Promesse tenue [Mac et cie]

Suite de ce rp

Sous le choc de la découverte, Macabre resta de marbre. Zaahrian essaya de lui parler, mais c’est comme si elle ne l’écoutait pas. À cet instant, il commença à croire que ses craintes étaient peut-être fondées finalement. Peut-être qu’il n’y avait rien à faire pour ramener Macabre parmi les vivants. Il insista doucement pour la faire sortir d’ici en tirant sur son bras, mais la porte du bureau s’ouvrit à l’instant sur un drow en colère qui lança aussitôt une dague en sa direction. Avant que Zaahrian ait pu réagir, il vit le couteau dévier de sa trajectoire en traçant un arc de cercle et se planter dans le cou du drow. Calel entra ensuite dans le bureau en faisant remarquer qu’ils avaient suffisamment tardé. C’était à cause de lui le couteau volant? Bon, ce n’était pas le temps pour les questions. Zaahrian souleva Macabre dans ses bras. Elle était si légère contre sa poitrine, pas plus lourde qu’un enfant. Ça lui brisait le cœur. Le trio se dirigea vers le sous-sol où ils devaient reprendre l’accès aux égouts pour éviter d’attirer inutilement l’attention. Ils y étaient presque jusqu’à ce qu’ils tombent une fois de plus sur un des larbins de Don’dar menaçant une petite blonde. Ce fut la dernière chose qu’il fit de sa vie alors que Calel s’occupa de lui un peu de la même façon qu’avec le précédent. À ce stade, Zaahrian avait compris depuis longtemps que le forgeron était un mage. Il aurait pu bougonner sur le fait qu’il utilisait de la magie, mais cette magie lui avait sauvé les fesses deux fois plutôt qu’une en l’espace de quelques minutes à peine. Il n’était pas ingrat à ce point. À leur arriver, ils étaient deux et maintenant ils étaient quatre. Mission accomplie.

Après un rapide passage dans les égouts, ils débouchèrent dans une ruelle non loin de la maison de Zaahrian. Pendant tout le trajet, il parla doucement à Macabre. Il ne savait pas quoi lui dire vraiment, alors il insistait sur le fait que tout irait bien maintenant, que c’était terminé et qu’elle aura maintenant doit à un bon bain, à un repas et aussi à un lit. En fait, elle aurait tout ce qu’elle désirait. Elle n’avait qu’à demander et l’offre tenait aussi pour son amie même s’il ne la connaissait pas. La maison de Zaahrian était déserte comme il s’y attendait. Ses derniers esclaves devaient avoir pris la fuite en apprenant la rumeur de sa mort. Ils étaient donc tranquilles, mais ça compliquait aussi la tâche pour les soins. Juste pour le bain, Zaahrian devra chauffer l’eau et la transporter dans toute la demeure pour remplir la baignoire. Peu importe, il était prêt à transporter des seaux dans toute la ville si ça signifiait que Macabre pourrait enfin se laver.

Zaahrian la porta jusqu’à une chambre d’invité qu’il n’utilisait jamais. C’était une grande pièce avec un grand lit noyé de coussins de soie. Une porte-fenêtre donnait sur un petit balcon et il y avait aussi une baignoire cachée par un paravent en bois sculpté.

« Voilà, c’est ta chambre pour aussi longtemps que tu voudras. Tu peux ouvrir la fenêtre et laisser entrer l’air et il y a aussi une baignoire. Je vais aller chercher de l’eau chaude, tu pourras te laver et te débarrasser de tes affreux vêtements. »

Il y avait tant de choses à penser, tant de choses à faire. Zaahrian se sentait un peu dépassé et impuissant. Il l’avait arraché des griffes de ce Don’dar et ça lui paraissait maintenant comme la partie facile de ce plan. Pour le reste, il ne pouvait pas faire grand-chose hormis être là, mais simplement faire acte de présence lui semblait être bien futile. Heureusement, il n’était pas complètement seul. Il pouvait compter sur Calel qui était devenu son ami par la force des choses et sur Yasmine pour les soins et toutes les choses qu’il n’osait pas faire lui-même, car il était un homme et qu’il ne voulait pas violer l’intimité de Macabre en l’aidant à prendre son bain, par exemple. Zaahrian les remercia profusément, en jurant devant les dieux qu’il sera toujours là pour eux quoiqu’il arrive. Ils n’avaient qu’à demander. Zaahrian les invita même spontanément à venir manger chez lui juste avant de se rappeler qu’il n’avait personne pour cuisiner. Il leur dit d’attendre une ennéade ou deux, le temps qu’il se trouve quelqu’un. Un repas dans une auberge aurait pu faire l’affaire, mais l’assassin insistait pour que ça se passe chez lui. Sa grande maison était bien vide et il souhaitait la remplir avec quelques éclats de rire. Il espérait aussi que le fait de voir des gens rires et se détendre aiderait Macabre à sortir un peu de sa coquille. Zaahrian ne la forcerait pas à se joindre à eux, mais si elle souhaitait les observer, même à travers les ombres, elle étaient la bienvenue. L’assassin ne savait pas encore si un jour il pourrait l’entendre rire ou même la voir sourire, mais il était prêt à tout faire pour que ça arrive.

Alors que Zaahrian lui parlait, le regard de Macabre ne quittait plus la tête de Don'dar. Puis, quand l'humain entra à la suite du sombre, elle n'eut aucune réaction. Enfin, lorsque son neveu la souleva de terre pour l'emmener, elle ne dit rien, ne réalisant même pas ce qu'il se passait. Elle voyait pourtant... Elle assistait à la chute de son maître et de son entreprise mais elle en demeurait la spectatrice, comme impuissante face à la déchéance de celui qu'elle croyait intouchable. Un monde s'effondrait. Ce n'était pas le sien, certes, mais c'était celui dans lequel son esprit avait été reconstruit après avoir été brisé. C'était ce qui faisait qu'elle existait. Ou, tout du moins était-ce ainsi qu'on le lui avait dépeint.

Finalement, Zaahrian la posa et elle regarda la pièce sans vraiment la voir...

Sa chambre ?... Ah... Oui... Il y avait un lit...
Une baignoire ?... Elle n'était même plus sûre de se souvenir de la sensation que représentait de se baigner dans de l'eau chaude.
Ses vêtements ?...

Le demi-elfe s'en alla, la laissant seule.

Qu'est-ce qu'ils avaient ses vêtements ?

Macabre baissa les yeux sur ce qu'elle portait et elle découvrit la robe noire que Don'dar la forçait à mettre pour tuer. Si le sang ne se voyait pas, il se sentait. Sans parler ce pan de tissu rendu rigide par l'hémoglobine séchée.
Soudain, la petite elfe s'agita, retirant un gant, puis un deuxième... Lorsque Zaahrian revint avec son premier saut d'eau chaude, il trouva du linge noir sur le sol qui avait été retiré en hâte. Dans un coin de la pièce, la jeune femme n'était plus qu'une petite masse de chaire pâle si repliée sur elle-même qu'elle en cachait toutes les intimités. Quelques traces de sang se démarquaient encore si bien sur son teint pâle...
A présent nue, le demi-elfe pu constater davantage l'étendue des violences qu'elle avait subi. Il n'y avait pas qu'à son esprit qu'il avait touché... Elle était si maigre que ses côtes se creusaient outrageusement. Lames, pointes et fers rouges avaient laissés leur empreinte dans sa chaire. Des lambeaux de peau avaient été arrachés à d'autres endroits que sur son visage. Visage qu'elle gardait soigneusement caché, tournant la tête dans le sens opposé à celui de la porte.
Heureusement, Calel arriva bien vite avec Yasmine et celle-ci prit immédiatement la petite elfe en charge. Macabre était certes apathique mais elle fit tout ce que la blonde lui demanda sans sourciller. Elle se leva et la suivit jusque derrière le paravent. Elle se positionna debout dans une large bassine et se laissa savonner puis rincer. L'humaine répéta l'opératoire deux fois supplémentaires pour être sûre qu'elle soit parfaitement propre. Puis elle la fit entrer dans le bain et resta avec elle jusqu'à ce que l'eau soit trop tiède. Elle lui demanda de sortir, la sécha et lui fit mettre une robe que Zaahrian avait déniché dans les affaires abandonnées par ses esclaves. Enfin, elle l'avait laissée, assise sur le lit, l'invitant à se reposer. Lorsqu'elle sortit de la pièce, dès la porte fermée, elle fondit en larmes. Elle avait profité du bain pour examiner Macabre et avait une vue totale de tout ce qu'elle avait subi physiquement.

