Le soulèvement des neiges { Pv }

L'eau avait coulé sous les ponts depuis la bataille d'Alonna. Pourtant, son souvenir restait vivace parmi les hommes qui ne se sentaient pas des plus victorieux après les lourdes pertes subies. L'Humanité avait enduré la corruption et la magie nécromante des Sombres avec la même délicatesse qu'une salve de mangonneaux.
Anthèlmes n'avait pas perdu beaucoup d'hommes. Malgré tout, chacune des pertes subies lui avaient paru comme une défaite pour lui et un rictus pour les drows. Ignobles souillures de ce monde...

Mais son esprit n'en était plus aux sombres pensées. Le chevalier s'était levé tôt pour s'accorder le luxe d'un moment privilégié avec lui-même, parcourant alors la ville assoupie. Ses pas creusaient la neige avec des gémissements froufrouteux, alors que son long manteau pourpre balayait ses pas avec langueur. Néera devait avoir longuement pleurée les nobles sacrifices de l'armée royale. Toutes ces larmes se retrouvaient métamorphosées en neige par le froid hivernal, et la ville ensevelie semblait accepter le fardeau de ce manteau blanc comme un voile de deuil. Ce matin, tout paraissait magique à Anthèlmes.

Son col de laine resserré autour de sa gorge, il se laissa contempler les nuages qui s'échappaient d'entre ses lèvres. Sa cape écarlate devait lui donner l'apparence d'une flamme au milieu d'un désert blanc, et cette idée lui donna chaud. Sa main gantée de noir effleura la garde de son épée, et des fourmis lui picotèrent le bout des doigts. Il laissa cependant retomber son bras le long de son corps et continua de marcher, ses pas traçant sa route comme si rien n'aurait pu l'en dissuader. Après tout, l'entrainement attendrait. Sa vie n'était qu'une longue suite d'entrainements. Cette petite pause romantique lui aérait l'esprit, et apaisait son esprit d'un naturel si sévère. La flamme continua donc son bout de chemin, avant qu'une autre étincelle n'attire son regard.

Le chevalier cru tout d'abord à des feufollets. Il y avait bien une trainée rouge, là, qui crépitait en hauteur. Ce n'est qu'après un instant qu'il distingua les traits d'une femme dont les vêtements se confondaient avec le blancheur immaculée du paysage. Sa chevelure de braise s'emmêlait avec les mouvements fluides des tissus écarlates, tant et si bien qu'on aurait pu la croire assaillie par quelque esprit élémentaire du feu. Le spectacle s'arrêta soudainement et elle dévisagea l'inconnu, qui n'était autre que le seigneur d'Aurillac.

Elle s'était suffisamment rapprochée de lui pour qu'il lui soit possible de distinguer son visage. Ce dernier était plus fin que la moyenne humaine, et Anthèlmes ne douta pas alors qu'il y eu du sang d'elfe en cette femme. Ses oreilles pointues confirmèrent ses dires.
La demoiselle se rapprochait étonnamment de la description qu'avaient fait les hommes d'une ensorceleuse à la chevelure sanglante qui, durant la bataille d'Alonna, aurait envouté le roi et obtenu un enfant de lui. Le chevalier ferma son visage et la rêverie en disparu.
Pendant un instant, il fut sur le point de se retourner et de continuer tranquillement sa promenade sans s'inquiéter d'avantage de cette inconnue. Il ne bougea cependant pas. Il n'avait rien à dire, mais des mots jaillirent d'entre ses lèvres sans qu'il ne lui soit permis de les retenir.

- Salutations, dame.

Il observa non sans politesse son interlocutrice, évaluant intérieurement si elle avait réellement l'étoffe d'une ensorceleuse. A en juger par le charme naturelle de sa personne, il était tout à fait plausible que les hommes aient raconté plus qu'un simple ragot.
Curieux, Anthèlmes décida de se prêter au jeu. Il n'y avait ni faiblesse ni disgrâce en cet acte, aussi ne lui parut il pas nécessaire de s'en détourner... Au contraire, ses pas écrasèrent à nouveau la neige et il s'arrêta tout près d'Ailen, avant de lui montrer d'un geste galant une rue aux abords accueillant, mais qui ne débouchait sur aucun quartier commerçant -qui serait devenue bien vite trop bruyant-.

- M'accorderez vous le plaisir de votre présence pour un bout de chemin?

Finalement, les deux jouèrent ensemble. Ou peut être était ce Anthèlmes qui se faisait avoir? Difficile à dire pour l'instant.
La jeune femme ne s'était montré ni dédaigneuse, ni désintéressée par cette promenade à fleur de neige. Elle accepta sa proposition et passa ainsi devant lui, le chevalier la suivant alors de près avant de se mettre à marcher à ses cotés. Il y avait maintenant deux flammes dans les ruelles, et l'on aurait presque pu s'attendre à voir la neige fondre autour d'eux.

La jeune femme se présenta alors, répondant au doux nom d'Ailen. Elle avait dit cela de manière très simple, sans fioritures inutiles et sans extravagantes éthiques. Ainsi, même si le code voulait une présentation de la forme " Je me nomme Sire Anthèlmes d'Aurillac, dernier héritier de la famille Aurillac, noble et chevalier au service de la royauté, officier au sein du Librium " et caetera et caetera, sa réponse fut tout simplement:

- Anthèlmes d'Aurillac, pour vous servir.

