Trouver refuge auprès de la Comtesse [PV Elanore]

Rien ne valait une petite partie de chasse pour se changer les idées. J'adorais cela et je n'avais eu guère le temps de m'adonner à ce loisir depuis que je m'étais mariée. Avec les troubles au Nord, cela devenait encore plus difficile. Mais j'étais sous la protection de mon père et je ne risquais rien ici, surtout avec une solide escorte pour m'accompagner. J'avais donc pu endosser mon habit de chasse, monté ma jument, cadeau de mon époux et pus ainsi profiter du petit gibier. Mon faucon avait besoin de se dégourdir les ailes et de retrouver ses instincts chasseurs et les chiens s'ébattaient joyeusement, avant de se figer pour ensuite filer récupérer la proie. Je revivais lors de la chasse.

C'est donc les joues rosies par l'air frais de l'automne que je rentrai à Etherna. Il me prit l'envie un peu folle de chevaucher seule et donc, de devancer mon escorte qui ne s'attendit pas à pareille hardiesse de ma part. J'étais une excellente cavalière et ma jument était taillée pour la vitesse. C'était un réel bonheur que de se sentir ainsi libre. Et j'avais besoin de ressentir cela. Gaucelm n'était pas un mari étouffant (du moins pas au sens figuré du terme), et nous nous entendions plutôt bien, mais j'avais encore des difficultés à supporter ses assauts le soir venu, dans l'espoir de concevoir un héritier. Pourtant, j'avais un jour de retard aujourd'hui... Et je n'osais trop espérer. Ou craindre.

Dans mes pensées, je m'aperçus qu'un peu tard une silhouette devant moi et je tirai sur les rênes, m'apercevant en même temps que cet homme s'écroulait sous mes yeux, visiblement harassé de fatigue. Sans me poser de question, sans perdre une seconde, je démontai, me précipitant sur lui, bien consciente que cela pourrait être un piège, mais rejetant aussi vite cette mise en garde. Je tentai alors de retourner l'homme sur le dos, pour pouvoir le voir et j'y parvins, non sans effort. Je faillis reculer de stupeur quand je reconnus l'homme.

- "Oh par tous les dieux..."

Je m'agenouillai et repoussai les mèches blondes de son visage trop pâle. Je ne l'avais rencontré qu'une seule fois, dans le secret de la nuit, au fin fond d'une cuisine. Mais je ne l'avais pas oublié.

- "Pierrick... Que vous est-il arrivé?"

Je n'attendais pas de réponse de sa part. Il semblerait que de m'apercevoir ai eu raison de ses dernières forces. Je passai une main douce sur son visage, en espérant qu'il reviendrait à lui, mais ce fut peine perdue. Il était dans un piteux état... Son visage avait été roué de coup, sa lèvre abimée par une pince. Ses vêtements... ne devaient même pas être les siens. Il ne ressemblait plus au jeune homme racé que j'avais découvert aux cuisines. Avait-il été battu? Torturé? Une attaque? Je n'en avais pas la moindre idée, mais je fus soulagée d'entendre mon escorte arriver.

- "Ma Dame, que faites-vous donc! Vous ne devriez pas vous éloigner ainsi, c'est dangere..."

Le capitaine ne termina pas sa phrase, s'approchant vivement pour me forcer à me lever et reculer.

- "Arrêtez Capitaine, je connais cet homme! Il sert la Maison d'Escault. Nous devons le ramener et lui prodiguer des soins. Maintenant."

Je regardai autour de moi, et avisai un jeune homme.

- "Toi, va quérir le guérisseur."

Et à un autre :

- "Et toi, précède nous et fais préparer une chambre. Allez!"

Je remontai sur ma jument, alors que le capitaine ronchonnait mais exécutait mes ordres en hissant le serviteur inconscient sur sa propre monture. Il me devait obéissance. Et mon père ne dirait sans doute rien si cela lui permettait d'entretenir de bonnes relations avec la Dame d'Escault. Je talonnai alors ma jument et nous rentrâmes au palais à un rythme soutenu. Je fus heureuse en arrivant dans la Cour de voir deux pages nous accueillir et prendre le blessé. Mon père aussi était là. Mécontent.

- "Elanore, qu'est-ce que cela signifie?"

- "J'ai trouvé cet homme inconscient sur le chemin du retour Père. Je le connais, c'est un serviteur de la Dame d'Escault et il me semble qu'elle y est attachée. Vous devriez lui écrire une missive pour la prévenir que son serviteur, Pierrick, a été retrouvé à Etherna, roué de coups et inconscient et que nous lui prodiguons les soins nécessaires à son prompt rétablissement."

