Au delà de la houle [Annya]

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Annya
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MessageSujet: Re: Au delà de la houle [Annya]   Au delà de la houle [Annya] - Page 2 I_icon_minitimeJeu 12 Fév 2009 - 14:37

    La chaleur de l’âtre, la beauté de ses flammes dansantes sur les murs de pierres, l’immortelle course de l’astre invisible en cette heure, sa présence … tout paraissait tellement simple, tellement beau. Allongée près d’Ailill, la jeune femme patientait, l’aurait-elle blessé, l’aurait-elle effrayé ? Annya priait le ciel pour que cela ne fut pas le cas. La Gardienne venait de quémander à l’humain de l’aimer, une phrase polysémique à l’aspect et au fond plus tendre et plus léger de conséquences qu’une plume. L’esprit de l’elfe envoyait en cet instant une myriade de vibrations personnelles, imperceptibles par les autres. Cependant, leur retour lui permettait d’entrevoir les contours de son interlocuteur … sa sombre chevelure, son teint d’albâtre.

    Celui-ci se redressa, Annya suivit le mouvement, couvrant leur corps désormais nus avec la couverture dépouillée au matelas, lui aussi dénudé du lit qui trônait sans dormeur dans un coin de la pièce. Lorsque l’homme la rapprocha de lui, l’entourant de ses bras protecteurs, collant lascivement son corps au sien, la jeune fille laissa ses doigts fins et doux glisser sur le visage de son vis-à-vis. Celui-ci lui souffla qu’il l’aimait, elle n’eut que le loisir de sourire en retour, lui murmurant qu’il en était de même de ses sentiments personnels. Mordillant sa lèvre inférieure du bout de ses dents blanches et parfaitement implantées, la jeune fille fut consciente du désir qu’elle éveillait ainsi en l’humain. Un seul mot l’habitait … bonheur.

    ~ ~ ~ dédicace ~ ~ ~


    Ailill ne fut qu’un simple inconnu, rencontré par hasard au fil de ses pérégrinations, elle ne savait rien de lui, tout comme il ne savait rien d’elle. Tissant peu à peu un lien hasardeux d’amitié corrompue, coulant de profonds regards qui ne trompent pas, Annya avait commencé à l’apprécier. Sa façon d’être, de faire, de s’exprimer, de réagir à ses propres agissements et paroles, tout n’était qu’harmonie à ses oreilles ainsi qu’à sa ... vue. Il lui conférait joie de vivre et d’apprendre, cet homme était un véritable puits de savoir, une fontaine de jouvence, une étoile envers les êtres humains comme animaux … qui était apparue comme inaccessible à la jeune fille. L’espace de quelques heures, la douleur se trouvait être insupportable, la perspective d’une autre, tout comme d’une autre vie, le laconique fantôme d’un adieu.

    Puis ce fut une souffrance plus grande encore, l’incompréhension, l’incertitude, l’hésitation. Une torture psychique à laquelle peu d’êtres appréciaient de se soumettre. Mais elle tint bon, Annya y avait cru jusqu’à la fin, elle avait espéré que cela fut possible, son cœur déchiré d’un incroyable désordre. Mais elle l’aimait à n’en pas douter, c’était pour lui que son cœur battait désormais, pour lui seul que ses nuits paraissaient si longues, pour cet être si proche et si lointain à la fois, qui accentuait la pluie de son cœur, mais elle l’aimait … elle l’aimait … au passé comme au présent.

    ~ ~ ~ ~ ~ ~


    Ailill semblait hésiter, son corps tremblant, animé d’une volonté puis d’une contre volonté inconnue. La déesse s’extirpa du brasier ardent, sous l’infime forme d’une poudre argentée, voleta quelques instants dessus du couple enlacé, puis se déposa sur la chevelure de la femme enfant. Le regard de la gardienne pétilla quelques secondes … elle voyait, elle le voyait, lui, son soleil, son bonheur sa joie et son amant, à l’orée de l’immortalité. Envahie d’un désir plus brûlant que la rousseur des flammes de l’âtre, le frêle corps se hissa sur celui contre lequel elle se trouvait lovée.

    Telle un mehara d’une beauté et d’une candeur incalculable, la déesse à travers le corps de sa Gardienne lui offrait la plus magique des chevauchées épiques. Son regard clairvoyant plongeant dans celui de son amour, elle lui confiait son désir ainsi que son plaisir ultime sur un plateau doré, son âme et son corps pur se mouvant d’une même ardeur, ses mains caressantes et sa peau en éveil, un émoi de sensualité et de bien être embaumait la chambrée, comme si tout le bonheur habitant ce bas monde se trouvait ici, en cet instant de simplicité, de communions de corps et de cœurs.

