Chasse ouverte [Terminé]

Un inconnu avec le visage couvert par une capuche sombre rentre dans une des auberges calamiteuses de la belle cité. Le plancher, mangé par les thermites, craque sous les pas de cet incongru invité qui attire le regard des habitués de la taverne. La moitié est accoudée au bar; ils sont en train de boire funestement leurs boissons alcoolisés et l’autre, assis à différentes tablées, jouent leurs sous et draguent tout ce qui bouge. L’encapuchonné rejoint nonchalamment une table située à côté d’un petit foyer à peine fumant; sa silhouette se fond gracieusement avec les ombres traîtresses de la maison de l’ivrognerie. Elle appartient à Sephran Etreden; il est en pleine chasse à l’homme: un ancien du Service qui pourrait nuire à la sécurité de la noblesse humaine.

De ses yeux bleus, elle fixe l’homme robuste qui sert de patron à ce boui-boui nettoie frénétiquement un verre sale dont la poussière ne semble pas vouloir se laisser faire. La personne, la jambe sur sa cuisse, interpelle la seule serveuse de la taverne. Expérimentée dans le métier, elle glisse comme une danseuse de ballet entre les tablées avec son plateau empli de verres vides.

« Qu’est-ce que je vous sers ? »
« De l’hydromel !
« C’est tout ? »
« Oui, merci ! Tiens, tant que vous y êtes, allez-voir votre patron et répétez-lui mot à mot « la rose rouge va bien à votre teint »; ne vous inquiétez pas ! Il comprendra.» marmonne-t-il à la femme mûre en déposant des piécettes dans sa poche de son tablier.

La serveuse part rejoindre l’aubergiste; elle lui glisse les mots au creux de son oreille poilu. Entendant la phrase, le tavernier arrête son combat contre la poussière et écarquille intensément ses yeux. Il répond en bredouillant à sa messagère de seconde zone.

«Mer…merci, ma chéri ! Je…je m’occu...pe de ce con...convive p…per...personnellement. Va… va servir la patrouille de la garde qui… qui vient d’a…arriver. »
« Bien ! » exclame-t-elle en souriant niaisement.

L’homme trapu rempli nerveusement la choppe avant de s’approcher de celui qui l’a interpellé si mystérieusement. Il s’assoit fébrilement en face de l’encapuchonné qui ne le quitte pas du regard.

« Voi…voici votre chope !»
« Merci, Gorid ! Bien, tu sais pourquoi suis-je ici ? »
« Euh, oui ! Po…pour des renseignements. »
« Exactement ! Toujours aussi perspicace, mon cher Gorid. »
« Oui, oui, messire ! Il faut l’être dans ma branche pour survivre. »
« Pour sûr ! Alors, mon petit doigt m’a raconté que tu aurais vu la personne qui m’intéresse passer dans le coin. »
« Cela se peut, messire ! Mais, ces temps-ci, j’ai la mémoire défaillante et la vue qui se trouble. »
« Vieux sagouin ! Tu n’as pas changé. Tu sais bien qu’il ne faut pas jouer ça avec moi. »
« Co…comment ? »

L’Etreden à la capuche retire sa jambe de sa cuisse et pose son pied sur le bas-ventre du tavernier voulant jouer au plus malin avec lui.

«Est-ce que tu sens ma botte ? »
« Oui, oui messire ! »
Sephran appuie légèrement sur la partie musculeuse du bas-ventre.
« Veux-tu avoir des enfants ? »
« Ough ! Oui, oui, messire ! »
« Parfait ! Alors, Gorid ne recommence plus; sinon je te rends impuissant pour le reste de ta misérable vie. »

Gorid, trempé de sueur, acquiesce d’un mouvement de tête et reprend peu à peu son souffle. Un gentil sourire s’affiche sur le visage assombri de Sephran, il retire délicatement son pied pour revenir dans sa position d’origine et avale un tiers de sa boisson pour se rafraîchir.

« Mmmh, c’est délicieux ! Bon, après ce chaleureux intermède, je veux tout savoir jusqu’au moindre détail, compris ? »
« Oui, oui, Messire ! L’individu est arrivé, bien habillé et sans armes dans le quartier depuis trois jours et a même pris une chambre à l’étage pour sa compagne.»
« Une courtisane ? »
« Non, c’est une des belles gitanes de la place ! Elle vient la journée dormir dans l’auberge et elle repart tous les soirs. Je ne sais pas où elle va. Tiens, en parlant du loup, c’est elle qui arrive !»

Une jeune femme habillée d’un corset noir et dorée recouverte par différents voiles rouges et verts descend silencieusement les marches de l’escalier en colimaçon. Ses cheveux bruns et rebelles flottent lentement au gré de l’air. Un poivrot la regarde en bavant avant de s’effondrer idiotement sur le sol.

« Ah ! Mon travail me rappelle. Je peux y aller ?
« Oui, tu peux ! De toute façon, je n’ai plus besoin de toi. Merci, pour ces informations même si elles sont maigres. »

Gorid se lève et va en direction du poivrot pour le ramasser. La force de la nature soulève l’homme bourrée pour le dégager, à coup de pied, à l’extérieur du miteux établissement. Pendant ce temps-là, Sephran porte son regard sur la donzelle au teint mât en finissant sa chope. *Ma cible est dans les parages. Oui, mais où cette vermine se terre ?... Peut-être qu’en suivant la gitane; elle me mènera à mon gus. C’est toujours pareil, on se fait toujours trahir par une femme.*Il a surveille jusqu’à que la femme referme la porte derrière elle. Sephran se lève, paye sa consommation et profite de la confusion crée par la bagarre entre la garde et les poivrots pour partir discrètement. Dans la nuit embrumée, il entame sa filature de la femme voilée.