Une présentation sobre, comparée à celle exigée par son rang. Cela ne le gêna cependant pas et il fut même presque ravi d'éviter ainsi les appellations trop pompeuses qui lui paraissaient à la limite de l'indécence.

Il tourna sa tête de coté, sur le point de dire quelque chose. Il resta néanmoins silencieux, alors que ses yeux observaient ceux d'Ailen. Rouges. Plus rouges que le sang et le feu, ses yeux irradiaient de rouge. D'abord trop perturbé par les cheveux chatoyants couleur braise, Anthèlmes n'avait pas remarqué que les iris de la demoiselles arboraient la même teinte.
Les rumeurs de l'ensorceleuse lui revinrent alors en tête, et il se demanda si le hasard pouvait vraiment faire que, au détour d'un chemin, il rencontre ladite personne dont tout le monde parlait. C'était tellement improbable.

Ils venaient de parcourir une ruelle en silence, et la place où ils s'étaient rencontré n'était déjà plus à portée de vue. Bifurquant sur la gauche, leurs pas les conduisaient vers un quartier résidentiel d'un naturel très calme, où la rumeur de la ville n'est plus qu'un souffle lointain du vent. Le regard du chevalier était fixé devant lui et ses sourcils froncés traduisaient son attitude pensive, qu'il garda jusqu'à ce qu'il reprenne de nouveau la parole. Son ton gardait une note de politesse mais on pouvait aussi y lire un réel questionnement, qu'aucun stratagème n'aurait pu dérober:

- Il est beaucoup de rumeurs qui circulent autour d'un bivouac, lorsque la lune se lève et que le sommeil emporte les moins agités. Les Hommes sont friands d'histoires, elles tissent leurs rêves et occupe leurs esprits, les divertissant d'une réalité parfois trop dure... Trop déplaisante.

Il fixait encore l'horizon, mais toute son attention semblait dirigée vers son interlocutrice. Il ne lui laissa que quelques secondes pour digérer ses paroles introductives, avant de tourner lentement la tête vers elle et de ralentir le pas, s'arrêtant presque.

- Vous sentez vous l'âme ensorceleuse, demoiselle Ailen?

C'était à présent à elle de voir si elle se sentait impliquée par ce pseudonyme. Peut être aurait il pu pavoiser encore quelques ruelles. Peut être sire Aurillac aurait il dû la mener sur des conversation banales, tournant autour du sujet avant de l'y amener avec subtilité et finesse d'esprit. En outre, peut être n'aurait il pas dû être honnête. Malheureusement, cela contrastait comme blanc et noir avec ses convictions.
Ou plutôt comme rouge et blanc.

De toute les réactions possibles et imaginables, se fut le rire que choisit la demoiselle. Il aurait pu être moqueur, "Quelle idée absurde que voilà!", ironique " Vous ensorcellerais-je? ", méprisant " Pauvre naïf! ". Mais se fut un simple rire amusé. Un passant lambda aurait pu croire que ce jeune chevalier là venait de raconter une blague très recherchée à la demoiselle à coté de lui.

- Et bien...

Il n'eut pas le temps de rajouter mot, car Ailen le questionna sur les origines de cette rumeur de "l'ensorceleuse". Ou plutôt devina-t-elle qu'il avait été au lieu même de l'émergence de ces bruits sur son éventuelle liaison avec le roi.
Anthèlmes la cru. Et cela pour deux raisons.
De un, il ne doutait pas de la fidélité de son monarque. De deux, les ragots n'étaient que ce qu'ils étaient: des ragots. Et s'il avait fallu un troisième argument, alors le chevalier se serait fié à la sincérité qui découlait des paroles de la jeune femme de braise. C'était un peu naïf comme jugement, mais Anthèlmes était du bois de ceux qui se fient à leurs impressions.

Il n'entendit qu'à moitié la dernière question de son interlocutrice, et lorsqu'il tourna la tête, se fut trop tard. Une sensation glacée lui mordit le visage avec la virulence d'un coup de lame, et un réflexe purement militaire le fit porter la main à son épée. Mais lorsqu'il dégagea la neige devant ses yeux, il n'eut à contempler aucun assaillant. Il n'y avait plus qu'une jeune fille espiègle dont l'âge était transcendant de toute volonté.
Pour être surpris, il l'était. Comment une âme aussi dénaturée de noirceur pouvait elle avoir abusé d'un homme comme le roi? Non, ça ne tenait pas debout. Ou peut être le noble était il le dernier des idiots de se figurer ceci.

- Vous êtes décidément des plus intrigantes...

A présent sur ses gardes, le chevalier observa attentivement les mouvements de la demoiselle pour éviter une nouvelle attaque en traître.

- J'apprécie la candeur de la neige, mais je ne lèverais pas la main sur la veuve et l'orphelin, cependant.

Un sourire se dessina pour la première fois sur ses lèvres, alors qu'il se justifiait d'une excuse très bancale.
Il reprit, un peu plus sérieux:

- Je suis curieux de connaître vos relations avec le roi. Rares sont ceux qui ont l'honneur de faire parti de sa garde personnelle, même pendant un très bref moment de leur vie.

Il posa enfin une question des plus intéressantes:

- Seriez vous une bonne lame?