Mon père me regarda un instant, ouvrant la bouche pour répondre, avant de se raviser et de hocher simplement la tête. Il tourna les talons et moi, j'en profitai pour me diriger vers la chambre où Pierrick avait été emmené. Je pénétrai à l'intérieur et me figeai en découvrant le guérisseur avec son apprentie, déshabillant le jeune homme. La vue de ses plaies me serra le cœur. C'était de la torture.

- "Ma Dame! Vous ne devriez pas être là. Sortez, je vous appellerai quand ce sera terminé."

Je n'eus pas le cœur de protester et je battis lâchement en retraite, attendant que les spécialistes aient fait leur œuvre. Cela me sembla infiniment long, mais la porte finit par se rouvrir sur le vieil homme.

- "Cet homme a été torturé. Je me demande comment il a pu marcher. Ou tenir si longtemps. Tout porte à croire que ses blessures datent s'il y a quelques jours déjà."

- "Est-ce qu'il va s'en remettre?"

- "Oui, les blessures ne sont pas mortelles et nous pouvons écarter une infection au niveau de son pied, fort heureusement. Il lui faudra du repos et reprendre des forces, mais, sauf complications, il est sorti d'affaire."

- "Merci."

Il n'y avait rien d'autre à dire. J'entrai dans la chambre et observai le visage tuméfié de Pierrick. On voyait déjà que les guérisseurs avaient fait leur œuvre, les blessures étaient moins importantes. Je décidai alors de prendre soin de lui, avec la servante que je lui assignai. Je ne savais pas combien de temps durerait son inconscience, mais je n'avais rien de mieux à faire.

Commença alors la longue veille, aidée de ma servante. Quand j'étais là, je chantonnais quelques chansons connues de nos contrées, de ma voix cristalline et réputée dans tout Etherna. Comme si ce chant pouvait accélérer la guérison...

Une journée, puis deux. Monotones, intolérables dans l'attente. Le messager était parti pour prévenir Faustine d'Escault, lui assurant que son serviteur se rétablissait, mais qu'il lui faudrait quelques jours de repos avant qu'il ne reprenne la route. Nous attendions la réponse de la châtelaine à ce sujet. Renvoyer Pierrick avec des hommes d'arme semblait quelque peu exagéré. Après tout, il n'était qu'un serviteur. La réponse de la Dame nous dirait quelle valeur il avait pour elle. Je devinais qu'il lui était précieux et surtout fidèle. Mais c'était tout. Il était resté mystérieux, bien que répondant à mes questions.

Ma servante s'était occupée de le laver, cette tâche n'incombant pas à ma personne, mais je n'avais pu m'empêcher d'éprouver une pointe de jalousie en l'imaginant en train de passer le linge sur les muscles fins et fermes du jeune homme. Il était bel homme, je l'avais remarqué et même ainsi marqué, cela ne m'échappait pas. Mais je devais écarter de mon esprit toute pensée de ce genre. J'étais mariée à un homme riche et influent, je ne voulais pas tout perdre en me laissant aller à des rêveries qui ne me conduiraient nulle part, sinon à ma perte.

Je n'avais que trop rêvé étant enfant et le retour à la réalité avait été brutal. J'en avais fait mon deuil et j'avais décidé de m'arranger de ma situation au lieu de soupirer après ce qui aurait pu être.

Il y avait autre chose qui m'occupait également l'esprit. Un retard. Retard de trois jours maintenant. Étais-je enceinte? Je me sentais bien. Peut-être n'était-ce qu'une fausse alerte, cela m'était déjà arrivé par le passé. Pourtant, cela faisait presqu'un an que nous étions mariés et mon mari n'avait pas ménagé sa peine... Chaque fois, il avait été déçu de savoir que je saignais. Il était un homme d'âge mur, il était temps qu'il ai des enfants et je n'étais là que pour cela, je le savais pertinemment. Mais je n'éprouvais nul désir de maternité.

Pierrick sembla alors se réveiller, m'arrachant à mes préoccupations et je souris, me levant pour aller demander un repas pour le jeune homme, avant de retourner à ses côtés et de lui murmurer qu'il revenait de loin. Je n'osais imaginer les douleurs qu'il avait ressenti. Et pour quelles raisons?

- "Cela aurait pu si vous étiez resté seul quelques heures de plus."

