Plus rien ne sera comme avant

Les semaines qui venaient de s’écouler, avaient toutes étaient riches en émotion. Un assassinat avait été déjoué, des nobles se retrouvaient en disgrâce et surtout, le mariage de Jena et Hanegard serait célébré le jour suivant.
Autant dire que les péripéties qu’avait subies le couple étaient loin derrière eux. Surtout qu’ils avaient tous deux énormément de travail.
Hanegard tentait de gérer les problèmes qu’avait soulevés l’arrestation du vieux Tyriam d’Amaury. D’importants trafics frontaliers avaient été découverts et il était nécessaire de remettre un peu d’ordre dans tout ça au plus vite.
Quant à Jena, elle devait s’occuper de tous les détails du mariage. Valkor l’épaulait du mieux qu’il pouvait et malgré la surexcitation de Clarys, la jeune chambrière se trouvait être également un précieux soutient.

Les derniers essayages de sa robe de mariée venaient de se terminer et Clarys aidait la jeune femme à se changer. La couturière venait de quitter la pièce et la chambrière se permit alors un regard réprobateur vers la fiancée du régent.

- Tu ne le lui as toujours pas dit hein ?
- Clarys pas maintenant. J’ai trop de chose en tête pour parler de ça avec toi.
- Pourtant il a bien fallut que je fasse croire à la couturière que tu avais légèrement grossie à cause de l’angoisse de ces dernières semaines. Et tu m’avais promis que…
- Oui, oui, je sais très bien ce que j’ai dit. Mais je…

Jena se tourna vers la chambrière alors qu’elle l’aidait à enfiler sa toute nouvelle robe de couleur lilas. Ces tenues n’avaient plus rien à voir avec celle qu’elle portait lorsqu’elle était demoiselle de compagnie ou simple intendante. Elles étaient bien plus élégantes, sans pour autant être extravagantes, mais elles étaient un peu plus compliquées à enfiler. Heureusement que Clarys et ses doigts de fée était là.

- Jena, tu ne vas tout de même pas attendre le jour de ton accouchement pour lui dire…’Au fait, j’étais enceinte ‘…
- Bien sur que non…seulement je ne sais pas qu’elle sera sa réaction…tu sais je n’arrive pas à me faire à cette idée moi-même alors…pourquoi l’embêter avec ce genre de détail alors qu’il a d’autres choses plus urgentes à traiter.
- Ce genre de détail ? C'est plutôt le genre de détail comme tu dis, qui change une vie tu ne crois pas...

Au regard courroucé que lui jeta Clarys, Jena sentit ses joues s’empourprer. Il était évident qu’elle ne pouvait plus attendre. Elle devait le lui dire très vite…bientôt d’autres personnes remarqueraient les changements, peut-être même avant Hanegard et elle ne voulait pas qu’il apprenne la nouvelle par quelqu’un d’autre qu’elle.

- Si tu ne le lui dis pas ce soir, je m’en chargerais moi-même demain.

Les deux jeunes femmes quittèrent la pièce et se rendirent dans les cuisines. Clarys quitta son amie pour reprendre son travail dans la cour arrière de la citadelle, tandis que Jena discutait avec Valkor des derniers détails pour le lendemain. La nuit était tombée depuis plus d’une heure quand l’intendant consentit à laisser aller dormir la future mariée.

Mais Jena n’avait pas sommeil, mais alors pas sommeil du tout. Elle était stressée. Qui ne l’aurait pas été la veille de son mariage. Et comme le couple avait décidé de respecter les convenances, Hanegard et elle faisait chambre à part la veille de leur mariage. Mais le silence de sa chambre n’avait rien de rassurant, il était même pesant. Et les paroles de Clarys continuaient de résonner à ses oreilles.

Après un long soupir Jena sortit de son lit. Malgré les journées chaudes du printemps, les nuits étaient fraîches. Passant un châle sur ses épaules, Jena frappa quelques coups à la porte de service qui reliait sa chambre à celle de son fiancé puis entra sur la pointe des pieds.

- Je peux te parler une minute ? demanda-t-elle d’une voix mal assurée.