C'était sûrement plus qu'une simple impression, mais la jeune femme fut plus amère dans ce discours-ci. Elle s'attendait certainement, suite à la boule de neige lancée, à une forme de riposte et la passivité d'Anthèlmes ne sembla pas lui plaire.
N'était-il qu'un sinistre personnage cloîtré dans de strictes conditions de vies, comme un moine cloisonné dans son monastère? Cette traduction des paroles d'Ailen le fit réfléchir, et mais il réserva son jugement.

D'ailleurs, cela n'aurait servi à rien car la demoiselle continua de poser argument sur argument, critiquant l'allure trop droite et peut être trop sévère de son interlocuteur. Ce dernier était redevenu pensif, mais ne se sentit pas offensé par ces remarques. Quelque part, il ne les comprenait pas. Le divertissement était un luxe en voie de disparition chez le chevalier, et il n'était que trop conscient des lourdes attentes qu'il plaçait en lui-même. Alors quoi, devait il lui dire qu'elle avait raison? Après tout, c'était peut être le cas de son point de vue. Même s'il ne connaissait cette jeune femme que depuis très peu de temps, Anthèlmes avait eu le temps d'appréhender certains points de sa personnalité. Joueuse et vivant une vie au jour le jour... Si elle était passion, lui apparaissait comme la raison. Difficile de se comprendre dans ces conditions initiales.
Pourtant, son ton se fit doux et il lui répondit en ces mots:

- Je vous semble sinistre, n'est ce pas?.. C'est une caractéristique dont j'ai déjà entendu l'écho résonner derrière moi. Je vous prie de bien vouloir me pardonner ce défaut, c'est un trait de ma personnalité. Je vous épargnerais cependant les excuses et les plaintes inutiles pour me justifier.

Il lui aurait fallu raconter sa vie et son chemin parcouru pour mettre à plat les raisons de son attitude réservée mais, à bien y réfléchir, cela ressemblait trop à un moyen d'étaler sa vie sur scène pour impressionner son interlocuteur. Un acte tout à fait répugnant.

D'amère, Ailen devint froide. Une sorte de cascade gelée semblait avoir fondue sur elle lorsque le sir d'Aurillac avait mentionné le titre du Roy Trystan. Et pour lui, que représentait il? Encore une question délicate. Anthèlmes n'était, au final, qu'un officier de son armée. Autrement dit, pas grand chose aux yeux du souverain aveugle.

- Pour être tout à fait franc, je ne suis pas un chien qui cherche la reconnaissance de son maître.

Le reste des paroles de "l'ensorceleuse de braise" confirmèrent les a priori du chevalier concernant ladîte demoiselle: Une femme qui vit de ses passions, quelles qu'elles soient. Certaines d'entre elles semblaient par ailleurs plus morbides, car une étoile rageuse de victoire brilla dans les yeux de la demi-drow lorsqu'elle attrapa et détruisit un flocon d'un mouvement bref.
Demi-drow? Anthèlmes en fronça les sourcils, et jaugea à nouveau Ailen d'un long regard. Si la rumeur se répandait, les hommes pourraient ajouter "perfide Sombre" au titre "d'ensorceleuse de braise" qu'elle portait déjà. Est ce que son aveu direct pouvait être considéré comme une preuve de confiance? Ou était il le dernier des idiots d'y songer?

- Je ne pensais pas qu'on pouvait associer grâce et combativité en un seul corps...

Il reprit doucement sa marche, ses pas contournant le quartier résidientiel qu'ils avaient abordé, les rapprochant petit à petit de la place où ils s'étaient rencontré. Ils empruntaient cette fois-ci une ruelle un peu plus agitée, et quelques bourgeois, marchands et fidèles de Néera vagabondaient pas là.

- J'ai confiance en le jugement du Roy Trystan.
Mais vous continuez de m'intriguer.

Il esquissa un nouveau sourire et détourna son regard de celui d'Ailen pour observer un horizon plus enneigé. Il n'avait rencontré de personnalité aussi particulière depuis bien longtemps, si cela s'était déjà fait. Aussi Anthèlmes éprouvait, même s'il ne le montrait que peu, un sentiment plaisant à discuter avec cette demi-drow qui, malgré le préjudice de sa race haïe des hommes, s'était faîte amie intime de leur souverain et goûtait aux petits comme aux grands plaisir de la vie.
Et puisqu'elle se disait interdite à d'éventuelles questions, le chevalier jugea bon de se montrer simplement interessé, afin de l'inciter à s'ouvrir d'avantage.

Se fut encore une série de mauvaises réponses. D'un appétit insatiable de questionnements, c'est Ailen qui reprenait la marée d'interrogations.
La première était toujours en rapport avec l'éternel droiture d'Anthèlmes et, à vrai dire, il ne pensait pas qu'elle comprenne ou accepte ce coté de lui un jour. Mais dis comme ça, on pourrait croire qu'ils se reverraient souvent. Il était cependant impossible de prévoir ce qui arriverait une fois leurs chemins séparés...

- Non.

Il parût réfléchir un instant, et nuança quelques peu ses propos:

- Ou plutôt, disons que je n'en ai ni le temps, ni la pensée, et ni les bons souvenirs. Mes quelques relâchements passés m'ont coûté.

Il réajusta la broche argentée qui maintenait son grand manteau sur ses épaules où pesaient le lourd poids des responsabilités. Être le dernier héritier d'une famille en voie d'exctinction n'avait pas toujours été des plus faciles, et la pression constante avait conditionné son esprit à effectuer les travaux les plus longs sans une plainte. Difficile de juger si s'était une force, ou une faiblesse. Puis vînt la seconde question, qu'Anthèlmes répondit avec l'air toujours un peu ailleurs, son regard arborant ces sourcils froncés de concentration.

