés effleuraient son cou. Où allaient-ils ?
« Loin à l'ouest du continent ; probablement faudra-t-il compter une semaine de déplacement. J'ai à rejoindre la capitale des Hommes pour transmettre des informations au Roi. »
Il ne jugeait pas utile pour le moment de préciser davantage, préférant ne pas s'encombrer de trop de mots et d'explications. Il ne lui cacherait rien, si toutefois elle avait des questions.
Le navire écarlate ne levait l'ancre que lorsque le soleil entamait tout juste sa phase de déclin. Il leur faudrait donc attendre sur les quais quand l'astre serait au zénith. La traversée durerait quelques heures... Avant cela, il s'imposait de prendre un abri pour passer la nuit. Au vu de la noirceur de la voûte céleste, le crépuscule se faisait lointain. Était-elle fatiguée ? Quoi de plus normal ; il présumerait que oui. Les religieux plaçaient des chambres à la disposition des voyageurs. Il n'ignorait pas où elles se situaient, en revanche, cela ne devait pas être le cas du mehara. Cela ne lui plaisait pas outre mesure, mais il allait devoir lui détailler le plan, afin qu'ils ne se retrouvent pas dans la partie opposée de la petite cité...
« Cheval ? Lorsque la cité sera en vue, longe la mer, puis prend la seconde porte. La rue sera en pente légère, elle mènera sur une forêt claire et humide. Désormais sentier, elle s'interrompra avec l'apparition d'un temple de pierre blanche. Nous ferons halte pour la nuit. »
L'allure dorénavant stable, le destrier prit une forte inspiration... La route fut longue, mais il ne lui sembla pas avoir passé considérablement de temps à la courir. Il savourait l'accomplissement de son devoir. Ailill mit pied à terre avec une relative prudence, afin de ne pas brusquer la jeune femme. Il la regarda descendre, sans avoir perdu une miette de cet émerveillement qui approfondissait son souffle, le tranquillisait. Aussi agile que lors de la montée, elle ne fit pas mine d'avoir besoin d'aide. Cependant, il prit sa main pour la guider jusqu'à l'étroite porte, puis à l'intérieur. Un religieux en toge argentée patientait sur une chaise dans un état intermédiaire, de telle sorte qu'il pouvait sembler sommeiller. Pourtant, dès que la porte se referma, sans bruit, il dévoila des yeux d'un gris profond. L'entrée, éclairée par la lune seule, apparaissait dorée. Elle était dénué de tout meuble, à l'exception de la chaise austère.
« Puis-je accomplir quelque action pour votre service ?... Pouvons-nous vous offrir l'hospitalité ? »
D'un hochement de tête, Ailill confirma l'hypothèse du religieux. Celui-ci rabattit la capuche de toile afin de cacher jusque son visage, puis il s'engouffra dans le couloir, les précédant. Les murs, toujours, étaient dorés lorsque la flamme dansante de la bougie projetait sa lumière sur eux. Par endroit, on avait accroché des cadres, représentations, peut-être, de scènes religieuses diverses. Le regard d'Ailill glissa sur un dragon, puis sur un rectangle parfaitement noir qui précédait une réplique identique à ça près qu'un point bleu à peine perceptible en ornait le centre. Enfin, la clef pivota dans l'antique serrure, produisant un cliquetis caractéristique. La pièce, de petites dimensions, était dotée d'un lit, d'une cheminée et d'une fenêtre par laquelle on pouvait contempler la lune dans toute sa splendide plénitude. Sans mot dire, l'homme de foi fit naître un feu, qui s'éleva dans l'âtre, crépitant. Puis il se retira. Doucement, Ailill libéra la petite main. Il s'accroupit devant les flammes afin de vérifier qu'aucune bûche ne fût susceptible de glisser sur le parquet. Il ôta son manteau et le jeta non loin, s'y étendant. Ainsi, la chaleur pourrait gagner la pièce. Il n'avait pas envisagé un seul instant d'occuper le lit, l'obligeant elle à subir le contact dur du sol. Et son regard se perdait dans la danse irrégulière des flammes chatoyantes ; il ressentait un bien-être sûr à la savoir non loin de lui, une rare quiétude. Voilà tant de nuits qu'il n'avait plus profité de la chaleur d'un feu... |