    La lueur des flammes s’intensifiait, le lien invisible du soufflet manatique attisant les ardeurs et les corps astraux. Nul doute qu’en cet instant Ailill serait probablement le plus heureux des hommes, un humain libéré d’une immonde douleur dans laquelle il fut trop longtemps enfermé sans juste titre. Là, sur le sol de cet endroit austère et chaleureux, Annya lui insufflait un souffle de vie nouveau, l’opposé diamétral de sa souffrance aujourd’hui révolue. La façon de la déesse, ainsi que la sienne, de le remercier de tout ce qu’il offrait inconsciemment à ce monde …





[Hrp ; … j’aurais dû mettre dédicace du début à la fin]
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Ailill Mânes
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Ailill Mânes


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MessageSujet: Re: Au delà de la houle [Annya]   Au delà de la houle [Annya] - Page 2 I_icon_minitimeDim 15 Fév 2009 - 14:53

    Il l'aime.
    Il l'aimait.
    Lui-même n'aurait pu en déterminer la raison véritable et unique, à condition qu'il pût en exister une qui fût suffisante. Il était cependant en son pouvoir, émergeant des tréfonds de son être, de murmurer une infinité de vérités qui réchauffaient son cœur. Chacun des souffles de la jeune femme insufflait une lumière plus vive que le précédent dans le brouillard blanc qui enveloppait son corps svelte, lui en apprenait davantage quant au mystère de ce qui constituait l'essence de son être.
    Était-elle lumière, flambeau dans les méandres de son âme ?...
    Si, pour prétendre au bonheur, il lui était nécessaire se consumer jusqu'à devenir brasier, alors naîtrait en lui un feu titanesque. Dut-il se brûler les ailes en effleurant le soleil, jamais elles ne se briseraient, ni contre les barreaux d'une cage, ni sous l'effet de l'acharnement des âges. Souffrir pour ressentir un bien-être accompli, cela ne serait jamais un but, mais si cela devait advenir, inévitable, il le supporterait sans fléchir, quelle que soit l'ampleur de ces tourments. Si le doute seul, déjà, préfigurait la douleur, l'espoir se devait de croître.
    Mais si le bonheur est accordé sans avoir pour autre coût que les incertitudes qui eurent cours en un passé révolu...
    Félicité éphémère, éternelle, qu'importait tant qu'elle pût durer l'instant présent et celui qui le côtoyait, le moment suivant...

    Volant aux étoiles la vue de la clarté soyeuse de la peau, la jeune femme avait laissé la couverture se déposer sur elle, à la manière d'un tissu de plumes. Désormais, ainsi serré contre son cœur, il percevait sa beauté comme jamais. Bien au-delà de la simple apparence, elle était resplendissante... Sublime. Cependant, il était impossible de négliger quelque aspect de son être, lequel formait un tout insécable. Comment ignorer la majesté de sa chevelure étendue, qui ruisselait par pans argentés sur son visage ? Était-il seulement possible de mesurer l'empire de ses yeux, si ce n'était, peut-être, en rappelant à sa mémoire la profonde pureté du ciel nocturne qui veille sur l'océan ?
    Elle l'aimait... Cela était bien plus qu'un présent.
    Leurs souffles, d'un blanc à peine visible, se mêlaient dans la pièce encore fraîche, formaient de fugitives volutes... Il la désirait davantage que tout au monde. Si enfant et si adulte pourtant, elle était tellement attirante... Ses lèvres se déposèrent sur les siennes, elle au creux de ses bras, l'acuité des sens formidablement accrue.

    Fugace, un nuage rêveur voila la lune, dérobant aux êtres la lumière dorée. Les douces braises rougeoyantes se nappaient de fines cendres, poussière d'ardoise ; l'écarlate mélancolique ondoyait sur elles comme si quelque feuillage entraîné par un souffle espiègle du vent projetait son ombre dans l'âtre. Pourtant, les flammèches flottantes dégageaient leur propre lumière. Devenant de plus en plus rares, elles décrurent en taille, se répandant avec langueur sur la neige grise qui saupoudrait le bois noir. Elles tressaillirent comme si elles s'essayaient à certain malice, tentant de surprendre par la menace de leur disparition, une plaisanterie maladroite, puis elles s'évanouirent finalement tout à fait. Mais les deux vastes pierres mordorées qui ornaient l'âtre de part et d'autre, soutenant les bûches afin qu'elles n'écrasassent pas les braises, prodiguaient une quiète chaleur. Elles offraient peu à peu ce qu'elles avaient tantôt substitué. Ainsi, la température s'adoucissait subtilement.

    Caressant la courbe de sa taille délicate, de ses épaules, il déposa ses doigts légers dans le creux de son cou. Il ne se hasarda pas à calmer les battements de son cœur, la démentielle course de son sang. Dissimulée dans la peau satinée, la vie de la jeune femme semblait gagner en assurance, en force. Était-ce le fait de la déesse ? Peut-être le pollen argenté naissait-il du fait de son imagination libérée, mais qu'importait, car dans les yeux de la jeune femme un bourgeon fleurissait. Et les pétales de la rose bleue s'épanouissaient dans l'infini espace qu'offrait la prunelle parfaite. Apparurent au monde quelques points dorés dans la goutte noire et tremblante de sa pupille, étoiles célestes. Son émerveillement n'avait d'égal que sa passion. La divine essence parfumait la petite pièce... Il n'en doutait pas, il lui avait été donné de voir encore, l'espace d'un temps qu'il voulait pour elle infiniment long.

    Happer et étreindre ce sentiment afin qu'il se fonde en soi, ce désir brûlant. On crut voir à la fois, sur le vent de leurs souffles, fuir tout ce qui les tourmentait. Sur ses lèvres, Ailill déposa à nouveau les siennes, qui purent éclore tendrement en un baiser plus profond. Caressant sa peau de satin, son corps se mouvait en une danse lascive, éternelle.
    Une bûche s'affaissa, scindée en deux à force d'usure vermeille. Doucement, les flammes regagnèrent en force. Conquérantes, elle s'étirèrent, s'étendirent en l'espace de quelques instants. Le brasier prodiguait une chaleur enhardie.
    La sensualité s'étirait dans le cours du temps, plaisir voluptueux de la mouvance fusionnelle d'un homme et d'une femme. Et le sourire, et la caresse, la mélancolique ivresse, et les traits chéris de son visage, épargnés de tout nuages...