Comment pouvait-on faire cela à quelqu'un ? Et en si peu de temps ?
Comment était-elle parvenu à l'endurer sans en mourir de douleur ?

Alors que ses yeux étaient noyés de larmes et ses poumons secoués de sanglots, elle sentit des bras l'envelopper. Calel venait de terminer d'aider la seconde d'elfe à se laver. Il avait rapporté une invention de son fils pour les personnes éprouvant des difficultés à tenir debout : une chaise placée dans une très large bassine dont l'assise était si ajourée qu'elle permettait de se laver et se rincer sans problème. Ainsi, la Noss avait pu faire sa toilette seule avant de s'envelopper d'un grand drap pour que le forgeron puisse la porter dans son bain et l'en ressortir lorsqu'elle eut fini. Il l'avait ensuite laissée le temps qu'elle s'habille et était revenu pour sécher et brosser sa chevelure, tel qu'il le faisait pour son épouse quinze ans auparavant...
Calel ignorait ce qui provoquait les pleurs de la jeune mage exactement mais il le soupçonnait... S'il n'éprouvait aucune satisfaction dans ce qu'il avait fait chez Don'dar, il n'en avait pas de remord pour autant. Cinq vies avaient été prises, de mauvaises vies, pour en sauver deux, innocentes.

Après plusieurs minutes, alors que Zaahrian venait de les remercier pour leur aide, Yasmine se remit peu à peu de ses émotions, se concentrant sur la tâche qui devait être la sienne. Si elles mouraient de faim et de soif, elle lui recommanda de ne pas trop les abreuver ni les nourrir. Il fallait commencer petit et facile à digérer pour augmenter très progressivement vers une alimentation plus solide et plus copieuse afin que leur corps reprenne l'habitude de s'alimenter. Le sentant un peu pris au dépourvu, elle sécha ses larmes et se rendit en cuisine pour lancer la préparation d'un bouillon, montrant au demi-elfe comment faire de la façon la plus simple qui soit.
Alors que le repas plus que léger des deux elfes achevait de cuire, Calel et Yasmine prirent congé. Juste avant de partir, la jeune femme se tourna vers Zaahrian.

-Lorsque je l'ai examinée, j'ai vu qu'il y avait une partie de son corps qui était intacte. Il y a une façon dont ce monstre ne l'a pas touchée...

Une... Et une seule... Mais une importante. Après tout ce qu'elle avait subi, on pourrait croire que ce n'était rien mais, pour une femme, c'était tellement de choses. Yasmine adressa au demi-elfe un sourire timide et encourageant pour lui faire comprendre qu'il fallait s'en réjouir. Le sombre avait altéré son corps et son esprit mais il ne l'avait pas souillée. Une partie d'elle demeurait vierge de sa présence.

Les deux elfes mangèrent dans leur chambre respectives. Le repas fut certes maigre mais il était bien plus riche et bien meilleur que tout ce qu'on leur avait servi en quatre ans et demi. La Noss se força à manger doucement pour ne pas se faire mal au ventre avec ses trois cuillères mais elle ne bouda pas son plaisir. Si elle ne pouvait communiquer autrement que par le geste, ceux-là furent explicites. Macabre, quant à elle, demeurait le regard perdu dans le vague... Elle se laissa nourrir mais sans réaliser qu'elle mangeait chaud pour la première fois depuis des années. Zaahrian resta avec elle, essayant toujours d'obtenir une réaction de sa part. Dans le couloir, quelques pas hésitants approchèrent de la porte ouverte de la chambre de la mage des ombres. Le bouillon avait redonné quelques forces à la blonde. Entendant la voix de l'un de ses sauveurs mais aucune réponse de sa voisine, elle avait décidé de prendre sur elle pour venir l'aider. Après tout ce qu'elle avait fait pour elle, elle lui devait au moins cela...
Elle apparut sur le seuil et découvrit son amie d'infortune prostrée et croisa le regard désespéré de son neveu. La Noss sut immédiatement ce qu'elle devait faire...

-Ciryië ?

Macabre réagit aussitôt. Sortant de sa torpeur, elle tourna la tête vers la Noss et lui répondit comme elles le faisaient depuis quatre ans.

-Miresgal.

La voyant, il lui fallut encore quelques secondes pour se rendre compte qu'elle n'avait pas aperçu son visage depuis longtemps. Elle observa ses cheveux mouillés et mit la main dans ses propres cheveux. Elle découvrit sa robe et baissa les yeux sur ses propres vêtements. Elle vit une silhouette près d'elle et tourna la tête pour se rendre compte que Zaahrian était là. Elle le savait pourtant, mais elle n'avait pas réalisé... Puis, suivant le tracé dessiné par le bras du demi-elfe, elle s'aperçut qu'il la touchait.
Ciryië fut aussitôt prise de panique et se dégagea de l'étreinte de sa main.

-Non... Non !!!

Elle se leva pour descendre du lit et tomba à moitié pour se rattraper de justesse à une colonne du baldaquin. Elle plaça des mains devant elle comme pour l'empêcher de l'approcher.

-Ne me touche pas !

Elle observa la main qui était posée sur elle l'instant d'avant pour s'assurer qu'il n'avait rien. Puis elle replia les bras contre elle, recroquevillant ses mains et reculant jusqu'à ce qu'elle ne puisse pas s'éloigner davantage de lui. Ses yeux se noyèrent de larmes tandis qu'elle lui lançait un regarde suppliant.

-Ne m'approche pas...

Il ne l’avait pas touché de cette façon, c’était au moins ça, mais vu son état général, est-ce que ça changeait vraiment quelque chose. Après avoir lui-même avalé un petit quelque chose, il remonta dans la chambre de Macabre. Il hésitait à la laisser seule. Il ne voulait pas imposer sa présence, mais il souhaitait rester près d’elle au cas où quelque chose arriverait. Dans l’immédiat, Macabre n’avait toujours pas de réaction. Depuis qu’elle s’était prostré sur son lit, elle n’avait toujours pas bougé. Zaahrian continuait de lui parler d’une voix douce dans l’espoir de provoquer une réaction, mais rien. La porte de la chambre s’ouvrit sur la blonde, l’autre elfe qu’ils avaient sauvé. Elle ne parlait pas leur langue et, pour être honnête, Zaahrian ne lui avait pas accordé autant d’attention qu’à Macabre, mais il fut soulagé de la voir. Elle dit un mot, Ciryië et la réaction fut immédiate. La petite elfe leva la tête et parla à son tour, un seul mot. Zaahrian comprit qu’il devait s’agir de leur nom. Il ne comprenait pas l’elfique, mais qu’est-ce que ça pouvait être, sinon ? Est-ce que les elfes avaient une façon de demander comment ça va en un seul mot ? Il n’eut pas l’occasion de pousser plus loin sa réflexion. Il avait juste posé sa main sur la sienne, rien de plus, mais Macabre réagit comme s’il venait de la frapper. Elle bondit du lit, manquant trébucher.

« Macabre, attend ! »

Zaahrian se leva, les bras le long du corps. Il voulait l’approcher, mais ce n’était pas une bonne idée, pas dans son état. Elle ne voulait pas qu’il le touche, pourquoi ? Est-ce que Yasmine s’était trompée en disant que Don’dar ne l’avait pas violé ? Pour le savoir, il devait trouver le moyen de l’apaiser.

« Très bien, je ne te toucherai plus, c’est promis. Pardonne-moi, je ne voulais pas te faire du mal. Tout va bien. Regarde, il n’y a que moi et… Miresgal ? C’est bien cela ton nom, Miresgal ? » En disant cela, il pointait du doigt l’autre elfe en espérant qu’elle comprenne sa question.

