La querelle de Hautval

La disparition de Charles de Hautval, seigneur et maître de Hautval ainsi que fidèle vassal de la couronne péninsulaire, avait laissé un vide dans la noblesse. Mais la noblesse, on le sait, réagit vite. Aussi, à peine l'annonce de l'absence fortuite de messire Charles fut-elle faite que déjà des remous commençaient dans la baronnie à la vigne chantante et à la puissance militaire redoutable.

Le seigneur avait disparu. C'était là un problème. Et l'héritière est tuée, massacrée sauvagement par quelque chimère. C'était là un avertissement. La noblesse locale ainsi que son non moins noble voisinage s'inquiétaient de cet événement tragique. Hautval se retrouvait sans héritier direct, et les vassaux de la cité vigneronne se retrouvaient déjà des velléités d'indépendance.

C'est à ce moment que la généalogie entre en jeu. Car si Charles n'avait laissé qu'une fille dans le château pour seule héritière (une héritière déjà bien refroidie, soit dit en passant), sa famille n'était pas en manque d'enfants avides de terres et de puissance. Les deux descendants et héritiers les plus légitimes et disposant des appuis les plus forts étaient des familles d'Ancenis et d'Olyssea.

Au sein de la grande salle de la forteresse d’Olyssea, le baron, au visage plus empourpré encore que ses vêtements hurlait à son chambellan : « L’ONT-ILS TROUVE OUI OU NON ?! » Tous les serviteurs faisaient le dos rond tandis que leur maître passait ses nerfs sur le pauvre homme. Cela faisait maintenant plus de deux heures qu’il tournait, tel un fauve en cage, dans l’attente de la confirmation apportée par ses archivistes. Les sires d’Olyssea n’ayant jamais été des rats de bibliothèque, le mot « rangement » était inconnu au sein de leurs archives.

Semoras s’affala sur son siège tandis qu’il revoyait son précepteur tenter de lui inculquer le passé de la famille régente d’Olyssea. Dès la naissance des rumeurs sur la disparition de Charles, le baron avait repensé, tandis que l’absence de descendance à même de prétendre au trône se faisait cruellement sentir à Hautval, à ce bisaïeul issu d’une union avec la cours voisine. Or, mis à part la grande tante de ce dernier, liée à l’Ancenois, nul autre n’était à même d’affirmer que, par le sang, la baronnie lui revenait de plein droit.
Il pesta. Quelle malédiction avait donc voulu que les femmes aient également droit de régence au sein de la province viticole, s’interrogea-t-il. En effet, si Olyssea était liée par un homme, celle d’Ancenis avait noué un lien avec l’ainée de ce dernier. Néanmoins, nul ici ne l’ignorait tant le sujet avait servi à dénigrer leur voisin, la dame de Hautval était issue d’un amour condamnable avec un chevalier de passage. Un chevalier d’Olyssea ! Cela revenait donc à dire que les droits clamés par son voisin, le baron Aemon, n’avaient pas plus de valeur que ceux du premier venu !

La réponse du chambellan, sauvé par l’arrivée d’un serviteur chargé de lui transmettre les dernières informations en provenance des archivistes, tira Semoras de ses pensées « Oui sire, ils sont formels : nul autre ne peut avoir de prétentions…si l’on fait exception de celles de l’Ancenois… » annonça-t-il sur un ton craintif.
« Par la Malpeste ! Ce fieffé borgne n’a nul droit ! Une bâtarde n’a pas légitimité pour… » s’enflamma le seigneur d’Olyssea.
« Sire. La troupe est rassemblée et n’attend plus que vos ordres », le coupa l’un de ses feudataires en faisant irruption dans la salle. Les lèvres du baron s’ourlèrent en un sourire carnassier.
« Très bien. Faites seller mon cheval, nous partons pour Hautval ! »


HRP : les liens familiaux décrits ici émanent de Charles de Hautval lui-même =)

On avait réuni les féaux d'Ancenis dans la grand-salle du manoir du baron borgne. Ce dernier, réuni avec eux autour d'une table ronde dont la nappe autrefois blanche avait subi un repas de plus de quatre heures, subissant les effusions que provoquaient les divers plats et venaisons que des serviteurs épuisés relayaient laborieusement, observait d'un oeil unique les libations sans fin. Cerfs, sangliers, hanglyosis et même deronays trônaient sur la longue table, où les grands de l'Ancenois festoyaient, trinquaient avec violence et riaient grassement.

L'odeur de la guerre n'était pas encore dissipée, bien que de longues semaines soient passées déjà depuis la bataille en Serramire. Alonna était éloignée, et pourtant les chansons à son sujet abondaient. On faisait l'éloge de tel chevalier, qui avait su sauver son souverain ou tuer un chef drow. Rodomontades et gaberies composaient ces gestes imaginées par quelque bardes en manque de soutiens et d'absolus, mais elles exaltaient les vertus chevaleresques, et les jeunes chevaliers comptaient bien ferrailler, se tailler une réputation et avoir leur nom dans les chansons.

Les querelles autour de Hautval tombait comme un fruit mûr sur la table d'Ancenis. Lors du plaid organisé par le baron, les grands vassaux n'avaient pas mâché leurs mots : Hautval revenait à la nièce de leur suzerain Aemon, et les seigneurs des Vignes soutiendraient cette juste prétention de la Chouette d'argent, l'oiseau tutélaire de la maison d'Ancenis. Les plus anciens (et donc les plus respectés), s'ils s'étaient montré plus circonspects, n'en confirmaient pas moins les cris excités des plus jeunes, voyant dans cette expédition un moyen de déverser la fougue (certaines diraient la violence frénétique) de cette jeune chevalerie en mal d'exutoires.

Quelques jours plus tard, alors qu'Aemon faisait lever le ban, on apprit le mouvement des ostes du seigneur Semoras en direction de Hautval. C'était plus qu'il n'en fallait pour le baronnage de l'Ancenois, qui avait hâte d'en découdre, répondant à l'appel de leur seigneur et défendant son droit, de force s'il le fallait.