- Paraître n'est pas mon premier but dans la vie, non... J'ai un minimum d'exigences à satisfaire pour honorer le nom qui m'a été donné, mais mes ambitions s'arrêtent là. Sauf peut être...

Mais il ne continua pas plus loin, car il réfléchissait déjà avec étonnement à la question suivante d'Ailen. Jamais encore il n'avait eu à porter les armes avec un camarade elfe à ses cotés. Dans certaines batailles, il avait vu de loin leurs troupes se déplacer avec célérité... Mais sans plus.

- A vrai dire, non, et je n'en connais aucun personnellement, si ce n'est quelques soldats de l'armée que je ne côtoie que peu. Et en ce qui vous concerne...

Il tourna la tête vers elle:

- Je n'avais jamais entendu parlé de demi-drow aux cheveux autre que d'argent. Et comme l'esprit veut voir ce qu'il veut, j'ai plus eu l'image d'une de ces magiciennes narrées dans les contes ancestraux que d'une sang-mêlé. Je vous ai déjà parlé des histoires que se racontent les hommes les soirs d'ennuis, eh bien je dois vous avouer que j'en suis souvent un des spectateurs, sinon le narrateur lui-même.

Anthèlmes se souvînt alors de la bibliothèque des Aurillac qu'il consultait lors des soirées d'hiver, à la lueur de la chandelle. Certains vagabonds et bardes de passages venaient aussi parfois colporter les dernières légendes à la mode, et le jeune écuyer s'était fait ainsi connaisseur de ces récits en tout genre. Adulte et chevalier, il n'avait omit que quelques récits mineurs qui lui avaient été narrés. Sa mémoire demeurait, pour le reste, quasi intacte.

La demoiselle se saisit subitement de la main du chevalier et l'emmena dans des espaces moins fréquentés où la neige était encore immaculée, preuve que personne n'était encore passé par ici de la matinée. La dernière question fut certainement la plus courte. Elle fit hausser les sourcils du chevalier de par sa simplicité, et l'agacement qui se lisait sur les lèvres d'Ailen. Pourtant, elle connaissait son nom. Désirait elle réellement en savoir plus, ou doutait elle de son identité?
Sir d'Aurillac regarda son interlocutrice dans les yeux et se présenta donc en bonne et due forme, puisqu'elle semblait exiger un style plus complet.

- Je vous l'ai dit, je me nomme Anthèlmes d'Aurillac. Je suis le chevalier et dernier héritier de cette maison noble, ainsi qu'officier dans le Librium.

Ne voulant pas la prendre de haut, il ajouta:

- Ce qui représente entre autre les derniers restes d'une famille décimée, cinquante lames directement sous mes ordres et une autorité relative au sein de l'infanterie royale.

Pour vous servir?

Il avait préféré tout expliquer clairement plutôt que laisser Ailen encore une fois sur sa faim. Peut être serait elle enfin rassasiée de ses interrogations?

Finalement non, elle n'était pas rassasiée. Du tout. La déception fut encore de mise et Anthèlmes se surprit à se dire qu'il était décidément de bien mauvaise compagnie. Cette pensée empreinte de fatalisme le fit lever les yeux au ciel, et il se résolu à regrouper ses pensées de façon plus intelligente et constructive. Sujet premier: Rêve, vie et passion. Il y avait de quoi disserter.

- Là, vous liez rêves avec passions, passions avec vie, et droiture avec prison.
Dans le code de la noblesse chevaleresque, il y a un accent sur l'honneur. Aux premiers abords ennuyeux et austère, cette vie de respect m'offre chaque jour la satisfaction d'avoir bien fait que ce que j'avais à faire. Je me bat pour le peuple et pour sauvegarder la vie de mes hommes, et pouvoir respirer un air où la paix règne me satisfait quotidiennement.

Il inspira une bouffée de l'air frais du matin, puis regarda Ailen:

- C'est ennuyeux n'est ce pas? J'avoue qu'il est plus tentant de suivre la voie de ses fantasmes.
Et tout à fait entre nous (Sa voix devînt plus basse), j'ai l'impression vague et fugace que vous tentez de me corrompre...

La regardant en coin et retenant avec peine un sourire, l'Officier du Librium se demandait la raison d'une telle énergie pour l'emmener sur la voie du plaisir personnel, du défoulement, de la vie au jour le jour. Était elle de même humeur avec tous les individus qu'elle rencontrait? C'était un mystère.
Ailen lui expliqua par ailleurs les multiples diversités ethniques et raciales des demi-drow. Anthèlmes n'y trouva à redire, et se contenta d'acquiescer à ses paroles, chassant brièvement l'air de sa main comme s'il voulait éloigner un improbable insecte devant lui.

- Soit, je peux me tromper et il semblerait que se soit même effectivement le cas. Je ne me prétends pas avoir la science infuse.

Cette fois-ci, ses pas se stoppèrent lorsque Ailen posa sa dernière question. Ce n'était pas la première fois qu'elle gardait le meilleur pour la fin, et Anthèlmes l'observa en plissant légèrement les yeux, réfléchissant sincèrement à la réponse qu'il allait lui fournir. Ses yeux dérivèrent de coté et fixèrent un point aléatoire de la ruelle, comme le font certaines personnes lorsqu'elle se remémorent d'anciens souvenirs. La réponse se fit cependant assurée:

- C'est ma famille qui compte le plus pour moi. Je sens le lourd regard de mes ancêtres qui m'observent de loin, de même que celui de mon Feu paternal. Les Aurillac étaient autrefois réputés dans tout le royaume, et il ne reste, après un siècle de déchéance et de mauvaises passes, plus qu'un simple chevalier et officier dans le Librium encore à marier.