La Noss parvint sans mal à interpréter les paroles du demi-elfe et acquiesça d’un signe de tête. La petite elfe, quant à elle, secouait la sienne de droite à gauche. Il ne comprenait pas...

-Je n’ai pas peur de toi… Dit-elle tandis qu’elle serrait un peu plus fort ses mains contre elle, fuyant le contact — pourtant si lointain — de Zaahrian. Quelques larmes coulèrent de ses yeux, éclaircissant très brièvement sa vue.

« Alors, explique-moi, je t’en prie. J’essaie juste de comprendre. Je veux te protéger et… honnêtement, je suis un peu dépassé. Si tu ne me dis pas ce qui ne va pas, je ne pourrai pas t’aider. »

— C’est moi qui t’aies fait du mal. Je ne veux pas que ça recommence…

« Non… Non pas du tout, ce n’est pas de ta faute. En fait, si quelqu’un est fautif ici, c’est moi. J’ai été négligeant, très très négligeant. Tu m’as sauvé la vie. Sans toi, je serais mort dans cette cellule. »

Il fit un pas vers elle en espérant qu’elle ne chercherait pas à s’éloigner. Zaahrian devait vraiment sa vie à Mac et il fallait qu’elle le comprenne. Sa décision de tourner le couteau au dernier moment lui avait sauvé la vie. Certes, il avait eu vraiment mal, mais il était encore là aujourd’hui, voilà le plus important.
La petite elfe restait terrée dans son coin, se recroquevillant sur elle-même. Ses joues étaient mouillées de larmes maintenant.

-Je ne voulais pas… Je fais du mal à ceux auxquels je tiens, je ne veux pas…

« Évidemment que tu ne voulais pas et c’est de ma faute si tu as été forcé de le faire. Donc tu as toutes les raisons de m’en vouloir. Tu peux dire : Zaahrian, tu as été vraiment con. Allez te saouler sur le territoire de Don’dar alors que tu le suis à la trace depuis 2 ans, tu cherchais clairement les ennuis. Tu vois, moi aussi j’ai pensé pendant un temps que je faisais du mal aux gens que j’aimais. J’ai perdu mon meilleur ami Guilin… puis mon père… Je me suis vraiment senti responsable pour Guilin. Il est mort en voulant aller à ma recherche. Je ne sais pas exactement ce qui est arrivé, mais il a disparu. J’ai retrouvé son arc dans une boutique d’armes. Je l’ai reconnu à cause d’une encoche sur le bois que j’ai fait en déconnant. Bref, si je lui avais donné de mes nouvelles, il ne serait pas parti à ma recherche et il ne serait pas mort. Donc oui, c’est de ma faute, mais en même temps, il aurait pu se faire attaquer à tout moment. Il y a des choses qu’on ne contrôle pas. Elles arrivent comme ça et ça fait chier. Je ne suis pas entièrement responsable de la mort de Guilin. Je n’ai jamais dit aux mecs d’aller l’attaquer. Je ne suis pas non plus responsable de la mort de mon père. Apparemment, il aurait bien merdé sans mon aide. Ça fait toujours mal de perdre des gens qu’on aime. On ne contrôle pas ce qui arrive, mais on peut contrôler comment on réagit à ces situations. Conseil : te saouler pratiquement tous les soirs pendant 2 ans ce n’est pas une bonne idée. Déjà, ça coute cher et en plus, ça fait grossir. Il faut profiter du temps qu’on a avec les gens qu’on aime et garder les bons souvenirs en mémoire. Tu ne fais pas plus mal que les autres. Tu as tout simplement été malchanceuse, mais ça va changer… Je te le promets, ça va changer. »

Des mots… Trop de mots… Macabre n’arrivait plus à suivre et le sens de tout ceci lui échappait. Elle acheva de se recroqueviller, se mettant en boule au pied du mur contre lequel elle s’était retrouvée bloquée. Elle pleura alors que Zaahrian lui parlait de son ami. Elle ne comprenait pas où il voulait en venir et elle se retrouvait seule avec ses tourments sous l’œil inquiet de Miresgal qui n’osait pas intervenir, ignorant ce qui était en train de se dire exactement.
Lorsque le demi-elfe acheva son discours sur une promesse, les sanglots cessèrent. En dehors d’Anaëh, elle n’avait fait du mal que parce que Don’dar le lui ordonnait. Pour tous ces inconnus, cela ne la touchait pas autant que ce qu’elle avait fait à Zaahrian, mais elle ne le voulait pas pour autant. Il n’était plus là… Elle n’était plus obligée de s’en prendre à qui que ce soit.
La tête dans ses bras qui encerclaient ses genoux, sa voix parvint jusqu’à son neveu, étouffée par ses vêtements et son propre corps.

-Ne m’appelle plus comme ça…

« Non… Non, désolé, Ciryië… C’est un très joli nom. Je vais essayer de ne pas faire l’idiot et de le massacrer, d’accord ? »

Elle avait cessé de pleurer, quel soulagement. Zaahrian voulait tellement bien faire, qu’il faisait tout de travers. Nerveux, il avait tendance à parler beaucoup et à dire des conneries pour détendre l’atmosphère. Parfois ça fonctionnait, mais Ciryië ne comprenait pas encore la subtilité de son humour.

« Sèche tes larmes. Mon but maintenant est de vous ramener en Anaëh. Je ne sais pas encore comment exactement, ni quand, mais vous allez rentrer à la maison, toutes les deux. En attendant, vous êtes ici chez vous. Vous avez besoin de reprendre des forces et ne t’inquiète pas pour moi, je suis un grand garçon qui sait se défendre. »

Et il tendit la main en espérant qu’elle acceptera de la prendre. La tête plongée dans ses bras, la petite elfe ne le vit pas. Elle ne releva les yeux qu’en entendant la voix de Miresgal derrière lui. Si Ciryië ne parlait pas l’elfique et la Noss pas l’Oliyan, il était une langue que les deux jeunes femmes avaient côtoyé. L’eldéen arracha la gorge de l’ornedhel. Ce n’était pas des phrases. Juste des mots mis bout à bout pour essayer de formuler une pensée, une idée. Elle avait entendu le nom de sa terre natale et voulait comprendre ce qui c’était dit sur le sujet. Est-ce qu’on venait de leur proposer de rentrer ? La petite mage des ombres hocha simplement la tête en guise de réponse. Miresgal tourna alors son regard vers Zaahrian. Un regard plein d’espoir et de reconnaissance mêlés. Elle savait qu’elles n’étaient pas encore en état de faire la route, mais la simple perspective d’un retour dans son clan suffisait à son bonheur. En l’espace de quelques heures, tout avait tellement changé… Leur calvaire était fini… Et, même si elle avait encore besoin de temps tellement tout ceci était soudain, elle avait plus de facilité à se faire à cette idée que sa compagne. Elles n’avaient jamais pu discuter, mais elle savait… Elle savait que Ciryië avait connu une vie de servitude, entretenue dans la violence et bercée par la magie insidieuse de Don’dar.
Miresgal se tourna à nouveau vers la petite elfe et prononça deux mots qui la plongèrent soudain dans ses pensées.

-Rentrer…

Cela paraissait anodin pour Zaahrian, mais Macabre ne s’était jamais sentie chez elle nulle part. Son maître avait imposé sa volonté, là aussi. Elle vivait là où lui vivait. Chez elle, c’était à côté de lui. Et s’il n’était plus là ?... Où devait-elle aller ?... Où vivait-elle désormais ?
Parmi les elfes… Oui… Avec sa mère… Avec Neraën… Oui, elle devait retourner avec eux.
Elle hocha la tête quelques fois.

-Rentrer en Anaëh… Oui… On doit rentrer. A Ardamir… Chez Maliss…

« Oui, je vais m’assurer que ça arrive. Il me faudra faire quelques petits arrangements, mais je peux vous promettre que vous allez retourner en Anaëh. Je connais une personne de confiance qui pourra vous faire passer. Cela-dit, ce n’est pas demain que vous serez prête à partir. Je propose donc que pour ce soir, on souffle les lampes et on se mette au lit. Je suis vraiment… crevé. »

En prononçant ces mots, il se laissa choir sur le lit supposé être celui de Macabre le temps de son séjour.