La ville d’Erdhleim, à la frontière avec Hautval, avait connu une agitation rare hors période de foires. En effet, à l’annonce de la mise en marche de l’ost, la chevalerie d’Olyssea s’était précipitée dans la bourgade afin d’y attendre leur sire en fourbissant leurs armes. Les tisserands locaux, quant à eux, avaient reçu ordre de fournir le plus rapidement possible des étendards mêlant les blasons des deux baronnies et des intendants militaires avaient commencé, pour leur part, à réquisitionner des vivres. C’était donc un grouillement incessant qui agitait cette cité d’ordinaire si paisible. Le point culminant fut atteint lors de l’arrivée de Semoras à la tête de ses troupes. Cela se traduisit par un grand festin, auquel moult déclarations, après quelques verres d’hypocras, furent faites. Certains firent valoir qu’une baronne ne saurait émerger des cuisses d’une bâtarde, d’autres, plus vindicatifs, ajoutèrent que la politique était affaire trop sérieuse pour être confiée à une femelle, preuve en était la décadence du duché de Langehack. Le lendemain, ce fut une noblesse avec la gueule de bois mais néanmoins résolue qui se mit en marche.

Sur ordre du baron, des messagers furent dépêchés auprès de nombre des grands feudataires d’Hautval, afin de leur annoncer la venue de l’héritier légitime et de les inviter à se réunir au sein de la capitale de la province, tandis que l’armée d’Olyssea s’enfonçait dans la baronnie, telle une hache de bataille dans une motte de beurre exposée trop longtemps au Soleil. Apprenant que son voisin avait fait lever le ban, Semoras fit ordonner à ses hommes d’accélérer le pas, afin de prendre les troupes ancenoises de vitesse. Ils ne s’arrêtèrent qu’à de rares occasions dans les hameaux et villages sur leur route, y diminuant sensiblement le nombre de pucelles tout en y augmentant le nombre de bâtards. Cependant, le rythme diminuait à l’approche de quelques domaines seigneuriaux. Dans ces derniers, Semoras veillait à ce que la piétaille ne se laisse pas aller à ses vices habituels, afin de ne pas provoquer l’ire des aristocrates locaux. Lors des entrevues avec les nobles, il les poussait à force de grandes déclarations sur la légitimité de cette action, soutenue dans son argumentation par le fait qu’il était entouré de toute sa coterie. Son ost se voyait ainsi grossit de ces quelques sires dont les précisions sur la vie locale et les coutumes à respecter se révélaient précieuses. De plus, il laissa entendre à ceux qui n’appréciaient guère qu’un conseil de roturiers dirige en l’absence du baron, qu’il n’était pas homme à se laisser dicter la loi par un bourgeois. Nombre de feudataires, désireux de diminuer l’influence du conseil, voire de l’éliminer, vinrent ainsi rejoindre ses forces.

Le baron en était conscient : le conseil pourrait bien être un obstacle. A cette pensée, ses lèvres s’arquèrent eu un sourire carnassier.

Tandis que la ville d’Hautval se profilait au loin, Semoras se félicita de n’avoir guère laissé le loisir à ses hommes, après Alonna, de regagner leurs foyers. Un temps précieux avait été gagné et les soldats à son service n’étaient désormais plus des novices. Pour preuve, leur soif de pillages impressionnait même le sire d’Olyssea. La canaliser ne serait guère une tâche aisée, mais le conflit dormant avec l’Ancenois promettait de fournir une solution satisfaisante.

Lors de son arrivée en ville, Semoras, accompagné d’une part de la noblesse locale, de la Garde Pourpre et de quelques gendarmes, prit bien soin de distribuer des piécettes au bas-peuple, afin que ce dernier lui offre son affection. Leurs armures, polies la veille, sur lesquelles se reflétait le Soleil leur donnait fière allure. Le baron sourit. En aristocrate, il savait que l’image avait son importance.
Ils gagnèrent rapidement la grande citadelle, position qui avait son importance dans son conflit avec Aemon d’Ancenis. Nul ne chercha à leur barrer la route. En quel nom l’aurait-il fait ? Quelques nobliaux locaux, opportunistes, prêtèrent immédiatement hommage à leur nouveau suzerain, un jeune garçonnet, et à son tuteur : le sire d’Olyssea.
« Cette baronnie est nôtre, mon bon Malrys » murmura Semoras à l’adresse de son écuyer tandis que certains de ses hommes allaient au donjon pour y pendre étendard mêlant les couleurs d’Hautval à la tête de loup sur fond pourpre des Olyssea.

« Reste le problème du conseil » pensa-t-il.

On disait la jeunesse pressée. Les mouvements du baron d'Olyssea ne réfutaient pas cet adage populaire. Il avait foncé sus au chef-lieu de Hautval, exhortant ses forces à l'effort. Le baron borgne s'était montré plus tranquille, et son oste, grosse de beaucoup d'hommes libres, souvent des vassaux qui n'aimaient pas qu'on leur dicte leur conduite (surtout s'il s'agissait de transformer ce qui se présentait comme une partie de plaisir en course au drapeau éreintante), avait marché à son allure.

Lorsque le baron d'Olyssea s'était "emparé" de la cité d'Hautval, le baron n'en était qu'à la moitié de son chemin. En effet, il demandait à chaque fois aux vavasseurs, les seigneurs d'Hautval, qu'ils lui offrent le pain et le sel, comme on le doit aux hommes qui demandent l'hospitalité. Aemon, en bon voisin, connaissait les usages, et savait que tout pourrait se jouer par la parole et les soutiens qu'il se constituerait tout au long de sa marche sur Hautval, où il trouverait un Semoras au frais, mais dans quelle situation ?

Ainsi le seigneur Aemon gagnait les faveurs d'une partie de la noblesse hautvaloise, de gré comme de force. En effet, il n'était pas bon refuser la proposition d'accompagner un baron qui marchait sur la capitale du fief, surtout lorsque celui-ci était entouré de jeunes guerriers en manque de saccage et de violences. Beaucoup de seigneurs d'Hautval suivaient donc le baron d'Ancenis dans sa campagne, et bientôt (une fois le sud-est d'Hautval persuadé par les arguments du Borgne), on arriva devant le fameux chef-lieu, où claquaient les bannières de la maison de Charles et de celles du baron Semoras d'Olyssea.

Ainsi, après cinq jours d'opérations, la situation en Hautval était la suivante :


Le Sud-Est est clairement acquis à Aemon d'Ancenis, dont la marche lente et prudente a permis de rallier à lui les seigneurs du coin. Le Nord-Ouest est plus mitigé quant à Semoras d'Olyssea. A vrai dire globalement, l'absence de négociations avant le début de la querelle a surpris les nobles Hautvallois. L'un d'eux, Yquem de Marc, a déclaré devant ses bannerets "que n'ayant point vu la dépouille de son seigneur et maître Charles de Hautval," il ne se plierait pas aux exigence de ce qu'il nomme des "vils et bas rapaces".



