Acte 1 - La naissance de l'Autre

{ PV Eteri Yell }

Un pas, un autre puis encore un... Je passai les portes de la cité lorsque je fus prise de l'envie de revenir en arrière. Il n'était pas trop tard... Il suffirait simplement que je fasse demi-tour, je pourrai revenir à l'orphelinat. Si Aidan était sorti, il ne remarquerait même pas mon absence et, s'il était présent je n'aurai qu'à inventer un tout petit mensonge dans le cas où il me demanderait une justification. Non, en réalité je ne pouvais pas. Combien de temps tiendrai-je dans cette petite vie bien monotone et rangée ? Combien de jours avant que le mal qui m'atteignait n'ait raison de moi ? Fuir était la facilité... Je pourrai recommencer une nouvelle vie et ne plus me préoccuper d'Aidan et de mon fils. Si je lui avais parlé, je n'aurai jamais pu me détacher d'eux et j'en serais morte. D'épuisement, de peur ou de folie.
Quel drôle de tableau je devais faire pour les gardes de la cité, vêtue de ma jolie robe rouge avec mon sabre à la main, absolument immobile sur le chemin à à peine dix mètres des portes... Je repris ma marche. Un pas, un autre, puis encore un. Ma décision était prise, et elle était définitive. Je marchais droit devant, les yeux dans le vague et la tête ailleurs. Même l'aube ne put me tirer de cette étrange torpeur et lorsque je m'arrêtais, le soleil était déjà haut dans le ciel. Mes pieds m'avaient menés à une petite cité de pierres blanches. J'aurai pu la contourner et reprendre ma route vers nulle part mais c'est ce même instinct qui m'avait poussé à fuir qui me fit entrer. Je reprenais à peine conscience du monde qui m'entoura, jetant de vague coups d'oeils aux échoppes , une m'attira tout particulièrement. J'y entrais, mais que voulais-je vraiment ? Il y avait plusieurs femmes qui discutaient avec animation autour d'un bout de tissu. L'une d'entre elles vint me voir, un large sourire hypocrite de vendeur aux lèvres.

- Madame ? Que puis-je faire pour vous ?

- Je...

Je... quoi ? Je ne savais même pas pourquoi j'étais rentré dans cette ville, ni ce que je venais faire dans ce magasin. C'était presque si je n'avais pas regardé ce qu'ils vendaient. J'avais agis d'instinct, la jeune femme haussa un sourcil et croisa les bras. Une autre femme arriva, ce devait être la patronne car elle fit un bref signe de tête à la vendeuse et celle-ci s'en alla comme si elle avait vu un démon. Son regard était chargé de douceur à mon égard et, elle n'essaya pas de me forcer la main comme l'autre. Les mots sortirent tout seul, ce n'était qu'un murmure, mais ils donnèrent le ton.

- Je commence une nouvelle vie, je veux... qu'on ne puisse pas me reconnaître.

Elle me sourit doucement et me fit signe de la suivre dans une autre pièce un peu plus petite. Elle me fit signe de poser mon arme et se saisit d'un mètre à ruban, s'approchant ensuite de moi pour prendre mes mesures sans aucun geste brusque comme si j'étais un objet fragile qu'il ne fallait pas froisser. Elle avait presque fini lorsqu'elle prit enfin la parole.

- Vos cheveux blonds vous distinguent de la majorité des humains qui sont bruns. Il faudrait les colorer, du noir ? Je suppose que votre arme fera parti de votre nouvelle identité, il vous faudra donc des vêtements adaptés au combat, pratique et confortable. Je suppose qu'un pantalon serait plus simple ?

