Une grave décision [PV]

[1er jour de Favriüs, an 1 du 11eme cycle]

L'obscurité s'était abattu sur Ysari depuis déjà plusieurs heures lorsqu'Harnyll revint dans sa capitale. Le Voile durait... eh bien durait trop longtemps, ce n'était vraiment pas normal cela. La fête dans les rues commençait d'ailleurs à se calmer et chacun regagnait sa chacunière en levant un regard soupçonneux vers les cieux menacants.

Le voyage avait été difficile, l'obscurité cachant les dangers de la route et empêchant les cavaliers de galoper à brides abattues. Un petit trot prudent, voilà tout ce qui avait été possible entre Sinlieh et Ysari. Sautant à bas de sa monture, Harnyll en passa les rênes à un palfrenier et entra dans le château d'un pas pressé.

Les regards inquiets des gardes qu'il croisa aurait du lui mettre la puce à l'oreille, de même que les tentatives desespérées des serviteurs pour se trouver loin de lui. A les voir, on aurait pu croire qu'Harnyll était un volcan sur le point d'exploser. Mais bon, parfois, le baron manquait d'attention pour ces petits détails.

Guère surpris que sa femme ne soit pas venue l'accueillir, vu les rapports qui existaient entre eux, Harnyll arrêta le premier domestique qui ne réussit pas à l'éviter à temps et lui demanda d'un ton sec :

Où se trouve la baronne ?
Monseigneur... elle...
Eh bien parlez !
Monseigneur, elle est...partie.
Pardon ? Comment ca partie ?
La suivante de votre femme a déposé une lettre sur votre bureau à ce sujet. Je...

Congédiant le serviteur, Harnyll se rendit dans son bureau et lut rapidement la lettre que lui avait laissé Camille avant de devoir partir pour Odélian. Pour courte qu'elle fut, tout y était dit, et le front du baron se plissa de contrariété. La métaphore du volcan devenait assez propre à la situation, car la colère qui couvait dans son esprit montait peu à peu.

Citation :

Mon seigneur,

A votre retour de chasse, vous trouverez cette lettre sur votre bureau. Je me suis permise de l'y déposer en votre absente car je jugeais important de vous prévenir avant que nous ne partions d'Ysari. Dame Lucrèce s'est mise en tête de partir pour le Nord rendre visite à son cousin. J'ai tenté de l'en dissuader mais malheureusement je n'ai pas réussi.
De plus, pour ce voyage, elle a demandé au chevalier Denys de la Vallière de nous accompagner. Ce dernier a accepté. Aussi je me sens quelque peu rassurée quant à ce voyage. J'ignore le temps que ce séjour prendra mais je vous tiendrai régulièrement au courant des faits et gestes de votre épouse comme vous me l'avez déjà demandé ultérieurement.

Camille.

Comment donc ? Cette... péronnelle... s'en allait ainsi par les chemins, sans prévenir personne quand à ses intentions , avec... avec un chevalier que les rumeurs lui prêtaient pour amant ? Pas étonnant que tout le monde ait évité l'époux outragé à son retour... la coulée de lave risquait de faire des dommages collatéraux.