Vieux militaire endurci et charismatique, il a réussi à rallier à lui environ quatre cents hommes d'armes qui se rassemblent dans le Nord de la baronnie. Yquem appelle même les paysans à le rejoindre "avec moult fléaux et fauchards".Néanmoins, la possession d'Hautval est un avantage non négligeable pour le plus jeune des acteurs de cet épisode. Les murailles sont lourdement crénelées, le donjon imposant et, dit-on, imprenable. De plus, l'arrivée sans tapage du seigneur d'Olyssea lui a acquis la population de la ville même.

Mais n'oublions pas le Conseil...fort important car détenant le pouvoir économique, Hautval donc. Un émissaire du Conseil, qui s'est enfermé jusqu'alors dans la maison du Bourgmestre, vint demander rapidement explications à Semoras d'Olyssea sur la nature de son avancée, ajoutant que "le seigneur d'Hautval est porté disparu mais non mort..."

Etat des forces :


Yquem de Marc : Quatre cents hommes d'armes, à deux jours de marche forcée d'Hautval
Aemon d'Ancenis (devant Hautval) : Cent chevaliers, quatre cents hommes d'armes, trois cents archers, cent hommes d'armes de seigneurs d'Hautval.
Semoras d'Olyssea (dans Hautval): Cent chevaliers, cinq cents hommes d'armes et deux cents archers.



NB : Ordre de postage à respecter dorénavant ENTITE-SEMORAS-AEMON.
NB 2 : Au niveau politique, les membres du Conseil sont souvent dépendants d'un seigneur voir plusieurs quant à leurs exploitations de vignes etc...

La bataille d’Alonna avait vu de nombreux hommes de valeur périr, ce qui signifiait, dans certains cas, des terres qui se retrouvaient sans maître. En s’emparant de la capitale de cette province, le jeune baron avait ainsi veillé à se draper de l’autorité et de légitimité nécessaire à réaliser la redistribution qui s’annonçait et ce tout en se dotant d’une solide assise dans la région. Ainsi, il espérait voir arriver des membres de la chevalerie locale, accompagnés de leur suite. Là où les renforts du baron d’Ancenis seraient arrachés à leur foyer, sans avoir le temps de réunir leurs gens, Semoras les laisserait le rejoindre à leur rythme mais avec toute leur coterie, par prestige et dans la volonté de montrer leur importance au sein de la baronnie.

Dans le château, il faisait donner de fastueux festins en l’honneur de l’ancien baron, Charles de Hautval, de sa fière noblesse et de l’héritier du trône. Le baron d’Ancenis y était fortement critiqué, des hommes d’Olyssea ayant pour tâche de dénoncer les actes de ce dernier qui osait menacer les fiers chevaliers de la baronnie, un homme qui oubliait jusqu’au sens même du mot « respect » et bien d’autres déclarations encore dont le but était de flatter l’ego de la noblesse et de renforcer leur conviction qu’ils seraient récompensés pour leur fidélité. Néanmoins, l’annonce de la rébellion d’Yquem de Marc les fit changer de cible.

Cet imprévu amena également le baron à reconsidérer le problème du conseil comme secondaire. En effet, sa dépendance à l’égard des différents seigneurs menaçait de le rendre plus qu’instable alors que les fidélités de chacun ne paraissaient pas encore bien établies. Il chargea ses messagers de transmettre ses honneurs aux membres, de leur affirmer sa bonne volonté à trouver une solution au problème de l’absence du sire Charles, la baronnie ne pouvant rester indéfiniment sans protecteur, preuve en était les actes séditieux d’Yquem de Marc et qu’il se ferait un plaisir de s’entretenir avec eux à Hautval, une fois les troubles écartés.

Il n’était guère envisageable de combattre à la fois les insurgés et les Ancenois. Semoras pestait intérieurement mais il allait être amené à sympathiser, pour un temps du moins, avec une vipère. Aussi, à l’annonce de l’approche de son rival, le sire d’Olyssea afficha une sérénité à toute épreuve, afin d’affirmer une grande confiance dans sa légitimité et fit dépêcher une estafette afin de l’inviter, lui et ses gens, à prendre place à leur table afin d’y partager le pain et le sel.

L'accueil n'était pas aux goûts des Ancenois, comme on s'en doute. On ouvrit certes les portes de Hautval au seigneur Aemon et à ses gars, il est vrai, mais on le fit comme on l'aurait fait pour un invité gracieusement accueilli. Cela eut l'avantage (?) d'énerver un baron d'Ancenis à fleur de peau dès qu'il s'agissait d'honneur, de terres, d'héritage, d'insultes, ... en fait, dès qu'il s'agissait de n'importe quoi.

La suite de l'Ancenois arriva aux tables de la grand-salle, où bateleurs et ours amusaient déjà la compagnie. On se salua bien amicalement. Tous étaient voisins, et de nombreux chevaliers et seigneurs se saluèrent, étant souvent cousins, compagnons d'armes ou parents d'une quelconque façon, sauf certains ennemis héréditaires, qui portaient le fardeau que demande de la vengeance pour un motif devenu trop grave pour être pardonné. On était loin d'une ambiance glacée entre les deux partis, naturellement querelleurs, cependant les tensions se lisaient sur les visages.

On s'installa cependant chacun à sa place. Le baron d'Olyssea n'avait pas fait l'erreur, en ces temps troublés où la sédition semblait naturelle pour les vassaux, d'accueillir le seigneur d'Ancenis comme on l'aurait fait d'un vulgaire invité à peine toléré, bien qu'il n'eut pas droit, à son grand agacement, aux honneurs du futur seigneur des Vignes. Tout près du seigneur Semoras, il put discuter à l'envi des sujets qui l'amenaient. Ils avaient tous deux appris la rébellion d'un puissant de Hautval, et leurs réactions semblait aller en un même sens.

Le vassal déchaîné semblait se faire un plaisir d'attiser la rancoeur d'une populace prompte à la violence, libérant ainsi le pire fléau que la société féodale eut pu connaître : la jacquerie. La noblesse avait toujours dominé et contrôlé, à défaut de maîtriser réellement, les forces armées que les fiefs entretenaient. Nourrissant de nombreux chevaliers, souvent des parents ou des proches, ils s'assuraient que ces deniers réprimaient sévèrement les velléités des vilains qui, s'ils commençaient à s'armer, bouleverseraient l'ordre établi par les dieux, saccageant les châteaux, les champs et les bourgades.