« Vous avez juste à venir vous installer. Il y a de la place pour 4 personnes pas que j’ai testé… Enfin, pas dans ce lit. »

Il tapota l’espace vide à côté de lui.

« Pas d’inquiétude, je n’ai pas les mains baladeuses. Et en restant ici, je pourrai mieux… vous protéger. » Sa phrase fut entrecoupée d’un long bâillement tout sauf gracieux. Il attrapa l’un des nombreux coussins, le ramena contre lui pour s’endormir presque aussitôt la bouche entrouverte. Pour le héros du jour, l’heure était au repos.

Miresgal regarda Zaahrian s’allonger et se rendit aussitôt compte qu’elle n’en pouvait plus elle-même. Elle croisa le regard de Ciryië. Elles échangèrent quelques mots et la petite elfe fit disparaître la Noss dans les ombres pour la ramener directement dans sa chambre, sur son lit. Macabre quant à elle s’allongea à même le sol dont elle se trouvait déjà si près… Elle ne dormit que d’un œil et seulement quelques heures. Le demi-elfe avait pu le constater lors de son bref passage par l’Anaëh, elle avait le sommeil très maigre. Trois heures lui suffisaient, même si elle en dormit bien moins cette nuit-là. Et Zaahrian la retrouverait là où il l’avait laissée la veille.

Les jours commencèrent à s'écouler, lentement... Et sans doute difficilement pour Zaahrian. Cela ne pouvait que se comprendre entre Macabre qui parlait peu et de manière peu intelligible et Miresgal qui ne parlait pas un mot de sa langue. Les deux femmes parvenaient à communiquer en drow mais c'était lui qui était alors mis à l'écart. Heureusement, Yasmine venait tous les jours. Elle n'avait pas pu commencer à soigner les deux elfes car elles étaient faibles et le travail qu'elle devait faire sur elles était colossal. En attendant, elle aida l'assassin à prendre soin d'elles, lui apprenant à leur faire à manger ainsi que les quantités et l'alimentation dont elles avaient besoin pour reprendre des forces. Petit à petit, les bouillons devinrent des soupes et les soupes des moulinés. A présent, la Noss parvenait à marcher un peu plus longtemps, montant et descendant les escaliers sans aide. Ciryië était en meilleure forme au départ aussi ses progrès à elle étaient-ils plus difficiles à évaluer. Elle semblait toujours prête à tomber au moindre coup de vent, pourtant ses côtes étaient un peu moins creusées qu'en arrivant. Elle se remettait si bien aux yeux de Yasmine que celle-ci commença à effacer quelques unes des scarifications sur son visage. La petite elfe refusait toujours que Zaahrian la touche mais, une inconnue, cela ne provoquait aucune réaction chez elle.

Calel aussi passa régulièrement. Il prenait des nouvelles et discutait avec Miresgal. Le demi-elfe et lui parvenaient à communiquer par le biais de gestes qu'ils accompagnaient de mots afin de lui apprendre la langue du pays dans lequel elle se trouvait. Elle en apprit quelques uns mais elle était bien loin d'être capable de tenir une conversation. Ces moments étaient salutaires pour la jeune femme qui n'avait plus parlé avec quelqu'un depuis des années. Car on ne pouvait pas dire que Macabre était d'une grande conversation... Et elle ne le lui reprochait aucunement. Si elle était en meilleur état physiquement, psychiquement elle était ébranlée. Dormant dans la chambre d'à côté, elle l'entendait toutes les nuits... Elle pleurait... Elle était allé la voir une fois et c'était rendu compte qu'elle dormait. Elle était allongée à même le sol sans oreiller ni couverture et son corps s'animait sous l'effet des cauchemars. Cela ne durait jamais longtemps avant qu'elle ne se réveille en sursaut.
Zaahrian ne le savait pas. Miresgal ne savait pas comment l'exprimer... Difficile de mimer un rêve...

Mais il finit par le savoir.

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Il faisait sombre et Macabre ne savait pas où elle était. Elle regardait tout autour d'elle sans comprendre et la peur la tenaillait déjà mais elle ignorait pourquoi. Puis, des murs se dessinèrent...

La pièce était si petite...

La lumière d'une torche invisible vint éclairer les murs de terre et elle se figea. Elle connaissait cet endroit... Elle ne le connaissait que trop bien...
Une voix rauque l'appela faiblement dans son dos. Elle se retourna lentement et son cœur cessa de battre. Attaché par les poignets, un corps était suspendu dans le vide. Une entaille près de son cœur avait répandu du sang jusque sur ses pieds. La masse blonde qui le surmontait se releva péniblement et les yeux de Zaahrian croisèrent ceux de sa tante.

-Pourq... quoi ?...

Le visage de Ciryië se mua en horreur et elle se rendit alors compte qu'elle tenait quelque chose dans sa main. Elle baissa le regard et découvrit qu'il s'agissait d'une dague. Elle était couverte de sang, tout comme ses doigts.
Alors qu'elle était figée de terreur devant ses propres actes, elle sentit un souffle à son oreille et une voix s'immisça jusqu'à son tympan. Une voix qu'elle reconnut instantanément pour être celle qui l'avait "bercée" pendant tant d'années...

-Tu croyais vraiment que tu pouvais te jouer de moi ?...

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-NOOOON !!!!

Allongée à même le sol dans la chambre que Zaahrian lui avait donnée, Ciryië s'était relevée subitement en hurlant. Elle était en sueur et en larmes. Son souffle était court et elle avait peine à respirer. Son regard circula dans toute la pièce à toute vitesse. Elle avait visiblement de la peine à reconnaître l'endroit où elle se trouvait. Soudain, la porte s'ouvrit et la petite elfe tourna la tête, effrayée.
Il était là... Comment il pouvait être là ?...

Elle baissa les yeux sur son torse. Il n'avait rien...
Ce n'était qu'un rêve... Mais elle avait tant de mal à différencier le rêve de la réalité. Bien plus qu'avant. Bien plus qu'avant qu'il ne s'amuse avec ses souvenirs pour les tordre et les déformer. Bien plus qu'avant qu'il se joue d'elle avec une culpabilité qui n'avait aucune raison d'être.

Ciryië était choquée par son propre cauchemar et le fait qu'elle ait tant de mal à différencier les songes de la réalité... Elle fondit en larmes, le temps de supplier Zaahrian comme elle l'avait fait le jour où était venu la chercher.

-Ne m'approche pas... S'il te plaît...

Comme tous les soirs, Zaahrian s’écroulait de fatigue dans son lit pour s’endormir presque aussitôt sa tête sur l’oreiller. Le processus était aussi épuisant pour lui qu’il devait l’être pour Ciryië. Il ne voulait pas la brusquer, car son corps nécessitait encore beaucoup de soins, mais à un moment, il sera guéri et elle devra alors s’employer à soigner les blessures invisibles de son esprit. Pour ça, il pouvait lui servir de support, mais le gros du travail devra venir d’elle. En comparaison, un corps est d’une facilité presque enfantine à guérir. Briser le lien qui l’unissait à Don’dar prendra certainement des années et, en vérité, elle ne pourra jamais l’oublier entièrement. Il fera partie d’elle et Ciryië devra trouver une façon de prendre tout le mal qui lui a fait et d’en tirer quelque chose de positif. Le jour où elle réussira à le faire, elle sera libérée de lui. Il continuera à venir la hanter à l’occasion, mais les mauvais rêves n’auront plus le même impact. En attendant que ce jour arrive, tout restait à faire.