Il sembla réfléchir.

- L'armée est une part de ma vie mais c'est au nom de ma famille que j'y sied.
Et comme vous le dîtes si judicieusement, la carrière militaire offre une espérance de vie très brève. J'ai vingt-sept ans, et je suis soucieux de savoir que ma mort -quelle qu'elle soit- verra disparaître mon nom...

Il se stoppa là, se rendant compte un peu tard qu'il avait bien plus parlé qu'il ne l'aurait jugé nécessaire. Il fronça les sourcils et observa Ailen, jaugeant ses réactions. Avec toutes ses questions, elle en savait déjà plus que n'importe quel homme d'arme qu'Anthèlmes avait côtoyé durant sa vie.

- Votre passion des interrogations est elle suffisamment assouvie, à présent?

Il lui jeta un nouveau regard perplexe.

Le dialogue continuait fort, alors qu'ils allaient aborder le long et fatidique débat sur Guerre et Paix. Préférant ne pas partir en déboires philosophiques, Anthèlmes apposa net son véto sur le sujet:

- Oui il faut bien tenir l'ennemi à ses frontières si on veut être tranquille chez soi... Mais je suis certain qu'il y a de très bons livres qui dissertent sur le pourquoi de la guerre et les différents moyens d'être en paix. Mais prenons un sujet moins spirituel, nous sommes en simple promenade.

Insensiblement, l'humeur de l'officier devenait moins aigrie, moins renfermée. Un léger sourire lui flottait au coin des lèvres et ses yeux perçant perdaient de leur rudesse. Il n'en fut pas moins amusé lorsque la demi drow se vanta de vouloir "l'initier" dans les méandres d'une vie de plaisir passionnels. Le tout ajouté d'une touche très romantique de fatalisme, rappelant la triste condition humaine. Le moral du chevalier ne fut nullement touché par la pique, et il en sourit de bon cœur.

- Pourquoi faire tant d'efforts pour un triste, si triste représentant de l'espèce humaine trop ancré dans ses principes et dévoués aux nobles causes? Il y a tellement de gens qui se promènent dans les rues le matin, des gens parfois très drôles vous savez.

Il avait trop peu d'orgueil pour ne pas s'autoriser un brin d'auto-dérision. Après tout, il y avait aussi de la vérité dans ses paroles, et le chevalier ne comprenait toujours pas l'étrange engouement de la demoiselle à le dévergonder... Ou à l'initier, comme elle l'affirmait si bien.
Ils furent cependant tout deux d'accord sur les limites intellectuelles d'Anthèlmes, qui ne s'aventuraient hélas pas au delà de celle du commun des mortels. Mais comme elle le disait là aussi si bien, l'officier aurait été bien prétentieux de prétendre le contraire.

- Au vu de ma profession, je ne pense pas que se sera une grande perte. Les compétences sont plus appréciées que les connaissances, à l'armée.

Même jeté à la figure d'un adversaire, un livre ne restait dans l'absolu qu'un support d'écriture. Pourtant, Anthèlmes se plaisait à agrémenter ses journées d'entrainement des vieux contes et du savoir des grimoires. Le monde est vaste, et il serait absurde de ne pas s'y intéresser un minimum. Malgré la fugacité de la vie humaine, il était tout à fait possible à un être lambda de s'épanouir dans divers activités et d'étendre son savoir.
La demoiselle lui demanda alors si protéger de la mort le nom des Aurillac motivait Anthèlmes à rester en vie. La réflexion lui tira un rire franc qui résonna dans la ruelle:

- ...On peut voir les choses comme ça! Mais je pense que, même sans ce nom à protéger, je serais à même de prendre des précautions pour ma propre vie.

Il oscilla la tête d'un air amusé et écouta la dernière réponse de son interlocutrice, cette dernière enchaînant leur série de rires. Les lieux auparavant calmes et vides devenaient subitement beaucoup plus bruyants avec leur présence.

- Vous avez une longue vie devant vous, pourtant votre patience n'est pas à la hauteur de votre mortalité.
Et quelle question vous me posez là... Je ne pense pas que la réponse vous intéresse vraiment!

Pourtant, elle regardait sa cape pourpre d'un air pensive, et, entre autre, l'air sérieuse.
Le chevalier l'imita et se tut un instant, où seul les bruits d'agonies de la neige mourant sous leur pied résonnait encore autour d'eux.

- Je n'y ai jamais réfléchi sérieusement, mais peut être bien...

Anthèlmes frotta doucement son menton rasé de près et sembla jauger le pour et le contre, avant de s'expliciter:

- Le pourpre est porté par mes aïeux depuis au moins un siècle, et il a cette vertu réconfortante qui embaume le cœur de la chaleur d'un foyer qui crépite...

Il observa évasivement la chevelure de la demi-drow, continuant:

- Oui je dirais que c'est une couleur attachante.

Il aurait pu ajouer "quand elle n'est pas liée à un incendie ou un hécatombe", mais il se retînt de lancer cette comparaison des plus subtiles.