    L'aube seule saurait les surprendre, avec elle le printemps vermeil fait d'ombre, de rires et de soleil. Il se relèvera sous son regard, sans hésiter, prendra sa main...
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Annya
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MessageSujet: Re: Au delà de la houle [Annya]   Au delà de la houle [Annya] - Page 2 I_icon_minitimeDim 15 Fév 2009 - 16:03


« It’s time, to let you know, this is real, this is me ... i’m exactly where I’m suppose to be, gonna let the light shine on me ... no more hidding who I want to be »



    Ailill l’étreignait, la protégeait et l’aimait de la plus belle des façons qui soit ... avec amour. Ce fut entre ses bras que son corps s’éveilla pour la première fois, être celui d’une femme, jeune et belle. La nuit passa ainsi, dans cette mouvance éternelle, la valse de deux corps enlacés, dans une étreinte amoureuse et passionnée, comme si plus rien n’avait d’existence autour, rien, sauf eux, seuls, uniques et perdus dans les tréfonds d’une joie quasiment indicible, un bonheur partagé, une vie enfin ...

    « You’re the missing piece I need, the song inside of me, I need to find you, I gotta find you ... »


    Il n’y avait rien à dire, en cet instant précis, alors que l’humain se redressait tendant sa main à son compagnon, Annya vint la saisir. Déposant ses doigts dans la paume avec une légèreté déconcertante, fraîche comme la rosée d’un matin alangui. Élevant son corps, encore enroulée dans le fin draps de lin qui retenait inlassablement le parfum de leurs ébats, un rayon de lumière salvatrice pénétra dans la pièce par les carreaux travaillés. L’aube étendait son bras lumineux sur Miradelphia ...

    Ce fut alors qu’une bourrasque venue de nulle part ouvrit la fenêtre à la volée, faisait claquer le battant de bois, contre la pierre dure du mur porteur. La brise sous forme de poussière étoilée pénétra dans la chambrette, au même moment les rayons du soleil s’intensifièrent, enrobant de leur lumière ainsi que de leur chaleur le corps frêle de la femme enfant. Sans crainte, aucune, la Gardienne lâcha la main de son compagnon, le regard plongé dans cette pâleur immaculée qui l’attirait incommensurablement ... un pas après l’autre, elle marcha dans cette lumière faisant face à Ailill. Le moment fut enfin venu, où la déesse accordait à l’enfant qu’elle était, le droit de grandir physiquement, de ne plus être l’ombre d’elle même ... un nouveau départ l’attendait.

    Dès lors que l’astre inondait les terres de son voile blanchâtre, Annya réapparut ... le drap de lin avait retrouvé sa place sur le lit qui s’était lui même reformé par une quelconque magie. La jeune elfe s’avança vers son amant, grandie de plusieurs centimètres, si bien qu’elle pouvait à présent poser son front contre le sien. Sa longue chevelure argentée avait bruni, possédant désormais d’innombrables reflets dorés, lui arrivant jusqu’au haut des cuisses. Son regard autrefois d’un bleu profond était devenu noisette incandescente, ses lèvres roses apparaissaient rouges comme le sang. Sa peau déjà douce n’était plus qu’une plume langoureuse. Par souci de conventionnalisme peut-être, Néera avait revêtu sa gardienne, refusant de dévoiler déjà les courbes à présent d’une excellence féminité.

    Sa robe pourpre, retenue au bassin par une ceinture de cuir doré flottait sous la légère brise qui s’engouffrait par la fenêtre ouverte. Depuis la veille, les deux amoureux n’avaient pas échangé le moindre mot ... voici qu’ils se faisaient face, Ailill pourrait ressentir une probable gène, se retrouver ainsi devant quelqu’un qu’il ne reconnaîtrait peut-être pas. Cependant, Annya avait conservé son teint rose et frais, la douceur de sa peau, la profondeur de son regard, la faible rondeur de son visage mais surtout son parfum ... la senteur de sa chevelure et de son épiderme n’avait pas subi les affres de la déesse, et était restée inchangée. Enfin, depuis de longues minutes, un fin sourire se glissa sur les lèvres charnues de la jeune femme ...


    - Bonjour Ailill ...

    Sa cécité avait reprit ses droits, mais Néera l’avait doté d’un savoir ultime. Son mana lui permettait à présent de savoir avec exactitude, que tel objet se trouvait à tel endroit. Sa taille, sa forme ainsi que son poids lui étaient connus, seule sa couleur resterait à jamais un mystère qui ne pourrait être lui résolu ... à peine eut-elle prononcé ces mots que l’on frappa trois coups secs à la porte de bois verni. Comme pour tester sa technique innée, l’elfe s’élança le visage enjoué vers l’entrée, à sa gauche le lit se dessinait sur deux mètres de distance, à sa droite, elle pressentit la cheminée qu’elle évita d’un pas léger, puis sa main se posa parfaitement sur la minuscule poignée de porte ... elle ouvrit, et un petit moine joufflu fit son apparition.