Mais cette fois,et contrairement à ce qui s'était passé au tournoi, Harnyll n'explosa pas. Et cela eut peut être mieux valu pour Lucrèce, car les colères froides du seigneur d'Ysari se révèlaient bien plus dévastatrices. La mine sombre, le baron prit une feuille de papier aux armes de la baronnie, attrapa sa plume d'oie et se mit à écrire.

~~~~~~~~~~~~~~~~

C'est le coeur serré que j'écris ces mots, car la décision que je viens de prendre est lourde de conséquences, mais la situation l'exige de moi. Je n'ai jamais reculé devant les décisions difficiles, je ne commencerai pas cette lâche attitude aujourd'hui.

Depuis le début, mon mariage avec ma cousine, la vicomtesse Lucrèce de Hetalia, fut placé sous le signe des tourments. La rumeur publique lui attribua des amants, et si je sais que par la chair elle m'est restée fidèle, par la pensée j'ai peu de doutes sur ses sentiments envers moi d'une part, envers Denys de la Vallière ou le "fameux" chevalier d'Adamantine de l'autre.

Suite à l'humiliation publique qu'elle me fit endurer lors du tournoi royal de Diantra face à tous mes pairs, beaucoup de voix s'élevèrent pour me conseiller de la répudier. Mais je refusais ces sages avis, arguant qu'elle apprendrait de ses erreurs. Aujourd'hui, je dois admettre que j'ai eu tort, et de cela je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.

Si pendant quelques temps elle parut se calmer, nous permettant de nous rapprocher et de concevoir un enfant, ses colères et ses lubies ces dernières semaines nous ont inquiété quand à sa santé, car elle paraissait se désintéresser de sa grossesse. Le résultat est hélas que mon fils, mon héritier, est mort avant même sa naissance.

Sans me prévenir, sans mon accord, elle a quitté aujourd'hui mes terres, en compagnie d'un homme pour qui ses tendres sentiments ne font guère de doute. Cela me pose certes un problème en tant que mari, mais pire encore, en tant que baron. Comment un homme peut-il prétendre diriger une terre s'il n'est pas maître dans sa propre maison ?

Ainsi donc, c'est le coeur lourd que j'annonce la répudiation de ma femme, Lucrèce de Hetalia, vicomtesse d'Adamantine. Son comportement, indigne d'une femme de la noblesse, jette l'opprobe non seulement sur moi-même mais également sur mes terres. Cela est plus que je ne peux ou ne veux le tolérer.

Conscient que notre mariage fut arrangé voilà bien des années sans son accord, je ne peux l'abandonner pour autant. Ainsi donc, une rente lui sera fournie à vie par le Trésor d'Ysari afin qu'elle puisse tenir son rang à la cour.

Fait ce premier jour du mois de Favriüs, an 1 du 11eme cycle.

Baron Harnyll de Hetalia.

~~~~~~~~~~~~~~~~

Lorsqu'il eut fini d'écrire, Harnyll fit couler un peu de cire sur le document qu'il replia puis scella du grand sceau d'Ysari. Se levant, le baron sortit de son bureau et pris la direction de la chancellerie de la cire rouge. Le clerc en poste se leva précipitamment en le voyant entrer.

Monseigneur ?
Enregistrez ce décret à la date d'aujourd'hui, mais ne le publiez pas encore. je vous préviendrai quand l'heure sera venue.
Euh... bien... mais le pli étant scellé, sous quelle référence dois-je l'enregistrer ?
Mettez simplement "Lucrèce de Hetalia, Vicomtesse d'Adamantine".

Tournant les talons, le baron quitta la chancellerie, laissant le clerc un peu surpris de l'étrange ordre qu'il venait de recevoir. Ainsi donc, c'était fait, le sort de la vicomtesse tenait désormais à un fil, et ce fil venait de s'effilocher encore un peu plus.

[suite du post précédent]

Mervern ?
Monseigneur ?
Légalement, quels sont mes droits quand à la répudiation de ma femme ?
Eh bien… absolu dirons nous. Stricto sensu, vous êtes le seul dépositaire de l’autorité royale dans votre baronnie, et l’usage veut que le roi ne se mêle que des affaires relatives à la politiques extérieures de ses vassaux.

De fait, durant la guerre civile, le roi avait suivi de près la politique extérieure de l’ancien duc de Serramire, au point finalement de le destituer. Cela restait logique car après tout, les grands féodaux qui composaient le royaume restaient des enfants turbulents, et aussi puissante que soit l’armée royale, elle ne pouvait à elle-seule contrer une trop forte alliance. Tout le monde s’accordait à penser que si le duc Merwyn avait ouvertement rejoint le camp des barons rebelles lors de guerre civile, la couronne n’aurait pas seulement vacillé mais serait peut être tombée.