J'évitais de regarder son torse dénudé. Je l'avais déjà vu alors qu'il dormait, ce n'était rien. Il était convalescent... Mais cela n'avait rien à voir avec le physique de mon époux et je me surpris à avoir envie de toucher ce ventre plat et ferme, ces pectoraux de jeune homme. Je relevai le regard vers lui, plongeant dans ses yeux bleus alors qu'il demandait combien de temps il avait dormi.

- "Deux jours entiers. Vous en aviez besoin, le guérisseur l'avait prédit. Quoique non, pour être exacte, il avait parlé de trois ou quatre jours. Vous êtes un robuste... Il a été ébahi que vous ayez encore été conscient malgré vos blessures."

Une question muette se lisait dans mon regard, mais je ne la formulai pas tout de suite, reprenant pour l'informer :

- "Un message a été envoyé à votre maîtresse. J'espère que vous n'étiez pas en fuite, sinon, nous avons commis une erreur en la prévenant."

- "De rien, c'était la moindre des choses."

Je fus soulagée d'apprendre que ce n'était pas elle qu'il fuyait et pas elle qui l'avait mis dans cet état. J'aurais été fort marrie de lui rendre son serviteur si elle s'était ainsi acharnée dessus. Je ne savais pas grand chose de la Dame d'Escault, mais il ne me semblait pas que la cruauté fasse parti de ses attributs ou défauts. C'était une femme autoritaire, qui savait ce qu'elle voulait, enrobant le tout dans un écrin de douceur et de séduction. Mais de là à être cruelle... Non, je ne l'imaginais pas. Et je ne lui aurais sans doute pas rendu Pierrick si tel avait été le cas. J'étais sa comtesse, elle me devait respect et obéissance. Elle n'aurait pas pu s'élever contre moi si j'avais décidé de garder le jeune homme à mon service. Évidemment, Gaucelm, lui, n'aurait pas apprécié.

Un sourire dansa sur mes lèvres quand il me remercia pour mes bons soins. Plus qu'il ne méritait... C'était sans doute vrai. Il n'était pas seigneur, même pas noble et je n'aurais pas du prendre tant à cœur son sort. Mais c'était ainsi et je n'y pouvais rien. Je me souvenais de lui, il m'avait marqué et j'étais un cœur tendre, enclin à aider les autres quand j'en avais les moyens.

- "Je n'avais rien de plus important à faire. Jouer les gardes malades ne me dérange pas. Disons que cela est en remerciement de notre petite conversation nocturne. Vous avez dit des choses qui sont restées gravées dans ma mémoire."

Il m'avait conseillé, de façon discrète. Il m'avait encouragé et complimenté, avec simplicité, mais aussi un sérieux qui me faisait penser que ses paroles n'étaient pas jetées au vent et simplement destinées à me flatter. Il remarqua alors que j'étais interrogative dans mon regard et je souris, un brin embarrassé, avant de finalement demander :

- "Cela ne me regarde sans doute pas mais... Vous avez été torturé. Pourquoi? Que vous voulait-on?"

Je me mordillai la lèvre, reprenant dans un murmure :

- "Vos blessures... Comment avez-vous supporté cela? Je n'ose même pas imaginer la souffrance que cela a du susciter."

Je faisais part de mon horreur, certes, mais aussi de mon admiration pour celui qui avait vaillamment supporté tout cela et qui tenait encore debout 4 ou 5 jours après, sans soins adéquats. J'étais femme, j'étais jeune, je n'étais pas entrainée à supporter la douleur. Je savais que certaines personnes la ressentaient moins, repoussant chaque fois leur limite pour ne plus la craindre, pour ne pas céder devant elle. Pierrick faisait-il parti de ces personnes? On ne s'improvisait pas héros. On ne se découvrait pas une volonté de fer si facilement... Mais s'il était libre, cela signifiait-il qu'il avait parlé? Qu'il avait livré ses secrets à ses ravisseurs? mais quels secrets?