Elle avait un nœud au ventre. Si elle avait écouté Clarys depuis le début elle ne se serait pas tenue devant son fiancé pour lui dire la veille de leur mariage qu’elle était enceinte et que cela faisait plusieurs semaines qu’elle avait oublié de le lui dire…

Invitée à continuer par le sourire que lui adressa son fiancé, Jena s’avança et s’assit sur le bord du lit près de lui.
Levant les yeux, elle eut un instant l’irrésistible envie de se jeter au cou d’Hanegard et de l’embrasser passionnément. Mais pour le moment elle était venue pour tout autre chose et il fallait qu’elle essaye de ne penser à rien d’autre tant qu’elle n’aurait pas dit ce qu’elle avait à dire.
Elle sentait son cœur battre plus rapidement que d’habitude et elle eut besoin de prendre une longue respiration avant de recroiser le regard de son fiancé.

- Il y a quelque chose que je voudrais te dire. Avant que nous soyons mariés….et surtout avant que quelqu’un d’autre ne le fasse à ma place.

Sur cette phrase qui entretenait toujours le mystère, Jena baissa à nouveau la tête. Posant sa main doucement sur le bas de son ventre, la jeune femme sentit enfin le courage qui lui manquait pour dire enfin ce qu’elle avait tant de mal à croire.
Il lui sembla alors évident que dès l’instant où elle l’aurait dit à Hanegard, elle assumerait entièrement et pleinement sa grossesse, et cela lui rendit le sourire. Bien qu’il fut légèrement tendu…

- Cela fait plusieurs jours que….non en fait ça fait bien plusieurs semaines que j’essaye…que je veux te le dire mais je n’ai jamais réussit à….

Jena s’interrompit. Non il fallait faire les choses dans l’ordre. D’abord lui annoncer la nouvelle et ensuite trouver toutes les excuses possibles pour tenter de justifier sa lâcheté et le temps qu’elle avait mit pour l’informer de la situation.
Relevant les yeux vers Hanegard, elle vit le regard mi-intrigué, mi-inquiet qui lui lançait. Cela n’avait rien d’étonnant qu’il soit légèrement inquiet, surtout après ce qui s’était passé une semaine plus tôt…

- Je suis enceinte, mon amour. Je porte notre enfant, murmura-t-elle.

Jena avait du mal à s’exprimer, comme si elle craignait les mots qu’elle allait prononcer. Hanegard attendait patiemment, ne cherchant pas à la brusquer pour lui arracher ses informations. Certes il se doutait qu’il allait recevoir un choc, mais il faisait pleinement confiance à sa fiancée… alors il attendait…

Enc…. Enceinte ? Enceinte ? Enfant ? Bébé ? Leur enfant ? Que… pendant plusieurs secondes l’information se mit à tourner en boucle dans le cerveau du régent sans trop savoir à quelle porte aller taper. Ca pour un choc, c’en était un, il fallait l’admettre.

Lorsqu’enfin l’information pu être correctement traitée, les modules « joie », « exaltation » et « bonheur » prirent la main. Enlaçant Jena, Hanegard la serra tendrement contre son cœur, des larmes de joie coulant sur ses joues.

Un… un enfant… c’est merveilleux Jena.

Voilà donc quel était le mystère. Un enfant… garçon ou fille, le régent serait heureux de toute façon. Le plus cadeau pour un couple aimant, l’arrivée d’un petit être, d’une descendance.

Hanegard comprenait pourquoi Jena lui avait paru troublée ces derniers jours. Certes, il n’était pas rare qu’une grossesse précède un mariage, rares étant les fiancés à savoir retenir leur passion suffisamment longtemps, mais la jeune femme avait du craindre de ne pas oser le lui dire avant la cérémonie.

La réaction d’Hanegard tarda à venir ce qui inquiéta davantage la jeune femme. Elle n’aurait pas du craindre ce qui allait suivre, pourtant Jena n’arrivait vraiment pas à imaginer ce qui se passait dans la tête de son fiancé à cet instant. Peut-être pensait-il à sa première femme, peut-être pensait-il à l’enfant qu’elle ne pourrait jamais lui donner…et malgré la pointe de douleur que lui procurait une telle pensée, Jena pouvait parfaitement le comprendre.

En fait, depuis le début s’était peut-être la seule chose qui l’avait bloquée. Mais alors qu’elle commençait à sentir ses nerfs lâcher, Hanegard sembla se rendre compte des paroles qu’elle venait de prononcer et l’attira contre lui.