J'hochai simplement de la tête et cela lui suffit. Elle m'intima de m'asseoir sur une chaise qu'elle m'indiqua et déplaça un petit meuble bas sur lequel elle plaça une bassine d'eau. Elle me mouilla les cheveux et les savonna, m'expliquant les conditions d'utilisation de la teinture qu'elle allait me faire, combien de temps elle tiendrait et comment l'appliquer. Si je ne l'écoutais pas vraiment, j'avais l'intime conviction qu'au moment opportun je saurai me souvenir de ses conseils. Pendant qu'elle laissait reposer la couleur, elle alla chercher des vêtements qui d'après elle pouvait me convenir et fit quelques modifications dessus. Elle revint vers moi pour me rincer les cheveux et quitta la pièce, me laissant m'habiller seule. Elle avait bon goût. J'esquissais quelques mouvements, vérifiant qu'ils ne m'encombreraient pas durant un combat mais cela semblait convenir. Après avoir fini de resserrer mes gants autour de mes poignets, j'attachais mon sabre à ma ceinture et dissimulais mes deux dagues. Je m'approchais de la psychè dans un coin de la pièce. Elle avait entièrement rempli son objectif : je ne me reconnue pas. Mes cheveux étaient encore mouillés mais avaient déjà une couleur qui ne m'étais pas familière. Ils étaient noirs, comme la nuit. Cela faisait ressortir mes yeux et me donnait un air presque encore plus désespéré. J'étais satisfaite. Je me contenta une fois de plus de lui sourire et sortit la petite bourse avant de la vider aux trois quart dans ma main et de la lui donner. Pour les vêtements, la couleur, et son soutien. Je lui laissai la robe, je n'en avais plus besoin maintenant.
Je sortis de sa boutique et déambula un peu dans la petite cité. Je ne devais pas m'attarder ici, c'était prendre le risque qu'Aidan me retrouve... s'il me cherchait, pourtant, lorsque je vis cette petite fontaine devant moi, j'allais m'y asseoir. Je passais mes mains dans l'eau froide et jouait un peu à effacer mon reflet en troublant la surface d'ordinaire lisse de l'eau. Combien de temps me faudrait-il avant de pouvoir recommencer à penser ? De n'agir plus que sur le moment et de regarder demain ? Demain. Pas hier. Je ne regarderai plus jamais hier. Je m'en faisais la promesse solennelle.

Une unique larme coula le long de ma joue pour se perdre dans la fontaine.

Eteri avait beaucoup marché ses temps-ci. Le repos qu'il pouvait prendre dans cette petite cité lui fit grand bien. Il fit quelque emplette dans divers magasins, achetant surtout de quoi subvenir au reste de son voyage jusqu'à Diantra : du pain, de la viande,...
Mais Eteri remarqua quelque chose, il avait toujours sur lui les mêmes vêtements depuis sa cavale maritime : sa tunique noire qui commençait à être abimé. Il avait une petite envie de se changer. Il fit donc le tour de la cité à la recherche d'un tailleur qui pourrait lui plaire. Il marcha donc en lorgnant sur les échoppes aux alentours pour voir si un tailleur était effectivement présent.
Mais rien dans cette cité blanche ne lui fit trouver son bonheur. Ou alors son magnifique sens de l'orientation lui faisait revenir au même endroit, ou alors il n'y avait vraiment pas de tailleur. Il s'assit sur le rebord de la fontaine, posa ses affaires et chercha par où il n'était pas encore aller.
Eteri se résigna finalement à prendre la route tout de suite pour ne pas s'attarder dans cette ville. Il prit ses affaires et partit sur-le-champ. Sur le chemin menant à la sortie, il salua les gardes et passa la porte, en même temps qu'une jeune femme blonde, bien habillé, armé et l'air triste.

*Drôle d'image que l'on peut voir ses temps-ci...* Pensa-t-il.

Il partit donc pour Diantra...
Mais sur le chemin, il eut un déclic.

*Ma dague !*

Il chercha à sa ceinture, nul dague n'était présente. Il posa son sac à terre et fouilla intensément. Aucune dague n'était présente.
Il fit le chemin inverse en regardant par terre. Il finit par retourner dans la ville et passa la porte la tête baissé.

"Drôle de personnes ses temps-ci..." Chuchota bruyamment l'un des gardes à l'autre.