    - Bonjour chers voyageurs vous .... qui êtres vous ?

    Annya éclata d’un rire sonore.

    - La même jeune fille que la veille mon frère ... regardez-moi ... je suis la même ...

    Le regard de la gardienne s’illumina quelque peu, le temps que son esprit enrobe celui de l’intrus. Touchant immédiatement la zone frontale, elle fit disparaître tout souvenir de son ancienne enveloppe charnelle. Seul Ailill l’aurait ainsi vue sous sa forme originelle, son enfantillage. Le moine reprit conscience rapidement, secouant sa tête avec sagacité, il déclara en souriant ...

    - J’ai du boire peut-être un peu trop ... vous désirez petit-déjeuner ?

    La jeune femme hocha négativement la tête, se détournant vers son compagnon. La barque ne tarderait plus à poindre sur le rivage, ils ne pouvaient se permettre de rater leur chance.

    - Nous vous quittons sans tarder mon frère, vous trouverez sur votre bureau de quoi payer les réparations de votre monastère ...

    - Mais comment ...

    La porte se referma toute seule, sous le rire cristallin d’Annya, qui s’affairait dores et déjà à ramasser manu militari ses anciens vêtements.
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Ailill Mânes
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MessageSujet: Re: Au delà de la houle [Annya]   Au delà de la houle [Annya] - Page 2 I_icon_minitimeDim 15 Fév 2009 - 20:43

« Mais l'amour en secret te donne
Ce qu'il a de pur et de beau,
Et son invisible couronne,
Et son invisible flambeau ! »

V. Hugo




    Elle prenait sa main avec la grâce d'une oiselle qui se pose, se dépose, sur une couverture de feuilles. Elle était plus belle encore que la rosée de l'aube lorsqu'elle perle sur le velours tendre des herbes, que le reflet cristallin au creux des minuscules gouttelettes. A la voir ainsi, il retenait son souffle paisible. Puis vint la lumière, inondant la pièce, dorée et légère conquérante de l'air, elle n'était autre qu'une nuée de poussière douée du pouvoir d'illuminer. Dans ces indescriptibles lueurs du renouveau, le son brutal du bois sculpté contre la pierre lisse du mur en parut adouci... la jeune femme s'approchait d'Ailill, entre eux la source de la blancheur, posant ses petits pieds l'un devant l'autre avec lenteur et majesté, comme si le sort du monde en eut dépendu.
    Ainsi baignée dans la lumière, ses contours paraissaient incertains, d'une pureté immaculée, éblouissante. L'argent de ses cheveux adoptait la teinte de l'or...
    Sans doute aucun, Ailill perçut la présence de la déesse. Bienveillante, de par sa nature ou bien la grâce d'une incommensurable bonté, elle accordait à sa Gardienne un somptueux présent. Lorsque ses doigts glissèrent doucement hors des siens, avalés dans l'impérieux cocon impalpable, il ne s'en inquiéta pas, confiant en elle.

    Ailill avait enfilé ses vêtements oubliés au sol, laissant glisser tout à fait la couverture leste qui jusqu'alors s'accrochait à sa hanche. Immobile et constant, il attendait. Alors, le soleil se dégagea tout à fait de la ligne d'horizon dans un ultime effort de volonté, entamant sa course céleste. Sa lumière, d'une autre nature, ne dérobait pas au regard ; au contraire, elle dévoilait...
    L'Elfe, désormais pleinement épanouie, si belle... L'amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l'âme. Pas une seconde il ne douta qu'il s'agît de celle qu'il aimait. Elle n'était plus enfant, indéniablement, ce que clamaient sa vivacité et son charme exacerbés. Sa beauté avivée, une grâce telle que le visage d'Ailill s'éclaira.
    Au-deçà de ce qu'il voyait, il partageait avec elle l'assurance de son parfum unique. Les senteurs de toutes les fleurs n'atteignaient pas à tant de perfection.
    De quelle manière percevait-elle le monde désormais ?...


    « Beau jour... Si beau... Je saurais t'offrir les couleurs, si tel est ton souhait. »

    Un murmure, quelques mots simples qui portaient l'expression du bonheur. Incontestablement, il était heureux, et le fait de lire la joie sur ce doux visage aimé amplifiait à l'infini ce sentiment.

    A l'instant, un moine frappait. Elle s'avança d'une démarche assurée pour aller ouvrir. Ailill, quant à lui, s'approcha de la fenêtre béante par laquelle s'engouffrait soudain un vent vif. Sous son assaut, il ne recula seulement pas, effleurant du bout de ses doigts le chataîgner sculpté, lequel arborait une longue fissure. Le grain du bois était particulièrement fin. Jamais il n'oublierait ce lieu. Une dernière fois, il embrassa l'étendue de forêt ainsi que la mer à laquelle se fondait le ciel, puis il se détourna. L'Elfe riait, et il sentit une chaleur en son cœur.
    Indéniablement, il remarqua le geste, le frôlement du front de l'homme. Il admirait cette force tranquille et sûre.
    Enfin, la porte se ferma. Glissant pensivement une main dans ses cheveux sombres, il observa l'Elfe qui ramassait ses vêtements sans hésitation aucune. Il aurait aimé connaître l'étendue du pouvoir de ces yeux si vivants.