C’est seulement lorsqu’elle se retrouva dans les bras de celui qu’elle aimait, qu’elle laissa couler les larmes qu’elle retenait depuis trop de jour. Elle s’en voulait de ne pas le lui avoir dit plus tôt, surtout qu’elle voyait maintenant que cette nouvelle ravissait son fiancé autant qu’elle.

- Je suis désolée…de ne pas te l’avoir dit avant, murmura-t-elle en relevant la tête, je voulais en être sûre….

Et puis elle voulait également assimiler l’information. Ce qui avait prit largement plus de temps que pour Hanegard.
Cette fois, lorsqu’elle croisa le regard de son fiancé, toutes ses craintes s’envolèrent. Elle n’avait plus peur de cette grossesse, au contraire, elle se sentait libérée, heureuse.

- Tu te rends compte...dit-elle en posant sa main sur son ventre, un bébé…on va avoir un bébé.

Cette fois elle adressa un sourire rayonnant à son fiancé. Elle imaginait déjà le petit être qu’elle tiendrait dans ses bras…ce petit bébé qui n’était rien d’autre que le fruit de leur amour. Il n’y a pas plus belle chose au monde que de donner la vie.
Certes, elle allait connaître de nombreux réveils chaotiques les premiers, elle devrait ensuite se regarder grossir et il était fort à parier qu’elle finirait les dernières semaines avec interdiction totale de se lever…pourtant, cette grossesse la rendait heureuse !

Hanegard eut un mal fou à ne pas se tordre de rire en voyant les deux jeunes femmes choir sans grande dignité au sol. Clarys était un peu trop empressée, mais par les dieux quel tranche de rigolade ! Voilà qui faisait un peu baisser la tension bien naturelle de cette journée.

Je vais vous laisser terminer la préparation, dit-il d’un ton amusé avant de ressortir.

Lorsque l’heure fut venue, le régent se rendit au temple de Néera où devait être célébré le mariage. Les rues étaient dégagées et bien nettoyées, les habitants avaient joliment décorées leurs maisons et tous acclamaient le futur marié. Pas de doute, Hanegard était plutôt apprécié par ses sujets, sans doute satisfait de le voir sévèrement lutter contre la corruption et les guerres entre gangs qui leur empoisonnaient la vie depuis des mois.

Quand à l’armée, bah, ils sentaient qu’Hanegard était des leurs, pas un galonné lointain enfermé dans sa tour d’ivoire, non, un homme qui avait gagné ses galons sur le terrain en menant ses hommes au combat. Un général qui ne gaspillait pas leur vie en vain où pour satisfaire son orgueil. Bon, peut être la nouvelle des banquets qui seraient donnés au frais du régent à travers la ville réjouissaient-ils aussi les esprits…

Sargril, en grand uniforme, l’attendait à l’entrée du temple. Le régent ne pouvait pas imaginer être accompagné par quiconque d’autre que son fidèle second, par un homme qui s’était fermement tenu à ses côtés lorsque les drows les avaient chargés à Beremas. Un compagnon d’une loyauté à toute épreuve à qui Hanegard aurait confié sa vie sans hésiter.

Les deux hommes entrèrent dans le temple et remontèrent l’allée. Toute la noblesse d’Alonna était réunie là. Le régent n’avait pas voulu inviter ses voisins, après tout il s’agissait d’un mariage d’un régent, pas de celui d’un baron ou d’un duc. Le grand prêtre de Néera devait officier durant cette cérémonie et sourit en voyant le marié stressé comme rarement, qui se passait régulièrement le doigt dans le col comme s’il étouffait.

La paix soit avec vous, seigneur Kastelord, murmura-t-il à voix basse, non sans une pointe d’amusement dans la voix.
Puisse la déesse vous entendre.

Les portes de la chapelle s’entrouvrirent doucement… et la mariée apparut aux yeux émerveillés de l’assistance.

Perdue dans le regard de son presque mari, Jena avait l’impression d’être totalement ailleurs. Il n’y avait qu’eux deux et personne d’autre. L’amour qu’elle lisait dans les yeux d’Hanegard suffisait à la rendre heureuse. Elle savourait ce moment.