Les chansons faisaient peu de référence aux rébellions paysanes, mais aucun aristocrate ne pouvait réfréner ce frisson qui lui parcourait l'échine lorsqu'on parlait de l'insoumission de la gueusaille. Piétaille ingrate et sauvage, qui ne comprenait que le bâton... Bref le seigneur Aemon aurait volontiers pactisé avec le fidèle vassal si ce dernier n'avait pas exhorté les masses à la violence qu'ils essayaient, lui comme ses ancètres et ses pairs, de réserver aux gens d'épée et de bon sang.

Aussi le baron se contenta-t-il d'affirmer, au côté du baron d'Olyssea, sa volonté de protéger le fief des Vignes, non pas en tant qu'envahisseur ou pillard, mais en tant que protecteur, de par son sang, de la baronnie de Hautval tant que Charles, disparu dans des circonstances alarmantes, ne réapparaîtrait. Rappelant ses prétentions, il rappela également les faits : la mort de l'unique héritière de Hautval par quelque monstruosité était un avertissement divin. On ne devait point laisser seigneurie sans seigneur, sous peine de voir chaque vassal oublier la coutume et démêler les liens complexes mais forts qu'unissaient le royaume par le vasselage et la parentèle.

Discourant sur la noblesse et les liens féodaux, il n'en négligea pas moins le Conseil, auquel il envoya ses respects sans pour autant formuler une quelconque demande, bien que ses souhaits devaient être, à l'heure qu'il est, connus de tous.

Des estafettes arrivèrent durant la réunion des deux nobles pour les prévenir de la récente évolution des choses : Yquem de Marc semblait avoir rencontré un franc succès dans la frange populaire du Nord-Ouest d'Hautval. Des hommes le rejoignaient d'heures en heures. De Marc clamait qu'il ne faisait que défendre la terre de son baron contre les envahisseurs.

Du côté du Conseil, les réponses furent courtoises mais peu à même de faire évoluer les choses : les membres du Conseil étaient apparemment dans l'attente d'une évolution des choses pour prendre parti...

Un membre du Conseil se démarqua néanmoins par la virulence de sa missive, un certain Johann de Malbrond : il se disait scandalisé par cette intrusion en armes dans Hautval, qui "se protégeait très bien d'elle même avec sa milice et de surcroît si loin du front qu'elle n'avait rien à craindre".

Semoras avait vu les choses en grand, désireux de s’attacher l’affection de la noblesse des vignes, il avait veillé à ce qu’elle ne se trouva point installée aux côtés des Ancenois mais plutôt de celui des Olysséens. Enfin, on servait aux invités une spécialité d’Olyssea : les cochons de lait à la Kahark. Une merveille gastronomique et peste diététique dont l’apport calorifique aurait suffit à nourrir tout le delta et ce pendant plus d’une semaine. A ce festin se mêlait également une compétition entre les différents aristocrates, chacun s’efforçant d’affirmer la supériorité de son vignoble, surtout sur celui de son voisin.

Les jongleurs, bateleurs, dresseurs et musiciens, quant à eux, étaient chargés de faire oublier, un temps du moins, la guerre et donner l’impression qu’ils célébraient le renouveau sur le trône de la baronnie. Car Semoras le savait : s’attacher l’affection du peuple et de la noblesse lui serait nécessaire. Néanmoins, une autre tâche d’importance retenait son attention : éliminer, d’une manière ou d’une autre, les contestataires.
« Bel ami ! » lança-t-il à l’adresse d’Aemon d’Ancenis « Je suis fort heureux de ta présence ici. Les hommes respectueux se font si rares de nos jours. L’on croit parfois assister à un abâtardissement de la race. » Il marqua une pause, le temps d’humidifier ses lèvres et de laisser son vis-à-vis déduire que ces flatteries n’étaient pas là sans raison, avant de continuer « Comme tu le sais, un dénommé Yquem de Marc quitte le cercle des gens de raison pour s’en aller exciter la gueusaille ! Voila ce qu’engendrent ces associations contre nature, au pouvoir, avec des roturiers. » D’un geste ample, il désigna la salle « Mais l’espoir demeure ! Combien de nobles sires réunis ici ? Beau seigneur, joins toi à moi afin de faire régner l’ordre sur ces terres ! Montrons-nous dignes de notre rang et honorons Charles en veillant à ce qu’un sot ne sème le chaos au sein de la baronnie. »

Quelques serments furent prêtés, de viriles accolades données et le borgne accepta.

Ils eurent tôt fait d’annoncer alors à leurs braves que, dès demain, ils résoudraient les troubles qui agitaient le nord-ouest. Tous trinquèrent à cette nouvelle, soulagés d’apprendre qu’ils n’auraient pas à s’entretuer d’ici quelques heures, et fêtèrent cela dignement.

Le lendemain, ce fut unis que les osts sortirent de la cité, Semoras laissant néanmoins derrière lui quelques hommes au sein de la place forte, afin qu’un adversaire ne profite point de son absence pour s’en emparer. Il avait également ordonné qu’un héraut se charge, peu après leur départ, d’annoncer qu’il se chargeait de pacifier la baronnie afin que nul n’ait à souffrir de l’ambition d’Yquem de Marc. Le peuple pouvait se révéler un appui solide, il en avait conscience, aussi jubilait-il intérieurement de voir sa bannière, mêlée à celle de Hautval, flotter sur le donjon.

[hrp : Semoras laisse 50 hommes d'armes, 50 archers et 5 chevaliers au chateau]

Les deux ostes s'étaient mises en mouvement rapidement. On aurait dit que les deux seigneurs avaient déjà oublié les amères querelles qui les opposaient ici même, à Hautval. Telle est la chevalerie : querelleuse mais encline au pardon. Un pardon bien précaire il est vrai. Les cendres jamais ne s'éteignent, et les braises, si elles embrasent le coeur des hommes libres, peuvent dormir des générations avant de se réveiller, attisés par quelque dispute neuve qui serait bientôt ensevelie avec les autres.

Mais pour l'instant, les deux barons marchaient contre Yquem côte à côte. Le loup olysséen et la chouette ancenoise claquaient ensemble, porté par des bannerets et des chevaliers excités par les retournement de ce qui s'annonçait être une gentille guerre féodale. Il y aurait des chansons à faire, du sang à verser, des rançons à prendre.

On se déplaça vite, exalté par l'odeur de la bataille que l'on croyait future. Arrivées bien vite sur l'ennemi qui s'amusait encore à réveiller les gueux d'une torpeur dans laquell ils auraient dû rester pour toujours, les armées contournèrent rapidement le noble insoumis. On entendait les chevaux piaffer, tapant du pied. Ils sentaient la tension qui montait, voyant les écuyers armer les destriers des chevaliers les plus riches.