Et dans les affaires intérieures ? Quel est l’usage ?
Hmm, il n’y a pas de jurisprudence précise, mais votre bisaïeul avait obligé son frère cadet à répudier sa femme qui faisait scandale par ses mœurs dissolues. Le roi d’alors ne s’en était pas ému ni même occupé.
Donc si je publiais un décret répudiant Lucrèce, je serai dans mon droit…

Tout en jouant avec une petite bille de métal… le baron ne se demanda même pas ce que c’était, sans doute un morceau d’une de ses petites armes discrètes mais meurtrières qui constituait son loisir préféré, Silk ajouta d‘une voix distraite :

Vous avez déjà enregistré ce décret auprès de la chancellerie monseigneur.
Silk ! Ne me dites pas que vous m’espionnez moi aussi ! J’étais seul lorsque j’ai rédigé ce décret.
Certes, mais vous ne devriez pas laisser une seconde feuille sous la première, j’ai pu retrouver la majeure partie du texte.
Et qui d’autre est au courant ? grogna le baron.
Personne voyons ! Monseigneur, s’agissant de vos décrets privés je n’ai confiance en personne ! La feuille est brulée et toute trace a disparue, rassurez vous.

Se renversant en arrière, le baron tira sur un cordon. Quelques instants après, un serviteur entra dans la pièce, portant des rafraichissements pour les trois hommes. La gorge sèche, ils savourèrent le vin, chacun réfléchissant à ce qui venait de se dire, et à ce qu’il restait à dire.

Ce n’est pas seulement vos avis de conseiller que je vais vous demander, mais aussi l’avis d’amis. Dois-je publier ce décret ?

Un silence pesant s’établit tandis que Mervern et Silk triaient leurs pensées. La question paraissait simple mais de fait ses implications multiples la rendait quasi insoluble. Ils savaient qu’Harnyll ne poserait cette question à personne d’autre. Des années de service loyaux envers le baron et envers Ysari leur avait permis d’accéder à un rang auquel ils devaient être prêts à traiter des questions aussi graves voire dramatique que le sort de Lucrèce de Hetalia.

Monseigneur, commença Mervern, votre femme se comporte avec une légèreté coupable et attire à elle les soupçons quand à sa fidélité. Néanmoins, l’homme de loi ne se contente pas des impressions. Or pour autant que vous le sachiez, si elle est vous infidèle par l’esprit, elle ne l’est point par la chair.
Pas encore en tout cas, marmonna Harnyll d’une voix cassante.
Votre justice ne peut prendre en compte des suppositions. Jusqu’à ce que vous ayez la preuve de sa trahison, il me parait difficile moralement de la répudier. Et ce jour là, il sera alors toujours temps de publier ce fameux décret.
J’approuve le chancelier, répudier Lucrèce causerait un mini-séisme à Ysari. Il n’est jamais sain de laver son linge sale en public, mieux vaudrait peut être adopter une méthode plus discrète le cas échéant.

Le baron et le chancelier regardèrent le maître espion avec des yeux ronds. Pas de doute, la vie humaine comptait peu pour le sieur Fitzarval face à l’avenir d’Ysari.

Silk ! Un meurtre ? C’est bien de ça que vous voulez parler ?
Tout de suite les grands mots. Votre femme n’a pas une santé fort solide, et un accident est si vite arrivé... Mais il ne s’agit bien sur que d’une solution de dernier recours si vous obteniez une preuve certaine de sa culpabilité.

Tuer Lucrèce ? La faire disparaitre dans un « accident » ? L’impitoyable maître-espion avait mis sur la table une proposition bien délicate qu’Harnyll se garda de trancher, tant elle le rebutait. Certes il était arrivé par le passé que certaines morts paraissent un peu étrange, mais envisager de tuer sa propre épouse. Même après ce qu’elle lui avait fait subir, le baron ne pouvait s’y résoudre.

Bien messieurs, je vous remercie pour vos conseils. Jusqu’à nouvel ordre, le décret de répudiation restera scellé dans les archives secrètes de la chancellerie. Personne, et je dis bien personne ne doit pouvoir y accéder sans mon ordre. Je vous convoquerais de nouveau si Camille m‘envoie d’autres missives.

Saluant leur seigneur, les deux hommes quittèrent la salle, laissant le baron seul avec ses sombres pensées. Décidément il était dit que sa femme lui causerait plus de problèmes que tout autre personne en bas-monde.

[à suivre...]