Je le regardais avec des yeux ronds quand il m'avoua qu'on voulait des informations sur sa maîtresse, mais surtout qu'il n'avait pas répondu à la première question : s'il était effectivement de sa maison ou non. S'il avait déjà fait de la rétention d'information dés le départ, cela avait du passablement énerver ses tortionnaires... Je lui fis part de mes interrogations sur sa résistance, lui exposant mon horreur devant les châtiments corporels dont il avait été victime. Je ne concevais pas que l'on puisse résister à cela. On devait avoir envie de tout dire pour que cela cesse, voire de mourir pour enfin être libéré. Ce qu'il me confirma avant de parler de son errance après tout cela, dans le seul but de la prévenir. Je n'en croyais pas mes oreilles... Une telle loyauté était irréelle. Était-ce seulement cela? Ou bien y avait-il quelque chose de plus complexe entre la Dame et le serviteur? De l'amour? Elle ne serait pas la première à s'éprendre d'un serviteur et elle était veuve, libre de faire ce que bon lui semblait. Et Pierrick était loin d'être désagréable à regarder, sans compter qu'il avait une certaine éducation.

- "Votre maîtresse a bien de la chance de pouvoir compter sur un homme tel que vous."

J'étais presque envieuse. Qui supporterait ainsi la torture pour moi? Pour ma sécurité? Personne, je le craignais. Je n'avais personne qui me soit si fidèle ou qui m'apprécie ainsi. Même mon époux ne remuerait pas ciel et terre pour moi. Sauf s'il était certain que j'étais enceinte de son héritier. Une vague de mélancolie m'envahit à ces pensées, peu heureuses et je les repoussai quand il me demanda d'informer la dame d'Escault qu'elle devait venir à Odelian, sous bonne escorte.

- "Oui, je lui ferais parvenir ce message. A moins que vous ne souhaitiez lui écrire vous-même et le sceller? Je suppose que certaines informations ne me regardent pas, ni le messager."

Je ne doutais pas qu'un homme comme lui savait écrire. Une autre question vint, sur sa convalescence. Un petit sourire l'accueillit et je répondit doucement :

- "Vous vous remettez vite. Je pense que vous pourrez vous lever d'ici deux jours, le temps de récupérer des forces en vous alimentant, ce qui n'a pas été le cas depuis que vous êtes ici."

D'ailleurs, en parlant de ça... On frappa à la porte et une servante revint avec un plateau comportant du pain, des tranches de viande, des fruits et même du vin. Je laissais la servante poser le plateau près du jeune homme, avant de la regarder sortir.

- "Le traitement commence maintenant. Mangez. J'irais chercher le guérisseur ensuite qu'il puisse vous examiner et répondre à ce genre de questions de façon plus pertinente que moi."

Mais une autre question me vint en tête, en rapport avec son état et surtout au fait qu'il soit là devant moi et pas gisant dans un fossé quelque part.

- "Pourquoi n'êtes-vous pas mort? Quand bien même vous n'auriez pas parlé, ils auraient du vous tuer pour vous empêcher de prévenir votre maîtresse... Leur avez-vous échappé?"

- "Très bien."

J'écrirais donc une lettre pour la Dame d'Escault, en lui donnant un peu plus d'informations que la précédente, envoyée par mon père. Je pouvais la rassurer sur l'état de santé de son serviteur et lui expliquer qu'il craignait pour sa sécurité et qu'il préconisait qu'elle se rende à Odelian sous bonne escorte. L'écouterait-elle? Il n'était pas un simple valet, de cela j'étais certaine. Il parlait de la prévenir, voire même de lui dicter sa conduite et ne semblait pas craindre qu'elle ne se fâche ou qu'elle n'écoute pas. Ses conseils étaient-ils si avisés qu'elle les écoutait? Cet homme m'intriguait toujours et rien de ce qu'il pouvait dire ou faire ne pourraient m'ôter de la tête qu'il était davantage que ce qu'il prétendait être.

Je n'allais cependant pas le harceler de questions alors qu'il avait besoin de reprendre des forces. Elles ne manquaient pas pourtant. Le repas que j'avais fait demander nous fut enfin amené. Seulement pour lui. Je n'avais pas besoin de manger à cette heure-ci, c'était déjà fait. Et manger avec un serviteur aurait pu être étrange. Le garder aussi, mais c'était moi qui l'avait trouvé et je m'inquiétais pour sa santé, comme de celle de n'importe qui. J'avais toujours agi ainsi à Caerlyn, cela n'avait rien d'étonnant venant de ma part.

Malgré ma résolution de ne pas le harceler de questions, il en est une qui franchit mes lèvres concernant sa façon de se sortir de ce mauvais pas. Je doutai qu'on l'ai laissé partir tranquillement alors qu'il n'avait rien dit, afin qu'il prévienne sa maîtresse. Il avait du s'enfuir. Ce qu'il me confirma, non sans ajouter qu'il avait du tuer deux hommes pour cela. Je hochai doucement la tête : la fin justifiait les moyens.