Cependant, les seigneurs, qui n'avaient plus l'âge des plus jeunes et un équipage à protéger du hasard de la guerre, parlèrent tous au nom de la parole et de la négociation. Les deux barons furent d'accord. Bien qu'Aemon crachait sur ces nobles qui s'autorisaient les pires licences parmi leurs gens, il savait la valeur du sieur Yquem, avec qui il avait déjà bataillé ainsi que bu. Et tout, dans la société, devait être réglé par la parole. Bien sûr, si le vieux chevalier ne reconnaissait point les droits des deux maisons, s'il persistait dans ses insultes, son amende serait salée. Ainsi que ses terres, d'ailleurs.

"Doux seigneur, il nous faut parlementer. Je n'irai pas tremper ma lame dans le corps du brave Yquem sans essayer de lui faire entendre raison. Nous sommes ici car la baronnie ne peut rester sans autorité, sinon le chaos s'installera et c'en serait fini de la paix à nos frontières. Comme le roi, qui nomma quelque chevalier pour suppléer Charles le disparu et assurer les honneurs qu'il lui a confié, nous nous devons de protéger son fief et, si les dieux en juge, le fief de nos héritiers, afin que les germes de la sédition et de la violence ne naquissent jamais."

La marche vers la zone Nord-Ouest de la baronnie se fit sans trop d'encombres. Néanmoins la noblesse d'Hautval qui avait jusque là suivi le baron d'Ancenis se fit de plus en plus clairsemée dans la colonne. Partant par petits groupes de deux ou quatre hommes, à la faveur des bois ou de la nuit, les soldats d'Hautval ne furent bientôt plus qu'une poignée à suivre le train de marche. En effet, peu d'entre eux désiraient combattre Yquem de Marc, qui était un des membres les plus respectés et écoutés de la noblesse d'Hautval. Et un redoutable combattant qui est plus est...

Trois jours après le départ de Hautval, la ville, un cavalier vint au devant la colonne armée, portant les armes de Marc. Le héraut exprima les intentions de son maître pour mener discussion...

Pendant ce temps là, les éclaireurs d'Ancenis et Olyssea revinrent avec quelques informations sur la zone abordée : le terrain était des dégradés, avec de nombreuses collines recouvertes de bosquets propices aux embuscades...Yquem de Marc jouait sur son terrain...

Le sire d’Olyssea soupira et lâcha, tandis qu’ils chevauchaient entourés de leurs fidèles, au baron d’Ancenis « En voila un beau lâche ! Se terrer dans la forêt comme un vulgaire brigand après avoir excité la jacquerie ! Et ça se prétend attaché à de nobles convictions ? Pouah ! » et le borgne de renchérir : « Technique ignoble s’il en est, dénotant un réel manque d’éducation, une pratique aussi vile que ses gens, à vrai dire. » Toujours est-il qu’Yquem de Marc fut rapidement moqué au sein de toute la chevalerie et que la piétaille ne se fit pas prier pour suivre. Bientôt, il ne fut plus nommé que par l’appellation d’ « Yquem le trappeur » et c’est confiantes que les forces ancenoises et olysséennes s’avançaient.

Aussi, lorsque le messager se présenta, c’est face une noblesse relativement amusée par l’escapade qu’il se trouva confronté. Le Soleil étant déjà bas, les deux barons lui répondirent en chœur « Dis à ton brave maître que nous serons honorés de le rencontrer dès demain. Nous ne saurions bâcler telle entrevue et l’astre lunaire ne tardera plus, aussi patienterons-nous un peu. » L’homme s’inclina bien bas et s’en repartir rejoindre son suzerain.

« Dites aux éclaireurs de garder un œil sur les différents bosquets, qu’ils tâchent de voir où part ce malandrin. Une armée ne demeure pas discrète bien longtemps, d’autant que nous venons ici en paix, n’est-il pas ? » Une explosion de rires méphistophéliques accueillit les dires du baron. Il s’adressa alors à son écuyer, Malrys « Charge-toi de veiller à ce que nous ayons de quoi entretenir de multiples feux. Tu sais quoi quoi dire à Aurys. »

Lentement, la compagnie s’installa sur une colline d’herbe verte, d’où l’on disposait d’un point de vue agréable sur la région. La chevalerie se régala de mets d’Olyssea comme d’Ancenis, le tout arrosé de vin de Hautval, amusée par les chants des bardes et les danses de femmes de petite vertu qui suivaient l'armée.

Les deux barons, telles d’imposantes sculptures des temps anciens, dégageaient une aura de confiance sur ceux qui les entouraient.

Il avait connu Yquem, un peu. Dans le temps. Un homme solide, un bon guerrier. Cela n'empêchait pas Aemon de maudire sa lâcheté, de le traiter de singe, préférant se cacher dans les arbres plutôt que d'accepter de venir palabrer dans les plaines, comme le doivent les hommes de la noblesse. Bien sûr, tout cela n'était que mauvaise foi. Aemon, en baron mais également en chevalier, aurait sûrement agi de même.

En effet, le seigneur de Marc était largement en sous-effectif, d'après les dires des différents éclaireurs, espions ou simples paysans, et il devait compter sur le terrain s'il voulait avoir quelque chose à négocier demain, voire remporter une victoire sur les forces des barons. Sans oublier qu'il devait surtout composer avec la gueusaille, peut-être même des gens de cordes, plus habitués à la forêt qu'un fils de famille, plus redoutables qu'un chevalier une fois entourés d'arbres, guettant l'ennemi près des sentiers d'ânes.

Pourtant, il ne pouvait pas accepter cet état de fait. Inciter les paysans à rejoindre l'affaire, comme si cela les regardait d'une quelconque façon ! Pourquoi les barons ne demanderaient-ils pas l'avis de la racaille lorsqu'ils voulaient marier leur fille, tant qu'on y était ? Cela faisait bouillir de colère le baron qui, à cette situation, réagissait avec peu de tempérance. A présent, il ne guerroyait plus contre des pairs, des chevaliers de bon sang, il s'assurait que la révolte des petits soit dûment écrasée. Ici, pas de pitié, de quartier ; pas de quoi que ce soit. Aux grands maux, les grands remèdes.