| | | Annya
Elfe
Nombre de messages : 39 Âge : 32 Date d'inscription : 04/01/2009
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Mer 11 Fév 2009 - 10:31 | |
| De la tige détachée, telle une pauvre feuille desséchée, où allaient-ils ? Elle n’en savait rien. L’orage avait brisé le chêne, qui fut son seul soutien. De son inconstante haleine, le zéphyr ou l’aquilon, depuis ce jour la promène, de la forêt à la plaine, de la montagne aux vallons. Annya va où le vent la mène, sans s’en plaindre où s’en effrayer, elle se dirige droit vers où va toute chose, où vole la feuille de rose et la feuille de laurier … Le fier destrier s’ébranlant dans une lourde litanie, claquements de sabots et de ferronnerie, la douce chaleur d’un corps prostré contre le sien, la rassurait. Lorsque son esprit tâta l’intouchable environnement, elle se heurta à un mur de réflexions intenses. Ailill passait-il sa vie à réfléchir de la sorte ? La jeune fille était encore bien trop jeune pour répondre elle même à ses interrogations, malgré son âge réel avancé, certains réflexes humains la laissaient perplexe et dubitative …
Ses doigts mêlés à la crinière de jais, un fin sourire ancré sur ses lèvres rosies naturellement, la Gardienne laissait ses hanches se balancer au rythme régulier des épaules du mehara. La neige qui fondait peu à peu au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient du centre de l’île amoindrissait, de moins en moins le clapotement des sabots sur le sentier peu fréquenté par la civilisation, devenu depuis des décennies de gel puis de dégel et de vents, incroyablement cahoteux. La quiétude de ce moment, où dame liberté accompagnait les trois protagonistes à travers une nature peu hostile, était quasiment parvenue à faire omettre à Annya, qu’elle avait depuis peu posé une question d’importance relative à son compagnon … Ce fut la voix de l’humain qui lui fit tendre l’oreille, ainsi que l’esprit, vers une réalité retrouvée.
« Loin à l'ouest du continent ; probablement faudra-t-il compter une semaine de déplacement. J'ai à rejoindre la capitale des Hommes pour transmettre des informations au Roi. »
Étrange réponse, pourquoi Ailill parlait-il du roi ? La jeune elfe ne comprenait pas de quoi il retournait. Il y avait de cela bien longtemps, lorsqu’elle vivait encore dans la capitale humaine, un roi tenait le trône d’une main de fer. Respecté de tous ses sujets, adulé par sa coure, elle n’avait jamais pu le rencontrer, et ne l’avait même jamais vu. Mais elle en avait bien entendu, ouï parler mainte fois. Quel pouvait bien être le rapport entretenu entre l’humain et son monarque ? Bien qu’Annya ne soit pas issue d’une famille bourgeoise, elle n’allait pas sans ignorer que l’on approche pas une icône sans raison véritable. Quelque chose lui murmurait que son compagnon ne se trouvait pas être qu’un messager quelconque. Cependant, elle ne posa présentement aucune question, s’enfermant dans un mutisme respectueux, elle écouta l’homme s’adresser à leur monture.
« Cheval ? Lorsque la cité sera en vue, longe la mer, puis prend la seconde porte. La rue sera en pente légère, elle mènera sur une forêt claire et humide. Désormais sentier, elle s'interrompra avec l'apparition d'un temple de pierre blanche. Nous ferons halte pour la nuit. »
La nuit, déjà ? L’astre solaire allait sous peu terminer son incommensurable course vers l’horizon. Le temps filait à une allure ahurissante, si bien que même la Gardienne se surprit à s’en étonner vivement. Exprimant une brève moue d’approbation, elle regarda affectueusement les mains d’Ailill avant de laisser ses doigts courir dans l’encolure de leur moyen de locomotion … la chevauchée dura un temps indéfinissable, peut-être un peu longue pour une île de si petite envergure, cependant la présence de l’humain, son petit corps encore frêle de jeune fille ne cherchant qu’à capter sa chaleur, et les quelques mots qu’ils échangèrent en chemin, lui firent l’effet d’une temporalité infiniment plus courte.