    Lorsqu'elle eut fini, il déposa avec douceur sa main sur son épaule. Il allait parler, quand un grondement de tonnerre se fit entendre. Le mehara, songea Ailill avant même que ce dernier ne bondisse par-dessus la traverse basse de la fenêtre. Ses sabots claquèrent violemment sur la pierre. Il rejeta la tête en arrière, sa crinière noire inondée de lumière vivement agitée, et souffla avec force. Il hennit. Il portait des effluves de sous-bois et d'algues salées, le parfum de la terre humide, du sable iodé. A sa bouche, l'écume d'une nuit folle de cavalcade débridée.
    Sans s'encombrer de formalités envers ceux qui tenaient le lieu, Ailill n'hésita pas.


    « Il nous mènera jusqu'au navire, suffisamment vite pour que nous ne soyons pas en retard à l'embarcadère. »

    Cela se trouvait être une proposition, qu'elle eut pu décliner. Mais, si tel était son souhait, le fougueux animal les conduirait jusqu'aux quais.

    Là où les guettait la houle, le froid glacial propre à l'océan, la foule des Hommes comme le claquement des voilures. L'étape obligée d'un voyage vers des contrées si lointaines que ceux qui vivaient ici, pour la plupart, ne les imaginaient pas. La liberté munie d'ailes de Dragon, puissante, invincible.


« Fuis dans l’azur, noir ou vermeil.
Monstre, au galop, ventre aux nuages !
Tu ne connais ni le sommeil,
Ni le sépulcre, nos péages. »

V. Hugo
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MessageSujet: Re: Au delà de la houle [Annya]   Au delà de la houle [Annya] - Page 2 I_icon_minitimeLun 16 Fév 2009 - 23:01

    Aussi impétueuse que le vent, aussi téméraire que la course des astres dans le ciel obscurci, Annya s’élança vers la pureté qu’était ce mehara. Se hissant habilement sur la cambrure musculeuse de son dos, la monture ne ployant qu’à peine sous la légèreté de son poids avança de quelques pas, voici que la jeune femme laissait monter l’humain derrière elle de nouveau, saisissant la crinière du cheval entre ses doigts fins. Le mehara se cabra quelque peu, puis la porte s’ouvrit d’elle même, comme animée d’une volonté propre, ainsi ils s’ébranlèrent. Le claquement régulier des sabots sur le sol dallé du monastère, firent s’élever les têtes encapuchonnées vers les trois protagonistes.

    Le visage empreint d’une conviction soudaine, la Gardienne talonna subtilement les côtes de sa monture qui hennit sous l’incompréhension, abaissant ses oreilles blanchâtres tout d’abord, comme si son esprit indomptable flétrissait sous l’emprise de la puissance en sa présence. Ayant ressenti sa gène, la jeune femme lui flatta l’encolure, alors que le mehara pressait docilement l’allure sur le sentier terreux.

    - Le temps presse, comprends-le ...

    Redressant ses oreilles sous l’explication et la caresse, la monture poussa d’avantage son allure, se lançant dans un galop léger. La poussière se leva sur leur sillage, sans mots aucuns pour l’accompagner. De longues minutes s’écoulèrent ainsi, sans qu’Annya ne desserre ses lèvres couleur de sang. Elle n’avait pas changé, seule sa curiosité s’était tue, aussi le silence serait sa nouvelle arme, en contrepartie de son incommensurable beauté, la jeune Gardienne avait perdu son côté enfantin. Toutefois, une certaine innocence l’habitait toujours tout comme la candeur imprégnait chaque fleur, émergeant sur le bas côté de leur route, sur cette île au charme sans pareil ...

    Les quais se dessinèrent, arbres clairsemés s’effaçant sur leur passage, l’endroit portuaire restait malgré les années, uniquement construit et entretenu en bois. La largeur du quai atteignait une dizaine de mètres, cependant seul un simple embarcadère de grande taille relativement pourtant flottait près du ponton rongé par les crustacés colorés et diversifiés par une nature capricieuse et quémandeuse de perfection. Les sabots du mehara claquèrent sur le bois du port, approchant au maximum ses cavaliers de leur but probable. Parvenu à un unique mètre du bord, la monture s’immobilisa tout à fait. Annya se laissa délibérément glisser sur le sol, caressant une dernière fois l’encolure du cheval, elle ne fit pas d’adieu plus long que cela, et se dirigea d’un pas décidé vers l’embarcation.

    Ses pieds la portèrent sur la barque, marchant jusqu’à l’endroit où devrait se trouver la proue d’un navire, autrement dit à l’extrême devanture de l’embarcadère. Ses deux mains jointes sur son ventre, les doigts entremêlés, ses voilures flottant à la brise tels les ailes d’un oiseau. Elle ne prêtait apparemment plus aucune attention à ce qui l’entourait, son regard aveugle posé sur les flots si bleus de l’île du sanctuaire. Un marin sortant d’une sorte de gîte situé sur une plage de sable gris, près de là s’avança. D’un geste infiniment habitué, il dénoua les amarres du navire, passant sur le pont supérieur.

    - Il est temps ...