- Je vous retourne la même question. Je renchérit en vous demandant vos occupations actuelles.

Le marché des interrogations était à présent ouvert.

La demoiselle de braise fut d'humeur plus espiègle alors qu'elle sembla s'amuser à titiller Anthèlmes sur à peu près tout les sujets possible. Il fut sur le point de répondre quelque chose lorsque Ailen insista encore un peu sur la possible association entre la spiritualité et une promenade. Il se ravisa au dernier moment...

- Non, non j'ai dis qu'il était inutile de réfléchir aussi loin, de si bon matin.

A vrai dire, il doutait sérieusement que son interlocutrice soit vraiment intéressée par le sujet. Il était plus que probable qu'elle s'amusait allègrement à le faire tourner en bourrique!
Pourtant elle lui avoua qu'il l'intriguait. Le chevalier ne comprit pas tout à fait en quoi, et haussa les sourcils un instant. Cet effet ne s'atténua pas lorsqu'elle lui précisa qu'il était encore temps pour lui de changer.

- Bon courage dans ce cas.

L'officier du Librium savait cependant que depuis leur rencontre -soit moins d'une heure auparavant-, la demoiselle de braise avait déjà sû acheter une confiance qui ne s'acquiert en temps normal qu'après un temps à se cotoyer.
Il était en revanche flagrant que les deux protagonistes étaient opposés par leur vécu. Autant la danseuse avait été éduqué par les drow, autant le chevalier avait été ancré dans les conditions strictes d'une vie de morale. L'exaspération d'Ailen ne surprit donc pas pour le moins du monde le sire d'Aurillac.

- Je vous ai dis que j'appréciais cette couleur pour diverses raisons, mes ancêtres n'en étant qu'une parmis d'autres.

Il aurait pu lui dire qu'elle n'avait peut être pas de raisons d'aimer et respecter ses aïeux Sombres, au contraire de lui et ses origines, mais Anthèlmes jugea que la remarque était peut être déplacée. Il préféra donc se taire et continua à marcher, jusqu'à ce qu'une réplique singulière le surprenne.

- Il faut que j’aille chercher mon fils au château… vous m’accompagnez ?

Elle avait donc un fils à charge.

- Hm.

Qu'est ce que cela changeait?

- Avec plaisir.

Il lui emboîta donc le pas, plissant parfois les yeux lorsque la neige réverbérait des rayons fugitifs d'un soleil maladif. Ils se dirigèrent donc vers le château, manquant de peu la place où ils s'étaient vu aupravant.
Anthèlmes n'aurait pas imaginé la demoiselle déjà au sein d'une famille, et cela le perturba presque un instant. Mais il aurait été si stupide que cela de plus qu'un battement de cil, qu'il reprit la conversation là où elle avait été laissée.

- Vous n'avez toujours pas répondu à ma question!
Et à propos, quel âge à votre fils?

Il y avait toujours chez cette femme une volonté inexplicable qui la poussait à "initier" le chevalier aux autres facettes de la vie. Anthèlmes avait d'abord cru à un simple trait de curiosité, mais l'insistance avec laquelle Ailen le sermonnait lorsqu'il évoquait ancêtres, aïeux et autres vénérables, intima l'officier à se détourner de sa première hypothèse.
N'empêche, quelle drôle d'idée que de s'attacher à ce rempart de principes qu'était le sire d'Aurillac. Mais il était tout aussi étrange de s'acharner à ce point sur les pauvres ancêtres de celui ci!

- Soyons clairs, s'ils auraient porté du rose, je ne pense pas avoir suivi leur goût.

Son visage se tordit en une grimace alors qu'il s'imagina l'ombre d'un instant déambuler ans les champs de bataille avec une cape rose volant au vent.
Néera bénisse le roi d'avoir offert une cape pourpre au feu Général du Librium qui en fit une tradition familiale.

- Et j'avoue être encore indécis sur un quelconque choix de couleurs, il y a tant d'atout en chacune... L'innocence et la royauté du bleu, la prestance écarlate, la vertu vert, l'énergie du jaune, la sobriété du noir et la candeur du blanc...
Je suis très volatile sur ce genre de préférences, mais ces derniers temps je me sens pourpre et doré.

Joignant le geste à la parole, il désigna d'un large geste son manteau rouge profond et les enluminures dorées qui scintillaient sur ses habits en tissus légers, aux teintes de jais.

- Je vous laisse le plaisir de deviner quelles humeurs correspondent à quelles couleurs.

Leurs pas s'allongeaient au gré de leurs paroles, et les deux protagonistes se retrouvèrent tout deux aux portes du château. Anthèlmes s'apprêta à interpeller l'un des gardes pour qu'il leur laisse le libre passage, mais Ailen s'avança d'un pas sûr et il n'y eut mot d'échangé alors qu'ils entrèrent par delà les fortifications. Elle n'avait pas mentie en disant qu'elle connaissait bien le roi Trystan, car le chevalier ne vit d'autres explications à son incroyable facilité à se balader dans les domaines les plus protégés sans la moindre justification. Tout en pensant à cela, il écouta les dires de la demoiselle et lui répondit entre deux phrases:

- Vous attendez... "La suite" ?

Elle ne lui avait pas dit quelle fonction particulière elle pouvait remplir mis à part amie intime du roi. Que pouvait bien t-elle attendre?
Cette interrogation passa au second plan lorsque le sire d'Aurillac se retrouva devant le garçonnet endormi, sa poitrine se soulevant paisiblement au rythme de sa respiration. Si Anthèlmes ne s'était plus montré aussi souriant qu'avant, cela ne fut plus qu'un lointain souvenir.