Et devant ce terrain gibbeux, couvert d'une flore traîtresse, il n'existait pas beaucoup de remède. Aemon, une fois la discussion reportée, passait dans ses rangs et ceux de son allié, comme un loup affamé. Il scrutait tout de son oeil unique, acéré. Il se fit confirmer plusieurs fois que le camp était sûr, jeta des regards à transpercer une armure sur quelque gens d'armes pas assez alertes. Il en vint même à frapper un chevalier qui commençait à avoir la main lourde sur l'alcool.

Ce dernier, un partisan d'Olyssea, se rebiffa un instant, mais devant le visage dur du baron, il se résigna, lâchant son verre de Hautval. Aemon, profitant de l'occasion, prit le reste de la noblesse à partie. Il rappela, avec un dégoût clair, les manières dont usait Yquem, et fit savoir son point de vue sur la question. Ils n'avaient pas affaire à des soldats, des chevaliers et des seigneurs, mais à des rebelles. Des paysans qui s'étaient levé contre des nobles. Le discours était redondant mais trop animé pour qu'un seul d'entre eux ne l'interrompît.

Le lendemain, bien avant l'aube, Aemon était parmi les premiers levés, arpentant le camp en continuant son examen impitoyable, un rictus planté sur son visage. Beaucoup de choses allaient de travers depuis quelques jours ; mais si un noeud gordien devait se former, alors il le déferait à grand-coup d'épée.

Le lendemain matin, un petit parti de cavaliers vint à la rencontre du campement des coalisés. Une vingtaine de cavaliers tout au plus, portant néanmoins harnois et lances. L'un des chevaliers tenait une bannière. La Vigne et le Lion sur fond pourpre y siégaient : la bannière d'Hautval. Un autre oriflamme, plus petit, présentait un griffon sur pourpre. Yquem de Marc signifiait son existence mais se posait comme représentant du baron...

La colonne arriva bientôt devant les barons d'Ancenis et d'Olyssea. Un homme se détacha du groupe, s'avançant en faisant marcher son cheval à l'amble, avec la maitrise du cavalier consommé. L'homme releva le bassinet de son heaume. Un barbe grise et deux yeux perçants surgirent.

"-Bien le bonjour doux seigneurs...je suis ici pour vous demander de rentrer en vos domaines avec vos armes et vos ambitions."

Yquem restait sur son cheval, signifiant bien son intention de ne pas plier devant les envahisseurs.

"-Et vous suggérerait de le faire bien vite...que les troupes dépendant de Sainte Berthilde entre en duché d'Erac en violentant femmes et pillant hameaux n'a pas été bien vu. Le duc, son ton devint légèrement ironique à la suggestion du Roi, enverra sous peu un des ses hommes pour régler cette fâcheuse affaire...Si vous aviez vues sur Hautval, y pénétrer avec armes et bagages avant même d'entamer des négociations fut une erreur grossière..."

Le vétéran se distinguait souvent par sa franchise plutôt directe et brutale...

Les yeux du baron parcouraient lentement les blasons des hommes composant la suite d’Yquem de Marc. Jamais il ne les oublieraient, ils pouvaient en être sûrs. Ceux qui avaient osé exciter le tiers-état, le mêlant à une querelle qui ne le concernait aucunement. Non, ces familles qui se déshonoraient resteraient gravées dans la mémoire de Semoras. Des inconscients qui souhaitaient mener une guerre mais néanmoins dépourvus de gens de nobles naissances. Cependant, entre temps, il lui faudrait composer avec eux. Il écouta donc attentivement la tirade du vieux chevalier, lui répondant, en hypocrite virtuose, par un sourire franc. Ce n’est que lorsqu’il eut terminé qu’il ouvrit la bouche à son tour :

- Noble ami, nous sommes fort aises que vous veniez nous voir ! Il nous sera ainsi possible de discuter entre gens de bien. Croyez bien que nous sommes navrés que la piétaille puisse endommager les terres de notre parent mais, comme vous le savez, la soldatesque n’a pas pour compétence de traverser un champ en évitant de piétiner les jeunes pousses.

D’Olyssea eut alors un petit rire et lança à Yquem :

- Néanmoins je dois reconnaître, bel ami, que je suis surpris de vous voir étonné de la présence de mon blason ici. Que je sache, les liens familiaux transcendent les frontières. Alors qu’y a-t-il de surprenant, après une disparation tragique, que la famille se réunisse ? Je ne suis pas ici pour représenter par le marquis, mais la famille d’Olyssea.

Son air se fit alors plus grave

- Et puis…vous n’êtes pas sans savoir que, malgré le fait que nous soyons au centre du royaume, la baronnie n’est pas sûre, preuve en est la mort tragique de la fille de mon parent, Charles.

Il eut alors un sourire condescendant

- Pourtant, je comprends vos doutes, qui vous honorent, et les respecte. Je condamne cependant la réaction qui fut la vôtre d’exciter ainsi la jacquerie. Ils n’ont rien à dire sur les successions de noblesse, le contraire n’est même pas envisageable. Cette affaire ne les concerne donc en aucune manière. Toutefois, je tiens à préciser certaines choses, nous ne sommes pas venus ici « voler » les terres d’un voisin, mais simplement prendre un héritage qui nous revient de droit. En quoi des négociations auraient-elles été nécessaires ? Depuis quand demande-t-on une autorisation pour ce qui est un dû naturel ? Serment de vassalité sera prêté au duc d’Erac, comme il se doit, mais la présente affaire concerne les familles imbriquées dans la généalogie de Hautval, et uniquement elles.

Son regard se fit plus autoritaire et il déclara d’un ton solennel :

- Quant à vos dernières réticences, sachez que s’il advenait que mon parent, le sire de Hautval, soit toujours en vie, alors immédiatement nous lui rendrions la place qui lui revient de droit mais si glorieuse contrée ne saurait demeurer avec un trône vide, il est donc du devoir des héritiers légitimes de faire face à leurs responsabilités.

Intérieurement, Semoras ne pouvait s’empêcher de s’interroger sur le roi. A quoi jouait-il ? Jusque là le sire d’Olyssea ne s’était jamais trop mêlé des affaires de ce dernier, alors que sa légitimité était infiniment plus fragile que la sienne concernant Hautval.

Aemon comptait parler, mais ses parents, qui étaient moins fâchés après Yquem que lui, lui conseillèrent de n'en rien faire, et de laisser le baron d'Olyssea parlementer. Si jamais il ouvrait la bouche, Aemon risquait bien, dans les quelques instants qui suivraient, de défourailler et mettre un peu de plomb dans la tête du vieillard. De l'acier, pardon, et non du plomb. Du bon acier de château.