    Comme s’il s’agissait d’un ultime adieu, une nuée d’oiseaux marins s’envolèrent, passant en un arc-en-ciel de plumages à quelques mètres d’Annya, au ras de l’eau limpide. Tendant son bras, la jeune femme effleura plusieurs animaux du bout des doigts, jusqu’à ce que ce nuage d’une beauté époustouflante disparut à l’horizon, de la même façon qu’il était apparut quelques secondes auparavant. L’embarcation trembla quelque peu, un soubresaut lorsque l’ancre vint choir sur le plancher humide et sentant le renfermé. Les voilures tombèrent et se virent retenues par les cordages des trois mats, puis les trois protagonistes prirent le large ...

    Derrière eux, les contours de l’île se dessinèrent rapidement. Vue de loin, le lieu paraissait extrêmement restreint, à tel point que l’on aurait pu se croire capable d’en faire le tour en une journée. Mais le stratagème des dieux avait fait en sorte que l’endroit se trouvait être bien plus vaste et profond qu’il n’y paraissait. La Gardienne en connaissait les recoins les plus sombres comme les plus lumineux, la plage au sable le plus fin, ainsi qu’aux galets les plus imposants, la chaleur ardente du soleil brillant sur un plateau, le froid sibérien d’un temple sous terrain, creusé par l’érosion et la volonté divine. Ces longues années passées solitaire ou presque sur l’île, n’avaient eu pour profit que d’apprendre le fonctionnement de sa nature, bien que parfois, la jeune fille put encore se laisser surprendre par les caprices d’une climat généreux et abondant.

    Mais toute bonne chose possède une fin ...

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MessageSujet: Re: Au delà de la houle [Annya]   Au delà de la houle [Annya] - Page 2 I_icon_minitimeMer 18 Fév 2009 - 20:29

    Dans l'infernale flamme dansante s'engouffrèrent les deux êtres pâles.
    Le feu impérieux s'élevait des sabots noirs comme les danseuses ambre du bois d'ébène. Brasillant, le cheval piétina, souffla avec vigueur par ses naseaux dilatés. Trempé d'écume et de sueur, si brûlant, il exhalait le désir pur d'éprouver son corps. Cela au service de la cause épousée, de laquelle jamais il ne dissocierait son esprit mêlé ; ces valeurs échappaient aux Hommes ainsi qu'aux Elfes, étant propres au peuple équin des Meharas.
    Lorsque son sabot se posait, les deux cavaliers ne subissaient pas un à-coup sec comme cela aurait été le cas sur toute autre monture, particulièrement à cru, car le grand cheval faisait montre d'une prudence, d'une souplesse féline. Tandis qu'il forçait l'allure, exhorté par les douces paroles de l'Elfe, son dos se délassait doucement, épousant les passagères variations de pente. Sur une courte part du chemin, il dût escalader un éboulis léger ; l'eau ruisselante avait rongé la base des pavés, les descellant et les amoncelant de part et d'autre d'un petit lit sinueux. Aussi, il carra les épaules, abaissant la croupe afin d'assurer sa prise sur la Terre. Son entreprise fut couronnée de succès. Enivré, il prit succinctement le galop dans la descente qui conduisait au port.

    Les quelques bâtisses de bois clair que la neige disputait à la mousse se serraient les unes contre les autres au bord des vagues, semblant craindre des facéties de la part de la mer. Leurs pignons verts clairs semblaient avoir été peints par quelque artiste soucieux du détail afin d'éviter que l'on ne vît le lichen qui ne manquerait pas de pousser là. Les carreaux peu épais des masures s'apparentaient à des vitraux, fragments de mille teintes aux couleurs de l'arc-en ciel. A l'intérieur de l'une d'elles, un feu brûlait dans l'âtre ; la lumière qu'il projetait traversait les vitres pour déteindre et maculer la neige, à l'extérieur. Ainsi parée de teintes violettes et coquelicot, la couverture de flocons adoptait un aspect irréel.
    Livrées à elles-mêmes, ainsi isolées de la ville, les fragiles masures raccrochaient leurs espoirs à la longue jetée qui s'avançait au-dessus des vagues, mettant au défi l'étendue bleue de faire montre d'animosité. Celle-ci abritait plusieurs colonies de mollusques, peut-être préservées ainsi qu'exploitées par les habitants. Pour l'heure, les anémones rousses se tenaient à l'abri de l'air froid, sous leur pourtour gluant.
    Le quai était si large que six hommes auraient pu s'allonger à la suite, ce qui témoignait de l'importance non-négligeable du lieu. Toutefois, si le bois humide apparaissait clairement par endroits, des flaques de neige cotonneuse subsistaient là où, peut-être, se situait quelque lichen. Profitant de ce que ses cavaliers aient mis pied à terre, le mehara s'avança à courtes foulées en direction de la poudreuse blanche qu'il laboura de son front puissant. Subitement, il se raidit. Mais l'attention d'Ailill était presque toute entière reportée sur le navire, justement en passe d'être arrimé. Tels des fourmis, les hommes se déplaçaient en portant des paquets, animés d'un but précis duquel ils ne sauraient être détournés.
    L'Elfe s'avança avec assurance sur les apparaux de pont, en direction du gaillard d'avant, dans le prolongement de la cabine supérieure. Le voilage des deux navires rouges qui, sans cesse, effectuaient l'aller-retour était simplifié de manière optimale ; le vent n'était habituellement guère présent, ici. Ainsi, seules sept pièces constituaient la voilure. Ailill, quoiqu'il ne fut pas habitué aux navires à fond plat d'une quarantaine de rames, ne fut pas le moindre du monde surpris lorsque des marins s'exclamèrent au sujet du grand foc, orienté à tribord.
    Le pont berçait indolemment, insinuant un certain mal-être dans le cœur de quelques passagers. Ailill, insensibilisé à la perfection, repéra avec minutie les détails du bâtiment, le "Purpureus Fortis". Ils se trouvaient être sept intrus en ce lieu. Un par voile... amusante pensée.
    Quoi de plus étrange, puissant, que le lien qui unissait ceux qui bravaient ensemble la peur et la mort, qu'ils s'aidassent ou non de superstitions ? Que de plus précaire que l'existence d'une poignée d'âme perdues dans le gigantisme titanesque de la Mer ? Enfin, à quel point la frayeur, la paranoïa, pouvaient être exacerbées par l'isolement ?
    Il n'était que peu de choses plus prudentes que de veiller à soi en veillant sur les autres lorsque l'on se trouvait à bord d'un navire, que la traversée fût courte ou non.