Le cri perça la nuit et le tira brusquement de son sommeil. Zaahrian bondit du lit, tous ses sens en alerte. Ils étaient attaqués ? Il s’empara de la dague qu’il gardait toujours sous son oreiller. Dans le couloir, il tomba nez à nez sur un esclave également alerté par le cri. D’un signe de la tête, Zaahrian lui indiqua de s’en aller puis entra en catastrophe dans la chambre de Ciryië, arme au poing, prêt à bondir sur tout ce qui bougeait. Mais il n’y avait rien… Juste la petite elfe sur le plancher, en proie à la panique. Était-elle tombée du lit ? Non… Non elle dormait sur le plancher. Le lit n’était pas défait. Depuis le début elle le boudait, préférant la dureté du sol. Au premier jour, il n’avait rien dit, mais en voyant cela, ça ne faisait que lui confirmer à quel point la route était longue encore avant une guérison complète.

« Je ne vais pas m’approcher. En fait, je vais m’assoir ici. »

Zaahrian baissa son arme et s’installa au sol, le dos appuyé contre le lit. Il était torse nu et ne portait qu’un pantalon. Il avait de la chance, car parfois il ne portait rien du tout pour dormir.

« Tu sais, tu peux dormir sur le lit. Je sais que tu ne dois pas être habitué à autant de confort, mais on s’y fait très vite. »

Il attrapa l’un des coussins et lui tendit.

« C’est très doux. »

Zaahrian lui offrit son sourire le plus encourageant, mais comme souvent depuis qu’elle était chez lui, les mots lui manquaient. Il voulait être doux et patient, mais il ressentait aussi énormément de frustration. Il aurait aimé qu’on lui dise quoi faire ou avoir une solution magique qui règlerait tous les problèmes.

« Ce n’est pas grave de faire des mauvais rêves et pour être honnête, tu risques d’en faire longtemps. Don’dar est mort, vraiment mort et tu l’as vu. J’aurais préféré que non, mais maintenant je comprends que c’était nécessaire pour toi d’avoir la preuve irréfutable de sa défaite. »

Le demi-elfe parlait doucement. Il savait qu’elle avait du mal lorsqu’il parlait trop et trop vite. Zaahrian attendit donc qu’elle ait assimilé ses mots avant de reprendre.

« Je l’ai battu, maintenant tu dois le battre aussi, dans ta tête. Je peux t’offrir un toit, des soins, de la nourriture et tout le support nécessaire, mais cette partie de ta guérison doit venir de toi. Ça va être long, ça va être pénible. Il y aura des hauts et des bas, des victoires et des défaites, mais avec le temps tu passeras au travers. Tu comprends ? »

Le ton léger et l'humour dont faisait preuve Zaahrian ne provoquait jamais de rires ni même de sourires chez la petite elfe. D'aussi loin qu'elle se souvienne, il ne lui était jamais arrivé de s'exprimer de cette manière. Et rien n'avait provoqué chez elle le désir de le faire. Elle ne savait pas s'amuser et ne connaissait pas cette émotion. Cependant, en cet instant, cela avait quelque chose de salutaire. Les paroles du demi-elfe détournaient temporairement l'esprit de Ciryië de son cauchemar pour l'aider à l'en sortir totalement.

-J'y étais habituée... Chez les elfes.

Son regard passa de l'oreiller que l'assassin tenait au lit auquel il était adossé. Elle sembla le voir pour la première fois, observant la couleur de la couverture, le soin avec lequel le drap avait été rabattu dessus, l'agencement des coussins. Mais, en le voyant, elle ne pensait qu'à l'interdit qu'il représentait.

-Je ne peux pas... Je ne mérite pas...

Zaahrian était patient avec elle mais elle ne pouvait pas s'en rendre compte. Elle ne réalisait pas tout ce qui ne la brusquait pas. Elle ne pouvait se rendre compte qu'en comparant une interaction avec une autre. Mais ici, tout le monde était doux avec elle, aussi ne voyait-elle pas les efforts qui étaient fournis pour prendre soin d'elle. Et tout ce qu'elle était capable d'offrir en échange, c'était de dire merci lorsqu'on lui tendait une assiette ou qu'on lui brossait les cheveux. Un merci plus automatique que sincère car elle ne réalisait pas tout à fait ce qu'il se passait. Dans son esprit, le rêve était ici... Et la réalité, dans sa tête.

Des mots défilèrent, plus lentement que d'habitude. Le demi-elfe avait fini par comprendre qu'elle n'était pas habituée au langage et qu'elle avait du mal avec les longs discours. S'il prenait son temps, elle faisait l'effort de l'écouter jusqu'au bout et d'essayer d'interpréter ce qu'il voulait dire. Il évoqua Don'dar, sa mort, la lutte de Zaahrian et celle qui attendait Ciryië. Mais c'était si compliqué... L'assassin n'avait eu qu'à agiter sa dague. C'était un tout autre combat qui attendait la petite mage.

-Il est entré dans ma tête... Je ne sais même pas ce qu'il a fait.

Ses yeux humides se relevèrent vers le demi-elfe. Le sombre avait si bien fait son travail qu'elle avait mêlé réalité et fiction, ignorant où s'arrêtaient les manipulations de son maître et commençaient les souvenirs. N'ayant que très peu interagit avec Zaahrian, il n'avait pas pu déformer le peu de mémoire qui l'entourait. Il s'était contenté de lui faire revivre ce moment où elle avait planté sa dague en lui, si bien qu'elle avait commencé à douter d'avoir tourné la lame au dernier moment... Mais, quand elle le voyait, elle savait à quel souvenir de ce moment se raccrocher.
Elle ne l'avait pas tué...

« C’est là que tu te trompes. Tu mérites bien mieux que ça. Tu mérites d’être respecté, aimé. Tu mérites d’avoir un toit sur la tête, un endroit décent où vivre dans lequel tu te sentiras bien, mais surtout en sécurité. Ce n’est pas parce que tu y es habitué que c’est bien. »

Dans la pénombre, Zaahrian l’observait. Elle avait toujours ce même masque d’impassibilité sur le visage comme si elle ne ressentait jamais la moindre émotion, mais ce n’était pas vrai. Elle ressentait au moins la peur. Du coup, il lui semblait logique de croire qu’elle pourrait éventuellement sourire. Quelle victoire ça serait si elle commençait à rire de ses blagues idiotes...

« Écoute, un jour tu m’as dit que j’avais le droit de porter le nom de famille Las’danir et c'est de loin le plus beau cadeau qu'on m'ait offret. Moi, je te donne le droit de dormir dans ce lit et de profiter de tout ce que je t’offre. D’accord? »

Zaahrian étira ses longues jambes. Impossible pour lui de savoir quelle heure il était précisément, mais l’assassin était allé au lit tard, très tard, logiquement, c’était plus tard encore. Il était peut-être fatigué, il ne retournerait pas au lit tant que Ciryië ne sera pas apaisé.

« Honnêtement, je me demande s’il en était vraiment capable. Il a peut-être essayé de te faire croire qu’il pouvait le faire. Pourquoi te faire subir autant de mauvais traitement alors qu’il aurait pu te briser complètement en effaçant tes souvenirs? » Il haussa les épaules. « En vrai, je ne comprends rien à la magie, alors peut-être que je me trompe, mais je connais les gars comme lui. Ils aiment la souffrance, ils aiment asservir les autres. Ça leur donne l’impression d’être tout puissants alors qu’ils ne le sont pas. Si tu as besoin d’écraser les gens autour de toi pour t’élever, alors tu n’es pas réellement talentueux. Du coup, Don’dar t’as brisé physiquement. Il t’a privé de tout. Il t’a forcé à garder le sang de tes victimes sur tes mains. Il t’a obligé à faire des horreurs et tout ça, ça a fini par te rentrer dans la tête. En fait, peut-être qu’il pouvait faire certains trucs de base, mais je suis certain qu’il n’était pas aussi puissant qu’il le prétendait. » Zaahrian lui offrit son sourire le plus encourageant. « Tes souvenirs sont tous là, dans ta tête. Peut-être que c’est un peu mélangé, mais voilà, on finira bien par démêler tout ça. »

Puis, Zaahrian eut soudainement une idée. Il se leva d’un bon. « Attends, je reviens. Ne bouge pas. Enfin si, tu peux bouger. Monte sur le lit! » C’est qu’il comprenait suffisamment le mode de pensée de sa parente pour savoir que s’il lui disait de ne pas bouger, elle n’allait vraiment pas bouger. Il sorti de la chambre en catastrophe pour aller dans la sienne. Il commença alors à chercher frénétiquement dans ses effets personnels à la recherche d’un objet bien précis. Finalement, il le trouva. C’était un médaillon poli par les années qui avait appartenu à sa mère. Halan l’avait conservé pendant des années avant de le donner à Zaahrian avec la promesse de le récupérer un jour. L’assassin n’avait jamais pu le lui rendre. Aujourd’hui, il allait aider une petite elfe brisée à garder les pieds dans la réalité. Il retourna dans la chambre de Ciryië pour se rendre compte qu’elle était encore sur le sol. Il choisit de ne rien dire et lui tendit plutôt le médaillon. « C’est un cadeau pour toi. Il était à ma mère et il a également appartenu à Halan. Quand tout sera trop confus pour toi. Quand tu ne seras pas certaine si tes souvenirs sont vrais ou non, regarde le médaillon et tu sauras que c’est la réalité et que tu es dans un endroit sécuritaire. »

-Tu ne comprends pas...