Aussi écouta-t-il le discours des deux hommes de guerre, fulminant de voir qu'Yquem les méprisait au point de ne pas venir s'asseoir avec les deux compères. Il devait être tombé amoureux de la gueusaille pour traiter son sang ainsi. Il rêvassait, porté par les accents hypocrites de Semoras, imaginant ce jour où, dans un futur si délicieusement proche, il verrait Yquem, ce brave ce fidèle Yquem, ployer genou devant sa nièce, tandis que lui, un sourire trimphant sur ses lèvres acérées, il contemplerait le spectacle de son humiliation.

Cependant, un mot d'Yquem fit tourner sa bile. Un roi envoyait quelqu'un... Voyez-vous ça. Sûrement quelque noble de robe qui venait lui annoncer que l'héritier de Hautval, d'après le parchemin qu'il tenait là, n'était autre que Trystan d'Erac. Maudit roi de vélin. Une moue haineuse se dessina sur son visage, qu'il ne tenta pas d'atténuer en présence du rebelle. Beaucoup de monde semblait vouloir Hautval, ou du moins qu'il n'atteigne pas Hautval. Ses plans devaient changer.

De Marc répondit aux paroles du baron d'Olyssea d'un ton sec et cassant, crachant presque ses mots.

"-La sûreté interne d'Hautval n'est pas menacé par la disparition de son baron. Vous savez fort bien que la mort de sa fille ne tient pas à un manque de troupes. Ce qui a commis cette atrocité n'est...pas humain. J'ai vu la dépouille de mes yeux messire. Un garou ou une abomination venues des pires abysses de notre terre...Toujours est-il que nous autres gens de Hautval savons tenir l'épée pour protéger nos terres et nos foyers."

Les cavaliers à la suite d'Yquem se resserèrent, leur harnois cliquetant l'un contre l'autre tandis qu'ils posaient main sur le pommeau de leur épée :

"-Si succession il y a et querelle vous avez pour devoir de présenter arbitrage au duc...et point d'entrer avec vos forces pour répandre malemort, pillage et violenter nos compagnes."

La monture du vétéran piaffa un instant, excitée par la vue des armes et de temps d'hommes :

"-Il n'y a point jacquerie. Les vaillants hommes d'Hautval qui m'ont rejoints ne sont que de la milice instituée par le paternel du baron Charles de Hautval. Dirigés par leurs seigneurs et maîtres."

Le seigneur de Marc termina, faisant déjà volter sa monture :

"-Je ne tiens point à contester votre droit d'héritage. Mais le baron m'a confié cette terre à son départ pour Diantra, m'ordonnant de la garder telle qu'elle était. Daignez attendre un jour et une nuit encore l'arrivée de l'émissaire du duc. Ce délai passé je dirais à mes gens de rentrer en leurs terres. Avancez vous dans ces terres dans la journée qui va suivre et vous pourrez apprécier la valeur des hommes d'Hautval quand ils se battent dans leurs vignes natales."

La colonne volta alors pour repartir au triple galop, disparaissant derrière un vallon.

Yquem les abandonna comme l’on dispose d’un contingent de mercenaires après lui avoir donné ses instructions. Qui était-il pour traiter ainsi plus nobles que lui, pensa Semoras. Non loin, alors que le vieil homme s’apprêtait à sortir du camp, d’Olyssea avisa Aurys qui, son arc, comme celui de ses gens, déjà bandé, attendait le signal. « La tête n’est qu’une infime partie d’un corps mais coupez-là et c’est le tout qui s’effondre… » murmura le baron. De Marc était à la portée idéale. Une pluie de traits s’abattrait sur lui et ses gens, sans doute parmi les plus fidèles, et nul doute que la révolte s’effondrerait d’elle-même même. L’on avait beau dire qu’un crime atroce pousse à l’insurrection, il n'en demeure pas moins qu'il faut un meneur pour donner forme au soulèvement.

Voila le capitaine Aurys, et sa compagnie, qui pouvaient, à l’instant même, abattre une figure historique des Vals et tuer dans l’œuf le conflit armé. Le vieux chevalier avait pris un risque démesuré en se présentant ainsi, allant jusqu’à pénétrer au sein des lignes des deux barons. La mort, était la seule récompense de la bêtise. Nul remords n’agitait Semoras à l’idée d’éliminer ainsi le gêneur. Il adressa un signe à Aurys.

L’officier hocha la tête et aboya un ordre.

Affalé sur son siège, dans sa tente de commandement, le baron était en pleine réflexion, à la recherche du moyen qui lui serait le plus profitable de résoudre le conflit. Il avait ordonné à ses hommes de ne pas abattre Yquem, laissant la vie à ce dangereux grain de sable. Qu’importe. D’ici demain, de Marc renverrait ses hommes et leur ardeur, s’il les mandait à nouveau, serait bien moins grande qu’actuellement. Le roi était la nouvelle urgence. Le sire de vélin était bien capable de s’inventer de nouvelles prérogatives et le conflit qui opposait les barons jouait en leur défaveur.

« Malrys, fais savoir à Ancenis que je désire m’entretenir avec lui et ah…trouve moi Audoin. »

Une décille plus tard, c’est un borgne fulminant encore de l’affront d’Yquem qui pénétra dans la tente. Au moins étaient-ils d’accord sur un point, pensa d’Olyssea.

« Bel ami ! J’ai à te parler » commença Semoras. Il lui indiqua un siège et lui tendit une coupe de vin, que l’homme repoussa d’un geste de dénégation. « Ce vieux démon d’Yquem, que les Abysses l’engloutissent, nous a appris une bien sombre nouvelle. Sa « majesté » se propose, que dis-je, s’impose, pour arbitrer notre petit différend » Il prit le temps de marquer une pause « Nul besoin de faire appel aux augures pour deviner les jours sombres que cela annonce. »

Le baron jouait négligemment avec son sceau, pensif, tout en continuant « Montrons-nous lucides, noble compagnon, nous ne saurions endurer à la fois une révolte armée, une opposition bourgeoise et les intrigues royales en plus de notre désaccord sur cette affaire. »
Un changement fugace s’opéra sur le visage du borgne, de l’intérêt ? « Le temps nous est maintenant compté, après quoi ils n’auront plus qu’à jouer sur notre mésentente pour mieux s’affranchir des traditions et nous infliger leurs volontés. »

D’Olyssea gratifia Aemon de son sourire le plus hypocrite « Tu avances une héritière, moi un héritier. Unissons-les! Renforçons les liens de nos familles. Et avançons, unis, face à l’adversaire… »

Les manigances du roi ne disaient rien qui vaille au baron, qui ruminait dans sa tente une rencontre aussi désagréable que laconique. Marc ne s'était pas fait des amis, ces derniers jours, et personne ne serait là pour le protéger, lorsque la tempête se calmerait. Cette pensée éveilla un sourire malévole sur le visage rongé par la barbe d'Aemon.
"Seigneur."
Un grognement.
"Seigneur, mon maître désire avoir une entrevue avec lui."
"Eh bien qu'il entre."
"... Sous... Sous sa tente, seigneur."