Lorsqu’ils parvinrent à destination, l’homme mit pied à terre. Balançant machinalement son poids vers la gauche, passant habilement sa jambe au dessus de la croupe du mehara, Annya se glissa sur le sol, ses cheveux argentés flottant magiquement autour de ses minces épaules, comme si elle avait pratiqué l’équitation toute sa petite vie. Bien entendu, la jeune fille savait monter à cheval depuis longtemps, mais il fut de longues années sans pratique, qui lui avaient fait perdre une bonne partie de ses capacités martiales à dos de destrier notamment. Déposant sa main fraîche et douce dans celle d’Ailill, ils pénétrèrent dans l’entrée du lieu saint. L’austérité de l’endroit apaisa la jeune fille, tout comme cela semblait produire un effet notoire sur quiconque y parvenait.
Après un bref échange de paroles entre l’humain et le religieux, ils traversèrent plusieurs couloirs et salles sur quelques mètres, où une chambrette leur fut assignée. Rapidement, le feu crépita dans l’âtre, projetant sur les murs de pierres sombres une lumière chaude et rassurante. Le lieu idéal … pour grandir enfin. Lorsque la jeune Annya se pencha au dessus des flammes, le visage de la déesse lui apparut. « Il est temps » lâcha t-elle, ce fut une bénédiction tout simplement, la magie opérerait ce soir, si toutefois Ailill se prêtait également au jeu.
La chambre meublée convenablement ne comportait qu’un lit, et lorsqu’elle vit l’humain s’étendre sur le sol, avec son seul manteau pour épargner ses reins, la jeune femme se raidit. Il était tellement galant, mais elle ne voulait absolument pas de ce genre d’actes. Le sacrifice est beau mais inutile, un précepte longtemps répété au sein de sa famille, que son esprit endormi par le temps n’avait pourtant pas oublié. La Gardienne dépouilla le lit de sa couverture ainsi que de son grand édredon, tout comme son traversin de plumes d’oie. Déposant le tout près du feu, le regard qu’elle jeta à Ailill se fit sans appel, personne ne dormirait dans le lit cette nuit là. Alors, laissant tomber ses vêtements sur le sol un à un, dénudant sa jeune peau de pêche, sans aucune gène devant celui qui partageait sa chambre, elle s’étendit sur l’édredon devant lui, son visage enfantin caressé par la chaleur du brasier ardent … sa voix flotta jusqu’à l’ouïe de son compagnon …
- S’il te plaît … aime-moi …
La déesse le désirait tout comme la femme qui sommeillait en Annya, elle laissait son corps et son esprit s’éveiller, éprise d’un torrent passionné qu’elle se refusait à refouler, elle aimait Ailill, et lui offrait son destin sur un plateau d’argent …
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| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Au delà de la houle [Annya] Jeu 12 Fév 2009 - 0:38 | |
| Les flammèches rousses s'élevaient au-delà des flammes étirées dont le cœur effleurait un blanc cristallin. Les braises saignantes fleurissaient dans l'écorce brune, dédaignant tout d'abord, par facilité, le bois dense et clair que protégeait cette friable carapace. Quelques volutes de fumée blanche glissaient le long du bois encore un peu humide, nuages d'invisibles gouttelettes. Parfois, la bûche qui se reposait sur ces ingénieux entrelacs de brindilles s'enfonçait quelque peu dans cette cage crépitante, produisant de discrets craquements. L'âtre, chaleureuse, portait le parfum des sous-bois. Lorsque la jeune femme approcha son visage de l'âtre, que la lumière dorée et tiède l'éclaboussa, Ailill sentit un silence pur l'envahir. Puis son souffle reprit son cours, serein.