- Il est magnifique !

Le compliment ne souffrait d'aucune exagération, et le chevalier reporta un instant son regard sur le petit être. Bien que fragile à son âge, le bambin semblait en bonne santé malgré le froid hivernal. Quoi qu'on ne puisse parler de mauvaises conditions de vie dans un château comme celui-ci.
On remarquait cependant chez lui sa part de Drow, avec ses cheveux blancs empreint d'une unique mèche écarlate, qu'il tenait très certainement de sa mère...
Après un temps de silence, le noble se risqua à une questions aux possibles revers.

- ... Le père est-il ici ?

Par "ici", il entendait bien évidemment Diantra et sa région.

Quel étrange attachement pour les couleurs. Elles avaient été sujet de leurs discutions depuis un petit moment déjà, et le sujet ne semblait pas se tarir. Elles représentaient certes un grand nombre de symboles, de sensations et de souvenirs... Mais était ce vraiment ce qui intéressait la jeune demi-drow de soixante ans, ou bien l'envie fugace et certainement très hilarante de faire buter le chevalier sur des questions courantes?

- Mh, vous me trouvez triste? Je n'avais pas tellement tord finalement!

En effet, il lui apparaissait bien comme un personnage ombrageux, comme il l'avait suggéré quelques instants plus tôt. Malgré sa réputation de sinistre personnage, une rire soupiré parvînt à s'échapper de sa bouche. Même que les paroles d'Ailen n'étaient pas fondamentalement drôle, se faire traiter de Triste allait un peu au dehors de l'image qu'Anthèlmes se faisait de lui-même et l'amusa donc autant que le choqua. A l'armée, on lui donnait au moins le comparatif de froid, glacial ou sévère. Triste, c'était un peu gentillet!

Mais changeons de sujet. Il pourrait être intéressant de parler de cette "suite" qu'évoquait Ailen, mais au vu de son sourire mystérieux et du silence très palpable qui en découla, l'arrivée au chateau s'impose en hiérarchie d'intérêt. Le sieur d'Aurillac songea cependant pour lui-même que son interlocutrice devait être au courant de certaines choses qu'elle se plaisait à lui cacher... Avantages des intimes de Trystan, mh?
Un peu de sa grandeur devait avoir déteint sur la demoiselle car celle-ci se vanta de son fils. Mais quelle mère digne de son enfant n'en serait pas fier? Anthèlmes se contenta donc de sourire à la jeune maman, et lui pardonna ses élans d'orgueil, levant ses yeux au plafond.
Peut être sa question suivante fut elle des plus mal placée. Il s'était déjà retenu pour moins, et pourtant il n'avait pu, cette fois, retenir un certain élan de curiosité. Il s'en mordit les lèvres et dériva le regard ailleurs, parcourant les murs richement décorés du domaine royal.

- Excusez-moi c'était déplacé...

Aucun doute à ce sujet.

- Je devrais avoir honte, je vous parais triste alors que rien dans ma vie ne mérite de telle mélancolie... Et vous, vous souriez à chaque seconde alors que votre cœur est peiné.

Il observa à nouveau l'enfant, parut réfléchir un nouvel instant, puis reprit:

- Que puis-je faire pour laver mon impolitesse?

Le sire d'Aurillac espérait par cette phrase plus faire retrouver le sourire à son interlocutrice plutôt que régler une affaire de bienséance, mais il n'était pas à douter qu'il serait prêt à satisfaire la première demande qui viendrait à l'esprit de la demoiselle.
En espérant toutefois que se ne soit pas une requête trop...
Spéciale?

A bien y réfléchir, c'était peut être vrai que le chevalier s'était montré morose au début de sa balade. Et à mieux y réfléchir encore, il avait oublié d'un coup tout ses soucis premiers lors de sa rencontre avec l'ensorceleuse de braise. Ses camarades morts, les nouvelles recrues qui arrivaient et qu'il fallait entrainer pour qu'elle ne meure pas trop vite au combat... Tous ces soucis l'avaient bien vite éreinté. Pourtant, on ne pouvait pas dire que son humeur actuelle ne soit mélancolique. Non, on pourrait même aller jusqu'à dire qu'Anthèlmes se sentait bien, tranquille. Et mis à part sa petite impolitesse vis à vis de son interlocutrice, aucune pensée sombre ne venait voiler son moral. C'était plutôt agréable à vivre, d'autant plus de la rareté de tels moments. Le chevalier n'était pour ainsi dire pas homme à se laisser aller...

- Après tout, vous avez peut être une influence bénéfique sur moi.

Ne voulant pas lui laisser trop de raisons de se gonfler d'orgueil, il insista un peu plus que nécessaire sur le "peut être". Il ne fallait pas brusquer la légendaire modestie de l'ensorceleuse de braise.
Toutefois, celle-ci adopta un discours lourd de chagrin qui dénua de sourire le visage de l'officier. Amour et mort étaient de nature à nourrir les sentiments les plus blessant, aussi Anthèlmes d'Aurillac fut il sensible à ses paroles et ne dit mot. Perdre un frère d'arme était une chose, et perdre une moitié en valait peut être deux, bien qu'il n'y eu de formule mathématique pour quantifier la misère intérieure.