Le baron explosa, et l'estafette reçut bien malgré lui un coup de gantelet en pleine mâchoire. Une fois ce dernier tombé sur les tapis du borgne et une fois le seigneur redevenu calme, il grinça un "bien" au messager et se dirigea sans cérémonie vers le quartier général. Il entra lentement, scrutant l'homme qui le convoquait et ne répondant pas à ses signes de bienvenue. Il se contentait de fixer froidement le baron, entendant les constats et arguments de son orgueilleux voisin. Ce manque de façon qui semblait caractériser la noblesse de la région et l'outrecuidance qui l'accompagnait irritait passablement le seigneur d'Ancenis, qui répliqua à la proposition de son compagnon sur un ton glacial.

"Bien. Vous proposez un mariage." Le baron embrassa le décorum de la tente d'un air absent, se donnant le privilège de quelques instants d'un silence opressant. "Reconnaissez la légitimité de ma nièce sur Hautval, et je la marierai avec votre neveu. Ma nièce y gagnera ses terres, et votre neveu dirigera Hautval, sous notre tutelle commune. Est-ce entendu ?"

Semoras gratifia le borgne d’un sourire machiavélique et lui se contenta de répondre « Voila qui est réglé. »

Bien sûr, la reconnaissance de légitimité, tout comme les fiançailles auraient lieu en même temps. Le mariage, quant à lui, suivrait de peu. Pas question de laisser à cette vipère ancenoise jouer de cette reconnaissance, pensa-t-il. Les troupes olysséennes tenaient Hautval. Si Aemon le trompait, le seigneur au loup le lui ferait regretter amèrement, par quelques bonnes livres d’acier dans le corps. Les deux ennemis d’antan allaient devoir régner de concert. Intérieurement, ils rageaient mais mieux valait un partage qu’une perte totale.

Après une courte campagne dans le but de calmer l’insurrection, ils levaient le camp, sans avoir pu sortir les armes du fourreau mais, néanmoins, avec une nouvelle qui allait réjouir la troupe. Durant les préparatifs de leur retour sur la place forte du Val, le baron d’Olyssea se fendit d’une missive à l’égard d’un correspondant dont le soutien pourrait lui être fort utile. Il remercia également un messager, à la mâchoire encore douloureuse, par quelques piécettes. Semoras avait bien eu conscience de l’envoyer à l’échafaud, mais choisir le cadre de ses échanges avec son voisin était un petit plaisir dont il se délectait volontiers.

Tandis qu’ils prenaient la route, le seigneur au loup dépêcha une estafette à destination de Hautval, afin d’y préparer et y diffuser la rumeur de réjouissances. Même dans cette alliance, le baron était soucieux de son image. S’il devait placer son neveu sur le trône, Semoras devrait veiller à ce qu’il y soit bien solidement assis. Son regard courut un instant sur l’armée marchant à leurs côtés : oui, l’assise serait solide.

L'affaire était entendue, bien qu'elle n'enthousiasmait ni l'un ni l'autre. Enfin, Aemon avait l'expérience de ces situations, et il savait que la patience et les compromis faisaient beaucoup dans ces moments-ci. Le baron au loup n'était de toute manière pas un mauvais bougre. Plutôt bel homme et encore jeune, il était célibataire, rongé par l'ambition, certes, mais un bon parti quand même. En ces temps où la noblesse périclite, il ne serait pas bon se mettre à dos les hommes qui avaient encore un peu de valeur.

Aemon proposa de renvoyer, une fois loin du seigneur Yquem, les armées à Hautval, où les hommes pourraient expliquer la situation, déclarer la résolution de la querelle entre les deux seigneurs et aider à la préparation du banquet en l'honneur des fiançailles des deux maisonnées. Il ordonna également à une poignée de ses hommes de partir dans l'Ancenois et d'y apporter quelques victuailles. Le baron comptait bien se mettre Hautval dans la poche, affermir la position des deux familles au sein des Vaulx, afin d'écarter toutes les velléités que pourraient entretenir les autres seigneurs, notamment royaux. Il conseilla au baron Semoras d'en faire de même.

Ceci fait, les deux seigneurs convinrent qu'il serait de bon goût de visiter les différents vassaux du Val, afin de leur annoncer la nouvelle et de les pousser à venir à Hautval pour cette fête. Bien sûr, rien à voir avec la disparition du baron Charles de Hautval. On était pas en train d'introniser son successeur. Non, puisque Charles n'était pas mort. Cependant, deux familles puissantes et ayant des droits sur ce fief allaient s'allier au centre de Hautval. Un héritier était né, un héritier légitimé tant par son sang que par ses alliés, Ancenis et Olyssea. Charles de Hautval n'était certes pas mort, mais si jamais il ne revenait pas, on savait qui régnerait. Et il ne vaudrait mieux agir de telle sorte que les hypothétiques futurs maîtres des Vaulx en gardent rancoeur... Et puis, ces derniers ne leur demandaient pas de lever les armes contre quelqu'un, non pas ! Ils les conviaient à des fiançailles. Il n'était pas ici question de politique, oh non ! juste de la célébration de fiançailles.

Ainsi, la traversée de Hautval commença.

Le retour à Hautval se fit sans encombre, les troupes traversant les terrains vus quelques jours auparavant sans subir aucune attaque ni désagrement. Yquem de Marc passait pour être des plus déstabilisé par la réaction des seigneurs d'Olyssea et d'Ancenis, qui faisait içi preuve d'une habilité politique impitoyable et sans faille.

Les émissaires du duc était néanmoins déjà sur les talons de la colonne. Mais un tant soit peu retardés par les préparatifs des troupes d'Erac, qui entrèrent en Hautval accueillie par un Yquem de Marc fulminant, la délégation menée par Hannibal de Roch ne parvint à Hautval qu'après l'arrivée d'Aemon et de Semoras. Alors que ces derniers s'apprêtaient à faire célébrer les fiançailles.

Ainsi...

[Ordre : Hannibal, Semoras, Aemon, Astéride (elle est là ? IRP et HRP en fait^^.), Ciaran]