- "Vous avez saisi l'occasion."

Je ne condamnai pas le meurtre. De toutes façons, qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire ce que je pensais? Il n'était pourtant pas obligé de spécifier qu'il avait tué. Il aurait pu passer cela sous silence pour ménager ma sensibilité féminine. Il se mit alors à manger, ou du moins, il essaya, mais un quignon de pas farceur vint s'en mêler et tomba à terre. Il fut plus rapide que moi et tenta de le récupérer, mésestimant ses forces et se retrouvant finalement en méchante posture. J'oscillai entre la gêne et l'amusement et j'éclatai finalement de rire.

- "Vous n'êtes pas raisonnable et vous voilà dans une position ridicule."

Ce rire cachait peut-être ma gêne finalement, car il me fallut bien me lever pour l'aider à se sortir de ce mauvais pas. Ce qui incluait de le toucher pour l'aider à se rasseoir dans le lit. A toucher sa peau laissée à nu. J'évitai de trop y penser et mes mains entrèrent en contact avec la peau de son torse, pour l'aider à se redresser, non sans effort. Je n'étais pas bien grosse et Pierrick était un jeune homme en pleine possession de ses moyens. Le feu me monta aux joues quand l'opération fut terminée et je glissais avec beaucoup moins d'assurance :

- "Je... je vais aller chercher le guérisseur. Restez tranquille en attendant."

La fuite pour cacher mon trouble en somme. Je quittai la pièce, allant quêter de l'aide. De l'aide pour mon esprit quelque peu troublé et pour oublier la sensation de sa peau sous mes doigts. Peut-être était-ce simplement un émoi de jeune fille peu habitué à toucher les hommes? Je n'avais connu que mon mari et il n'entrait pas tout à fait dans mes critères de beauté et mes attentes. Je trouvai enfin le vieux guérisseur et lui expliquai que le convalescent était réveillé et en train de manger pour le moment. J'avais retrouvé mon calme. Je le suivis donc alors qu'il allait voir Pierrick et restai prudemment en retrait.

- "Bien le bonjour! Vous êtes réveillé plus tôt que je le pensais! Comment vous sentez-vous?"

Je devais me reprendre. Je devais chasser mes pensées impures de mon esprit. Il n'y avait plus de place pour les rêves. Et convoiter un autre homme était dangereux quand on était mariée à un homme comme Gaucelm. Je savais son opinion à cet égard. Il ne me serait laissé aucun doute et il ne se montrerait pas aussi clément que l'époux de Lucrèce. Non, j'aurais le droit à une lapidation en bonne et due forme et Pierrick serait tué, d'horrible manière, sans aucun doute. Gaucelm tenait à ses biens, et j'étais à lui. Je ne devais être qu'à lui. Je devais me montrer plus prudente. Plus inaccessible aussi. J'avais passé beaucoup de temps au chevet de Pierrick, mais c'était normal non? C'était moi qui l'avait trouvé et moi qui l'avait sauvé, avec le Guérisseur, il était normal que je m'inquiète de la santé de mon protégé. Et tout le monde en Etherna, savait que j'avais bon cœur et que je prenais soin des malades ou des prisonniers, leur apportant un peu de réconfort. Que je fasse de même avec Pierrick n'avait rien d'étonnant, mais Gaucelm pourrait y voir une preuve de culpabilité de ma part. Et je devais absolument éviter cela.

Quand je revins avec le guérisseur, j'avais de nouveau repris le contrôle de moi même et de mon cœur traitre. En retrait, je baissais chastement le regard, laissant les deux hommes deviser. Je ne m'étais montrée que trop hardie. Mais le souvenir du contact de la peau chaude de Pierrick, de la sensation de ses muscles élastiques sous ma paume, me brûlait les doigts. Néera, ai pitié de moi et guide-moi...

Le guérisseur s'enquit alors de l'état de santé de son protégé qui répondit spontanément. Je souris intérieurement, mais n'en montrai rien.

- "En effet, vous avez eu de la chance que la Comtesse vous trouve. Quelques heures de plus et vous n'auriez sans doute pas survécu... Surtout votre pied. Vous avez eu de la chance que l'infection ne se mue pas en gangrène... Quelle idée de marcher dans ces conditions et avec ces bandages de fortune!"

Je me mordis la lèvre. Il n'avait pas vraiment eu le choix et le guérisseur le savait aussi bien que moi, puisque c'était lui-même qui avait parlé de torture et de fuite ensuite. L'instinct de survie était si puissant...