Il ne pouvait pas comprendre. Comment le pouvait-il ? Qui le pouvait ?
Miresgal peut-être, encore qu'elle l'avait préservée de subir le même sort qu'elle. Elle lui avait dit merci la veille...
Elle avait supposé que c'était pour ça. Pour quoi d'autre sinon ?
Alors, pour être plus claire, elle répété ce que Don'dar lui avait martelé d'aussi loin qu'elle s'en souvenait.

-Je ne suis rien. Je ne devrais même pas exister.

Ses mots étaient prononcés un peu plus rapidement que d'habitude. Là où, normalement, elle aurait hésité tandis qu'elle réfléchissait au choix de ses mots, il n'y avait aucun doute ici. Ce n'était pas ses propres paroles, elle rapportait celles d'un autre. Elle avait fini par s'en convaincre, même si ce n'était pas son idée à l'origine.

Zaahrian refusa de croire que son maître était vraiment entré dans sa tête. Il était beau parleur, c'était vrai, mais ses capacités étaient réelles. Elle croyait savoir que la vie parmi les elfes était douce mais, lorsqu'elle fermait les yeux, ce n'était pas ce qu'elle voyait. Elle voyait la souffrance, le malheur et le sang... Elle se rappelait du regard de Neraën sur elle, de l'inquiétude de Maliss à son égard... Cela ne collait pas mais elle n'arrivait pas à trouver la faille. Et le fait de fuir ses "souvenirs" ne l'aidait pas.

-Il m'a fait revivre plusieurs fois ce que je t'ai fait. Je n'étais même plus sûre de ne pas t'avoir tué... Elle le regarda. Elle refusait de le toucher par peur de lui faire du mal mais le simple fait de le voir suffisait. Je ne t'ai pas tué... Dit-elle pour tenter vainement de l'intégrer.

Soudain, Zaahrian se leva et sortit, non sans lui avoir commandé d'aller sur la couche qui lui était destinée. Elle regarda le lit comme s'il s'agissait d'une pendule mais qu'elle ne savait pas lire l'heure... Puis il revint et lui tendit un petit objet. Elle l'observa d'abord, écouta ce que le demi-elfe voulait lui dire à son sujet. C'était un objet de famille qui était déjà passé entre plusieurs mains. Mais, la famille, c'était tout ce qu'ils avaient aujourd'hui, l'un comme l'autre.
Finalement, elle étira un bras pour se saisir délicatement de l'objet. Elle le ramena devant elle et le détailla un moment sans rien dire, le tenant dans le creux de sa main, tel une fleur sans tige. Puis, elle referma ses doigts dessus et posa le poing contre elle. Ainsi donc, ce serait son ancre vers la réalité. Ce qui lui permettrait de distinguer le rêve du monde réel.

-Ce ne devrait pas être à toi de veiller sur moi... Dit-elle sans donner plus d'explications.

Mais Zaahrian devait être habitué maintenant à voir sa parente exprimer une idée comme si tout le monde pouvait suivre le raisonnement qui s'effectuait dans son esprit. D'autant lus qu'elle parlait comme un livre... Car c'était à travers eux qu'elle avait appris à s'exprimer.

Zaahrian fut plus que ravi de voir Ciriyë prendre le précieux pendentif et le ramener vers elle. Il était très précieux à ses yeux, l’un des derniers souvenirs qu’il avait de ses parents, mais ça lui faisait plaisir de le lui offrir s’il pouvait l’aider à garder les deux pieds dans la réalité. Néanmoins, la petite elfe continuait à éprouver un réel malaise devant toutes les attentions de Zaahrian, allant jusqu’à dire que ça ne devrait pas être à lui de faire ça.

« Tu sais, quand tu me connaîtras depuis suffisamment longtemps, tu vas vite comprendre que j’ai souvent besoin d’être aidé aussi. Du coup, je suis pas mal certain qu’un jour la situation sera inversée... »

Il avait effectivement un don très marqué pour se retrouver dans des situations complexes mettant même sa vie en danger. Pourtant, ça ne l’empêchait pas de continuer à faire ce qu’il faisait. À ses yeux, ça ne faisait que plus d’histoires à raconter jusqu’au jour où ça sera sa dernière aventure.

« Puis bon, on ne doit pas avoir une si grande différence d’âge toi et moi, non? Je suis né le 9e jour de la troisième ennéade de Karfias en l’an 907. Nous sommes présentement en l’an 16. J’ai donc... »

Zaahrian compta rapidement. Plus le temps passait, plus il perdait le fil des années. Il en oubliait même son anniversaire.

« J’ai eu 108 ans le mois passé. Pour être honnête, je ne pensais même pas passer les 100 ans. Avec la vie que je mène, je devrais être mort depuis longtemps. Pourtant, je suis ici… et j’ai l’intention de rester aussi longtemps que je peux. Du coup, ça te fait combien? »

Difficile de deviner exactement l’âge de Ciriyë, mais il était pas mal certain qu’elle devait être plus jeune que lui. En tout cas, elle était plus petite et avait l’air d’une gamine… Pourquoi chercher plus loin?

L'an 16... Déjà ?... Ou seulement...
Enfermée nuit et jour dans des cellules sans fenêtres, Macabre n'avait pas pu voir défiler le temps. Son maître l'avait retrouvée en l'an 12. Elle avait donc passé presque quatre ans avec lui... Elle regardait l'état de ses mains et tout ce qu'elle avait subi lui revenait en mémoire. Elle connaissait son corps et ce à quoi il ressemblait aujourd'hui. Yasmine s'était alarmée sur les dégâts qu'on lui avait causé. Et le pire s'était produit dès son retour au Puy...
Anorn l'avait soignée entièrement une première fois. Elle s'était trouvée si changée qu'elle avait eu du mal à se reconnaître en se voyant dans le miroir. Elle avait à peine commencé à se faire à son nouveau corps... Et le voilà à nouveau transformé... détruit...

Et il avait fait tout ce mal en quelques années...

Zaahrian reprit la parole, tirant la petite elfe de ses pensées. Elle releva les yeux de ses mains qu'elle ferma.

Cent-huit ans... Elle ne savait même pas quand étaient survenus les siens. Son corps ne grandissait déjà plus beaucoup à l'époque. Difficile d'avoir une croissance normale lorsque l'on était privé de tout. Yasmine avait prodiguée pour les deux elfes une alimentation riche en vitamines et, pour ce que la nourriture ne pouvait leur apporter, elle ramenait des petites fioles faites par un certain Jonas.

-Maliss voulait préparer une cérémonie...

Elle cherchait dans sa mémoire. Elle voulait se souvenir, elle savait que c'était quelque chose d'important... Mais c'était douloureux d'aller fouiller entre son vécu et les visions insérer par Don'dar. Au sens propre comme au figuré. Et c'était la seule douleur qui la faisait vraiment souffrir. Celle de l'esprit.
Elle commença à s'agiter presque imperceptiblement... A travers de brefs mouvements de la tête, à l'image des déambulations qu'elle opérait dans son cerveau.