Ailill ne souffrait pas de passer la nuit sur ce sol plat, au vu de ce qu'il avait dû endurer les nuits précédents. Et, à chaque nouvel instant qui s'écoulait, il savourait la douceur de n'être plus tourmenté par son corps. Aussi, bien au-deçà, le seul fait de savoir la jeune femme présente à ses côtés lui conférait une inimaginable quiétude. Et il était conscient de ce qu'elle lui offrait de par sa seule présence ; il ne lui demanderait pas davantage. Son regard chercha le sien, s'y logea. Elle percevait sa présence, il ne l'ignorait pas. Lorsqu'il déchiffra ce regard, qui n'admettait pas de contradiction, il fut contraint d'en prendre toute la mesure. Elle déposa la confortable couverture près du feu – près de lui. Le regard insondable de par sa profondeur, Ailill se redressa doucement, s'assit. Elle ne manqua pas de le surprendre lorsque, sans gêne aucune, elle glissa ses doigts fins entre les lanières qui retenaient ses vêtements. Les yeux de l'homme se coulèrent jusqu'à la fenêtre.
Celle-ci occupait la moitié du petit mur, entourée d'un bois souple et noble, finement sculpté. Il résistait vaillamment à la pression des pierres, protégeant la fine, fragile vitre de glace qui déjà affrontait le vent. Devant la vitre tombait en cascade un tissu liquide, limpide, à peine bleuté, presque parfaitement transparent – du moins tant que durerait la nuit. A l'extérieur, les nobles feuillus s'étendaient jusqu'à la mer, leur branches levées vers la lune. Ailill sourit. Quelle île magnifique... Les feuilles demeuraient-elles éternellement d'un vert tendre et frais comme au premier jour ? Il se plaisait à penser que cela était le cas...
Puis, de nouveau, son regard rencontra la jeune femme. Elle était parfaitement nue, pourtant auréolée d'une pureté de soie qui la faisait paraître encore vêtue. La lumière de l'âtre éclairait ses formes pures, la ligne de ses hanches, de ses épaules. Sa beauté transcendante qu'illuminaient ses yeux bleus, pareils à des étoiles enveloppées de duvet blanc, dérobèrent subtilement le souffle d'Ailill. Il oublia durant un fragment de temps tout ce qu'il était et ce qui l'entourait, pour, simplement, contempler ces yeux. C'était comme si, jusqu'alors, un voile de tulle blanche les avait soustrait à sa vue, et que soudain celui-ci avait été emporté sous l'effet de quelques souffle. L'amour qu'il lui portait était sans pareil, la désirait-il pourtant, elle qui semblait si fragile et si pure, encore si... enfant ? Légère, elle paraissait plume lorsqu'elle s'étendit sur la couverture.
- S’il te plaît … aime-moi …
Il n'est rien de plus mystérieux en l'être humain que le pouvoir des mots. Ignorant la nature exacte de ces sons, les arcanes de leur origine, les Hommes pourtant en usent et éprouvent leurs sens. Ils peuvent les interpréter, parfois, et de l'incompréhension découle de curieux quiproquos... En cet instant, il n'en était rien. Un frisson parcourut son corps tandis qu'il contemplait ce délicat minois tourné vers lui. Le souffle tiède de la jeune elfe portait un parfum adulte, un parfum... de femme. Sans se perdre dans de nouvelles réflexions, si éloignées, il ôta ses vêtements. Puis il s'étendit à côté d'elle. Son visage se trouvait si près du sien que leur souffle se mêlait, mais au-delà de tout il pouvait contempler sans frontière aucune la magnificence de ses yeux en lesquels vivait le feu... Tout à coup, il ressentit le désir inexprimable de la sentir plus près encore de lui, tout contre son corps ; il déploya ses bras et la serra doucement... Infinie douceur de cette peau tiède, plus vivante que toutes, celle de l'être aimé.
« Je t'aime, Demoiselle... »
Il l'aimait, et la faiblesse de ce mot ne permettait d'exprimer un tel maelström de sentiments... Il avait soif, il tremblait aussi, inexplicable expression de son corps qui refusait de lui obéir, mais de bien plus douce manière. |
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