Méditant à tout cela, l'officier du Librium nota à peine qu'elle effectuait le même métier que chez les drow, c'est à dire probablement quelque chose de sombre, de sournois. Il n'y porta sur le moment pas grande importance, même si cet élément lui reviendrait certainement plus tard en mémoire. Ce qui le préoccupa d'autant plus fut la demande d'Ailen concernant son offre d'un service, qu'elle fut très loin de refuser. Peut être voulu-t-elle abuser un peu de son offre aussi, et lui manda une nouvelle balade dont la nature serait cette fois-ci équestre.

- J'ai bien un étalon, oui...

Sur la défensive, il se demanda vers quels lieux elle désirait l'emmener. Lui prenant la main, elle ne lui laissa plus longtemps le loisir de se préparer au pire et les conduisit chez elle où elle se vêtit de manière plus appropriée -de sa cape, entre autre-, et monta en selle d'une belle bête toute en noir. Avec une certaine galanterie, le chevalier prit doucement en main la bride de l'animal et le conduisit, lui et sa cavalière, jusqu'aux écuries non loin des portes de la ville où sa propre monture patientait en renâclant, fébrile. Voilà quelques jours qu'Anthèlmes n'avait pas parcouru les plaines avec!
Il scella donc l'étalon et le monta avec aisance, sa longue cape pourpre s'étalant sur l'animal comme un voile protecteur.

- Doucement Silifen!

Ayant peut être l'envie de se dégourdir du froid hivernal, l'étalon battit des sabots et trottina derechef sur le sol dallé avant de s'adoucir et de laisser son cavalier diriger sa conduite. Le chevalier leva son regard sur Ailen et sourit en coin:

- Je crois que lui aussi a envie de s'échauffer un peu.

Argumentant ses paroles du geste, il se dirigea à pas réduit vers les portes de la ville, chevauchant aux cotés de la demi-drow, mais sans pour autant la distancer. A présent qu'ils étaient en dehors de l'enceinte de Diantra, il était du ressort de la demoiselle de lui ouvrir la marche pour cette balade improvisée.

Pataclop pataclop.
Quatre paires de sabots martèlent le sol et la neige alors que le petit duo file à travers les neiges avec la sensation que rien ne peut faire obstacle à leur lancée. Mais bien au delà de cette fugace sensation de liberté, se sont des pensées plus nourries et réfléchies qui guident et incline leur conversation.

- Des projets à venir...
Dans l'immédiat, j'ai de nouvelles recrues à former. Aussinon, je pense rester à Diantra tant que le Maître du Librium n'en aura pas décidé autrement. Au moins pour l'hiver en tout cas...

Se doutant que sa réponse formelle ennuierait profondément son interlocutrice, il se permet d'ajouter:

- Disons qu'il n'y a rien qui ne m'incite à partir de la capitale pour le moment!

Le vent froid lui fouettait le visage et Anthèlmes fut satisfait plus que jamais de son épais col de laine qui protégeait à merveille son cou de la morsure glaciale. Il jeta un regard sur Ailen, vaquant un instant à regarder leurs deux capes voleter. Leurs mouvements fluides semblaient pareil aux vagues des grands océans, ce qui dénatura un peu le visage blanchâtre et plat qui les entourait. Peut être voguaient ils sur une mer gelée?

- Et pourquoi paraissiez vous triste tout à l'heure ?

Cette question le tira de sa contemplation comme un subit coup d'épée. Regardant de nouveau devant lui, le chevalier plissa les yeux sous l'air glacé et soupira, un nuage de buée s'échappant de ses lèvres et s'enfuyant derrière lui sous l'effet de l'avancée de sa monture.

- Je rendais un dernier hommage en pensée à de très nobles personnes.

Il fronça les sourcils.

- En fait non. L'un deux avait une fâcheuse tendance à trop boire aux banquets, un autre était un tire au flanc de première, et un terce n'avait d'autre mot à la bouche que "Promotion".
Comme chaque homme ils avaient des défauts, mais ces soldats étaient de bons camarades... Des types bien, comme on dit...

Il fit étonnamment plus froid. Ou peut être n'était-ce qu'une impression. D'une légère pression sur la bride, l'officier ralenti le rythme du galop et esquissa un sourire plus rassurant que réel:

- J'ai toujours besoin de quelques moments seuls pour m'habituer à ne plus voir certains visages. C'est un poids continu lorsqu'on est militaire, mais je ne m'y ferais jamais vraiment.

Raison de plus pour entrainer sérieusement ces nouvelles recrues. Mais le chevalier ne s'attarda pas plus longtemps sur un sujet aussi morne et saisit la perche tendue par la demi-drow sans hésitation:

- Tutoyons-nous si telle est ta préférence! Il n'y a qu'avec mes subordonnés que je ne le tolère pas, on ne donne pas de corvées de latrines à quelqu'un que l'on tutoie... Et il y a souvent besoin d'user de ces aimables sanctions pour les têtes brûlées.

Le chevalier s'abstint de sourire pour ne pas prévaloir de tendances sadiques, mais il devait bien avouer que ses nerfs se relâchaient agréablement quand une forte-tête maugréait dans les odeurs nauséabondes. On ne monte pas en grade sans une certaine notion de... machiavélisme.

- Pour ne pas t'ennuyer d'avantage, je propose que l'on parle plutôt de toi. Si le sujet des couleurs à déjà été évoqué, parle-moi un peu de tes goûts?