-C'était... Elle le prévoyait en l'an 14... Quelques larmes coulèrent sur ses joues alors que son effort lui faisait mal. Pour mes cent-cinquante ans...

Un sanglot mit fin à sa douleur et elle reprit son souffle. Elle avait répondu à la question. Et c'était important qu'elle le fasse. Cette information-là, Don'dar n'y avait pas touchée. Atténuée, peut-être, mais il n'avait pas eu le temps de l'envoyer dans les tréfonds de son esprit auquel elle n'avait pas accès et où se trouvaient enfermés les souvenirs de son enfance en Anaëh.

Zaahrian voyait bien que c’était douloureux. Apparemment, Ciriyë n’avait plus du tout la notion du temps. D’apprendre qu’autant d’années avaient passé semblait la surprendre. L’assassin la laissa remonter les méandres de sa mémoire à la recherche des quelques souvenirs intouchés de Don’dar. Un processus douloureux qui faisait peiner sa tante. S’il fut tenté de l’arrêté, il s’en empêcha, car il savait l’exercice nécessaire. Elle finit par révéler son âge comme si le chiffre l’étonnait elle-même. Ils étaient deux donc à être étonné d’avoir tenu aussi longtemps malgré tout ce qui leur était arrivé.

« 150 ans, mais tu es toute jeune encore. Honnêtement, la différence d’âge n’est pas énorme. Tu pourrais être ma sœur. Heureusement que tu ne l’es pas, car je serais sans doute le frère le plus surprotecteur de toute l’histoire de Miradelphia. » Il eut soudainement un doute. En fait, rien ne disait si elle était sa soeur ou non. Ils étaient de la même famille, mais Zaahrian n'avait pas encore demandé quel était la véritable nature du lien. « Est-tu ma soeur?»

Il était déjà particulièrement protecteur envers les membres de sa famille, mais une sœur? Il lui enseignerait la façon de mettre un couteau à la gorge d’un homme trop insistant et terroriserait probablement tous les mâles lui tournant autour avec trop d’intérêt. Il serait franchement insupportable. C’était donc une chance qu’il n’en ait pas ni de fille d’ailleurs. Zaahrian serait la définition même de l’expression papa-poule.

« C’est quoi cette cérémonie? Tu peux m’en dire plus? Je suis curieux, je ne sais pas grand-chose pour les elfes… C’est pour ça que je voulais rejoindre Halan à l’époque, pour en apprendre plus sur qui je suis. Pour les hommes ça va, mais les elfes… À part que je vais vivre plus longtemps... » Il haussa les épaules. « Je sais que je ne serai jamais un vrai elfe, mais ça fait partie de moi quand même. »

Le sanglot de Ciryië fut le seul et l’unique. La douleur était passée et, sans Don’dar, elle ne reviendrait pas tant qu’elle n’irait pas fouiller à nouveau dans sa mémoire. Zaahrian s’étonna de son âge et la trouva jeune. Tout le monde la trouvait jeune. Les elfes l’estimaient même trop jeune physiquement, la prenant pour une enfant. Mais elle n’avait rien d’une enfant.
Le demi-elfe s’intéressa soudain à leur lien de parenté. C’est vrai, elle n’en avait rien dit. Elle n’y avait pas pensé et il n’avait rien demandé jusque là.

-Es-tu ma soeur ?
-Non. Répondit-elle simplement. Soeur… Elle l’était pourtant… De quelqu’un d’autre… Je suis celle d’Halandarin. Se souvint-elle.

Elle ne réalisait pas vraiment ce que cela faisait d’eux. Elle connaissait les liens de filiation pourtant, mais de là à les mettre en pratique dans le cas présent, c’était beaucoup lui demander.

Zaahrian reporta son attention sur la cérémonie à laquelle elle était censé participer deux ans plus tôt. Elle-même n’avait pas tout compris. Neraën le lui avait expliqué dans des termes aussi simples que possible…

-C’est pour dire que je suis adulte. Je dois choisir le nom que je porterai. Maliss m’en a parlé tôt pour que je choisisse. Si je rentre, je vais devoir choisir ?

Cela ressemblait à une question mais c’était plus une constatation en réalité. Elle avait laissé derrière elle tant de personnes et de choses en cours. Si elle était libre, alors elle pourrait reprendre le cours de cette vie que l’on avait bien voulu lui donner parmi les elfes. Faire cette cérémonie que sa mère voulait pour elle. Devenir une vraie Anedhel. Essayer de comprendre ce qu’elle ressentait pour Neraën…

Neraën…

Les yeux de la petite elfe s’écarquillèrent soudain alors qu’elle réalisait…

-Je dois leur écrire… Puis, relevant les yeux vers Zaahrian. Je peux leur écrire ?

Zaahrian hocha doucement la tête, un sourire sur les lèvres. « Ça fait donc de toi ma tante. En vrai, le mot n’a pas d’importance. Tu pourrais être ma sœur, ma cousine, ma grand-mère ou ma mère… Je ne vois pas la différence. Cela dit, si tu étais ma mère, tu ne manquerais pas de raisons pour me botter les fesses. »

En vrai, il était content. Jusqu’à maintenant, il ne s’était pas vraiment posé la question, mais de savoir précisément qui elle était lui faisait chaud au cœur. Il cherchait maintenant la ressemblance avec Halandarin et, honnêtement, elle n’était pas évidente à trouver. Il lui restait certainement des choses à apprendre sur cette famille, chaque chose en son temps.

« Ça semble important. Quand je suis devenu adulte, il n’y avait personne pour y penser sauf Guilin. Ma mère était morte depuis longtemps déjà… Je trouve important de le souligner. »

Ses pensées allèrent tout naturellement pour Elghinn. En tant que grand-frère, la responsabilité lui revenait de préparer quelque chose pour lui lorsque le moment viendra. Il avait déjà quelques idées en tête. Ce n’était pas demain la veille, mais Zaahrian allait s’assurer que l’événement serait mémorable.

« Hum ? Écrire ? Oui, c’est possible. Tu veux faire ça maintenant ou attendre à demain ? Je ne sais pas trop comment je vais l’envoyer, mais ne t’inquiète pas, je trouverai une solution. »

Macabre ne comprenait pas l’attachement que Zaahrian lui portait. Ils ne se connaissaient pas vraiment. Leur seul lien résidait dans un homme qu’aucun des deux n’avait côtoyé longtemps et dont ils ne connaissaient pas grand chose finalement. Pour elle, cela se résumait à son nom, son métier et le fait qu’il ait engendré au moins deux enfants de sang mêlé avec une autre race -détail dont elle se moquait soit dit en passant-. Elle les savait unis tous deux mais était incapable d’expliquer le pourquoi du comment. Il avait juré de la sauver. Il avait risqué sa vie pour elle. Elle l’avait sauvé. Il l’avait libérée. Il prenait soin d’elle… Tout cela était presque normal et en faisait quelque chose de si étrange en même temps…

Zaahrian accepta de trouver un moyen de faire parvenir une lettre en Anaëh et elle le remercia. Elle n’avait pas écrit pendant plus de quatre ans et ne pratiquait pas beaucoup l’écriture déjà auparavant. Elle espérait que son neveu l’aiderait un peu. Elle voulait essayer de faire quelque chose de propre et de soigné… Elle voulait écrire à Maliss et, surtout, à Neraën. Elle avait envie de rentrer, il fallait qu’elle le lui dise, mais elle devait lui dire aussi que cette idée la terrifiait. Il ne pourrait sans doute pas lui répondre mais elle croyait se souvenir qu’il lui avait toujours prêté une oreille attentive, même si elle ne savait plus vraiment ce qui l’avait motivé à l’époque… Elle n’était plus sûre de rien mais elle savait qu’elle ne devait pas écouter sa peur. Don’dar avait semé la pagaille dans ses souvenirs, provoquant chez elle des émotions ambivalentes. Elle commençait à comprendre que, dans ses cas-là, elle devait passer outre ses craintes et se concentrer sur le reste.