- "Je mise sur une bonne semaine avant de pouvoir vous servir de votre pied blessé jeune homme. Comme je vous l'ai dis, vous avez de la chance de l'avoir encore. Il faut le laisser guérir et cicatriser. Je suis guérisseur, mais je ne fais pas de miracle. Votre corps doit continuer le processus de guérison que j'ai initié. En attendant, il vous faut reprendre des forces pour aider votre corps. Vous pourriez vous lever dans deux ou trois jours, si vous vous servez d'une béquille pour ménager votre pied. Et dés que vous pourrez marcher sans vertiges, vous pourrez repartir."

Repartir où? Il m'avait demandé de prévenir la dame d'Escault de se rendre en Odélian... Je supposais qu'il s'y rendrait aussi. A moins qu'il ne décide d'en savoir plus sur ces hommes qui l'avaient attaqué...

- "Ma Dame, pourriez-vous nous laisser seuls quelques minutes, le temps que j'examine mon patient?"

- "Oui, bien sur."

Je m'éclipsais donc, laissant les deux hommes seuls.

Le guérisseur se rapprocha de Pierrick et examina son visage, puis son torse, ses mains, défit le bandage de ses pieds pour les vérifier, y appliqua un onguent, il apposa doucement les mains.

- "Vous avez été durement torturé jeune homme."

Je tressaillis quand Pierrick répondit à la remontrance du guérisseur que s'il n'avait pas marché ainsi, il serait sans doute mort dans un fourré. Oui, c'était probable, mais j'admirais cette force de caractère qui l'avait poussé à avancer malgré l'épuisement, la douleur, le doute... Il avait un but : survivre pour prévenir sa maîtresse. J'aurais aimé avoir un serviteur aussi dévoué, prêt à endurer la torture et à combattre la mort pour moi. Quelle femme ne rêverait pas de cela de la part d'un homme? J'écoutais la conversation dans mon coin. Pierrick serait alité encore une bonne semaine, il était passé prêt de conséquences bien plus graves qu'un simple alitement forcé de quelques jours. Il allait devoir prendre son mal en patience. Le guérisseur acquiesça à sa réponse. En effet, c'était déjà un miracle qu'il s'en sorte vivant. Il ne fallait pas être trop gourmand. Il me congédia alors, le temps d'examiner les blessures et j'obéis sagement, les laissant entre hommes et tentant de mettre un peu d'ordre dans mes pensées. Pierrick avait déclenché en moi un vif émoi et je savais que cela risquait de m'être préjudiciable. Je ne pouvais pas m'enticher d'un serviteur. D'aucun homme en fait. Gaucelm serait sans pitié et je ne voulais pas mourir et entrainer un autre dans la tombe. Peu importaient les preuves, Gaucelm avait ses propres idées et il n'en démordait pas. Je devais être prudente à l'avenir.

Je pus de nouveau rentrer quand le guérisseur me donna le feu vert et sourit quand il demanda du thé en supplément de la nourriture. Je me souvenais de notre première rencontre, alors qu'il m'avait parlé de ces fameux thés. Une plante pour chaque état d'esprit, pour des résultats différents. Il ne souhaitais pas dormir, mais se retaper. Le souvenir de notre entrevue dans la cuisine dansait dans mon esprit et je croisais son regard, me demandant si lui aussi y songeait en cet instant.

- "Naturellement. Je ne vois nul abus dans cette requête."

Le guérisseur nous regarda l'un et l'autre, avant de finalement prendre congé et d'annoncer qu'il repasserait le lendemain, si toutefois, nous n'avions pas besoin de ses services auparavant. Je le remerciai et me retrouvais de nouveau seule avec Pierrick. Un brun embarrassée.

- "Pensez-vous que la Dame d'Escault écoutera vos recommandations et ira droit chez mon époux?"

Je préférais parler d'un sujet plus neutre. Qu'une noble écoute son serviteur était assez étonnant, mais je ne savais pas ce qui les liait. Et s'il était une sorte de garde du corps, je supposais qu'elle devait lui faire confiance. Elle ne viendrait pas ici de toutes façons, n'est-ce pas? Pourquoi le ferait-elle pour un simple serviteur? Non, soit elle l'ignorerait et attendrait qu'il retourner à Escault, soit elle irait voir mon époux qui apprendrait que j'avais sauvé l'homme lige de sa vassale.