    La rage de la mer peut prendre de nombreuses formes, certaines étant plus sournoises, moins perceptibles que d'autres. Si, en cette contrée, le vent suffisait à peine à soulever la crête des vagues, qu'attendaient les voyageurs ? Pour quelle raison avait-on renforcé le bastingage ainsi que la coque, au niveau du pont principal, et sûrement sous la ligne d'eau, au moyen d'épaisse planches de bois ?
    Le soleil, doré, veillait sur eux de toute sa hauteur. Pourtant, ses efforts ne semblaient pas tout à fait récompensés ; au loin, une brume opaque masquait l'horizon. A l'aller, Ailill n'avait pas manqué de constater que l'on avait viré de bord à de très nombreuses reprises. Habituellement, c'était les changements de direction du vent qui contraignaient à de telles manœuvres, surtout lorsque celui-ci n'était pas en poupe. Mais dans le cas d'un navire à rames... il lui avait semblé que les courants étaient forts, ou bien que l'on évitait des obstacles.
    S'il n'avait été à ce point sous l'emprise de la souffrance, à l'aller, il ne douterait pas en ce moment. Mais il était inutile de regretter, aussi ne s'attarda-t-il pas...

    La beauté pure d'un vol d'oiseau arracha délicatement Ailill à ses réflexions. Des pétrels, semblaient indiquer le gris cendré de leur plumage lisse prolongé d'une blancheur nuageuse. Certains poussèrent quelques cris d'adieu ; on aurait pu croire que c'était des enfants, dans ces corps de plume, des nouveau-nés aux yeux perlés de noir.

    Il s'appuya au bastingage, sa main déposée sur le bois usé, tandis que l'autre saisissait non sans douceur les doigts fins de l'Elfe. Ils se situaient à l'avant, au-dessus des vagues, surplombant la figure de proue. Celle-ci représentait un imposant cheval doté d'une queue de sirène. Il faisait solennellement face à la mer, chassant de sa seule présence le mauvais sort.
    Le mehara... Cette créature avait beau être douée d'une intelligence insaisissable, être libre comme Ailill le lui avait promis en échange de sa loyauté, ce dernier ignorait comment il effectuerait la traversée. A la nage ? L'eau, d'un bleu trop profond, était traître... Si le grand cheval ne se trouvait pas sur le continent lorsqu'ils mettraient pied à terre, il devrait acquérir deux chevaux. D'ailleurs, ne faudrait-il pas, le cas échéant, suppléer à l'absence d'une seconde monture ?

    Enfin, l'embarcation s'enfonça dans l'épais brouillard. Ailill remarqua que les rameurs s'exécutaient avec moins d'entrain. Quels ordres clamait-on dans les cales ?
    Quoi qu'il en soit, il paraissait clairement que la situation n'était pas des plus habituelles.
    Avec toute la douceur de l'amour, il caressait de son pouce la paume de la main pâle de l'Elfe.
    Elle, ne subissait pas l'influence de cet aveuglement subit.

    Au fil de ce court laps de temps, il avait pris conscience d'elle. Sans doute aucun, il l'aimait. Aussi, il lui était difficile de ne pas pouvoir l'atteindre, la comprendre. Elle paraissait inaccessible... Il osait espérer qu'au fil du temps, bien davantage encore les lierait. Il percevait au fond de lui-même des sentiments mêlés, différents de l'amour sans pour autant lui être opposés. Du respect, une reconnaissance certaine, peut-être de l'admiration, aussi.

    Lentement, la brume s'infiltrait. Partout. Opaque, elle se coulait dans les serrures, se glissait sous les portes et se mêlait aux souffles, déferlant dans les cabines. Elle en venait à tout envahir, et même les lanternes accrochées aux mâts et aux cordages ne pouvaient rien contre elle.
    Tout à coup, un craquement aussi sinistre que brutal éclata, rompant le silence. Le navire s'ébranla, penchant de plus en plus dangereusement. Aussitôt, Ailill attrapa le poignet de l'Elfe à deux mains, affermissant sa prise sur le pont. Quelques passagers chutèrent.
    Les marins couraient en tous sens, affairés ; on avait heurté un récif. Cette mer était traître.
    Puis le silence reprit ses droits, un peu différent, cependant. Les rames avaient beau avoir cessé leurs mouvements, le temps que l'on sondât les proches environs du navire, on pouvait entendre un bruit de battement, dans l'eau.