[suite du post précédent]

Harnyll resta longtemps à méditer suite au départ de ses conseillers. La garder ? Certes, ses conseillers avaient mis le doigt sur un point crucial : si le baron d’Ysari pouvait légalement répudier son épouse sans que personne ne trouve à y redire, il saurait alors au fond de lui-même avoir été injuste avec elle, car jusqu’à son départ d’Ysari en tout cas, elle lui était resté fidèle.

Depuis, c’était une autre histoire, mais il ne voulait pas agir sans preuve. Si elle avait couché avec ce… bellâtre… de Denys, la situation évoluerait.

Peut être Camille lui fournirait-elle des informations supplémentaires ? Dans le cas contraire, le baron était bien décidé à faire cracher la vérité à Denys par n’importe quel moyen. Ses bourreaux travaillaient rarement sur des chevaliers, hors dans les cas de haute trahison comme à Arcani au printemps, mais si ce jean-foutre osait cocufier son seigneur, son châtiment serait aussi raffiné que cruel. Peu adepte des exécutions sanglantes telles la roue ou l’écartèlement, Harnyll se sentait d’humeur à faire une exception à ses principes.

En attendant, il lui fallait agir comme si Lucrèce restait sa femme et n’agissait que par égarement. D’ailleurs cela y ressemblait. Depuis le début de l’été, elle agissait avec froideur et haine envers lui, ce qu’il n’arrivait pas à comprendre mais s’expliquait par l’arrivée de Denys à Ysari à cette époque et probablement le début de cet amour secret. Mais jusqu’au bal, elle avait veillé à maintenir les convenances, agissant en public tout à fait correctement.

Le désir avait-il été trop fort ? Denys avait-il su la persuader ? La perte de son enfant avait-il détraqué son jugement ? Autant de question auxquelles il n’avait hélas aucune réponse. Toutefois, il ne pouvait rester inactif. Elle allait rendre visite au comte d’Odélian ? Et bien… Gaucelm serait le mieux placé pour s’occuper du problème. Prenant une feuille, le baron rédigea une missive à l’adresse du seigneur d’Odélian.

Citation :

Cher cousin,

Je prie les dieux que cette missive vous trouve, vous et votre chère épouse, en bonne santé et l’esprit libre de tout souci. Je ne pourrai hélas en dire autant, tant l’inquiétude ronge mon cœur. Hier, profitant de mon absence d’Ysari, Lucrèce a quitté la baronnie en compagnie de sa camériste et d’un chevalier, soi-disant pour aller vous rendre visite. Ce voyage, je n’étais pas au courant qu’elle le planifiait, faute de quoi j’aurai refusé qu’elle parte avec une si chiche escorte.

Je ne veux pas me montrer injuste sans preuves, mais je ne peux m’empêcher d’imaginer les pires scénarios. Ce chevalier, du nom de Denys de la Vallière est un séducteur impénitent dont les conquêtes féminines sont légions, et qui ne fit jamais mystère de l’adoration qu’il portait à ma femme. Sans doute trouvez-vous surprenant que je m’épanche ainsi dans une lettre, mais cela est déjà de notoriété publique à Ysari, et il m‘est impossible d‘empêcher la rumeur de croître.

Lorsque ma femme arrivera chez vous, je fais appel à votre amitié et à votre sens de la bienséance pour que vous remettiez de l’ordre dans cette folle équipée. Je ne puis tolérer que Lucrèce parcourt seule le royaume en compagnie d’une femme de chambre et de celui qui rêve sans doute d’être son amant. Je veux croire que le code de la chevalerie auquel est tenu Denys l’empêchera d’accomplir l’irréparable, mais le voyage est long, et l’isolement peuvent procurer bien des occasions.

Voilà pourquoi je vous demande, en tant qu’ami, de bien vouloir placer ma femme sous la protection d’un de vos vassaux en qui vous avez tout confiance, un homme qui saura veiller à la fois sur la sécurité de Lucrèce et sur son honneur, ce jusqu’à ce qu’elle ait regagné mes terres.

Votre bien dévoué,
Harnyll, baron d’Ysari.

Ayant scellé la missive de son sceau personnel, le baron la confia à un de ses messagers avec ordre de la porter au plus vite au comte d’Odélian. Il ne lui restait plus qu’à attendre et espérer…