Eteri ne fit pas attention au garde et continua sa quête. Il arriva à la fontaine. Une jeune femme était assise sur cette dernière et regardait l'eau d'un air distrait. Eteri fit tout le tour de la fontaine sans réel espoir, cela faisait un bon moment qu'il était partit et une dague sans propriétaire était vite prit. Il observa la jeune femme et au point où il en était, il la questionna de manière la plus courtoise possible :

"Excusez-moi mademoiselle mais, n'auriez-vous pas aperçu ici même une dague qui était abando..."

Au fur et à mesure qu'il parlait, sa voix se fit de plus en plus faible car il observait la tristesse dans les yeux de cette jeune femme et cela le touchait... De plus, Eteri aperçut une fine trace humide sur son visage, surement le signe d'une larme perdue.

"Tout va bien ?" Préféra-t-il ajouter.

J'avais quitter un monde pour en trouver un autre, et j'errais, seule, entre ces deux identités que je ne connaissais plus. Qui étais-je ? Qui suis-je ? Qui serai-je ? Je ne sais pas. Existe-il seulement une réponse ? Je suis né bébé indésrable, j'ai été esclave et objet, rebelle, fille et amie... Puis j'ai été compagne et mère. Et maintenant, qui suis-je ? Moi qui craint l'abandon plus que tout, voilà qu'à mon tour je réitère le crime de ma mère. Pourquoi ne pourrai-je pas être heureuse comme les autres femmes ? Comblée par l'amour et la maternité. Certaines d'entre elles se contentent même de la simple maternité, lors de ces trops courants mariages forcés. Cela m'est impossible. Cette récente sagesse aquise dans le sang n'a fait que me tuer. Un peu plus à chaque souffle. J'aime Aidan, j'aime Mathys mais cette vie de femme respectable aurait fini par me tuer. Nakor m'avait conseillé des sorties régulières... avec ou sans Aidan, mais la peur que Sélim n'attende mon départ pour tuer mon petit m'avait même privé de cela. De peur, ou de fatigue, je serais morte.

Une voix me sort de mon étrange torpeur et je secoue légèrement la tête pour m'en échapper totalement. Je lève les yeux vers mon interlocuteur, et si encore embuée par mes tristes pensées, je ne comprends qu'un mot sur deux, je crois interprêter qu'il cherche un objet. Une dague ? Mais avant d'avoir fini sa phrase, il me pose une autre question. Tout va bien ? Je me force à sourire, le coeur n'y est pas et nul ne pourrait s'y tromper, mais niveau bonne humeur c'est tout ce qu'il aura de moi. Que dois-je lui répondre ? Oui ? Non ? Peut-être ?

- Pas encore, mais cela ne tardera plus maintenant.

Il ne faut plus penser à eux, Lily. Il ne faut plus y penser. Plus jamais. Tu as vingt quatre ans et commence pour toi une existence nouvelle, tu as choisi de les quitter. Tu ne les reverra plus. Tu dois les oublier maintenant. Recommencer une nouvelle vie, une vie qui te plaira et dans laquelle tu ne t'enfermeras pas. Ils ne te reconnaitront plus. D'ailleurs... Je dus lui sembler bien étrange, les yeux dans le vague et l'esprit ailleurs.

- De quel prénom Lily est-il le diminutif ?

Après tout, ma mère avait bien du me donner un prénom, ce ne devait pas être Lily... Pour moi, ce n'est qu'un diminutif que la vieille femme a du me donner pour les jours où elle était trop saoule et ne pouvait prononcer mon prénom en entier, ce ne pouvait être que ça. Je ne pouvais me résoudre à changer complètement d'identé, il me faudrait donc trouver un prénom qui pourrait être le mien. Elizabeth ? Lilianne ? Aliénor ? Aline ? Lisane ? Liliopée... Il y avait tant de prénoms avec "li" à l'intérieur. Ce pouvait être tout et n'importe quoi... J'allais en choisir un. Et je resterai cette femme différente pour le reste de ma vie.

- Que... Que cherchez vous ?

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