Facile à dire tant qu’elle se trouvait si loin d’Anaëh cela dit…

Finalement, Zaahrian repartit se coucher. Il n’obtint pas que Ciryië s’installe dans son lit mais elle accepta un oreiller, ce qui était déjà un pas vers guérison. Minime, certes, mais un pas quand même.

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Mi-Verimios
An 16:XI

C’était la nuit. Le dispensaire était vide, ou presque. La journée, il régnait ici une ambiance digne des urgences contemporaines. Tout le monde venait, réclamait de l’aide et chaque cas était étudié afin de définir la priorité avec laquelle il devait être traité. Le brouhaha était permanent, sans parler des pleurs d’enfants et des cris de certains patients. Une fois le soleil couché, c’était comme si tous les problèmes de santé du quartier s’étaient envolés… Les lits se libéraient les uns après les autres, les couloirs se vidaient et le silence reprenait peu à peu sa place. Seuls restaient les patients qui avaient besoin d’une surveillance permanente ou de soins plus poussés.
Dans les allées sombres, une silhouette marchait simplement éclairée d’une chandelle. C’était un homme d’une quarantaine d’années mais possédant déjà une grande maîtrise de la magie de la vie. Cassahn aimait cette ambiance… La nuit, le calme… Cela le reposait de ses journées tumultueuses durant lesquelles il ne s’arrêtait presque jamais. Il vivait là, assurant les permanences de nuit. Cela lui permettait de ne pas avoir de logement à payer et de faire ce qu’il aimait vraiment : prendre du temps avec ses patients.

Mais, ce soir-là, son programme allait être un peu bouleversé.

-Cassahn ?

L’homme s’arrêta brusquement et se retourna, surpris, levant la chandelle au-dessus de lui pour éclairer un peu plus loin dans le couloir. Il ne lui avait fallu qu’une seconde pour reconnaître la voix de celle qui l’interpellait mais la trouver là à une heure pareille avait de quoi l’étonner.

-Yasmine ? Qu’est-ce que tu fais ici ?
-Désolée si je t’ai fait peur. J’ai besoin de ton aide...

Cassahn acheva de lui faire face et abaissa les épaules, retrouvant son calme. Il lui adressa un sourire, tout à fait disposé à l’écouter. Il ne lisait aucune urgence dans l’attitude de la jeune femme mais seulement un besoin important d’assistance.

-En quoi puis-je t’être utile ?

Yasmine se tourna vers une zone sombre et fit signe à quelqu’un d’approcher. Une jeune fille sortit du noir, comme venant de nulle part. Ses cheveux coupés à la hâte étaient en bataille mais elle n’avait pas moyen de faire mieux en l’état actuel sans doute. Néanmoins, le peu qu’il lui restait sur le crâne lui permettait encore de dissimuler son visage en gardant la tête basse. La frêle silhouette s’arrêta près de la mage de la vie qui posa une main sur son épaule.

-Voici Ciryië. Son corps a subi de nombreux dommages et en à garder beaucoup de séquelles. J’ai fait ce que j’ai pu mais il me faudrait des mois pour réparer les os les plus endommagés et effacer les cicatrices les plus sévères. Tu veux bien t’en occuper ?

Cassahn ne dit rien puis s’avança après un moment de réflexion. Il ne comprenait pas pourquoi Yasmine tenait à ce point à venir en aide à cette jeune fille mais elle devait avoir une bonne raison de venir le voir plutôt que de gérer le problème toute seule, même si cela lui aurait pris du temps. Et surtout, pour venir le trouver en pleine nuit. Il s’arrêta devant Ciryië et s’accroupit. Il chercha à voir son visage et elle finit par relever légèrement la tête pour le lui permettre. Le médecin resta alors interdit devant ce regard inexpressif, ces traits angéliques et cette immense cicatrice sur la mâchoire qui marquait l’absence d’un large lambeau de peau. Il releva les yeux vers Yasmine, comprenant visiblement à quoi il avait affaire. Elle ne voulait pas simplement guérir d’anciennes blessures… Elle souhaitait masquer au plus vite la vision du traumatisme qu’elle avait subi et qu’elle devait apercevoir chaque jour dans le miroir… Il se releva après avoir libéré un soupir.

-Suivez-moi.

Éclairé par cette unique chandelle, Cassahn mena les deux femmes jusque dans une salle de soin libre. Là, il demanda à la petite elfe de s’allonger sur le lit de camp au milieu de la pièce et posa le chandelier non loin avant de s’asseoir sur un tabouret pour se mettre à hauteur de sa patiente. Il n’avait pas besoin d’y voir vraiment pour pouvoir déceler les blessures et ne chercha pas à allumer davantage de bougies. Il plaça ses mains au-dessus du corps de la jeune fille, à l’image de ce qu’Anorn avait fait pour la soigner plusieurs années auparavant. Elle resta immobile mais suivit avec attention chaque mouvement de celui qui lui était inconnu. Yasmine la regardait. Elle avait confiance en Cassahn et ne le surveillait donc pas. Elle avait bien essayé de rassurer Ciryië mais elle n’était pas vraiment surprise de la voir le fixer avec une certaine méfiance. Elle eut un sourire triste en la voyant ainsi, toujours apeurée à sa manière…
Durant de bien longues minutes, le silence régna dans la salle et alentour. L’homme partit des pieds et remonta lentement. Il chercha à déceler chaque blessure plus ou moins ancienne. Celles qu’il trouva étaient plutôt importantes… Un os entièrement brisé à plusieurs reprises, deux lambeaux de peau arrachés, des cicatrices effacées en surface mais le muscle toujours marqué, une fracture importante par là, un ligament sujet à tendinite oublié ici, un humérus pas entièrement reconsolidé… Au vu de ce qu’il avait sous les yeux, il n’osait pas imaginer tout ce que cette enfant avait pu subir au total. Et il ne put que penser à Yasmine lorsqu’elle avait découvert la jeune fille.

Finalement, après de longues minutes, Cassahn retira ses mains et fit signe à Ciryië qu’elle pouvait se lever puis il se tourna vers Yasmine.

-Je ne pouvais pas tout faire aujourd’hui. Je me suis occupé des cicatrices encore visibles, d’un ligament et des muscles. Pour les os, il faudra revenir.
-Il y en a une deuxième comme elle. Tu voudras bien la voir aussi ?

L’homme hocha la tête dans un nouveau soupir. Ce n’était pas que cela l’ennuyait mais c’était pire de savoir que deux personnes avaient subi ce sort...

-Merci Cassahn.

Attirant Ciryië vers la sortie, la voix du mage arrêta la péninsulaire dans son geste et elle se tourna à nouveau vers lui.

-Yasmine ? Je suis passé chez ton père l’autre jour… Il m’a dit que tu ne vivais plus vraiment chez lui.
-Oui, c’est vrai.

La jeune femme était un peu ennuyée par sa question silencieuse mais elle ne voulait pas lui mentir. Elle l’appréciait, même si elle savait que lui ne ressentait pas tout à fait la même chose.

-Tu as l’air heureuse.
-Je le suis. Lui assura-t-elle.
-Il s’appelle comment ?

Cassahn n’avait pas envie d’entendre la réponse mais il savait qu’il devait s’y contraindre. Il devait rendre cet autre réel afin de tourner la page plus facilement. Yasmine le comprit et lui répondit presque à contre-coeur, consciente de la peine que cela lui causerait.

-Jonas.

Le mage eut un sourire triste mais aussi sincère que les mots qu’il s’apprêtait à prononcer.

-Je suis content pour toi.

Il lui avait fait la cour pendant longtemps sans parvenir à gagner son coeur. Il savait reconnaître sa défaite et restait malgré tout heureux qu’elle trouve le bonheur, même si ce n’était pas avec lui. Elle lui répondit d’un sourire.

-A demain. Conclut-il.

Elle hocha la tête et il répéta les mêmes mots, les adressant à la petite elfe cette fois. Puis les deux femmes sortirent. Lorsqu’il fut dans le couloir quelques secondes plus tard, elles avaient déjà disparu. Il regarda de tous côtés et n’en trouva aucune trace… C’était comme si elles n’étaient jamais venues. Et en pleine nuit, il était si aisé de penser avoir rêvé...