    « Un ch'val ! Y'a un ch'val qui suit le navire à la nage, là, juste dans le sillage, y tient une barre de corde dans sa gue... bouche ! V'nez voir ! »

    Le mehara forçait le respect, Ailill le reconnut avec un léger sourire. A l'intention de l'Elfe, il murmura.

    « Je vais m'assurer que l'on ne voie pas en notre monture quelque mauvais présage... »

    Il ignorait tout de mœurs des marins d'ici, et, bien qu'ils fussent détachés à l'Île du Sanctuaire, un homme de mer n'en demeurait pas moins un être usé, assurément fragilisé. Après l'accroche qui avait manqué rompre la coque, figeant, l'espace d'un souffle, bien des cœurs dans la cage de leur poitrine, ces hommes seraient capables de lapider la sombre créature...
    Ainsi, il se détacha de l'Elfe. L'idée de l'empêcher de le suivre ne le traversa même pas. Elle était libre, comme tous et peut-être plus encore à ses yeux.

    L'aspect du mehara était indéniablement prétexte à ce que l'imagination vagabondât.
    Loin en bas, tache noire dans les flots bouillonnants à la suite du navire, le dos parsemé d'éclats de glace et d'écume, il ne paraissait pas réellement vivant. La brume l'enveloppait telle un linceul. Mais il se mouvait, à n'en pas douter ; sa tête battait l'eau au rythme des laborieux mouvements de ses pattes. Ses yeux paraissaient abriter la Nuit même. Si sa crinière, quoique tantôt plaquée contre sa peau, tantôt ondulant dans l'eau glauque comme une masse d'algue, n'avait témoigné de son apparence équine, il va sans dire qu'on l'aurait pris pour quelque démon mort-vivant.
    Ailill, sans attendre davantage, s'adressa au capitaine.


    « Ce cheval est mien. Je l'ai laissé sur l'Île ; il semble, comme vous le voyez, qu'il nous ait suivi. »

    Volontairement, il avait parlé lentement. Ainsi, on pouvait croire qu'il hésitait, surpris, peut-être. Ses interlocuteurs ne perdraient pas confiance en eux. Impossible cependant de douter de son intégrité ; son regard tranchant accordait à quiconque le souhaitait la faveur de l'observer.
    Il aurait pu ajouter quelque chose comme "Si cela ne vous dérange, hissons-le à bord", mais il est certaines paroles qu'il vaut mieux ne pas énoncer. Il est bien plus efficace de laisser les hommes penser par eux-même lorsque l'on désire obtenir gain de cause.
    Peu de temps après, on jeta des cordes au cheval sur une suggestion de l'homme aux cheveux d'encre. A la surprise générale, l'animal abandonna sa prise mal assurée pour l'une d'elle. Des marins descendirent au moyen d'échelles de corde. Cependant, aucun n'osait accomplir ce qui s'imposait pour sauver le cheval, extraire ce grand corps des griffes mortelles des eaux.

    Ailill ne prit pas la peine d'ôter sa chemise, geste dérisoire à l'idée du froid qui ne manquerait pas de s'emparer de lui quoi qu'il fît. Le moment était venu d'éprouver son corps, et bien qu'il aurait préférer éviter un tel péril, il plongea.
    Impossible de voir. Derrière ses paupières closes, lumineuse malgré le brouillard, l'image du doux visage de l'Elfe qu'il venait d'abandonner sur le pont. A cette pensée, il avait mal.
    Et cela était pire encore que la douleur infligée par les échardes de glace qui s'enfonçaient dans la moindre parcelle de sa peau.
    Il passa sous le ventre du cheval, sans lâcher aucune des deux cordes. A peine émergea-t-il qu'on le hissa. Il ne voyait plus rien. Mais cela reviendrait, quand il aurait cessé de trembler.

    Dans un autre monde, lointain, on remontait le cheval. Les cordes passaient sous la largeur de son corps, de part et d'autre de son ventre. Assurément, l'opération n'était pas pour lui une partie de plaisir, ni pour les marins, d'ailleurs.


    « Côte en vue ! Préparez-vous à abaisser la misaine, la grand-voile ! Un homme supplémentaire au gouvernail, la bise fraîchit ! Le fret devra être débarqué sans attendre, le... »

    Ailill était assis sur le pont, adossé à la cabine. Il entendait confusément des voix d'hommes qui, sans doute possible, parlaient de lui. On avait jeté une couverture râpeuse sur ses épaules ; elle portait l'odeur du sel... L'appel de ses souvenirs se fit plus intense. Alors, il ouvrit les yeux. L'Elfe...
    Comment nommer le baume que sa seule présence passait sur son cœur ?

    Il se posait de pareilles questions, alors qu'il ne savait pas comment elle, elle se nommait...

    D'un coup, il éclata de rire. Un rire jeune et frais, nouveau, comme s'il n'avait guère été usé. Il était transi, mais qu'il était bien, pourtant...

    Personne n'avait attaché le mehara. Ou peut-être cela avait-il été fait, et s'était-il délié, qu'importait. Il s'avança jusqu'à atteindre la figure de proue. Là, il releva sa tête majestueuse et trempée. Le soleil illuminait sa robe humide, lui conférant des aspects argentés.

    Elle était faite de bois d'olivier... non pas de chêne.

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