Expériences à bord du "Comte d'Ydril" [privé]

Trois heures maintenant, trois longues heures qu’il croupissait dans cette geôle au sol recouvert d’acide urique avec pour seule compagnie les cris de ses compagnons. Malaq avait beau remuer la chose dans tous les sens, la raison de sa présence à bord de ce navire tout droit sorti des bas-fonds des abysses demeurait un mystère. Lui et les siens étaient partis pêcher, comme ils le faisaient bien souvent, et jamais auparavant ils n’avaient connu le moindre ennui. Des pêcheurs sans histoires, voila ce qu’ils étaient. Pourquoi ce navire les avait-il abordé si ce n’était pas dans le but de les réduire en esclavage ? Un courant d’air chargé de saveurs marines vint lui fouetter le visage. Quelqu’un descendait dans la cale. Son sang se glaça lorsqu’il reconnut la démarche. La chose qui descendait n’était pas humaine. Cette gueule fournie en crocs acérés…un gnoll.

« Vous ne tirerez plus rien de celui-là…je l’emporte pour les hommes…vont grogner…l’est salement amoché…plein de bon jus perdu rarrk ! » lança-t-il de sa voix moqueuse à l’adresse du capitaine. Le marin se recroquevilla dans sa cellule. L’officier allait venir en choisir un autre, comme à chaque fois que son « animal » venait « débarrasser ». Des pas se firent entendre dans la coursive. Par les Cinq, qu’il avait peur ! On fit jouer des clés dans une serrure…pas sa geôle, pas la sienne !

Un soulagement morbide s’empara de lui. C’était son voisin que l’on trainait désormais sur le sol, qu’on emmenait contre son gré sur la table encore rouge du dernier « invité ». Le sang-mêlé parlait, s’adressait à sa nouvelle victime. Malaq tendit l’oreille, malgré sa peur qui le pétrifiait il avait besoin de comprendre, pourquoi enfermer un équipage de pêcheurs, ils ne possédaient rien de valeur !

« …yeux. Les flux, c’est la clé, les percevoir avec une netteté, une précision scientifique…ces idiots bannissent ceux qui pratiquent mon noble art, se ferment à mes hypothèses, ils préfèrent croupir dans leur mare d’ignorance, s’entêter dans leur médiocrité…mais peux-tu comprendre ça ? J’en doute »

Le chant lugubre d’une dague tirée de son fourreau, bientôt suivi d’un hurlement, couvrit la suite du monologue. L’odeur du sang, elle flottait dans l’air maintenant. Des sanglots résonnèrent dans une cage voisine. Malaq sentit son estomac se retourner lorsqu’un cri, à la limite de la folie, fit écho à des émanations de chair grillée. Il dégobilla alors tripes et boyaux au rythme des lents balancements du navire, qui s’éloignait sans doute toujours plus des côtes de Diantra.

Que leur voulait ce capitaine Kjall ?

« Rwhark, va m’en chercher un autre ! » clama le demi-drow.

Sombre ombre s’agitait fiévreusement, au gré de la faible lueur prodiguée par les bougies plantées çà et là, tandis que le sorcier paraissait plongé dans l’étude de symboles cabalistiques tracés sur les pages jaunies d’un antique grimoire, dont la rédaction remontait sans doute à des âges oubliés. Ils avaient attaché Malaq à même la paroi de bois dur, de solides lanières de cuir lui ôtant toute liberté de mouvement. Néanmoins, ce qui l’effrayait par-dessus tout, c’était cet étrange assemblage de ferraille qu’ils lui avaient accroché sur le visage et qui maintenait ses paupières grandes ouvertes. Il aurait tant voulu détourner le regard…

Sur la table, gisait un corps auquel on s’était attaché, avec une grande minutie, à retirer toute parcelle d’humanité. La chose était sans forme, sans sexe et sans âge. Pourtant, elle continuait de vivre. Péniblement, elle ouvrit une bouche de laquelle s’échappa un liquide noirâtre, avant d’articuler avec difficulté « …uez moi…pitié.. » Pourquoi le forçaient-ils à être témoin de l’odieux spectacle ? L’être torturé roulait des yeux fous, qui semblaient déjà voir les démons de l’au-delà.

Le mage, quant à lui, n’accordait pas la moindre attention à ces lamentations. Il était absorbé dans la copie de formes entrecroisées aux significations obscures, murmurant d’une voix caverneuse des paroles impies. Un frisson glacé remonta le long de l’échine du pêcheur. Qu’attendait-on de lui ? Dans quel but ces sévices…et surtout, allait-il connaître un sort semblable à celui du pauvre ère qui baignait dans son sang, devant lui ?

Un craquement.

Le sorcier lui faisait face, un sourire carnassier au les lèvres.
- Quel est ton nom ? Demanda-t-il d’une voix suintant le vice.
- Malaq…je me nomme Malaq…pitié ! Il sentit ses tremblements reprendre.
- Dis moi Malaq…connais-tu la théorie des fluxs d’Aegh’Renth à la face-de-cuivre ? Et son intéressante reprise par Mwöht’nbhâl l’Ancien ? Quel malheur que tout ce savoir ait suivi la chute de la civilisation qui l’avait conçu…néanmoins, les ruines sont parfois porteuses d’un savoir intéressant, de réminiscences du passé…de l’indexe, il caressa une rocaille étrangement sculptée, qu’il tenait au creux de sa main. Mais tu ne sais rien de tout cela, rien des temples aux idoles blasphématoires, engloutis sous le sable. Peu importe.

Il quitta son prisonnier pour revenir à son sanglant plan de travail. « Vois-tu, la magie est partout autour de nous, dans l’air…mais elle n’est pas répartie de façon équitable… » Le capitaine s’empara d’une fiole aux dégageant de puissantes émanations d’humus avant revenir auprès du pêcheur, tentant de lui en fourrer le contenu dans la gorge.

« Bois ! »

Malaq obéit.