Comment un homme comme lui avait-il pu s’éprendre d’une fille comme elle ? Elle n’avait absolument rien pour rivaliser avec les nobles célibataires d’Alonna. A côté d’elles, elle se sentait d’une banalité affligeante, pourtant, il n’y avait qu’à elle qu’il adressait des petits sourires lorsqu’ils se croisaient au détour d’un couloir. Et il n’y avait que lui pour faire battre son cœur plus fort chaque fois qu’elle le voyait.
D’ailleurs, en parlant de son cœur, il battait si vite qu’elle craignait de s’évanouir. Cette simple idée la fit sourire davantage et elle du étouffer tant bien que mal son irrésistible envie de rire. Le grand prêtre était en plein milieu de son long discours et ce n’était franchement pas le moment de se faire remarquer, ni par un fou rire et encore moins par un évanouissement.

Et puis que disait-il lui ? Cela faisait des heures qu’il parlait non ? Elle n’avait même pas prêté l’oreille à son discours…
Ce fut seulement lorsqu’elle entendit la voix de son fiancé qu’elle su où ils en étaient. Et les mots qu’il prononça fut d’une telle intensité qu’elle remercia les divinités de ne pas avoir offenser le Grand Prêtre, car celui-ci reprit la parole, lui permettant ainsi de calmer la vague d’émotion qui menaçait de la submerger.

- Jena, devant les dieux et les hommes, jurez vous d’aimer et de chérir Hanegard ? De lui être fidèle et de le soutenir, de lui apporter joie et réconfort ?
- Oui, je le jure.

Le prêtre leva alors les bras et prononça une nouvelle série de paroles qu’elle n’écouta pas davantage que la première. Elle n’avait d’yeux que pour son ‘pas encore tout à fait’ mari, quoi que, elle ne savait pas exactement où le prêtre en était dans son discours alors peut-être qu’elle était déjà officiellement mariée sans le savoir.
Ce fut les applaudissements des nobles réunis dans la chapelle qui lui permit de savoir à qu’elle partie de la cérémonie ils en étaient.
Jena sentit son cœur tambouriner encore plus dans sa poitrine. Là elle était à deux doigts de s’évanouir… peut-être qu’en fait….c’était sa robe qui était un peu trop serrée…
La main d’Hanegard attrapa celle de Jena et elle se sentit attirée contre lui.

Visiblement ils en étaient au ‘Vous pouvez embrasser la mariée’. Ce qui en soit était une excellente idée surtout qu’elle se retrouvait dans les bras de son mari et qu’elle n’avait plus vraiment peur de s’étaler par terre devant toute l’assemblée. Cependant elle n’avait qu’une hâte quitter la chaleur étouffante de la chapelle pour prendre un bon bol d’air frais.

Doucement, les lèvres des deux jeunes mariés se rejoignirent. Un moment toujours délicat que ces baisers en public. S’ils sont trop courts, cela peut passer pour un manque de prévenance, s’ils sont trop longs cela risque de causer de légers rires dans l’assistance. Hanegard préféra tout de même opter pour la version longue, ce d’autant plus que Jena ne semblait pas vouloir se contenter de moins.

C’était fait… mari et femme ils étaient… ou plutôt le contraire… ils étaient mari et femme. Enfin officiellement, parce que dans les faits, ils vivaient ensemble, couchaient ensemble, attendaient un enfant, enfin bref le changement serait surtout sur l’aspect officiel. Désormais, Jena n’était plus une demoiselle de compagnie ou une intendante, mais l’épouse du régent d’Alonna, et donc un personnage officiel.

Bras dessus bras dessous, ils sortirent du temple sous les acclamations de la foule et reprirent le chemin de la citadelle pour présider le banquet donné à la noblesse. Dans les rues, les tonneaux de vin étaient mis en perce, les bœufs commençaient à rôtir sur leurs broches, les musiciens sortaient leurs instruments… ou, cela allait être une fête mémorable, et la garde aurait fort à faire pour éviter les débordements.

La grande salle de bal avait été réquisitionnée pour le banquet et une immense table en U avait été installée pour recevoir les invités. Hanegard alla s’asseoir, Jena à sa droite et Loïs à sa gauche. La main de sa fiancée dans la sienne, échangeant de doux regard amoureux, le régent était tout simplement… heureux.